mardi 2 mars 2010

Brèves d'évaluations comportementales

- Bah, ces évaluations, c'est comme la ceinture dans les voitures: on l'a rendue obligatoire mais ça n'a jamais diminué le nombre d'accidents.

- Je viens pour l'évaluation comportementale parce que bon, c'est normal, la loi s'applique à tout le monde.
- Mmhhh
- Mais je sais qu'à la base c'est fait pour les croisé arabes avec leurs croisés pitbulls.

- Mon chien n'est pas méchant !
- Il a quand même mordu cinq fois...
- Il n'est pas méchant, mais il est très con.

- Ce qui devrait être interdit c'est de laisser un rott' à une femme. Les femmes, elles sont pas faites pour ces chiens là.

Au téléphone : Oui, ce serait pour prendre rendez-vous pour une évaluation comportementale, mais je voudrais savoir si le vétérinaire a peur des rottweilers ?

- Comment ça c'est pas un rottweiler mon chien ?
- Ben non, le texte de loi est assez précis sur la taille des chien de type rottweiler et j'ai le plaisir de vous annoncer qu'étant donné qu'il est trop petit, il n'appartient en fait pas à la seconde catégorie - ni à la première d'ailleurs. Fini la muselière, la déclaration en mairie...
- Mais c'est un rottweiler mon chien !
- Pas aux yeux de la loi.
- Mais oh c'est un rot' j'te dis !
- L'évaluation c'est 110 euros, la décatégorisation 60, vous préférez quoi ?
- Ouais mais bon, ya du rot' dedans quand même ?
- Mais oui, c'est un très joli mini-rot', et super sympa en plus. Mais pas un rot'.

Dans la même catégorie, par une mère de famille âgée d'une cinquantaine d'année :
- Quand même : pas une rottweiler ? Je crois que je ne la regarderais plus jamais de la même façon. Je me sens presque trahie...

Ou aussi :
- Docteur, je ne vous permets pas : mon chien n'est pas un bâtard.

Pour en savoir plus sur la diagnose de catégorie ou les évaluations comportementales, consultez la catégorie de billets intitulés "chien dangereux".

Et pour ceux qui se poseraient la question : 110 euros l'évaluation correspond à mon tarif spécial "rottweiler ou pit' adorable juste venu se mettre en conformité avec la loi" pour une heure à une heure et demie d'évaluation, plus un rapport d'expertise dans les formes.

mercredi 3 février 2010

Il m'a souri

Assis à mon bureau, je regarde, à travers la grande baie vitrée, le grand-père et son petit-fils s'avancer vers la porte de la clinique. Devant moi, mon bloc-notes, des stylos éparpillés, le recueil de la formation sur l'évaluation comportementale. L'écran de l'ordinateur est figé sur la fiche de Loupiot, un beau brin de braque âgé de 7 ans, suivi depuis toujours à la clinique pour ses vaccins, ses piros et ses bobos, mais aussi pour une arthrose galopante du coude droit.

Loupiot qui est venu ce matin pour une évaluation, après avoir mordu au visage le petit blondinet qui tient, bien serrés, deux doigts de la main droite de son "Dédé". J'anticipe leur arrivée, ouvrant la porte de la salle de consultation au moment où ils franchissent le seuil de la clinique, les invitant à s'assoir devant moi. Le bol de bonbons est posé sur le bord du bureau, et Dédé en propose un à Jonathan, après l'avoir installé sur un des deux sièges.

Je n'ai pas grand chose à raconter sur Loupiot. Chien banal dans une famille banale, il chasse quand son maître a envie de se dégourdir les jambes et mène, le reste du temps, une vie de famille tranquille chez ce couple de personnes âgées. Cela fait bien longtemps que je le fréquente, et même s'il a toujours été sur la réserve à la clinique, il ne m'a jamais posé de problème en salle de consultation, endurant plus ou moins stoïquement toutes les manipulations, même les plus douloureuses. Un joli gris fumé, un panache blanc sur le poitrail, une cicatrice sur sa babine, à droite, une queue un peu pelée et un collier orange fluo : un chien comme les autres.

Jonathan a cinq ans environ, une bouille de gosse adorable, une masse de cheveux blonds coupés au bol - ça se fait encore ? - et un joli anorak rouge. Un de ces jean's d'enfants qui n'ont pas le temps de s'user qu'ils sont déjà trop petits, et une paire de baskets qui clignotent - clignotaient ? - lorsqu'il marche. Un gosse comme tant d'autres.

Mais Jonathan a quelques points de suture sur l'oreille gauche, et une vilaine marque violacée à l'angle de la mâchoire. Comme l'a dit le médecin : ça aurait pu être pire.

Jonathan passe, depuis des années, la plupart de ses journées chez ses grands-parents. Avec Loupiot le chien et Minou le chat. Il ne fréquentait pas particulièrement le braque, mais ne manquait jamais l'occasion de lui faire une caresse, ou de lui donner une croquette. Surtout s'il lui avait bien donné la patte, le genre d'exercice qui n'avait pas l'air d'intéresser beaucoup le chien, qui l'ignorait la plupart du temps. Dédé m'avait décrit une relation très neutre, normale. Un gosse attaché mais pas envahissant, un chien plutôt indifférent. Jamais menaçant, ni collant.

Devant moi, Jonathan balance ses jambes, l'une après l'autre, et engloutit un, puis deux chocolats.

Avant hier, Dédé est allé faire du bois, avec son C15, son Loupiot et son petit-fils. Le gosse jouait tranquillement dans le sous-bois à côté de la voiture, le chien vaquait à ses occupations. Lorsqu'il est revenu en courant se terrer dans le C15, se glissant par la porte arrière encore ouverte, Dédé n'y a pas trop prêté attention. Il lui a bien semblé que le bruit de course était un peu rapide, mais, sur le coup, il n'a pas réagi. Loupiot finit toujours par aller dormir dans la voiture après sa promenade. Dédé s'est même demandé s'il n'a pas entendu un couinement, mais il n'en est pas sûr, il se l'est peut-être inventé après coup. Le reste, il ne l'a pas vu. Lorsqu'il a entendu son petit-fils hurler, il s'est précipité vers la voiture, à une vingtaine de mètres de lui, a vu son chien détaler et le sang, le sang sur le visage de Jonathan. Ensuite, la voiture, la chemise déchirée et nouée autour du visage, les urgences, les sutures. Les parents paniqués, les cris, la colère. Le père voulait tuer le chien, alors Dédé a pris son fusil et son C15, il est retourner chercher Loupiot. Le braque l'attendait à côté de la tronçonneuse, patient.

Dédé a levé son fusil.

Il l'a armé. Puis il l'a baissé, et rangé dans son étui. Il a battu le chien, il a frappé sa colère, sa peur, sa frustration, sa lâcheté, sa déception, sa culpabilité, son impuissance. Puis il l'a jeté dans l'arrière du C15. Il pleurait. Il est venu directement à la clinique, et j'ai hospitalisé le chien le temps de laisser les choses se calmer. J'ai gardé Loupiot deux jours. Il attendait, paisible, au fond de la courette, profitant des promenades et pleurant lorsqu'il restait tout seul trop longtemps.

Puis Dédé et revenu, j'ai sorti son chien du chenil, et nous avons parlé. Loupiot avait une petit blessure au bout de la patte droite, les anti-inflammatoires et les soins locaux avaient suffi à tout faire rentrer dans l'ordre. Le maire avait demandé une euthanasie, j'avais évoqué l'évaluation comportementale. Alors nous avons parlé, parlé, abandonnant les sentiers des fiches, des petits carrés à cocher et des questions ritualisées, des rapports et des arrêtés. Comme moi, Dédé pense que le chien s'est fait mal, que son arthrose l'a sévèrement lancé, et que l'enfant l'a approché alors qu'il se terrait et souffrait. Que le gosse a déconné.

Dédé voudrait garder son chien, parle de pièces séparées, de loquets, de verrous, de l'enfant qui pourrait ne plus l'approcher, mais il est résolu, il veut bien qu'il soit euthanasié. Mais il ne pourra pas le tuer.

Comme lui, j'ai besoin de savoir : est-ce qu'il recommencera ?

- Jonathan, dis-moi.
- Écoute le docteur, Jojo.

D'un signe de la main, j'isole Dédé. Ce sera entre Jonathan et moi.

- Jonathan, est-ce que tu peux me raconter ce qu'il s'est passé ?

Jonathan regarde ses pieds, ses jambes qui se balancent, l'une après l'autre.

- Comment ça s'est passé lorsque tu es rentré dans la voiture ?
- Loupiot était couché, et il pleurait.
- Il pleurait ? Pourquoi il pleurait ?
- Il s'était fait momo à la patte. Il saignait.

L'enfant regarde toujours ses pieds, la clinique est silencieuse, le soleil baigne le bureau. Les chocolats vont fondre.

- Alors je lui ai dit que c'était pas grave et que ça allait passer, et je l'ai consolé. Je lui ai pris sa patte qui faisait momo. Il ronronnait, parce qu'il était content.

Il prononce ronron-nait.

- Alors je lui ai fait un bisou sur la patte, parce qu'il souriait. Et puis...

Et puis sa voix s'étrangle, et j'en ai assez.

Il souriait.

Il ronron-nait.

Loupiot a grogné. Loupiot a montré les dents, acculé dans le C15, blessé, il a averti l'enfant, a voulu le chasser. Mais l'enfant est resté, Jonathan n'a pas compris les signaux du chien, ces avertissements pourtant évidents. Évidents pour un adulte, pas pour un enfant. D'après mes cours, les jeunes enfants ne savent pas interpréter le langage des chiens, leurs attitudes et leurs signaux. Le cours venait brutalement de se faire rattraper par la réalité.

En ce qui me concernait, je n'avais pas grand chose à reprocher à Loupiot. Le reste de la discussion est venu confirmer cette interprétation. Le chien qui vient se cacher, l'enfant inquiet, qui veut le consoler, qui appuie là où ça fait mal, le chien qui prévient, cohérent, et puis qui repousse l'agresseur d'une unique morsure contrôlée, à sa hauteur, celle du visage de l'enfant agenouillé dans le C15.

Comme l'exige l'évaluation comportementale, j'ai donc classé ce chien.
Niveau de risque II : le chien présente un risque de dangerosité faible pour certaines personnes ou dans certaines situations.

Faible, car même dans une situation "critique", le chien a prévenu et contrôlé sa morsure, utilisée en dernier recours pour chasser un importun.
Pas en niveau I, car l'enfant, même s'il en sera désormais séparé, pourrait réussir à se retrouver avec lui (quoique les conditions pour une nouvelle morsure seraient probablement difficiles à réunir).
Par contre, la persistance de la douleur arthrosique crée un facteur de risque supplémentaire, je recommanderai d'améliorer la prise en charge de la douleur.

Le maire a suivi mes recommandations. J'ai eu une explication calme avec le père de Jonathan, qui, une fois la colère passée, a parfaitement compris l'évaluation.

Quant à Loupiot... il continue à aller faire du bois avec Dédé, car maintenant, Jonathan est assez grand pour passer l'essentiel de ses journées à l'école...

jeudi 17 décembre 2009

Douche froide

- J'ai un chien qui a 40°C, je peux vous l'amener ?

21h00. Je suis rentré depuis une demi-heure à peine de la clinique, mais... nous sommes en pleine saison de piroplasmose, mieux vaut ne pas laisser traîner une fièvre...

- Ça marche. je vous attends dans un bon quart d'heure à la clinique.

Finalement, j'aurais été un peu avance. De quoi faire un peu de paperasse, j'ai un ou deux signalement de chevaux à compléter et des factures à préparer.

Juste avant l'arrivée d'Uno.

Ce bonhomme a l'air en bonne forme. Un grand bleu de Gascogne, le genre de chien "AHOU AHOU" à courir des heures derrière les sangliers puis à arriver ici en remuant la queue, les boyaux dans une couverture tenue par le chasseur. Des rudes. Passage sur la balance, et direction la table de consultation. Son propriétaire est un grand gaillard, pas de première jeunesse, que je ne vois qu'une ou deux fois par an. Pas souvent de casse dans sa meute, et ses chiens sont bien soignés. Celui-ci est magnifique, d'ailleurs. Cinq ans, gentil comme tout, bien nourri, je n'ai pas de fiche sur lui.

- Il n'a jamais eu de souci de santé ?
- Non, pas lui.
- Jamais de piro, pas touché sérieusement par un sanglier ?

Le visage rougi par le contraste entre le froid extérieur et la chaleur accueillante de la clinique, M. Pantel réfléchit. Puis secoue la tête de droite à gauche. Lentement. Non.

- Ça a chassé fort ces derniers jours ?
- Pas plus que d'habitude.

La saison de chasse s'avance, ce chien semble en très bonne condition physique. Il a 39.4 de fièvre, des muqueuses un poil congestionnées, une respiration courte et rapide, une discrète discordance et parfois un souffle de respiration buccale. Je vais quand même commencer par un frottis piro, on ne sait jamais. J'aimerais bien que ce soit une piro. Je serais vite de retour chez moi.

Une goutte de sang étalée sur une lame, et je pars en exploration sur mon microscope. Le frottis est de bonne qualité. Les rouges sont normaux, il y a pas mal de blancs, sans plus, et pas de Babesia canis à l'horizon. Faire le tour de la lame pour en être certain me prend presque cinq minutes, pendant lesquelles je continue la discussion avec M. Pantel. On parle de son chien, "le plus vaillant, toujours devant !", du froid, de la piro, de son chien encore "il n'a pas voulu manger ce soir". Moi, j'annonce que je ne trouve pas de piro. Il me fait remarquer que son chien respire vite. Les yeux toujours rivés sur mon microscope, lui confirme son impression. Je lui parle de la discordance, cette désynchronisation respiratoire indicatrice de difficultés thoraciques, et de la respiration buccale, mauvais signe en général.

De retour près de Uno, je pose à nouveau mon stéthoscope sur son thorax, pour une auscultation approfondie. Cette fois, le silence est religieux. J'écoute et décompose, j'isole les sons, joue sur la tension de la membrane de mon sthéto pour entendre diverses fréquences, continuant à dérouler en esprit les possibilités qui déjà m'assaillaient alors que j'étais encore sur mon microscope. Une pneumonie, le plus probable. Une hernie diaphragmatique, pourquoi pas, un vieux coup sous-estimé aurait pu la provoquer. Épanchement pleural, bof, le son est trop clair. Atteinte bronchique, certainement pas, le son est propre. Le cœur a l'air correct, mais méfiance, tout ne s'entend pas. Cancer ? Et pourquoi pas ? Peu probable cependant.

Il n'y a pas de bruits surajoutés, l'air d'auscultation pulmonaire est normale, le son est juste un peu renforcé, la respiration trop rapide, trop courte, avec prolongement buccal. Une radio est indispensable.

M. Pantel m'accompagne au fond de la clinique. Je porte Uno, extrêmement calme, dans mes bras, pour le basculer sur la cassette radio. Son thorax se découpe dans l'aire lumineuse de mon vieux générateur à rayons X, tandis que je pousse doucement le chasseur vers l'extérieur.

- Il est gentil comme tout, il ne bougera pas, ne vous inquiétez pas. Sortez, il est inutile que vous receviez des rayons. Moi, j'ai mon tablier de plomb.
- Ah bon, ça fait des rayons ?
- Oui, des rayons X, c'est ce qui permet de voir à travers le corps.

Effectivement, Uno ne bouge pas. Le patient idéal, celui qui confère au terme "patience" toutes ses significations. Je sais que mon client, lui, commence à réaliser que les choses pourraient bien être sérieuse. Il vient de me répéter, comme pour nous en convaincre, que Uno est "le plus vaillant, toujours devant".

- Il a très bien chassé dimanche dernier.

Le cliché est pris en un instant. Je repose le chien au sol, qui s'avance calmement vers son maître en passant par la porte entrouverte. Moi, j'attends que la développeuse finisse de chauffer en remplissant le registre des radios, en reposant le dosimètre sur son support et en préparant l'étiquette d'identification du cliché, ainsi que son enveloppe. Il y a encore au moins cinq minutes à tuer. De quoi compléter la fiche d'Uno, récapituler et affiner. Il n'y aura que quelques lignes, finalement. M. Pantel regarde mes doigts voler sur le clavier.

Venu pour abattement, n'a pas mangé ce soir, était bien hier, a chassé dimanche comme d'hab.
39.4, muqueuses un peu congestionnées, respiration rapide, discordance, respiration buccale, auscultation normale sauf renforcement des bruits bronchiques. pas de toux.
Palpation abdo et clinique RAS
Frottis RAS
Urines du 1.050, heller -, bandelette RAS

Je pourrais faire une numération-formule, mais j'abandonne rapidement l'idée. De toute façon, je sais déjà que c'est une infection, et la radio me dira tout ce que j'ai besoin de savoir. D'ailleurs, la développeuse vient de bipper. Dans deux minutes, j'aurais mes réponses. M. Pantel attend. Il regarde son chien. Uno, lui, renifle les sacs de croquettes. Il n'a pas l'air malade. Ça va mal finir.

La radio est sur le négatoscope. Elle est de bonne qualité même si le chien n'est pas parfaitement de profil. Il y a une vilaine densification de toutes les aires pulmonaires. Pneumonie. Mais ce n'est pas le pire. Le cœur est énorme, difforme, une grosse outre molle évoquant irrésistiblement une cardio-myopathie dilatée. Je ne crois pas que ce soit le péricarde qui soit remplit de saloperies, ça ne cadrerait pas avec l'auscultation. Maintenant, il va falloir expliquer ça.

Alors je déroule. La pneumonie, infection discrète et progressive, facile à manquer. Peu de symptômes. Le cœur, très probablement une maladie du muscle nommée cardio-myopathie dilatée, asymptômatique pendant très longtemps. Oui, le chien peut être "très vaillant, toujours devant", même si c'est ancien.

Le visage de M. Pantel est rouge. Cette fois, ce n'est pas le contraste de températures. Il ne dit rien. Il m'écoute, et regarde son chien, suit mes doigts sur la radio, observe le bouquin dans lequel je lui montre des clichés normaux, pour comparer. J'explique la pathogénie, puis propose le traitement. Des antibiotiques, pour la pneumonie. Pour le cœur, je pense savoir quelle molécule serait la meilleure, mais c'est un traitement très cher pour un chien de ce poids. Alors pour l'instant je n'insiste pas, je sais que les gens adhèrent difficilement à ce genre de diagnostic, justement parce que le chien est "vaillant, toujours devant". Comment croire que son chien est gravement cardiaque quand on le voit chasser comme un athlète ?

Ma mission ce soir est de donner un diagnostic, de préciser un pronostic. Pour la pneumonie, et pour le cœur. Le traitement antibiotique. Je lui parle d'échocardiographie, je lui précise le prix, la nécessité de faire appel à un spécialiste pour ce diagnostic, pour affiner, pour choisir le meilleur traitement. Parce que c'est cher, parce que ce n'est pas anodin. Parce que c'est à vie. Mais très efficace. Je sais qu'il ne faut pas insister ce soir. M. Pantel est très raide, il regarde son chien... à quoi pense-t-il ? Je pense qu'il me croit, là n'est pas le problème. Mais il ne réalise pas. Je sens qu'il a accusé le coup sur "traitement à vie". Que la mention de la nécessité d'un spécialiste aussi a fait son effet. Il va lui falloir un peu de temps. Mais son regard sur son chien. On dirait presque qu'il se sent trahi. Il ne me pose qu'une seule question :

- Mais le cœur, c'est pas d'hier quand même ?

Non, le cœur, c'est ancien. La pneumonie a peut-être été facilitée par une mauvaise vascularisation pulmonaire, et c'est la pneumonie qui m'a permis de voir la cardio-myopathie dilatée. C'est une chance qui est donnée à Uno, quand il aurait pu se retrouver mort au court d'un grand debout, au détour d'un taillis, un jour où le cœur n'aurait pas supporté d'être "le plus vaillant, toujours devant".

De toute façon, en mon for intérieur, je sais qu'il n'y a pas urgence pour Uno, pas pour son cœur. Je donne un rendez-vous pour dans trois semaines, pour une radio de contrôle. S'il ne m'a pas recontacté d'ici-là, le nouveau cliché me donnera une nouvelle chance de le faire adhérer. De l'amener à l'échocardiographie, puis au traitement.

Parfois, il faut savoir donner du temps.

vendredi 4 décembre 2009

Qu'est-ce qu'elle a ma race ?

Petit problème amusant lié aux catégories de chiens de la loi du 6 janvier 1999 : et à la diagnose de catégorie.

Soit un chien présentant les caractéristiques physiques suivantes :

  • Hauteur au garrot 62 cm
  • Tour de poitrine : 90 cm environ (embonpoint modéré) ; poids 53 kg
  • Stop marqué, museau d'une longueur légèrement inférieure à la longueur du crâne, truffe large, occlusion dentaire parfaite
  • Robe bringée à panache blanc
  • Queue coupée suite à une intervention chirurgicale à visées thérapeutiques (ce n'est pas une caudectomie de convenance)
  • Testicules en place

Pour vous aider à visualiser le chien, imaginez un genre de rottweiler bringé avec un panache blanc, avec une tête un peu moins ronde que le rottweiler moyen. Pas un amstaff en tout cas.

Soit un certificat d'exportation émis par une société canine d'un pays extérieur à l'Union européenne mais inscrit à la fédération cynologique internationale, qui indique le chien appartient à la race Staffordshire terrier américain.

Tous les autres documents administratifs étant en règle : identification électronique étrangère inscrite sur le fichier national canin, passeport, vaccination contre la rage, assurance en responsabilité civile.

D'après vous, ce chien appartient-il à l'une des deux catégories définies par l'article L211-12 du code rural et l'arrêté NOR: AGRG9900639A ?

N'hésitez pas à vous servir de l'annexe de l'arrêté cité ci-dessus.

J'avais d'autres documents à ma disposition lorsque ce problème s'est présenté à moi, ils pourraient vous servir :

Lire la suite...

mardi 6 octobre 2009

Echec

L'échec est un vieux compagnon de route, qui sait à chaque détour me surprendre par une nouvelle et sinistre facétie. Il me hante lorsque j'examine, lorsque je diagnostique, lorsque je traite, lorsque je dissèque ou que je ligature. Il guette mes absences, mes faux-pas, nourrit mes angoisses et alimente mes doutes.

Il me fait avancer, aussi. Me pousse dans mes recherches, lorsque je feuillette mes bouquins ou explore les recoins de la toile. L'échec me fait revoir mes copies, reconsidérer mes positions, apprendre, tout simplement.

L'échec est quotidien. Je tente de le maîtriser, je contrôle et observe, téléphone et préviens. Méfiez-vous monsieur, s'il se passe ceci, ou s'il ne se passe pas cela, téléphonez-moi, prenez un rendez-vous, ramenez moi votre compagnon. Appelez-moi aussi si tout se passe bien. Désormais, pour nombre de chirurgie, mes forfaits opératoires comprennent une consultation de contrôle, bien avant le retrait des points. Lorsque je traite une otite ou un ulcère cornéen, il y a toujours plusieurs consultations de contrôle. A moindre coût, voire presque gratuites si elles se multiplient.

Dès que quelque chose ne se passe pas comme prévu, je reprends mon diagnostic, cherche la faille dans le traitement - ai-je mal choisi, ou bien ne l'applique-t-il pas correctement ? Le produit est-il bien instillé au fond de l'oreille, ou le maître le dépose-t-il à l'extérieur, de peur de faire mal ? Une démonstration, une discussion à bâton rompus, un comptage des quantités restantes sont autant d'axes d'exploration. Un examen complémentaire, repoussé en première intention, peut être réalisé. Une bactériologie et un antibiogramme, par exemple. Des radios, que sais-je ?

Souvent, l'échec ne prête pas à conséquence. Au pire, il retarde la guérison.

Mais parfois, l'échec tue.

Parfois, l'échec naît de mes erreurs. Manque de connaissances, mauvaise compréhension d'un signe, ou d'un symptôme, le diagnostic peut être faux, ou incomplet. Je peux avoir vu l'arbre, et manqué la forêt. Trouvé la conséquence, l'avoir confondue avec la cause. L'échec est rarement surprenant : plus le temps passe, et plus je vois venir ses coups fourrés, ses trahisons. Plus je me prépare, donc à le recevoir. Et plus je prépare le propriétaire de l'animal à le reconnaître, et, avec moi, à le transformer en étape diagnostique ou thérapeutique. Si je continue à nourrir mes doutes - et mes angoisses - cet échec là mourra.

Parfois, l'échec est celui du propriétaire. Celui qui refuse d'admettre une maladie, ou un traitement, à cause de ses convictions, ou de ses peurs. Il me faut alors expliquer, décortiquer, justifier, manipuler parfois. L'amener à comprendre les conséquences de ses choix, ou de ses maladresses. Redresser la barre, si c'est possible. Plus le temps passe, et plus cet échec devient mon échec. Je me l'approprie, jalousement, le refuse au maître, cet irresponsable, je m'accuse et me juge, sans témoin, sans juré. Je suis mon procureur, et mon avocat. J'aurais du le voir venir, j'aurais du deviner, j'ai oublié de préciser. Il ne pouvait pas savoir, il a mal compris, c'est ma faute. Cet échec là m'use, car il m'entraîne dans de longues explications, tours et détours, précautions, justifications. Je dois susciter l'adhésion, l'enthousiasme, nourrir et entretenir la motivation du maître, de sa famille, savoir que telle personne recevra tel message quand telle autre nécessitera celui-ci. Au risque de me noyer, de me perdre, et de perdre, aussi, celui que je tente de protéger. Trop d'explications tuent l'explication, et, lors des plus longues démonstrations, je conclus toujours par un "je sais, je vous ai noyé d'informations, et tout n'est pas simple. N'hésitez pas à me téléphoner si vous souhaitez des précisions, si vous avez des questions."

Et parfois, l'échec n'est ni le mien, ni celui du maître.
C'est celui d'un système : l'argent limite toujours nos possibilités, et là réside l'une des différences fondamentales avec la médecine humaine telle qu'elle est pratiquée dans notre pays. Combien vaut un diagnostic, celui d'une affection simple, celui d'une grave maladie ? Celui qui condamne à une mort certaine, ou à une lente agonie ? Celui qui n'amène même pas un traitement, éventuellement superflu ? Quelle est la valeur de la vie ? Cet échec là est forcément injuste. Il peut être logique, justifié, mais il reste révoltant, à moins de se blaser, de se blinder. Il faut alors l'accepter, et le négocier. Quand je peux, je propose un étalement des paiements, une remise, une solution alternative. Parfois, même, des soins gratuits. Mais un animal reste un animal. Se révolter ne doit pas le faire oublier.
L'échec peut aussi être celui d'une société. De sa stupidité. De celui-ci, nous sommes tous responsables. Comme l'euthanasie d'une chienne qui ne l'a jamais méritée. Alors, j'essaie de le contourner, de le contenir, mais au prix de quelles responsabilités ? A mon petit niveau, j'essaie d'aider, et je frémis lorsque je lis, et vis, ces échecs, qui, eux, ne concerne pas "simplement" des animaux.

L'échec, enfin, peut être le signe de notre impuissance face à la maladie, face à la mort. Inéluctable et naturel, cet échec est, sans doute, le plus facile à admettre. Ce qui ne le rends pas, forcément, moins douloureux.
Pas de dialyse ou de greffe de rein pour une IRC. Mais la souffrance, la solitude.
Plus d'antalgique pour l'arthrose terminale, la douleur, et la paralysie. Plus de jeu, plus de pirouette.
Plus d'antibiotique, non plus, contre la bactérie, celle qui a gagné, la résistante, l'immortelle.

Avec le temps, ces échecs deviennent plus durs, plus violents. Parce qu'autrefois, j'étais remplaçant, ou assistant. J'étais une ombre, une petite main. J'avais ces piliers derrières lesquels me dissimuler, ou me défausser, quelqu'un sur qui m'appuyer. Les animaux étaient des cas, des nouveautés, leurs maîtres, des inconnus.

Mais le temps passe.

Je ne suis pas seul, mais on compte sur moi, on s'appuie sur moi. Mais je ne suis pas prêt, pas encore ! Je ne peux plus écouter le sage et m'y fier aveuglément. Le doute infiltre les avis de mes pairs, ce doute nécessaire à tout diagnostic, à toute décision. J'ai perdu cette confiance naïve, au plus grand bénéfice de mes patients, sans doute.

Mes patients vieillissent et meurent, quand je les ai vu naître et grandir. Mes clients souffrent et pleurent, et leur douleur me touche d'autant plus durement que j'ai fait son premier vaccin à leur boule de poils. Empathie, et sympathie.

Un médecin généraliste proche de la retraite me disait que sa patientèle vieillissait avec lui. Et que, désormais, ses patients mouraient.

Ce bien triste billet est une pensée, une pensée pour Corneille, âgé de trois ans, qui meurt ce soir.
J'ai observé ses premiers pas de bébé, j'ai pansé sa patte cassée dans une chute d'escalier, je l'ai confié aux bons soins de mes confrères plus spécialisés pour sa fracture, pour ses problèmes oculaires, pour sa peau infectée. Je l'ai accompagné, avec ses maîtres, dans leurs projets fous de portées et de bébés, ces rêves jamais réalisés. J'ai vécu l'arrivée de sa promise, qui restera sa "chaste fiancée", j'ai rassuré sa maîtresse, encouragé son maître. Corneille n'a jamais été en bonne santé, et, au fil du temps, est née une vraie complicité. Ses bobos et ses blessures, son foutu voile du palais, son bout de langue rose toujours promptement retiré lorsque j'essayais de l'attraper : terminé. Parce qu'une bactérie a décidé de résister. Une "bête" infection cutanée.
Ce soir, pour ne pas pleurer, je me suis concentré, j'ai écouté son cœur faiblir, son cœur se battre, puis fibriller, et s'arrêter.

Un échec, assumé, justifié, sans que personne ne puisse rien se reprocher. Ce qui ne le rend pas moins violent, ni moins douloureux.

mardi 4 août 2009

La collerette de la honte ?

Je me demande combien de temps il va falloir pour l'entendre en consultation, celle-là ?

La collerette de la honteCelle-là ? Oui, cette expression fatidique : "la collerette de la honte". Une bonne crise de rire au cinéma, en voyant le film Là-haut des studios Pixar. Film que je vous recommande instamment, collerette de la honte ou pas.

Non, c'est vrai, qui a eu l'idée de cet instrument de torture que j'utilise tous les jours ou presque ? Sur le principe, c'est très simple : une parabole en plastique accrochée au collier, dont l'objectif est d'empêcher le chien de se lécher ou de se gratter une quelconque partie du corps.

Courte, elle protègera par exemple les oreilles des redoutables pattes arrières. Plus longue, voire beaucoup plus longue, elle interdira à un chien ou à un chat de se lécher des points de suture, une plaie, un pansement, un drain... Sa taille dépendra de celle du chien ou du chat, bien entendu, mais aussi de la zone à protéger : vue la souplesse d'un carnivore et l'agilité de sa langue, il vaut mieux prévoir une parabole satellitaire pour protéger une plaie sur l'arrière ou sur une patte.

Parce qu'il faut bien s'ôter une idée de la tête. Non, les animaux ne savent pas ce qui est bon pour eux. Ils ne vont pas épargner leurs points de suture si ceux-ci les démangent. Ils ne vont pas se retenir de lécher comme des furieux une plaie ouverte si elle gratte. Et non, le léchage d'une plaie n'est pas bon pour l'évolution de celle-ci. Au mieux, dans les minutes qui suivent un accident, le léchage permet d'ôter une partie des saletés, mais après, la langue est un véritable bulldozer qui laboure les très fragiles tissus de granulation cicatriciels. Ralentissant, voire empêchant, le bon déroulement de ladite cicatrisation.

Des anecdotes ?

J'ai du un jour euthanasier un chien suite à une simple castration sans histoire. Trois jours après l'opération, la plaie devait commencer à démanger. C'est normal. Il s'est léché, mordillé sans doute, et à fait sauter la suture cutanée puis sous-cutanée. Ensuite, il s'est... littéralement dévoré. Jusqu'à atteindre ses intestins, qu'il a coupés. Les dégâts étaient catastrophiques. Pour une bête castration. Pour quelques minutes d'inattention sans collerette.

Dans le même genre, une chienne qui s'était fait sauter les sutures abdominales après une césarienne. Intestins mordillés, elle aussi. Entérectomie de 1h à 5h du matin. Elle est morte le lendemain. je me rappelle encore de sa propriétaire, éleveuse avertie, juste après la césarienne : "oh non je ne lui mets jamais de collerette ça ne sert à rien, de toute façon elle est très sage". Il ne lui a sans doute fallu que quelques minutes pour s'arracher le pansement et assouvir son envie de gratouilles.

Des moins dramatiques, j'en ai des tonnes. Ré-intervention avec parage de plaie pour re-suturer, pose d'agrafes, arrachage de drains... Nous donnons toujours une collerette après chaque chirurgie, surtout sur les chiens. Pas un instant nous ne leur faisons confiance. Une cicatrice, c'est comme un bouton de moustique. Quand on se gratte, sur l'instant, c'est jubilatoire, alors on continue, on gratte, on frotte, on démange, on arrache parfois. Plus on gratte et plus ça gratte. C'est la même chose.

Alors oui, il existe d'autres moyens de contention, car un certain nombre d'animaux ne supportent pas la collerette (quoique la plupart s'y habituent après un ou deux jours). Bandages type "le retour de la momie" (bonjour l'épilation au retrait), carcans, bouées, ce sont des solutions qui ne conviennent pas à toutes les situations mais qui peuvent être très intéressantes. Et plus chères.

Alors non, elles ne sont pas parfaites, ces collerettes. Elles sont même dangereuses pour les jeunes enfants ou les personnages âgées lors qu'un chien très heureux avec leur fonce dessus et leur explose les jambes, ou le reste. Gare au mobilier, aussi.

Mais ne les sous-estimez pas.

dimanche 19 juillet 2009

Catégorisation des chiens dits dangereux

Voici un billet depuis longtemps promis à une patiente lectrice qui me demandait un exemple de certificat de non-catégorisation de chien dit "dangereux" au termes de la loi du 6 janvier 1999. Plutôt que de placer directement ledit certificat sans explications ni commentaires, je vais plutôt m'attacher à vous expliquer la logique de cette démarche, ses limites et ses qualités, ce qui risque certainement de montrer encore une fois la conception boiteuse de cette loi.

Pour rappel, je vous invite à (re) lire le billet consacré à cette loi publié en décembre 2007.

Qu'est-ce qu'une catégorie de chiens dits dangereux ?

Ce concept de catégories de chien susceptibles d'être dangereux a été inventé avec cette loi citée plus haut, qui avait pour objectif de contrôler voire d'interdire la reproduction des fameux pitbulls et assimilés, en se basant :

  • d'une part sur des caractères génétiques, objectivés par l'inscription au Livre des Origines Français (c'est à dire, la détention d'un pedigree),
  • et, d'autre part, en l'absence de critères objectifs (pour ce qui concerne, disons, les bâtards, du moins les chiens qui ne sont pas inscrits au LOF), sur la ressemblance entre un individu et les individus de ces races.

Première limite, un choix a été réalisé dans la définition des chiens "susceptibles d'être dangereux". En clair, le législateur, soutenu par le "sens commun", s'est dit qu'il y avait des races plus dangereuses que d'autres. Or, hormis sur un critère de poids et de puissance de la mâchoire, c'est une erreur. Une erreur commune, mais une erreur. Un american staffordshire terrier n'est pas plus dangereux qu'un berger allemand ou qu'un labrador. Les connaissances scientifiques tout autant que les statistiques d'accidents sont très claires sur le sujet (et on pourra y revenir dans un autre billet, mais ce n'est pas le sujet du jour). En fait, il est aussi stupide de dire que telle race est dangereuse que d'affirmer que les chats noirs portent malheur ou que les chiens aux yeux jaunes sont plus vicieux.

Combien d'idées reçues de ce type véhiculons-nous tous les jours sans même y prêter attention ?

Bref : la loi existe, et il faut la respecter. D'après l'arrêté du 27 avril 1999 :

Elle a définit la seconde catégorie, celle des chiens "de garde et de défense" :

Relèvent de la 2e catégorie des chiens telle que définie à l'article L. 211-12 du code rural :
- les chiens de race Staffordshire terrier ;
- les chiens de race American Staffordshire terrier ;
- les chiens de race Rottweiler ;
- les chiens de race Tosa ;
- les chiens assimilables par leurs caractéristiques morphologiques aux chiens de race Rottweiler, sans être inscrits à un livre généalogique reconnu par le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Et la première catégorie, celle des chiens "d'attaque" :

Relèvent de la 1re catégorie de chiens telle que définie à l'article L. 211-12 du code rural :
- les chiens assimilables par leurs caractéristiques morphologiques aux chiens de race Staffordshire terrier, sans être inscrits à un livre généalogique reconnu par le ministre de l'agriculture et de la pêche ;
- les chiens assimilables par leurs caractéristiques morphologiques aux chiens de race American Staffordshire terrier, sans être inscrits à un livre généalogique reconnu par le ministre de l'agriculture et de la pêche.
Ces deux types de chiens peuvent être communément appelés "pit-bulls" ;
- les chiens assimilables par leurs caractéristiques morphologiques aux chiens de race Mastiff, sans être inscrits à un livre généalogique reconnu par le ministre de l'agriculture et de la pêche. Ces chiens peuvent être communément appelés "boerbulls" ;
- les chiens assimilables par leurs caractéristiques morphologiques aux chiens de race Tosa, sans être inscrits à un livre généalogique reconnu par le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Comme je le disais dans un autre billet : les chiens avec une sale tronche, et les chiens avec une sale tronche et des papiers. Ne me demandez pas pourquoi les rottweilers et type rottweilers sont tous de seconde catégorie, je n'en sais rien. Ni pourquoi les Tosa, race rarissime dans l'hexagone, s'y retrouvent, et pas les dogues argentins, qui étaient tout aussi rares à l'époque... J'ai déjà pas mal épilogué sur ces sujets dans les billets de la catégorie "chiens dangereux", je vous invite à vous y reporter si vous voulez approfondir la question.

L'annexe de l'arrêté nous fournit heureusement les caractéristiques de diagnose des types évoqués pour les chiens de première catégorie, mais nous pourrions tout aussi bien nous reporter au standard des races, ce qui est parfois important dans certaines diagnoses.

Petit détail amusant : la race "staffordshire terrier" n'existe pas, amusez-vous à faire la recherche sur le site de la Société Centrale Canine. Et le staffordshire bull terrier n'est donc pas concerné.

Cette liste est exclusive : si votre chien est un chien de race et n'apparaît pas dans ces listes, il n'est pas concerné !

Quand a-t-on besoin de connaître la catégorie d'un chien ?

Deux catégories de personnes peuvent demander à un vétérinaire de définir ou d'exclure l'appartenance d'un chien à une catégorie : les propriétaires, en général pour se mettre en règle ou se rassurer, et les autorités (un maire, un juge).

Je reçois régulièrement des demandes de tels certificats pour d'autres cas, qui sont à mon avis à la limite de la légalité (mais comment les refuser ?) :

  • assurances (pour assurer le chien de la maison, soit en responsabilité civile soit en mutuelle de santé vétérinaire)
  • associations, maisons de retraites et encore plus fréquemment les "nounous" qui ont un sacré dossier remplir avant d'accueillir votre enfant chez elles, ce qui m'a permis de réaliser des certificats pour un caniche, un berger blanc de suisse, un berger allemand et un berger des Pyrénées

Qui peut définir la catégorie d'un chien ?

Un vétérinaire, et exclusivement un vétérinaire, mais n'importe quel vétérinaire. Aucun agent des forces de l'ordre ou maire ne peut décréter qu'un chien appartient à telle ou telle catégorie.

Il existe des vétérinaires "experts" mais ils ne sont pas experts en catégorisation, ils sont experts auprès des tribunaux, et sont en général habitués aux subtilités juridiques entourant ces lois. Cela dit, il n'est pas nécessaire d'avoir recours à ces experts pour définir la catégorie d'un chien.

J'attire en passant l'attention des confrères qui me lisent : réaliser un tel certificat engage :

  • votre responsabilité civile contractuelle (obligation de moyens),
  • votre responsabilité pénale (bien sûr, aucun vétérinaire ne ferait une chose pareille, mais c'est un certificat, à la limite de la définition légale de l'expertise, ne réalisez pas de faux !)
  • votre responsabilité disciplinaire (cf ci-dessus)

Pour faire un certificat, il faut voir le chien, le mesurer sous toutes les coutures, et produire un document digne de ce nom.

Et j'attire l'attention de mes lecteurs non-vétérinaires (et des vétérinaires aussi, ne dépréciez pas votre travail !), tout ceci a un coût : temps, formation, responsabilité. Selon les cas, je facture un tel acte entre 50 et 80 euros. Et je ne suis pas cher. Je connais un confrère expert qui les facture entre 150 et 200 euros.

Comment se déroule une consultation de catégorisation ?

Très simplement : comme toute consultation, elle comprend un examen clinique complet du chien.

Il convient de vérifier l'identité du chien ! Puce électronique ou tatouage, peu importe, mais on ne réalise pas un tel certificat pour un animal non identifié (et de toute façon, tous les chiens doivent être identifiés, c'est la loi qui le dit).

Si le chien est un chien de race, ses propriétaires doivent produire les documents qui en attestent (pedigree). Il convient d'enregistrer leurs références sur le certificat.

Ensuite, comme nous disposons d'une liste de critères physiques objectifs fournis par l'annexe de l'arrêté et les standards des races concernées, le plus simple est de procéder par élimination. Hauteur au garrot, poids, tour de poitrine doivent être mesurés.

Cette consultation peut également être l'occasion de réaliser d'autres actes : identification, vaccination antirabique ou que sais-je, en rapport ou non avec les lois sur les chiens "dangereux".

Un dernier point, qui a son importance : je ne réalise jamais ce genre de diagnose en l'absence du propriétaire de l'animal (celui dont le nom est indiqué sur la carte d'identification de l'animal).

Un exemple de catégorisation

En italique, mes commentaires. Dans les blocs de citation, les références. Le reste, c'est le certificat tel que je le rédige.

Clinique vétérinaire des oliviers
Route qui monte
75000 L'Ouve

Le vendredi 30 février 2009

Objet : Catégorisation du chien identifié sous le numéro 250269000000000, appelé « Cosmos »

Personnes présentes lors d el'examen :

  • Melle Martin Cécile
  • M. Martin Benoit (propriétaire)

Je soussigné Dr Fourrure, vétérinaire à l'Ouve, certifie avoir examiné ce jour le chien « Cosmos », identifié sous le numéro 250269000000000, appartenant à M. Martin Benoit, 7 jetée de la plage, 75000 L'Ouve, en vu de son éventuelle catégorisation selon les termes de l'article L.211-12 du Code rural.

Cette diagnose est réalisée à la demande du propriétaire à qui ce certificat est remis.

I- Descriptif physique :

65 cm au garrot
77 cm de tour de poitrine
41 kg, plutôt svelte
Type longiligne
Tête large, stop moyen, museau de la longueur du crâne, occlusion dentaire parfaite, mâchoire moyenne, babine courtes, pas tombantes, truffe de taille normale
Robe blanche et bringée
Poitrine haute, abdomen relevé, thorax ovale
Encolure faible, pas de fanons
Musculature faible, longiligne
Castré

Je commence toujours par là, ça permet de gagner du temps.
Maintenant, on attaque le cœur du sujet.

II- Discussion

A- Seconde catégorie

Cosmos n'étant pas un chien de type rottweiler (de par sa robe, la forme de sa tête, son gabarit). Il ne possède aucun pedigree, il n'appartient donc pas à la catégorie 2, catégorie des chiens dits de « défense ».

Là, c'est très facile. Ce n'est pas un chien de race inscrit au Livre des Origines Français, et ce n'est manifestement pas un rottweiler.

Petit aparté : Méfions-nous du "manifestement pas". Ce qui est évident pour un professionnel ou un amateur de chiens ne l'est pas forcément pour un gendarme. Si un point prête ne serait-ce qu'un minimum à discussion, il faut bien l'étayer.

Maintenant, les choses se compliquent avec la première catégorie.

B- Première catégorie :

1- Type "pittbull"

La taille du chien examiné, de 65 cm au garrot, supérieur au seuil légal de 50 cm et sa musculature trop faible excluent l'appartenance à cette catégorie.

2- Type "boerbull"

La musculature du chien est trop faible pour correspondre à ce type. Le profil est longiligne, l'aspect levreté, la taille trop petite pour y correspondre également. L'absence de babines pendantes et de fanons achèvent de permettre de conclure avec certitude que le chien n'appartient pas à ce type.

3- Type "tosa"

La faiblesse de l'encolure, l'étroitesse du thorax et l'absence de fanons excluent l'appartenance à cette catégorie.

CONCLUSION

Il ressort de l'examen et des caractéristiques physiques rappelées ci-dessus que le chien identifié sous le numéro 250269000000000, appelé « Cosmos » ne correspond pas aux critères physiques qui définissent les chiens de première catégorie ou deuxième catégorie de l'article L.211-12 du Code rural et de l'arrêté NOR: AGRG9900639A du 27 avril 1999.

Ce chien a l'apparence d'un chien croisé de dogue et de chien de chasse, ayant hérité du premier une mâchoire de puissance moyenne ainsi qu'une robe bringée à poils ras. Du second, il a pris la faiblesse de la musculature et l'aspect longiligne.

J'essaye de toujours conclure sur un descriptif qui en appelle au "bon sens" de l'autorité qui le lirait, puisque c'est avec le même "bon sens" que l'on considère la sale gueule des chiens dits dangereux.

Le présent certificat n'est pas une évaluation comportementale au sens de l'article L.211-14-1 du Code rural, mais concerne exclusivement la diagnose de catégorie de l'animal.

Ça va mieux en le disant.

Fait à L'Ouve, le 30 février 2009

Cachet, signature.

Plusieurs commentaires d'ordre général :

Notez que l'annexe, qui commence par les termes suivants, permet d'écarter rapidement les caniches, bergers allemands et autres loulous :

Les chiens visés dans le présent arrêté, que ce soit pour la 1re ou la 2e catégorie, sont des molosses de type dogue, définis par un corps massif et épais, une forte ossature et un cou épais. Les deux éléments essentiels sont la poitrine et la tête. La poitrine est puissante, large, cylindrique avec les côtes arquées. La tête est large et massive, avec un crâne et un museau de forme plus ou moins cubique. Le museau est relié au crâne par une dépression plus ou moins marquée appelée le stop.

J'attire votre attention sur les termes "large ressemblance" utilisés dans l'arrêté : il ne faut pas non plus prendre les gens pour des cons, et mesurer au centimètre près. Je n'exclue pas un chien d'une catégorie pour un centimètre, ou même deux. Cependant, je suppose qu'un avocat me dirait que c'est plaidable.

Par ailleurs, les termes de l'arrêté sont flous : une "apparence puissante", c'est quoi ? La, le chien était carrément fluet, donc ça allait, mais...

On peut se référer aux standards des races, il ne faut même surtout pas hésiter lorsqu'on a un doute. Tous sont disponibles sur le site de la Société Centrale Canine. Ils sont plus précis que l'annexe de l'arrêté, et la loi dit très précisément :

les chiens assimilables par leurs caractéristiques morphologiques aux chiens de race XXX, sans être inscrits à un livre généalogique reconnu par le ministre de l'agriculture et de la pêche

Les mauvais esprits noteront en s'amusant que le standard de l'american staffordshire terrier précise entre autres que :

Les mâles doivent avoir deux testicules d'apparence normale complètement descendus dans le scrotum.

Dire qu'un chien castré n'est pas concerné serait de la mauvaise foi, mais si le chien est monorchide ?

Un dernier point : je ne l'ai jamais fait, mais je sais que des confrères font parfois appel à l'expertise de juges de la Société Centrale Canine pour attester qu'un chien ne correspond pas au standard d'une race. Dans le cas de conflits devant un tribunal, je pense qu'il ne faut pas hésiter.

Questions fréquemment posées

C tro cher !

Dans un monde idéal, je n'aurais pas besoin de payer mes salariés, le bâtiment, le matériel ni mes courses ou tout le reste.

Dans un monde idéal, il n'y aurait d'ailleurs pas la loi du 6 janvier 1999.

Dans un monde idéal, je serais riche. Même si je n'avais plus besoin d'argent (cf. première ligne de la définition du monde idéal).

Est-ce que le bull terrier est un chien de catégorie ?

Non, s'il s'agit bien d'un bull terrier et que vous possédez un pedigree. Non plus s'il y ressemble très fort.

Et ça marche en remplaçant "bull terrier" par toute autre race non citée dans l'arrêté du 27 avril 1999. Et, et tant que j'y suis, pour les recherches Google amusantes qui arrivent je ne sais pas comment sur mon blog : pitboule, pitboulle, pittboule, pittboulle, pitebule, piteboule, chien le plus dangereux du monde, chien le plus mortel de la mort (sic), chien tueur. Bienvenue (ça c'est de l'indexation).

Ca vous amuse de contourner la loi ? ou Arrêtez d'essayer de protéger ces sales bêtes dangereuses !

C'est comme les avocats, il faudrait les empêcher de nuire.

Cette loi est mal faite. Ne me demandez pas d'essayer de la rendre intelligente.

La plupart de ces chiens ne sont pas plus dangereux que leurs congénères.

Quand une gamine sera tuée par un de ces chiens que vous n'aurez pas catégorisé, vous serez fier de vous ?

La loi, pourtant très bien appliquée d'après les déclarations des ministres (cherchez dans les débats sur la loi de 2008), n'a pas diminué le nombre d'accidents. Et catégoriser (oui, j'emploie votre néologisme, cher questionneur) un chien ne l'empêchera pas de mordre dans un grand nombre de circonstances. Notamment à la maison. Ou s'il s'échappe malgré la surveillance attentive de ses maîtres.

Et puis, allez troller ailleurs.

Édition du 25/07/2009 : mise à jour de l'exemple de certificat selon les pertinents conseils de Maître Eolas, que je remercie très sincèrement d'avoir pris de son temps (mais où le trouve-t-il ?) pour améliorer les aspects formels du certificat.

dimanche 7 juin 2009

La prothèse

Un dimanche de garde comme les autres, avec ses urgences, ses bobos, ses chiens hospitalisés... et ses appels surréalistes.

- Je suis bien à la clinique du Dr Fourrure ?
- Oui, bonjour, c'est lui même.
- Ah docteur c'est terrible ! Le chien de mon amie a rompu sa prothèse.
- Hein ?
- Oui, elle a cassé !
- Mais quelle prothèse ?

Silence au bout du fil. Il a éloigné le téléphone de sa bouche, et s'adresse à quelqu'un d'autre.

- Elle est où, sa prothèse ?
- Mais à la patte enfin !

Une voix féminine. Retour au téléphone.

- La prothèse de sa patte, enfin !
- Mais mais mais... de quel chien s'agit-il ?
- Et bien, du chien de mon amie.
- Mais...
- C'est un caniche, il s'appelle Filou
- Mais... je ne situe pas. Je suis désolé.
- Ah mais sa prothèse s'est cassée !
- Oui, bon, mais il a mal ?
- Ahlala c'est qu'elle est cassée !
- Bon, et bien, écoutez, amenez-le moi de suite si vous voulez !
- Ah bon ? heu... d'accord mais je suis à une demi-heure de route, et il faut que j'aille m'habiller.
- Et bien, disons dans une grosse demi-heure...

Crise de rire sur le fauteuil.
C'est nerveux.
Un vieux monsieur, il a l'air très gentil, mais vraiment, une prothèse à la patte ? Nous n'avons pas posé de fixateur externe depuis longtemps, et je ne vois pas de quelle prothèse de ligaments croisés il pourrait s'agir.
On verra bien.
En tout cas, il n'avait pas l'air enthousiasmé à l'idée de venir. Curieux pour un tel appel.

Saut que le téléphone a re-sonné un instant plus tard.

- Oui, je vous rappelle au sujet de la prothèse.
- Oui ?
- Bon, et bien, j'ai bien réfléchi.
- Et ?
- C'est votre collègue, dont la clinique et à 20 mètres de chez moi, qui l'a opéré.
- Ah, et il n'est pas disponible ?
- Non, j'ai téléphoné, et on m'a envoyé ailleurs.

Ailleurs, comme chez un confrère d'une grande ville à une heure de route, capable de gérer un cas d'orthopédie merdique, ok.

- Et ensuite je vous ai appelé.
- Oui ?
- Et bien finalement le chien s'est couché dans son panier.
- Il a l'air de souffrir ?
- Heuuu non pas du tout. Il est couché.
- Mais c'est une prothèse de quoi, finalement ?
- Et bien, de la patte.
- Il a une patte artificielle ?
- Mais non docteur, c'est juste une prothèse !
- Ah, bon, pas de barre de métal qui sort ni rien ?
- Non, rien de tout ça, il l'a depuis deux ans.
- Bon, et bien vous l'amènerez demain à mon confrère qui l'a opéré, alors ?
- Oui, oui, je pense que c'est plus raisonnable.
- Bon, d'accord, mais vous lui interdisez de se promener sans laisse, de monter ou descendre des escalier, et vous ne lui donnez aucun médicament à vous, hein, s'il ne souffre pas.
- Heuu, d'accord.
- Pas d'aspirine, pas de di-antalvic ou d'efferalgan, rien du tout, les doses ne seraient pas adaptées et certains de ces médicaments sont toxiques pour les chiens, donc s'il ne souffre pas et que sa patte n'est pas gonflée, il n'en a pas besoin, d'accord ?
- Heu oui, oui, je suis vraiment désolé de vous avoir embêté hein...

Pas de quoi, ça m'évite un aller-retour à la clinique pour gérer un truc donc je ne connais pas le début du commencement.

Et moi j'imagine la scène chez son amie, entre elle qui doit être affolée alors que le chien dort en rond dans son panier, et lui qui n'a pas plus envie que ça de se taper trente minutes de route et une consultation au tarif de garde...

dimanche 31 mai 2009

Il a tout essayé

Le vétérinaire : Mais il est couvert de puces votre chien !
Le vieux bonhomme, résigné : Ne m'en parlez pas, j'ai tout essayé...
Le vétérinaire, pas convaincu : Tout ?
Le vieux bonhomme, catégorique : Tout.
Le vétérinaire, avec une puce qui lui court sur la main : Shampooings, pipettes, sprays ?
Le vieux bonhomme, avec un grand geste de la main : J'ai commencé par un bain de vinaigre blanc.
Le vétérinaire, sentant venir le n'importe quoi : Mouais, mais ça, c'est juste bon à faire fuir ce qui est sur le chien...
Le vieux bonhomme, qui n'a pas fini : Ensuite, j'ai essayé l'essence de lavande.
Le vétérinaire, fataliste : Ce qui a du bien lui déboucher les narines...
Le vieux bonhomme, biologique : Puis une amie m'a donné une solution avec des huiles et des trucs qui sentaient le thym et le citron, je l'ai baigné là-dedans.
Le vétérinaire, résigné : Au moins, ça devait sentir bon.

Le chien, sur la table, remue la queue. Des puces grouillent sur son arrière train et entre ses testicules, certaines semblent mesurer la distance jusqu'au bras du vétérinaire et du vieux bonhomme, juste à côté.

Le vieux bonhomme : Alors, je ne me suis pas démonté, je lui ai mis un collier anti-puce.
Le vétérinaire, goguenard : Et vous avez pu constater qu'aucun collier anti-puce ne fonctionne.
Le vieux bonhomme, remonté : Alors j'ai essayé la fleur de soufre !
Le vétérinaire, qui se demande quand ça va s'arrêter : Il paraît que c'est bon pour la peau.
Le vieux bonhomme, content de lui : Oui, avec du talc et de l'huile d'olive.
Le vétérinaire, patient : Il devait avoir de l'allure !
Le vieux bonhomme, pas démonté : Après j'ai employé les grands moyens !
Le vétérinaire, un brin moqueur : Des insecticides spécialement prévus pour les puces sur les chiens ?
Le vieux bonhomme, catégorique : Ah non, j'ai mis du spray l'an dernier, ça n'a pas marché.
Le vétérinaire, pédagogue : 4 coups de pompe par kilo de chien ? Ca en fait 80, vous lui avez vraiment mis 80 coups de pompe ? En général, les gens arrêtent avant, du coup, ça ne marche pas, effectivement...

Le vieux bonhomme reste silencieux. Le vétérinaire s'apprête à poursuivre, en constatant qu'on voit encore le scrotum du chien sous les puces qui grouillent.

Le vétérinaire, toujours pédagogue : Vous devriez plutôt utiliser les pipettes, au moins, vous mettrez la bonne dose, et sur du moyen terme, vous seriez débarrassé.
Le vieux bonhomme, balayant les pipettes d'un revers de la main : J'ai passé le chien au gasoil.
Le vétérinaire, résigné : Il paraît que certains prennent des bains de pétrole.
Le vieux bonhomme, affirmatif : En tout cas, ça lui a fait tomber toutes les puces.
Le vétérinaire, qui connaît la suite : Mais dix jours après, vous en aviez autant, puisque les œufs et les larves qui étaient dans l'environnement ont éclos, et sauté sur votre chien.

Le chien remue toujours la queue sur la table, il semble confirmer.

Le vétérinaire, qui poursuit sur sa lancée : L'avantage des pipettes, c'est que ça agit un mois. Certaines rendent même les œufs des puces stériles, on peut aussi traiter l'environnement avec des solutions à pulvériser, ou des fumigènes pour l'intérieur de la maison.
Le vieux bonhomme, qui saisit la perche : Tout à fait, j'ai donc passé tout le chenil au grésil.
Le vétérinaire, qui ne veut pas braquer : C'est mieux que rien.
Le vieux bonhomme, encouragé : Du coup, j'y ai passé le chien aussi.
Le vétérinaire, diagnostique : Ce qui nous amène au problème de peau qui est le motif de consultation de ce jour.

Je vous rassure, le chien a vraiment une peau d'une excellente qualité. Il s'en est très bien tiré.

samedi 25 avril 2009

Une évidence

Il est 19h00, la clinique doit fermer ses portes. L'après-midi a été très calme, une de ces après-midi de fin de mois dont on devine qu'elle préparent la suractivité de la semaine suivante...

Depuis une heure, j'attends une chienne que je suis depuis des années. Je l'avais sauvée d'un pyomètre (une grave infection de l'utérus) trois ans auparavant, puis d'un coup de chaleur l'été dernier. Bon an, mal an, elle traînait ses 15 années de labrador de ferme et me réservait toujours un accueil heu... bruyant et expressif quand je me garais dans la cour de la ferme.

Il est 19h00, et je vais rentrer chez moi.

Ou pas.

La voiture se gare juste devant la porte, et en sort M. Adour, qui se penche à l'arrière de sa voiture pour déposer, devant mes pieds...

Une évidence.

Petra est là, sur le paillasson, lorgnant sur la porte de sortie.

Elle va mourir.

Elle respire extrêmement vite, et en discordance : ses mouvement respiratoires sont disharmonieux. En langage médical, pour cocher les cases, on dirait dyspnée, tachypnée et discordance. Sur la table de consultation, j'écoute son cœur, puis ses poumons. M. Adour marmonne quelques propos inintelligibles dans la sphère du stéthoscope. Lorsque j'ausculte un animal, je n'entends plus rien que les vibrations et les ronflements, les battements et les souffles. L'isolation phonique est excellente, et mon esprit est ailleurs : il analyse, il sépare les sons, il interprète déjà. J'ai levé l'index en m'excusant. Une respiration bruyante, mais très audible, un cœur très rapide mais régulier. J'ôte mon stéthoscope.

"Vous disiez ?
- Elle n'est pas bien depuis trois ou quatre jours, mais ça ne fait que deux jours qu'elle ne mange pas.
- Elle ne tousse pas ?
- Non, pas du tout."

Petra est debout, devant moi. Ma main gauche palpe ses mamelles, ma main droite tient le thermomètre. 38.3, et des tumeurs mammaires de grosse taille.

Pas de fièvre, pas de signes d'infection pulmonaire, pas de trouble cardiaque : carcinome mammaire terminal, à métastases pulmonaires.

Dis plus simplement : Petra va mourir. Elle n'aboiera plus jamais sur ma voiture.

"OK, on va faire une radio, M. Adour."

Il n'y a pas de bonne façon de le dire.

Radio thoracique de chienne : carcinome mammaire métastatique

"Petra va mourir, M. Adour. Elle a un cancer de la mamelle qui a métastasé partout dans ses poumons. Pour ainsi dire, elle n'a plus de poumons. Vous avez déjà vu des poumons de cochon ? Imaginez que les siens sont blancs, durs, petits, et plus du tout élastique. Il n'y a plus de place pour l'air là-dedans. Elle va mourir, aucun soin médical ou chirurgical ne peut quelque chose pour elle. Il y en a pour quelques heures, au plus quelques jours.
- Un cancer, comme les personnes ?
- Comme les personnes, M. Adour. Comme un cancer du sein en phase terminale."

M. Adour est devant moi, dans la salle de radios, avec cette image sur le négatoscope, près de sa chienne, qui attends sur la table. Allez savoir ce qui se passe dans sa tête, comme il peut encaisser cette double annonce : le cancer, et la mort. Allez savoir qui a un cancer dans sa famille, qui en est mort, et si, lui-même, ne développe pas une pathologie de ce genre... Il est là, attentif, avec son pantalon en toile bleue et ses sabots en plastique brun, camouflage bouse, son gros pull bordeaux et ses cheveux rares.

C'est un cancer comme on n'en voit pas, comme je n'en ai jamais vu. Cette radio est la jumelle d'une diapo vue en cours il y a bien longtemps, un de ces images d'écoles qui illustrent les cas graves en montrant leurs stades extrêmes. La prévention et les traitements précoces sont passés par là, et même une tumeur mammaire mal gérée arrive rarement à cet extrême.

"Mais... docteur..."

Il attends autre chose. Une solution, une réponse. Une piqûre ? Je n'ai rien.

"Je suis désolé, M. Adour. La seule chose que je peux vous proposer, c'est... une euthanasie...
- Ah non alors !
- Ou alors, de la morphine et de la cortisone, pour la soulager un peu. Mais ça n'empêchera rien, ça ne retardera rien, ça ne guérira rien. Ça lui permettra juste de souffrir un peu moins.
- Alors on fait ça.
- Et vous m'appellerez si vous voyez que ça ne va pas du tout."

Il n'est pas prêt, M. Adour. Quinze ans que Petra montre les crocs à toutes les voitures qui se garent dans la cour de la ferme, quinze ans qu'elle toise avec mépris les importuns. J'ai déjà sauvé Petra deux fois, et il l'avait crue morte, à chaque fois. Alors, pourquoi pas aujourd'hui ?

A cause d'une évidence, d'un de ces diagnostics comme on en a rarement. Simple, lapidaire, inéluctable, fatal.

Sur sa fiche informatique, j'ai écrit :

Respire vite depuis 4 jours, ne mange plus.
Pas de fièvre.
Tachypnée, discordance majeure.
Radio : métastases pulmonaires délirantes.
Pronostic défavorable.
Refuse l'euthanasie. Morphine + corticos.

Petra n'aboiera plus sur ma voiture.

En écrivant cette fiche, je me suis demandé si je le libérais. Il a attendu si longtemps, les choses auraient pu tourner autrement, si seulement il s'y était pris beaucoup plus tôt, si cette chienne avait été vue pour autre chose que des urgences. Si nous l'avions vaccinée tous les ans, si, si, si.

M. Adour me regarde, en attendant que je finisse la facturation. Il est silencieux. Figé.

"Vous savez, cela n'aurait pas changé grand chose si vous me l'aviez amenée quand elle a commencé à souffler. Ou même quelques mois plus tôt.
- Mais on aurait pu faire quelque chose ?
- Oui, mais bien avant, il y a des mois, peut-être des années ?
- Ah."

Un silence.

"Mais c'est le cancer, comme pour les personnes ?
- Oui. Comme pour les personnes, M. Adour.
- Alors, c'est comme ça... Il y a les dépistages, il y a les suivis.
- Oui...
- Mais c'est trop tard.
- C'est trop tard."

Car c'est une évidence, simple et cruelle, en tout cas pour moi, avec mon regard de médecin : Petra va mourir, et ce n'est qu'une question d'heures.

Elle aura son trou, au fond du terrain. Peut-être un prunier, ou un pommier.

Elle n'aboiera plus sur ma voiture.

mercredi 8 avril 2009

Chiens dangereux - le commentaire d'un policier

Juste un petit mot pour signaler le très intéressant message d'un policier laissé sous mon billet consacré à la loi de 2008 sur les chiens dits dangereux.

Merci.

dimanche 15 mars 2009

Libération ?

« Vous comprenez, docteur, son incontinence est de pire en pire. Elle marche et elle laisse des traînées d'urine derrière elle, dans le commerce, et ça sent mauvais et il faut tout le temps nettoyer, alors on la laisse dehors, mais elle a dix ans et... »

Une grosse carcasse de labrador, au moins 40kg, avec une incontinence urinaire de chienne stérilisée qui avait démarré environ un an après la chirurgie. On avait essayé tous les traitements, ils avaient tous fini par échoués. Périodiquement, le vieux monsieur se remotivait et acceptait que nous réalisions un examen de plus ou que nous prescrivions une autre molécule. En vain.

Mais l'euthanasier pour une incontinence urinaire, c'était complètement con.

« Vous savez, c'est ma femme ou ma fille qui doivent nettoyer, je ne peux pas leur imposer ça... et c'est de pire en pire »

Nous nous étions tous réunis dans la salle de consultation. Elle était avachie sur la table, nous avions tous les bras croisés. Le vieux monsieur espérait... Quoi ?

Que nous acceptions l'euthanasie ?

Que nous trouvions une solution miracle ?

Il n'y aurait pas de miracle. Nous savions l'enfer pour nettoyer ce vieux bar, la chienne qui serpentait entre les clients pendant les repas de midi, les imprécations de son épouse et la résignation du monsieur.

Ils m'ont finalement laissé seul pour décider, parce que c'était un sale boulot, parce qu'on n'euthanasie pas une chienne pour une incontinence urinaire.

Ou bien si.

Le vieux monsieur était reparti avec ce visage fermé qui est la fierté de ceux qui ne pleureront pas.

Pas devant moi.

Pendant une semaine, je suis passé devant ce bar avec un pincement au cœur pour cette chienne que j'avais toujours vue dormir au milieu de la route, au soleil. Il fallait toujours faire un crochet pour l'éviter.

Et puis un jour, j'ai croisé la fille du vieux monsieur dans le village. Elle est venue droit vers moi.

Pour me serrer la main.

« Vous savez, mon père est décédé la semaine dernière. Mercredi. »

Je ne savais pas. J'ai présenté mes condoléances. J'étais perdu. Je l'avais vu deux jours avant. Je suis trop jeune pour avoir l'habitude de voir mourir mes clients.

Elle m'a précisé qu'il était malade du cœur depuis très longtemps. Qu'il était mort paisiblement.

Qu'il n'avait pas souffert.

Que l'euthanasie de sa chienne l'avait libéré.

jeudi 26 février 2009

Rien

"Mme Latour, c'est à vous."

Je m'efface de la porte de la salle de consultation pour laisser entrer une femme d'une quarantaine d'année et son... chien. Sa chienne sans doute. Croisée husky et berger allemand peut-être, vue sa taille j'estime qu'elle devrait peser... peut-être 22, allez, 25 kg ?

"Bonjour docteur, je vous amène Noisette, que vous n'avez jamais vue auparavant."

Mon ASV a rempli le dossier : 5 ans, croisée husky, stérilisée depuis 4 ans, vaccins à jour, pas d'antécédents particuliers. Motif de consultation : pas en forme, malade, grosse.

Super.

Je me penche vers la chienne, et, au fil des premières caresses, je commence mon examen clinique. En quelques minutes, j'aurais fait le tour de cette bestiole, et, l'air de rien, je commence l'interrogatoire.

"Et donc, qu'arrive-t-il à cette louloute ?
- Et bien, ma mère a décrété qu'elle était malade."

Vu le ton et la façon de poser son sac à main sur la chaise, la précision qui suit est superflue.

"Moi, je la trouve très bien, mais après tout, c'est sa chienne, et ça fait quatre jours qu'elle me tanne pour que je l'amène.
- Mais elle n'est pas venue ?
- Non, dix minutes avant, elle a décrété qu'elle était fatiguée !
- Bon, et elle lui trouve quoi, à Noisette ?
- Elle dit qu'elle est malade, et que ça doit être une cystite."

OK. Je sens que ça ne va pas être triste.

La chienne ahane comme un phoque, mais semble plutôt gentille, un poil stressée, et...

"Et, vous l'avez pesée avant de rentrer ?
- Oui, 35kg.
- Ouaip, je pressens que la précision est inutile, mais vous savez que cette chienne est obèse ? Voire pire qu'obèse ?
- Oui...
- Et laissez-moi deviner : elle a grossi depuis qu'elle est stérilisée, elle a à manger à volonté, elle vit sur le canapé ?
- Précisément."

Elle sourit. J'enchaîne.

"Elle mange des aliments allégés ?
- Oui, du light.
- Mais à volonté, donc ça ne sert à rien. Et, au hasard, comme le light ce n'est pas très bon...
- Elle sert de poubelle de table, et elle rajoute de la sauce dans les croquettes, oui.
- Et je n'ai pas besoin de vous dire que c'est pas bien, tout ça tout ça, on va gagner du temps. C'est à votre mère qu'il faudrait que je le dise, dommage qu'elle ne soit pas venue.
- Bah, elle aurait dit amen à chacune de vos explications et lui aurait donné un gâteau en rentrant parce qu'elle aura été sage chez le vétérinaire."

La dame est souriante, semble penser qu'elle va perdre une demi-heure ici, mais après tout, je parie qu'elle se dit que ce n'est pas un lourd tribut à payer pour que sa mère lui fiche la paix. Je précise quand même les dangers de cette obésité pour sa santé : arthrose, diabète, etc. Elle sait déjà, elle hausse les épaules avec un regard fataliste.

L'examen clinique ne révèle rien. L'auscultation non plus. Elle déborde de graisses, on pourrait poser les verres sur son dos pour l'apéritif vue sa largeur, mais le poil est correct et reste agréable à caresser.

"Bon, elle a parlé de cystite, je ne peux pas vous laisser partir sans vérifier ça. Pour l'instant, tout est normal."

J'attrape le spéculum, la sonde urinaire et le miroir de Clark, tentative de sondage, en avant ! Comme elle a été stérilisée jeune, je risque d'avoir du mal à ouvrir le spéculum, mais essayons. De toute façon, je ne prélèverai pas d'urine par voie trans-abdominale sur une chienne dont la couche de gras ferait rougir un morse.

Cela dit, je ne m'attendais pas à cette difficulté-là : je n'arrive pas à trouver sa vulve.

"Heu, je ne trouve pas sa vulve. Trop de gras. Trop de plis.
- Elle est grasse même de là ?
- Ben... oui. Mais je vais trouver, ça devrait se trouver entre les pattes arrières ! Par contre, il faudrait la maintenir debout, elle cherche à s'assoir !"

Finalement, il aura fallu bien cinq minutes pour récupérer ces urines. Et trois personnes pour la tenir debout.

Trois.

Je file vers notre petit laboratoire sans grande inquiétude quant à ce que je vais trouver - ou plutôt ne pas trouver - dans ces urines. Quoique je les trouve bien claires. Un doute...

Bingo.

Densité urinaire 1.014, c'est un peu bas... traces de sang, mais c'est un sondage, la réaction de Heller est négative, pas de protéines. Pas de sucre non plus.

1.014, ce n'est pas normal. Enfin ça pourrait l'être si elle avait de la fièvre, mais... ou... je n'ai pas pris sa température, à raconter mes conneries !

39.3°

Mais elle suffoque avec sa graisse et la chaleur de cette salle de consultation. Alors, fièvre ou hyperthermie sans signification ? Avec la dilution des urines, ça pourrait être de la fièvre !

"Elle pourrait même avoir raison, votre mère."

La dame soupire.

"Enfin, ce n'est pas une cystite, de toute façon."

La chienne n'a apparemment rien, sa propriétaire pense qu'elle est malade alors que son comportement et son appétit sont normaux, elle a une légère hyperthermie et des urines un peu diluées. Je ne vais pas pouvoir la laisser repartir comme ça, je ne peux pas offrir un tel "je vous l'avais bien dit" à sa mère !

"OK, prise de sang. On va vérifier s'il s'agit bien de fièvre grâce à la numération formule, et vérifier le fonctionnement des reins grâce à une biochimie. En même temps, on va contrôler la glycémie pour un éventuel diabète, même si je n'y crois pas, et les enzymes hépatiques, des fois que." Dans ma tête se déploie l'arbre diagnostique. Je pousse mon stagiaire à le construire tandis que je prépare le prélèvement, commentant chaque hypothèse brièvement, c'est plutôt ludique en la circonstance : la dame est souriante, la chienne va bien, beau cas d'école !

Jusqu'à la difficulté suivante : trouver une jugulaire dans un tonneau de saindoux. C'est dans ces cas là que je suis content de ne plus être un étudiant de cinquième année ! Là, l'occasion est trop belle, je laisse faire le stagiaire. La prise de sang aura été un peu laborieuse, mais mes tubes sont remplis. Je retourne dans notre petit labo pour lancer les analyses.

"Dans quinze minutes, j'aurai les résultats. Vous pouvez aller promener la chienne si vous voulez ?"

Apparemment, elle veut bien, il faut dire qu'il fait très chaud derrière nos grandes baies vitrées. La vue sur les Pyrénées, c'est un luxe dont on ne se lasse pas... mais il se paie.

Pendant, ce temps, je fais un frottis sanguin : RAS. Puis je reçois un autre chien pour un vaccin, avant de revenir vers mes machines qui bippent du bip du devoir accompli.

Numération-formule : des blancs limite haute. Elle a décidé de me chatouiller, celle-là.

Biochimie sanguine, RAS. Enfin, une erreur d'analyse sur les PAL, mais la valeur annoncée "sans garantie" est normale, et la cause est évidente : hyperlipémie. Elle est même grasse du sang. Ce qui m'ennuie un peu plus, c'est que mon analyseur m'annonce une hémolyse, or il n'y a aucune raison pour qu'elle ait une hémolyse, c'est à dire des globules rouges détruits dans le sang.

Je vais retrouver la dame dans la salle d'attente, à l'ombre, au frais, un thermomètre à la main. La chienne ne m'a pas vu venir, elle dort paisiblement, cela doit bien faire 20 minutes qu'elle est sortie de ma salle de consultation. Elle a juste un regard indigné lorsque je reprends sa température. 38.6°. Hyperthermie de stress.

J'explique les résultats des analyses à la dame. Nouvel arbre diagnostique en déploiement. Rien ne colle. Même pas un peu. La dame m'écoute énumérer et réfuter méthodiquement toutes les hypothèses avec notre stagiaire. Très scolaire.
Tout est normal, sauf l'hémolyse probablement due à un problème technique lors de la réalisation de la prise de sang. Je lui présente le tube hépariné pour lui expliquer ce qui ne va pas. En bas, les globules rouges, masse sombre et compacte. En haut, le plasma, qui devrait être limpide. Il est légèrement rosé. Et puis il y a la crème, qui surnage.

"Mais elle est même grasse du sang !"

Je hoche la tête en soupirant.

Il me faudra deux essais pour être parfaitement satisfait de ma prise de sang.

Et cette fois-ci, le plasma sera limpide.

"La chienne de votre mère n'a rien. Enfin, si, elle est obèse, mais pour l'instant, c'est tout. je vais vous imprimer les résultats des prises de sang et autres analyses...
- Ah oui, il ne faut pas que je revienne les mains vides, mais je vous préviens : de toute façon, vous ne serez pas un bon vétérinaire !
- Vous croyez qu'elle serait plus contente si je lui prescrivais des vitamines ?
- Bah, non, pas besoin de trucs qui ne servent à rien, elle mange trop pour être carencée...
- Ça..."

Un silence.

"C'est elle qui paie, au moins ?
- Bien sûr !
- Vous voulez une écho, des radios et une fibroscopie ?
- Ca ira, merci : c'est un peu cher l'épisode de Dr House, quand même. C'est ma mère qui aurait du venir, elle est fan !"

Des fois, j'adore mes clients.

dimanche 8 février 2009

2008, l'année des D : Palmarès

La tradition - et le règlement de la SCC - veut que pour chaque année, une lettre déterminée commence le nom des chiens et des chats. Il en est d'ailleurs de même pour les chevaux, mais selon un calendrier différent de celui des carnivores.

En réalité, pour les chiens qui ne sont pas inscrits au LOF (ou pour les chats qui ne sont pas inscrits au LOOF), cela ne constitue en rien une obligation, même si je dois reconnaitre qu'elle me facilité la vie en consultation pour connaitre l'âge d'un patient.

Le mode d'emploi est simple : en 1926, la SCC a décidé arbitrairement que l'on commencerait par la lettre A, et que l'année suivante, on passerait à B. Histoire de simplifier la vie des gens, le Z a sauté, puis d'autres lettres sont également passé aux oubliettes en 1973 (sans doute une conséquence de la crise, va-t-on constater la disparition d'autres lettres avec l'appauvrissement annoncé, par certains de la langue française, et le développement d'une nouvelle crise ?).
Bref.
Dans d'autres pays, les éleveurs changent de lettre à chaque portée - à chacun son système. Le leur a l'avantage d'offrir plus de variations, mais perd son intérêt de repère chronologique pour les vétérinaires.

Comme les éleveurs sont des petits malins, et que certaines lettres ne sont vraiment pas intéressantes, ils ont parfois tendance à tricher un peu, ce qui donne parfois des choses amusantes : l'année des M, beaucoup de chiens s'appellent M. Loulou, M. Tartempion ou M. Bullbastick. D'autres utilisent une première partie de nom liée à la portée, pour mettre autre chose derrière.

Année des G ? Glace Vanille, Glace Chocolat, Glace Caramel.

Année des U ? U-Too, U-Boat, U-Baby...

Ensuite, beaucoup de gens trouvant le nom "officiel" de leur chien ridicule, choisissent plutôt de l'appeler Tayau, ou Princesse. Gaffe aux papiers divers et variés, le nom officiel est celui qui est enregistré à la SCC (l'erreur classique est la carte de tatouage au nom de Rhododendron de la Clairière aux Alouettes, ses propriétaires ont préféré Mirza, et c'est le nom annoncé au vétérinaire qui doit pourtant faire attention à remplir le passeport canin au nom de Rhododendron etc.).

L'année 2008 était donc l'année des D. Florilège.

Les plus originaux :

Deedadeedeedada
Darjeeling
Dermojet

Original, c'est pas forcément joli non plus...

Ceux dont j'aurais cru qu'ils auraient plus de succès :

Dora (6) - mention spéciale : "c'est ma fille qui a voulu l'appeler comme ça"
Dana (2) - prix du jury "mon fils a remarqué que nous habitions dans une vallée"
D'Artagnan (5)
Douce (3), j'aurais vraiment cru qu'il y en aurait beaucoup
Démon (0) - superstition ?

Et les grands gagnants !

Première marche du podium : Diane, chasseresse et épagneule breton en général (26)
Deuxième place bien méritée : Dolly, chasseresse et épagneule breton, éventuellement bleue de Gascogne (22)
Ex-aequo sur la troisième marche : Daisy & Dick (13)

Une mention pour les Domino (11), qui ne sont pas passé loin du podium !

Ma déception ? Pas de Dark Vador...

Pour l'année prochaine, je m'attends à une volée d'Elliot et d'Elsa. Je vous tiendrai au courant début 2010 !

lundi 19 janvier 2009

Ecouter

Écouter.
Un cœur qui bat.
Une litanie, un simple bruit.
Écouter.
Pour ne pas voir ne pas entendre.
Ne pas savoir ces gens qui pleurent.
Ces grands enfants ces vieilles gens.
Terrorisés, ou affligés.
Impuissants.

Écouter.
Un cœur qui bat.
Mon stéthoscope, les yeux fermés.
Écouter.
Ne pas pleurer, ne pas plonger.
S'enfuir, ou se cacher.
Loin de ces gens, loin de ce temps
Entouré, caressé.
Il part...

Un battement. Il manque un temps.
Le rythme se perd, le tempo pleure
Une rébellion, dernier clairon
Fibrillation.
Le son s'éteint, Lentement. Le sang s'enfuit
Il n'y a plus.
Que ce cœur, que ce rythme, que ces coups, cette pulsation.
Je suis parti, il m'a
Enfui,
Je suis assis, près de lui

Ils sont là
Mais ce cœur solitaire
Ne bat plus que pour moi
Je suis seul à entendre
Cette musique là
Ce coma.

Je recueille
Quelques minutes, quelques mesures
Ce dernier souffle,
Une fugue.
Doucement.
Silencieusement.

Dernier témoin.
Sans douleur, sans souffrance
Loin des gens, loin des enfants, de ces adolescents, de leurs parents
Si nombreux.

Sa dernière pirouette
Était pour eux.
Son dernier battement.

Pour moi.

"Il est parti.

C'est fini."

dimanche 14 décembre 2008

Tique TOC

"Cabinet vétérinaire bonjour ?
- Alloooo c'est horriiiible je voudrais parler au plus vite avec un vétérinaire !
- C'est le Dr Fourrure au téléphone, je vous écoute.
- C'est pour prendre un rendez-vous !"

Ca commence bien : elle veut parler en particulier avec un vétérinaire pour une prise de rendez-vous.

"Oui, c'est pour quoi ?
- C'est horriiiiiiible il me faut un rendez-vous au plus viiiiite !
- Heu oui, ben si c'est une urgence, amenez votre chien de suite.
- J'envoie mon mari !
- Heuu oui mais il a quoi votr..."

Tut tut tut

OK

Je vérifie que tout est prêt pour accueillir un blessé, un accidenté, mais allez savoir pourquoi, je n'y crois pas trop.

Dix minutes plus tard, un homme rougeaud entre dans la clinique avec un genre de labrador dans les bras, obèse, et un peu catastrophé d'être porté n'importe comment. Il faut dire que vu son poids, il est difficile de faire mieux, mais là c'est ridicule : le gars doit mesurer 1m65, son ventre dépasse de son T-shirt, ses rares cheveux sont plus ou moins enroulés en vrac sur son crâne et l'absence de ceinture donne l'impression qu'il porte un baggies. Le chien, il le tient sous les aisselles, plaqué contre lui pour ne pas le laisser glisser, le ventre vers l'avant, les pattes arrières qui pendent lamentablement quand les pattes avant pointent vers le plafond.

Le tout tressautant.

"Docteur docteur c'est affreux !
- Entrez par ici !"

Le bonhomme largue le chien sur la table de consultation.

Lui, il remue la queue, il semble un peu hébété.

"Que se passe-t-il ?
- Il a un tic !
- Une tique ?
- Un tic !
- Heu...
- Là, sous le ventre, on a essayé de l'enlever avec une pince à épiler après avoir mis de l'éther, après j'ai pris une pince dans ma boîte à outil mais il a résisté alors j'ai chopé une cigarette pour le cramer, le tique, et puis j'ai préféré vous l'amener avant de le couper avec les ciseaux de peur qu'il attrape la fièvre des tiques !
- Ouais, unE tique, donc."

Au fil du récit, j'ai basculé le chien sur le côté.

J'ai vite trouvé la zone, avec tout leur trafic : un petit mamelon grisâtre, à moitié brûlé, près du fourreau.

"Monsieur."

J'ai faillir dire : "vous êtes un imbécile".

"C'est une mamelle. Pas une tique. Vous avez pincé brûlé et je-ne-sais-quoi-isé votre chien !"

Le gars est stupéfait. Je dois avoir un extra-terrestre caché derrière moi. Ou un tic géant.

"Hé docteur vous êtes con ?"

Il a du entendre mon "vous êtes un imbécile" au son de ma voix.

"Docteur, vous dites n'importe quoi, c'est un mâle !"

dimanche 7 décembre 2008

Drainez-moi !

Drainez-moi !

Un chien qui revient de loin ! Basculé au sol par un sanglier blessé, il souffrait d'une double perforation thoracique et de deux fractures de côtes, sans parler des multiples hématomes, contusions et autres décollements cutanéo-musculaires. Une heure et demie de suture avec un chasseur angoissé à côté, je me suis dit qu'un si beau bandage sur ses quatre drains (destinés à drainer et désinfecter toutes ces cavités et sutures très inflammatoires causées par l'accident) méritait une photo et un peu de fantaisie, histoire de dédramatiser un peu et détendre le maître stressé.
Quand je pense qu'on les croit détachés de leurs clébards, indifférents et avinés ! Qu'ils sont loin des clichés, que l'on soit pro- ou anti-chasse...

dimanche 30 novembre 2008

Congélo

Premiers jours

J'ai trois ans. Quatre, peut-être. Je viens de mettre bas, et je n'ai plus mes chiots. Où sont-ils ?

Aucune idée.

Depuis trois jours, j'erre entre les maisons d'un hameau du sud ouest, chipant quelques ordures dans les poubelles. Des gens me regardent. Parfois, ils me parlent. Je dors sous le hangar de l'un d'entre eux. Il fait un peu froid, mais la vie est belle, non ?

Aujourd'hui, l'un des humains du quartier m'a à nouveau approché, avec quelques croquettes et des mots doux. Je n'ai pas compris grand chose, mais avec son regard fatigué, ses pieds trainant et sa silhouette voûtée, il me rassure. Je vois bien qu'il apprécie quand je m'approche doucement, tête basse, en remuant la queue.

"Ben ma jolie, t'es pas tatouée hein ? L'véto m'dira bien si t'as une puce ?"

Une voiture. Ca faisait longtemps. Ou pas ? Je ne sais pas, personne ne le sait, personne ne le saura. En tout cas, j'en ai l'habitude, ça ne m'inquiète pas. Abandonnée ? Et alors ?

Cette maison est plutôt sympa : il fait chaud, il y a pas mal de monde et beaucoup d'odeurs intéressantes. Eux aussi ils aiment bien quand je remue la queue, tête basse. Pour les croquettes, c'est imparable. Le grand me manipule avec des caresses, alors, oui, je montre mes cuisses, je montre mes oreilles. Il me passe une drôle de machine sur le corps. Trois fois.

Puis il secoue la tête : "non, pas de puce. Pas de tatouage non plus. Elle vient de mettre bas, elle a trois ou quatre ans, bien soignée, c'est bizarre."

Et s'accroupit devant moi.

"Le problème, monsieur, c'est... hein ma jolie ? Tu as une sale tronche, ma pauvre. C'est une chienne de type amstaff, un pit', quoi. Et franchement, je pense qu'elle rentre parfaitement dans les critères de la première catégorie. De plus elle n'est pas identifiée, pas stérilisée, bref, elle n'est absolument pas dans les clous. Je vais appeler le maire."

J'avise la jeune femme, là-bas, je pense qu'il y a moyen d'obtenir un monceau de caresses avec elle. C'est étrange, ils sont tous très gentils, mais ils ont tous l'air chiffonnés. Bah... avec quelques manières, ils vont tous m'adorer.

Voilà, le grand avec la blouse blanche me décrit au téléphone. "Une cinquantaine de centimètres au garrot, grise et blanche, une bonne grosse bouille d'amstaff, bien nourrie, elle traîne depuis trois jours autour d'un hameau de votre commune, oui. Oui, c'est une femelle, qui vient de mettre bas, pas identifiée".

Pas identifiée, mais plutôt sexy, avec mon poil ras, ma robe cendrée, mes yeux marrons, ma grosse langue baladeuse et mes attitudes de jeu perpétuelles. Une gamine de trois ans. Jolie, avec une sale tronche. Je le note, ça fera bien sur mon pedigree.

"On va vous la garder quelques jours en attendant de l'envoyer à la fourrière, des fois que son propriétaire se manifeste. Mais je n'y crois pas trop : elle n'est pas en règle et il le sait. De toute façon, je vous tiens au courant, elle semble gentille comme tout, donc a priori pas de souci.
Oui, au niveau légal, vous pouvez demander son euthanasie quand vous le souhaitez.
Oui, je sais, on ne tue pas un chien comme ça, mais je vous informe, vous en êtes malgré tout responsable..."

Il a la voix qui traîne, le grand en blouse blanche. Tous me regardent du haut de leurs interminables jambes, avec les mains sur les hanches, ou les bras croisés.

"Bon, qu'est-ce qu'on va faire de toi ?"

Remuons la queue.

Paradis

Non, c'est vrai, quoi : le matin, on me file à manger, quelqu'un me promène. Peu à peu, ils prennent confiance en moi, et me lâchent dans un grand pré, quand il n'y a personne. Plus pratique, quand même. Ensuite, on m'attache avec une laisse à l'armoire, près du bureau, avec une couverture - s'il n'y a pas la couverture, je gueule, faut pas déconner quand même - et je passe la journée à ronfler, renifler, manger, boire, me faire caresser.

La belle vie.

M'enfin, il faut la mériter : des fois, ces humains ne comprennent pas grand chose. Il leur arrive de me laisser seule plus de deux minutes, de ne pas me caresser, voire de m'ignorer ! Dans ce cas, je gueule, je piaule, pas des aboiements francs, plutôt des espèces de grincements qui ont une magnifique capacité à les faire réagir très vite. Ils me crient plein de choses, s'occupent de moi très vite et cessent de m'ignorer. J'adore.

"Me putaaaaaaaaaaaaaain, ta gueuuuuuuuuuuule !"

"Mais muselez-la, bordel !"

"Jamais elle la ferme ?"

"T'es gentille, t'es jolie, mais t'as une sale gueule et t'es pénible, hein ?"

"Si t'es pas sage, congélo !"

Quand ils arrivent tout rouges, ils me crient dessus et me secouent un peu, j'ai trouvé la parade : remuer la queue, et prendre une attitude béate. Pour ça, je n'ai pas trop à me forcer.

"Putain elle est con, elle est adorable, mais on en fait quoi ?"

La jeune femme part en vacances deux semaines, elle a laissé un mot à mon sujet sur la fiche de ma cage juste avant de partir.

Elle est adorable, prenez-en soin, trouvez lui un bon maître, je reviens dans deux semaines.

Mignon, non ? Les gars en blanc ont adoré quand ils ont vu ça lundi matin. Ils ont eu l'air encore plus désarmé que d'habitude. Du coup, ils discutent. Cinq minutes de retard sur la gamelle, avec ça. Ca ne va pas du tout.

Tût tût

Je piaule.

"Rhah mais ta gueule hein ! Si t'es pas sage, congélo !"

Mais j'ai eu mes croquettes, ma balade et des caresses.

Congélo

"J'ai appelé la SPA. Ils n'en veulent pas, ils me disent qu'ils n'auront pas le droit de la donner puisque la cession des chiens de catégorie est interdite, donc soit elle moisira au chenil, soit elle sera euthanasiée. Ouais, le maire est d'accord pour qu'on la garde pour le moment, on va essayer de lui trouver un bon maître, comme elle dit ?"

Ils m'ont même trouvé un nom. J'aime bien, c'est court, ça sonne bien, et je dois être la seule à le porter.

"Congélo"

Des gens, j'en vois défiler. Certains viennent pour me voir, la plupart passent simplement à la clinique avec leurs chiens - je n'ai pas le droit de jouer avec eux - et discutent avec les gars en blanc à mon sujet.

"Mignonne, cette chienne, elle est abandonnée ?"

Il a dit mignonne ? Remuer la queue, tête basse, faire la fête, ils adorent : caresses assurées.

"Ouip
- C'est quoi comme race ?
- A votre avis ?
- Je sais pas, heu, un boxer ?
- Non, du tout, les boxers ne sont pas comme ça du tout. Elle ressemble à un amstaff, c'est un pitbull.
- Un pitbull ? Mais elle n'est pas méchante !"

Ben non, je ne suis pas méchante. Adorable, collante, piaulante, fatigante, remuante, mais pas méchante. Et belle !

Le gars en blanc dit qu'au moins, j'aurai prouvé à plein de gens que les pits ne sont pas forcément des chiens méchants. Ca brise le mythe, qu'il dit. Ca casse les fantasmes, et puis ça permet de mettre un peu le nez dans la merde à ceux qui applaudissent des deux mains les déclarations présidentielles sans en mesurer les réelles conséquences.

Je ne suis pas un fantasme, qu'il dit. M'en fous, j'ai des croquettes, des caresses et je me balade en liberté quand il n'y a personne dans la clinique.

Beaucoup de gens sont passés et ont dit qu'ils me trouveraient une maison. Des vieux, des jeunes, des anglais, des français, des gens qui avaient des habits confortables, et d'autres moins, certains sentaient la vache, d'autre le parfum. Ils me trouveront une maison ?

Ils ne sont jamais repassés, en tout cas.

Les gars en blancs discutent beaucoup, et téléphonent autant. Ils ont toujours l'air désarmé quand ils me regardent, alors, je remue la queue. Imparable. Bon, des fois, quand je chouine un peu trop, ils ne sont plus désarmés du tout, mais bon, c'est que je m'emmerde, moi !

"'Congélo, ta gueule !"

Tsssss

Congélo

Trois semaines que ça dure. Le plus grand des gars en blanc est accroupi près de moi, dans la pelouse, une cigarette dans la bouche, il me regarde me rouler dans l'herbe, dans la nuit. Il a l'air triste.

"La dernière cigarette du condamné, hein ?"

L'après-midi a été riche en coups de fils. J'ai même vu le maire. Lui n'a pas trop voulu me voir.

Une dame très gentille a demandé aux vétérinaires s'ils allaient m'euthanasier : "vous n'allez quand même pas faire ça ?
- Vous voulez l'adopter ?"

Silence...

"Mais ça ne va pas vous faire bizarre de tuer une chienne gentille, en bonne santé, âgée de trois ans et avec qui vous partagez le quotidien depuis trois semaines ?"

Le gars en blanc l'a regardée. Il a pris une voix étrange : "vous faite un métier fooOOoormidable, docteur".

Moi, je m'en fous, je me roule dans l'herbe. Il fait froid, mais la vie est belle.

"Désolée ma belle, t'as une sale gueule."

Remuons la queue.

J'ai droit à une séance de câlins sur leur table marrante. Je n'ai pas trop aimé l'espèce d'aiguille en plastique qu'ils m'ont mise dans la patte, ils ne parlent pas, ou pas beaucoup, mais ils me caressent. Sincèrement.

Je suis belle, je suis adorable, je suis collante et un peu chiante.

Remuons la queue : ils sont tous là.

Le gars en blanc a une seringue dans la main, et le visage fermé. Ils me caressent en injectant.

Je suis belle, je suis adorable, je suis collante, et un peu chiante. Je m'appelle... congélo.

jeudi 6 novembre 2008

Champagne ?

La mésaventure de Vache albinos est forcément arrivée un jour ou l'autre à chacun d'entre nous, et il me semble que la profession vétérinaire y est particulièrement exposée.

Une démonstration, et quelques réflexions ?

Les personnages

Je vous présente Fisher. 52 kilos de rottweiler trop dynamique mais très gentille, à intercepter avec talent lorsqu'elle vous saute dessus pour vous faire la fête. Elle, elle ne craint pas les vétérinaires.

Je vous présente monsieur et madame Langin, jeunes mariés d'environ trente ans, plutôt sympathiques et très décidés à faire le mieux pour leur chienne, quitte à sacrifier certaines à côtés. Je pense notamment aux efforts financiers qu'ils ont certainement consenti pendant sa croissance afin de lui acheter le meilleur aliment possible. Monsieur est pompier, madame est secrétaire.

Je vous présente enfin le Dr Fourrure, le Dr Olivier et leur stagiaire, Elodie. Elodie a obtenu son diplôme d'études fondamentales vétérinaires (DEFV) mais n'a pas encore achevé ses études, ce qui l'autorise à exercer sous l'autorité et la responsabilité d'un vétérinaire, mais pas en tant que vétérinaire libérale.

Les prémisses du drame

Ca y est, Fisher est une grande fille : à 11 mois, elle a eu ses premières chaleurs. Elle était déjà un peu fatigante, elle est carrément devenue épuisante. Allez savoir pourquoi, elle craquait pour le caniche des voisins, qui n'en pouvait plus de lui hurler l'ardeur de son désir à travers le grillage du jardin. Manifestement, elle adhérait : elle a défoncé deux fois la clôture pour atteindre son Roméo, et massacré deux portes pour le rejoindre lorsqu'elle était enfermée. Leurs galipettes disproportionnées devaient sans doute être amusante à voir, et furent d'ailleurs infructueuses : la nature est parfois cruelle, et l'amour ne fait pas tout.

Peu importe, je m'égare, car les amours de Fisher ne sont pas le sujet. Ce qui m'amena à voir M. et Mme Langin en consultation, c'est l'espèce de masse rouge tuméfiée bizarroïde qui lui pendit à la vulve vers le milieu de son cycle œstral, ou, pour parler plus simplement, de ses chaleurs.

La masse rouge tuméfiée bizarroïde, non douloureuse, à peine saignotante, c'était de la muqueuse vaginale hypertrophiée sous l'action des hormones produites pendant les chaleurs, ce que l'on nomme une hyperplasie vaginale, et celle-ci était la plus importante que j'ai jamais vue.

Il existe deux façons de gérer le problème : une chirurgie lourdingue, complexe et douloureuse pour retirer les tissus excédentaires, ou un peu de patience et une simple stérilisation afin de supprimer la source du problème, c'est à dire les hormones sexuelles. En accord avec les propriétaires de Fisher, nous avons choisi la seconde.

Premier acte : La chirurgie

Un matin comme les autres. Deux chirurgies au programme, rien de bien compliqué : une stérilisation, et une castration de chat. Tout se passe comme d'habitude, jusqu'à ce que la porte de la clinique s'ouvre et que pénètre en trombe une rottweiler de 52 kg en pleine forme, un rien affamée par son jeûne et bien décidée à nous agresser à grands coups de langue. Un chien dangereux comme on les aime, quoi.

FIsher entre dans sa cage en se faisant un brin prier - elle préfèrerait continuer à nous massacrer les jambes à grands coups de câlins rottweileresques. En plus, comme elle a gardé sa queue, son fouet est particulièrement douloureux...

Son hyperplasie vaginale est presque complètement résorbée, il ne reste plus qu'à la stériliser. Examen clinique pré-opératoire réalisé par Elodie, contrôlé par mes soins, protocole anesthésique choisi par Elodie, validé par mes soins. Ce matin, elle opère seule, ce sera sa troisième stérilisation de chienne en solitaire. Moi, je m'éclipse assez vite : j'ai pas mal de consultations qui m'attendent.

Je ne reverrai pas Fisher de la journée, sauf, en passant, lorsqu'elle rentrera chez elle le soir même, un peu groggy mais sur ses quatre pattes. M. et Mme Langin sont très contents, Fisher aussi, mais, ça, ce n'est pas vraiment surprenant. La seule chose qui la contrarie, ce sont les grillages, les barreaux et les portes.

Deuxième acte : La complication

Le deuxième acte prend place trois ou quatre semaines plus tard. Elodie est repartie achever ses études, et nous n'avons pas vu Fisher depuis longtemps.

Ce matin là, mon deuxième rendez-vous, c'est justement Fisher. Motif : pas en forme, écoulements vulvaires.

Comment ça, écoulements vulvaires ? Elle est stérilisée, normalement ! Premier coup de stress : Est-ce qu'Elodie n'aurait pas laissé un bout d'ovaire dedans ? Normalement, on vérifie à chaque fois, là, c'est Olivier qui a du le faire, mais il n'est pas là ce matin. Je vais devoir gérer...

Mme Langin est venue seule. Fisher est moins exubérante que d'habitude, ce qui a l'air d'arranger sa frêle maîtresse. Je passe sur la consultation : écoulement plus ou moins hémorragique, douleur abdominale, fièvre. Il y a une masse anormale dans son abdomen, de la taille d'une orange. Je me sens très seul, tout d'un coup. Je vérifie le compte-rendu opératoire : ovariectomie par les flancs, c'est à dire que l'utérus n'a pas été retiré (ce qui en soit, n'est pas forcément mal), mais surtout qu'il n'a sans doute pas été intégralement inspecté lors de la chirurgie, car la voie d'abord pariétale, qui a été choisie, offre une vue de choix sur les ovaires mais ne permet que difficilement le contrôle de l'utérus. En général, on réserve cette technique aux très jeunes chiennes, car on préfère inspecter l'utérus des chiennes âgées, ou qui ont déjà porté, ou qui ont eu des soucis gynécologiques, pour pouvoir le retirer au cas où.

Évidemment, Mme Langin me demande si cela peut avoir un lien avec la chirurgie. Je préfère y aller franchement : non, la chirurgie n'est probablement pas responsable du problème, mais ledit problème semble concerner l'utérus. Mme Langin n'insiste pas : elle me fait confiance, et , de toute façon, elle n'est pas d'une nature soupçonneuse. Enfin je crois.
Je ne lui cache pas que je suis inquiet, que cette masse est tout à fait anormale et qu'il va sans doute falloir réintervenir. Au plus vite, car je ne sais pas ce que c'est que ce truc et que si ça perce - ou si ça a percé - dans l'abdomen, ça va devenir très grave.

Je mets la chienne sous antibiotiques, sous anti-inflammatoires, et je place le rendez-vous opératoire au lendemain matin, car je n'estime pas qu'il y a urgence absolue. Je propose d'hospitaliser la chienne pour la surveiller, mais Mme Langin préfère la garder chez elle, de toute façon elle ne travaille pas aujourd'hui, elle m'appellera si la chienne ne va pas bien. Je multiplie les recommandations, mais je laisse repartir Fisher chez elle. Elle ne me brise même pas les rotules en remuant la queue, c'est vraiment inhabituel.

Le lendemain matin, opération à quatre mains avec Olivier. Il y a sur l'utérus une masse anormale, qui semble trouver son origine dans la paroi de l'organe, sans doute une tumeur bénigne de type fibrome, mais surinfectée et ulcérée. Il y a un point de péritonite, mais vraiment mineur. Nous contrôlons évidemment la chirurgie d'Elodie, il n'y a rien à redire.

Troisème acte : les réactions

Le soir même, Mme Langin vient récupérer Fisher. Après concertation avec mon confrère, je discute longuement avec elle au sujet de ce que nous avons trouvé et de ce qu'il faut en penser. Je dois dire que je ne suis pas à l'aise, mais je ne pense pas que cela se voit franchement.

Je lui explique que nous supposons que cette masse est une espèce de tumeur bénigne de l'utérus, et qu'il est peu probable qu'elle soit cancéreuse. Nous allons la faire analyser pour en être certain. Il y avait bien une infection, mais bénigne, je ne suis pas inquiet à ce sujet. Je lui indique clairement que cette masse était peut-être déjà là lorsque la première chirurgie a été réalisée, et qu'il est possible qu'elle n'ai alors pas été détectée, je lui avoue que je n'en sais rien, puisque c'est notre stagiaire qui l'avait opérée, et qu'elle n'est pas joignable.

Je ne lui dis pas que je me doute bien qu'elle ne l'a pas contrôlé, cet utérus, je ne sais même pas si je l'aurais fait moi-même, quoique je n'aurais sans doute pas choisi d'opérer par les flancs.

Mme Langin acquiesce, elle semble rassurée par mes explications mais il m'est très difficile de deviner ce qu'elle pense réellement,. Elle n'est vraiment pas très expansive comparée à son mari, qui peut être carrément caractériel. Sa réaction à lui m'inquiète, d'autant que je ne l'ai pas vu une fois depuis hier alors qu'il accompagne généralement sa chienne à chaque visite.

Je lui indique également que nous aborderons la facture une fois que nous serons sûr qu'il n'y aura pas de frais supplémentaires à engager. En mon for intérieur, j'envisage de dégraisser sérieusement la note. D'une part, ce sont d'excellent clients, d'autre part, je culpabilise à bloc.

Le lendemain matin, je revoie Fisher, qui se remet normalement. J'annonce à Mme Langin que nous avons décidé d'offrir la chirurgie, je lui en explique les raisons : à mon sens, l'hystérectomie aurait peut-être due être réalisée lors de la première intervention, si la masse était déjà là. Je lui explique bien qu'il n'y a pour moi aucun moyen de le savoir, et que comme nous suivons régulièrement Fisher, la clinique a décidé de faire ce geste commercial.

Le soir même, ma secrétaire m'indique que M. Langin est passé dans l'après-midi. Un brin inquiet, je lui demande s'il a donné des nouvelles de le chienne : oui, elle va bien, mais elle est fatiguée. Elle m'annonce aussi qu'il a réclamé toutes les factures depuis l'adoption de sa chienne.

Là, je le sens mal.

Vraiment.

Je suis responsable de l'intervention de ma stagiaire. D'ailleurs, je ne le regrette pas : elle a bien opéré, mais nous l'avons mal aiguillée par rapport à l'historique de la chienne. Et encore : si mon choix aurait été l'intervention par la ligne blanche, qui permet l'inspection de l'utérus, c'est parce que je suis paranoïaque, car à ma connaissance, l'hyperplasie vaginale n'est pas un motif d'hystérectomie, et il s'agissait des premières chaleurs de la chienne.
Mais je ne m'attends pas à ce que des maîtres inquiets suivent ce raisonnement, d'autant qu'à leur place, j'aurais certainement retenu le mot "stagiaire", et que tout cela semble lié.
En plus, je me doute bien que mon geste commercial peut être mal interprété, comme un signe de reconnaissance de culpabilité. D'ailleurs, au fond, même si je suis sûr de mon raisonnement médical, je culpabilise.

Les jours qui ont suivi ont été un enfer. J'ai revu une fois Mme Langin pour un contrôle, une semaine après l'opération. Fisher allait très bien, elle m'a de nouveau massacré les cuisses.
J'imagine la situation chez eux, avec la chienne à nouveau confinée, avec une collerette.
A leur place, je ne serais pas serein. Je continue d'expliquer, je souligne la parfaite récupération de Fisher.

Mme Langin est toujours aussi indéchiffrable.

Je me prépare au pire : coup de fil de l'Ordre, assignation.

Rien ne vient.

Une semaine plus tard, il y a un magnum de champagne sur le bureau. Notre secrétaire m'explique que c'est M. Langin qui est venu le déposer, lors du retrait des points de Fisher ce matin.

Je ne peux retenir un long et douloureux soupir.

Qu'en penser ?

Plusieurs années après cette histoire, j'analyse ainsi les réactions de chacun.

Pour ma part, je l'ai déjà indiqué, je culpabilisais. Je n'arrive pas à mentir aux gens, en tout cas pas dans cette situation, et j'ai choisi l'honnêteté brute, au risque de m'y casser les dents. Parler de la stagiaire était maladroit. Le but n'était pas de me défausser de ma responsabilité sur elle, au contraire : elle avait fait un bon travail, mais nous ne l'avions pas correctement aiguillé, ou peut-être que si. Nous ne saurons jamais si la masse était là lors de la première intervention.

M. Langin est probablement un homme qui aime payer et savoir qu'il offre le meilleur à sa chienne. Je le soupçonne d'avoir choisi nos croquettes pour nourrir Fisher, non pas parce qu'elles étaient les meilleures, mais parce qu'elles étaient les plus chères. Je crois aussi qu'il avait choisi notre clinique parce que nous avons l'apparence la plus professionnelle trente kilomètres à la ronde, et peut-être aussi parce que nous sommes relativement chers.

Pour lui, offrir la seconde intervention était, au-delà des ergotages médicaux, non seulement une reconnaissance de culpabilité, mais aussi une espèce d'insulte à sa capacité d'assumer les frais médicaux de sa chienne (et je suis certain qu'ils n'ont pas beaucoup d'argent).

L'intervention d'une stagiaire comme le cadeau étaient clairement en ma défaveur dans cette histoire. Je me plais à croire que mon honnêteté et ma cohérence dans mes explications, ainsi que mon insistance sur la nature commerciale de mon cadeau, ont joué en ma faveur.

Mais je ne sais pas ce qui se serait passé si Fisher avait souffert de séquelles ou pire, était décédée dans cette histoire.

lundi 3 novembre 2008

Erreurs de jugement ?

Par Vache albinos, invité de luxe


Les vétérinaires ne sont pas infaillibles. Personne ne l’est. Tout le monde peut faire des erreurs.

Mardi, 8h00 :
Coco ne veut pas rentrer dans sa cage d’hospitalisation. Les patrons s’impatientent. Moi, arc-bouté au-dessus de cette masse remuante de 40 kilos, je tente avec tact, professionnalisme et sang-froid d’ignorer les regards surpris de ses propriétaires, les Deveaux. Bras croisés, ils me regardent conserver un sourire de rigueur tout en jurant intérieurement pour que leur « fille » accepte de rentrer dans cette cage. Ne vous inquiétez pas, messieurs dames, j’ai l’habitude. Non non, rien d’anormal, elle est juste mécontente de voir son docteur. Elle est à jeûn, ce qui n’arrange rien à son envie de rester éloignée de sa gamelle. Et oui, on est obligé d’être à jeun avant une anesthésie, pour éviter les vomissements intempestifs en cours de chirurgie, et les risques de pneumonies par fausse déglutition associés. Les questions pleuvent, une fois de plus. On me les a déjà posées lors de la prise de rendez-vous, puis la veille, puis à l’arrivée à la clinique. Ce n’est pas grave, je préfère, même, voir des gens impliqués comme eux plutôt que d’autres qui croient tout savoir et font à leur manière.
Avec peine, Coco se retrouve en cage, et les Deveaux en direction de la sortie. Madame pleure déjà. Ce n’est qu’une stérilisation, madame, soyez sans crainte. Évidemment, tout peut arriver, les voies de la physiologie sont parfois impénétrables. Mais des interventions comme celle-là, on en fait tous les jours, les risques sont minimes. Ils y tiennent, à Coco, c’est évident. On se connaît peu, mais j’ai une certaine sympathie pour les Deveaux et leur « fille » Coco.

Mardi, 11h00 :
Coco rentre dans sa cage sans rechigner. Je suis toujours arc-bouté, mais en-dessous cette fois. La chienne dort paisiblement, sa stérilisation s’est parfaitement bien passée. Un exemple, même. Pas de suffusions, pas de graisse gênante, pas d’anomalie des bourses ovariennes, une ligne blanche parfaitement visible… Rien à signaler. Ma chirurgienne est contente – elle l’est à chaque fois qu’elle finit une chirurgie, même si elle en est à la 500e. Les Deveaux seront contents – et soulagés. Je serai content – quand ils le seront.

Mardi, 16h00 :
Les Deveaux sont là. Leur air surpris ne me surprend plus, moi. Coco sort calmement de la cage, les reconnaît, leur saute dessus. Elle a très bien supporté son intervention, cela se voit. M. Deveaux relève vers ma chirurgienne son regard, toujours aussi surpris, mais légèrement durci.
- C’est normal qu’elle soit aussi bien réveillée ?
Quand l’anesthésie est correctement dosée et que la douleur est gérée, oui. Les remarques suivantes s’enchaînent, tantôt questionnements, tantôt constatations, laissant apparaître en filigrane la thèse développée : tout ne se passe pas comme M. Deveaux l’avait imaginé. Ça va trop bien, c’est donc louche… J’en viens à me demander s’il aurait préféré la reprendre dans le coma, s’il aurait été moins blessé, ou moins blessant. C’est à n’y rien comprendre. Il ne supporte pas d’avoir manqué la convalescence de sa « fille » ? Je suis un peu dépité.
En partant, je réitère mon éternel :
- Et surtout, si le moindre souci devait survenir, la moindre anomalie par rapport à tout ce que je viens de vous expliquer, n’hésitez pas à nous appeler, nous sommes là pour cela. Il n’y a pas de question stupide. M. Deveaux s’en va, mi-figue mi-raisin, une Coco pimpante à ses côtés, prête à en découdre avec cette gamelle qui lui a trop longtemps résisté.

Jeudi, 23h15 :
Le téléphone sonne. M. Deveaux est très inquiet, cela se sent. Coco va mal, très mal. Comme ça, d’un coup ? Il n’est pas disposé à développer. « On » - moi – est en train de tuer sa « fille », il faut agir d’urgence. Les seules informations que je lui soutire sont peu engageantes : elle est froide, elle respire mal. Hémorragie ? Rien n’est impossible, mais quand même, avec toutes les précautions qui sont prises… Déjà, la route défile devant mes yeux.

Jeudi, 23h45 :
Ma chirurgienne et moi sommes sur place lorsque les Deveaux arrivent. Je les attends sur le pas de la porte, Coco est lourde, il y aura peut-être besoin de la porter. Le coffre s’ouvre : elle est morte. Ma chirurgienne salue M. Deveaux d’un poli et discret bonsoir. En réponse, on me sert un regard assassin et un « Pas bon soir, non, il n’est pas bon du tout ».

Vendredi, 0h30 :
Mme Deveaux est inconsolable. M. Deveaux est outrageant de colère. Dans ces moments-là, on a droit aux éternelles contradictions :
- je ne vous en veux pas mais c’est de votre faute ;
- je ne remets pas en cause vos compétences mais vous avez du faire une erreur ;
- Vous êtes un très bon médecin mais je ne vous ferai pas de la pub ;
et le systématique :
- Ce n’est pas une question d’argent, mais il est évident que vous allez me rembourser.
Le tout servi avec un soupçon de hargne et une lampée de poings levés.
De mon côté, j’essaie de comprendre ce qui s’est produit. Mais au milieu de la foire d’empogne qui se déroule, aucune idée ne vient. Selon eux, cela a été très brutal. Rien à signaler jusqu’à ce soir. Selon eux, c’est une septicémie. Et ça, je le déments, c’est impossible, rien ne colle au profil du défaut d’asepsie, à commencer par nos bonnes pratiques, mais pas seulement elles : le profil clinique ne correspond pas – oui, même quand on est sûr de ses bonnes pratiques, il faut savoir se remettre en cause.
Coco n’est pas déshydratée, elle n’est même pas pâle, son ventre n’est pas gonflé… Et puis mince, je n’arrive pas à me concentrer avec M. Deveaux au milieu qui me ressert ses histoires de fric.
Je vais déjà m’asseoir sur mes frais de déplacement, mon urgence et l’incinération, ça je l’avais bien compris. J’essaie d’argumenter selon trois axes :
- dans l’état actuel, je ne me sens pas responsable, rien ne laisse suspecter une défaillance de notre part. Seule une autopsie et des examens de l’hémostase, par exemple, pourraient nous en dire plus.
- c’est tout simplement la première fois que je suis confronté à cette situation brutale et tragique, je ne sais pas comment gérer l’aspect financier qu’il recouvre. J’ai besoin d’un temps de réflexion, mais suis ouvert au dialogue.
- je compatis grandement à leur peine, mais j’ai un certain nombre de frais incompressibles, qu’il n’est pas de ma responsabilité d’assumer au vu du fait que je n’ai probablement pas de mise en cause possible sur la qualité du travail fourni.

Vendredi, 0h50 :
Ma chirurgienne, à bout, s’effondre en larmes. Je viens de rendre le chèque à M. Deveaux, qui le saisit d’un air triomphal. Qu’il aille au diable avec !
C’est alors que magnanime, il plonge la main dans son sac-banane et me dit :
- Je vais vous filer 50 euros, ça ira pour le dérangement de ce soir et les frais mortuaires de notre fille.
J’ai interrompu son geste et l’ai convié à rentrer chez lui, poliment. Avec difficulté, mais poliment. Sur le pas de la porte, Mme Deveaux m’esquisse un sourire – reconnaissant, compréhensif, condoléant ? – et me bredouille :
- J’aurais peut-être dû vous appeler ce matin, je trouvais qu’elle avait les pattes froides déjà…
Rentrez chez vous, par pitié…

Vendredi, 4h00 :
J’ai du mal à dormir. J’aurais du l’autopsier, malgré l’heure. Les Deveaux n’ont pas souhaité cet examen posthume, mais ne me l’ont pas interdit. Cette fois, il m’a convaincu : la chirurgie est enc ause, une suture s’est rompue, a glissée… Il faut que je sache. Coco est en chambre froide, pas au congélateur. On peut encore intervenir. Dors, bon sang, demain matin, tu opères une autre Coco, et si c’est une erreur humaine, la fatigue n’arrangera rien. Mais si c’est une erreur humaine, il faut le savoir avant d’opérer la suivante. Arrête de divaguer, c’est la 1000e qu’on opère, y’avait jamais eu d’erreur humaine avant…

Vendredi, 8h00 :
La nuit porte conseil, j’ouvre fébrilement l’un de mes ouvrages de références. Je n’ai pas les idées claires, je veux être sûr que mon raisonnement, façonné au cours d’une nuit difficile, est le bon. J’ai parfaitement en tête le déroulement présumé des événements, les membres froids, la mort rapide après 36h sans soucis post-opératoires, les muqueuses légèrement pâles, pas trop, le liquide séreux ponctionné dans la cavité… thoracique ! Un liquide sanguinolent, mais pas sanguin. Rouge, brun, très liquide, trop liquide. Incoagulable. Le billet de Fourrure m’est revenu en tête, dans la nuit, tandis que mes idées s’éclaircissaient que je pouvais oublier M. Deveaux pour me concentrer sur la médecine, la vraie. Ce billet racontait l’histoire d’une chienne en hémorragie pendant sa stérilisation. La frustration de ne pas connaître la fin. Pour Bali, la chienne intoxiquée aux liliacées dont j’avais raconté l’histoire dans les commentaires du même billet, j’avais trouvé le mystère à l’énigme, même si cela m’avait fait perdre un client, et un patient. Pour Coco, au moins pour elle à défaut de ses patrons, je devais trouver !

Vendredi, 8h30 :
L’autre Coco attend son opération. Pas question de l’opérer sans avoir éclairci le cas de la veille. Ma chirurgienne a vérifié ses sutures, rien à signaler, pas d’anomalie de ce côté-là. Le verdict tombe enfin : CIVD, coagulation intravasculaire disséminée. Sûr à 90 %. J’en suis, en tous cas, personnellement convaincu, et pas parce que ça a le mérite de mettre ma chirurgienne hors de cause, mais bien parce que tout colle. « Fréquemment rencontré lors de complications obstétricales », note mon ouvrage de référence. Un poids qui pesait insidieusement sur mes épaules et mon humeur m’est soudain ôté.

Vendredi, 9h00 :
- Bonjour cher Confrère Albinos
- Bonjour.
- Vous allez bien ? me demande ce confrère avec qui je partage beaucoup de mon expérience quotidienne.
- Bof, pour être honnête, très mauvaise nuit.
S’en suit une longue narration du cas Coco Deveaux.
- Mon cher confrère Albinos, vous avez fait une erreur de jugement.
Un poids qui se dissipait à peine revient à la charge. Si c’est pour me blâmer, M. Deveaux le fait très bien, je n’avais pas besoin d’un coup de plus.
- Vous ne pensez pas que c’était une CIVD ?
- Ah cela, bien sûr que si, j’ai perdu deux patients de la même manière. Votre erreur, c’est d’avoir cru que le remboursement vous ferait pardonner.
-Euh… Ce n’est pas tout à fait cela. J’ai surtout voulu participer à leur douleur, tirer un trait et, pour tout dire, me débarrasser d’un débat stérile à une heure indue…
- Mais pas du tout ! En remboursant, le vétérinaire donne de l’eau au moulin du client. Si vous ne remboursez pas, vous êtes un connard qui n’assume pas ses erreurs. Si vous remboursez, implicitement, vous reconnaissez qu’il est légitime d’attendre de votre part un dédommagement, et donc que vous avez commis une erreur.
- oui, mais à ce moment-là, on ne pouvait pas garantir les responsabilités de chacun…
- Et alors ? Quand un avion s’écrase, il y a des tas de morts. Tout le monde est triste. Mais la compagnie aérienne ne fait pas un chèque aux familles de victimes à l’aveuglette. Les expertises servent à cela.
- Mais quand le client ne veut pas…
- Et bien qu’il aille se faire voir. Lui, il a de la peine, un chèque n’y change rien. Vous, vous avez fait votre travail, et vous assumez les frais et la responsabilité d’un crime que vous n’avez pas commis. Qu’ils fassent un procès aux molécules de la coagulation ! De toute façon, vous ne vous êtes pas acheté une bonne conscience en remboursant les frais.
- c’est vrai.
- cela ne vous aura pas rendu moins coupable aux yeux de vos clients.
C’est vrai aussi. Je revois encore M. Deveaux, fulminant, crier au ciel que de toute façon, il ne risque pas de revenir chez nous, même s’il n’a rien à nous reprocher, bien sûr.

Une erreur de jugement… Fatigue, stress, inexpérience, défaut de formation en management ? Je ne sais pas, mais j’ai cédé. Il ne fallait pas, mais je l’ai fait. Peut-être pour moi, peut-être pour Coco. Pas pour M. Deveaux, cela, c’est certain. La seule image qui me restera de cette mésaventure, c’est un homme dur, volontairement blessant, m’expliquant que « je n’avais aucune idée du mal que j’avais pu leur faire, et de la peine qu’ils pouvaient ressentir ». Oh si, monsieur, je ne le sais que trop. Coco n’est pas partie par ma faute, mais je regrette qu’elle soit partie. Ce n’était pas ma chienne, mais c’était ma patiente ; c’est un lien fort, également, pour qui a une conscience professionnelle. Je ne dors pas mieux que vous, monsieur, après ce genre d’épisodes, et les larmes de ma chirurgienne n’étaient pas feintes. Pas plus que ses tremblements lors des chirurgies suivantes, ses hésitations, ses doutes, ses remises en question.

Vous pourrez recevoir et sauver 500 patients, si le 501e meurt, vous serez, pour l’entourage de ce 501e, un mauvais vétérinaire. Qu’il meure par votre faute ou pas, que vous ayiez ou pas fait tout ce qui était humainement possible, pris ou pas les précautions nécessaires, expliqué bien ou mal la situation, choisi ou pas les bons mots. Le seul crime que vous aurez parfois commis, c’est d’avoir été le dernier à voir la bête en vie.
Vous serez un mauvais vétérinaire.

Erreur de jugement ?

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