vendredi 12 mars 2021

Mais alors, quel animal préférez-vous soigner ?

Elle avait posé son cocker sur la table et son beau manteau sur le dossier d’une de mes chaises en plastique. Tandis que je me concentrais sur la jeune chienne, qui hésitait entre bondir et se laisser amadouer, elle regardait le poster défraîchi au mur, le matériel bien rangé sur la paillasse et ma blouse bien propre. Je caressais Azul sans lui prêter attention, transformant l’air de rien mes caresses en palpations investigatrices. J’entendais, dans ce silence des débuts de consultation, la grosse voix de M. Baup à travers la porte de la salle de consultation, venu demander des conseils pour une de ses génisses.

Dans sa cote verte, il me regardait préparer ma tenue de combat. Pantalon en plastique façon ciré, bottes, gants de fouille, dispositifs intra-utérins, pistolet, gel lubrifiant. Je m’apprêtais à passer derrière les vaches laitières pour le suivi mensuel de repro, et le racleur à lisier était en panne. L’éleveur avait bien tenté de pailler par-dessus, mais peine perdue. La première vache qui prendrait peur pédalerait sur le béton pour s’éloigner de nous… et nous crépirait. Les suivantes aussi d’ailleurs. Il faudrait fermer la bouche pour ne pas en avaler.

Il était entré à la traîne, car Bulle s’était déjà jeté sur moi, pattes en avant, langue en vrac, bien décidé à me rouler la pelle du siècle. Je l’avais attiré dans la salle de consultation en m’accroupissant et en tapant dans mes mains d’un air encourageant, il avait saisi l’appel au jeu d’un bond. Seul mon masque m’avait protégé de l’affection torride de ce pitbull. A moitié désolé, à moitié mort de rire, son maître l’avait ramené à lui en tirant sur sa laisse.

Le silence était sans doute trop pesant. Nous étions assis chacun d’un côté de la table de consultation, lui sur un tabouret, moi sur le fauteuil que j’avais fait rouler jusque là. Sanah gisait sur le flanc, la respiration très calme, désormais incapable de marcher seule. Ses yeux blanchis guettaient nos mains, nos caresses, ses oreilles frémissaient à nos mots, surtout à ceux de son maître. A cette voix qui les liait depuis plus de quinze ans déjà. M. Lisos essayait de ne pas pleurer, mais je voyais les taches sur son masque. Il se demandait visiblement s’il pouvait l’enlever pour se moucher, alors, sans un mot, je lui tendis une feuille de papier essuie-tout. Il se détourna vers la fenêtre tandis que ma main restait sur Sanah, que mes doigts jouaient dans sa fourrure. Médusé, il regarda passer un vieux monsieur avec une agnelle dans les bras. Il sourit.

M. Garbet avait été l’un des piliers du canton, peut-être du département. Il y a quelques années, il m’avait raconté la création des premières coopératives, les syndicats, les tracteurs soviétiques, les réunions à Paris. Moi, je ne l’avais connu que dans sa vieille étable, avec sa fourche et sa brouette. Un voisin m’avait glissé que son frère était mort d’avoir trop travaillé à sa place, « pendant qu’il faisait le communiste ». Un de ses veaux agonisait au milieu du couloir, pris de sortes de convulsions. Pour meubler, alors que nous attendions que passe la perfusion que je venais de poser, pour une fois, ce fut lui qui me posa des questions.

Elle ne devait pas avoir plus de 14 ans. Son père était resté dans la salle d’attente, la poussant gentiment dans le dos. Extrêmement timide, elle avait posé sa boîte à chaussure sur la table et ôté le couvercle percé de quelques trous grossiers. Elle n’avait pas prononcé un mot, à peine peut-être un « bonjour » étranglé que je lui avais rendu avec un sourire des yeux. J’avais pris son lapin sur mes genoux en me calant dans mon fauteuil, rassurant Oberyn avec juste ce qu’il fallait de douceur et de fermeté. Au fil de mes questions sur l’alimentation et le mode de vie de son premier animal, elle s’était détendue. Je ne me suis jamais trouvé très impressionnant, mais il y a tout un decorum, et même un rituel, dans une clinique vétérinaire.

Appuyés sur la barrière, nous regardions les deux porcs qui se levaient et venaient nous voir. Le groin inquisiteurs, ils exploraient mes mains et mon pantalon, et calculaient sans doute la probabilité d’avoir à manger, ou, à défaut, des gratouilles derrière les oreilles. Je n’ai jamais été très à l’aise avec les cochons, c’est une espèce que je connais mal, je lis avec difficulté leurs réactions, mais ceux-là m’inspiraient confiance. Deux beaux bébés de 120kg dans un petit parc parfaitement propre et paillé, mais avec d’invraisemblables pustules sur l’intégralité du corps. Qu’est-ce que c’était encore que ce machin ?

J’étais resté assis sur mon fauteuil, derrière le petit bureau de ma salle de consultation, et l’avait invitée à ouvrir la caisse de transport de son chat, tandis que je remplissais sa fiche. Le jeune animal sortit tout d’abord timidement, puis se décida à partir en exploration. Il commença par renifler avec circonspection les pieds de la table, puis avisa mes genoux. Un instant plus tard, il se frottait à moi en posant ses pattes sur mon clavier, tout en ronronnant comme un vieux moteur. Encore un dont je ne risquais pas d’entendre le cœur.

Il m’attendait, fier comme Artaban. Je ne pus m’empêcher de lui faire la réflexion, puisque c’était le nom de son étalon. Il était beau comme une photo de ces anciens comices, tenant le gigantesque comtois par la couette, cette espèce de dreadlock formée dans la crinière et utilisée pour conduire les chevaux sans leur mettre le licou, juste en posant la main sur leur encolure. Le gigantesque animal me toisait paisiblement, les arses bombées, l’encolure à peine encapuchonnée, les naseaux frémissants, tandis que son petit propriétaire semblait porté par la splendeur de son cheval. Derrière eux, tranchant entre le vert du pâturage et le bleu du ciel, il y avait les Pyrénées et leurs dernières neiges, quand elles hésitent encore entre le vert des première feuilles, le noir des roches et le blanc des glaces. Et moi qui n’avais à la main qu’un flacon de vaccin au lieu d’un appareil photo !

Il parlait à sa génisse tout en l’arrimant fermement, mais avec douceur, à la barre de métal délimitant l’auge. Je n’avais qu’une seule injection à lui faire mais la jeune bête n’était pas habituée à ce genre de traitement. Je ne pipais mot, me concentrant pour faire l’injection vite, mais aussi le plus doucement possible. Introduire l’aiguille très lentement, pour ne pas qu’elle surréagisse, bien maintenir le contact avec son cou. Il lui parlait pour l’apaiser et ses mots auraient pu n’avoir aucun sens, mais il commentait ma façon de travailler, appréciant ma douceur avec sa bête. « Tu vois, il aime les vaches, lui. »

Le mail était arrivé via l’adresse du blog. Il sentait les questions recommandées aux lycéens par leurs professeurs. « Posez des questions à un professionnel du métier que vous envisagez de faire, voici une liste de propositions. » Je soupirais franchement. Cela prendrait des heures de répondre correctement à tout cela, et il y avait déjà plein d’éléments sur le blog. Alors je proposais : « si vous ne deviez garder qu’une question, laquelle serait-ce ? »

Mais alors, quel animal préférez-vous soigner ?

Pourquoi êtes-vous vétérinaire « mixte » ?

Je crois n’avoir jamais donné la réponse attendue. Chacun me voit travailler avec son animal, et dans l’immense majorité des cas, parce que je suis calme et que j’aime ce contact avec mes patients, apprécie ma façon d’interagir. Et se dit que vraiment, j’aime les chiens/chats/chevaux/lapins/vaches/moutons/ratons-laveurs… Chacun en déduit que c’est son animal que je préfère soigner. Et à chaque fois, ma réponse surprend.

Si j’avais préféré les chats, ou les chiens, je serais dans une ville, sans doute de taille moyenne. Je n’assurerais sans doute plus mes urgences, profitant plus sereinement de ma vie personnelle le soir et les week-ends. Je ferais sans doute plus de médecine complexe, quoi que je sois déjà pas mal servi, et aucune vache ne me crépirait de lisier, aucun cheval n’essaierait de m’écraser contre un mur, et je n’aurais pas à me poser des questions compliquées mêlant santé, bien-être animal, revenu de l’éleveur et santé publique.

Si j’avais préféré les chevaux, j’aurais poursuivi mon projet initial lorsque j’étais entré à l’école vétérinaire, et... je me demande bien où je serais aujourd’hui. J’imagine que j’aurais pu être vétérinaire dans une grosse structure, spécialisé dans les boiteries des chevaux de sport. Allez savoir.

Si mon intuition initiale s’était confirmée, je serais resté dans la région d’élevage où l’on m’a formé à l’obstétrique et à la médecine bovine. J’aurais été, je crois, très impliqué dans des organismes techniques et sanitaires. Passionné par les interactions complexes qui font la réussite – ou l’échec – d’un élevage, amoureux, en quelque sorte, de ces gens qui consacrent leur vie à ce paradoxe : élever des bêtes qu’ils apprécient, en sachant très bien leur destination finale. Et nourrir les gens.

Mais aucun de ces projets ne m’a suffi, et les années l’ont confirmé : ce que j’aime, c’est l’infinie variété des situations professionnelles que je rencontre. Même la gestion de ma « petite » clinique. Passer du cochon d’Inde au taureau, du cheval en colique à la broncho-pneumonie d’un chien, d’une virose féline à la préparation d’un audit d’élevage laitier.

Ce que j’aime, c’est l’humain à travers l’animal, cette rencontre qui montre le meilleur, et le pire.

Ce que j’aime, c’est l’animal qui révèle l’humanité.

jeudi 29 août 2019

Un jour de repos

J’ai mal au crâne. Un genre de coton autour des yeux. Probablement une petite insolation. Allongé dans mon lit, j’erre sur les réseaux sociaux. Nous sommes samedi, il est 22h, mon astreinte a démarré depuis 3 heures, à la fermeture de la clinique. Jusque là, tout va bien. A peine deux appels, gérés sans difficulté au téléphone. Aujourd’hui, je ne travaillais pas. Pas vraiment. J’étais d’astreinte la nuit précédente, comme les trois d’avant et les douze prochaines (les vacances des autres, c’est atroce). Hier, il y a bien eu cet appel lunaire vers 23h, d’un homme qui avait trouvé un chat « avec de drôles de convulsions, et qui hurle bizarrement, au milieu de la rue, mais ce n’est pas le mien, non, je ne peux pas vous l’amener il a l’air agressif, vous pourriez venir ? Nous sommes dans la rue qui monte ? »
Je m’étais donc lancé dans cette improbable expédition, armé d’une boîte à chats, d’une serviette éponge et d’une paire de gants en cuir. J’avais descendu à pied la rue qui monte, il y avait 4 ou 5 personnes qui riaient et discutaient fort dans la lumière des phares. Leur voiture barrait le bas de la rue. Un peu plus haut, dans le caniveau, il y avait le chat. Manifestement accidenté, du sang autour de lui, conscient, très algique, très stressé, peu agressif mais dangereux par peur, je lui avais posé la cage devant le nez, il s’était jeté dedans, couvert de merde et de sang, en me crachant dessus. Pour attraper un chat terrorisé, incapable de s’enfuir, l’astuce, c’est de lui offrir un refuge. J’avais fait forte impression sur ces voisins qui m’avaient appelé, en tout cas. Ils avaient bien une idée du propriétaire, mais il n’était pas là. On verrait le lendemain.
J’avais pris congé rapidement, j’étais rentré à la clinique, j’avais ouvert la boîte à chat dans une de nos cages. Le chat était tellement stressé que je pouvais le manipuler. Pas anesthésiable, mais de toute façon, il n’était pas temps de pousser le diagnostic. D’abord, gérer la douleur. J’avais réussi à placer toutes mes injections, il était tellement mort de trouille qu’il ne pensait pas à mes aiguilles lorsque je lui cachais la tête sous la serviette. J’avais tout noté sur une feuille scotchée à l’écran de l’ordinateur de l’accueil (fiche informatique 2019, modèle minuit). On verrait le lendemain.
Aujourd’hui, quoi.
Aujourd’hui, je ne travaillais pas. Enfin, juste en seconde ligne. Ma collègue gérait la clinique, en tout cas la canine, j’interviendrais seulement en cas d’urgence ou de visite sur des bovins ou équins. En cette saison, peu de risque. Certes, il y avait la chasse, mais j’espérais que la chaleur prévue la ferait cesser rapidement.
A 9h30, je restais seul à la maison avec mes enfants. A 9h45, je leur suggérais de s’habiller, au cas où on m’appellerait : il faudrait partir vite. A 10h, le téléphone sonnait : 5 chiens de chasse, et le planning standard déjà saturé. C’était pour moi !
J’arrivai en même temps que les chiens de chasse à la clinique. J’y abandonnai mes filles à leur sort, laissant un message à ma moitié pour qu’elle sache où les retrouver. Les adultes seraient trop occupés pour regarder : je ne savais quelles aventures elles sauraient inventer.
Le premier chien de chasse avait une plaie à la tête qui saignait beaucoup, et comme il s’était joyeusement ébroué en montant sur la table, il nous avait constellé de taches rouges, tout comme le sol, les murs et les meubles. Je n’ai pas vérifié le plafond. Il s’était ensuite débattu en entendant le bruit de la tondeuse, en rajoutant donc une couche, j’avais fini par abandonner et poser le cathéter au milieu des poils. Il fallu l’anesthésier pour que cesse la constellation hémorragique. Ma blouse et mon visage étaient couverts de taches de sang. Le chasseur aussi. Plusieurs fois au cours de la première heure de suture, j’ai vu mes princesses passer la tête par l’une des portes de la salle de chirurgie. Je les ai invitées à rester pour regarder si elles le souhaitaient, elles sont reparties sans mot dire. Il y a quelques années, l’aînée assistait à ces séances de couture, de pneumothorax, de ventres ouverts et de membres démontés dans les bras des chasseurs. Elle avait six mois. Aujourd’hui, elle ne reste pas. Mais je sais que tout à l’heure, elle me demandera : « est-ce que tu les as sauvés, ceux-là ? ».
Aujourd’hui, oui, je les ai sauvés. J’achevai le dernier point à midi, une bricole sous anesthésie locale. Les autres chiens s’étaient bien réveillés, tout le monde pouvait rentrer. Du spectaculaire, mais rien de grave. Par contre, mon assistante m’avait ajouté deux visites : deux vaches à voir chez une éleveuse, et un chien en fin de vie, pour une euthanasie à domicile. Pour 14h. Je lui demandai de les appeler, je préférai y aller maintenant. Comme ça, je serais tranquille pour gérer les prochaines urgences cet après-midi. Ou rester paisiblement chez moi.
A 12h15, je garais ma voiture chez Mme Estours, l’éleveuse. 32°C sur le thermomètre de la voiture, les chiens de chasses étaient forcément tous rentrés, je n’en aurai pas d’autre à réparer.
Je commençai par voir une vache qui se remettait mal d’une mammite. Transit en berne, rumination presque au point mort, rumen impacté. Une pompe à bras, un long tuyau, et j’envoyai 20 litres de flotte additionnée de sels et de 2 litres d’huile de paraffine dans sa panse, histoire de déboucher la plomberie. Tant qu’à y être, elle me montra une autre vache, une boiterie récente, elle espérait un panaris ou une autre bricole. Je pensai plutôt à une lésion haute. Un bras dans son rectum, je lui demandai de la faire marcher. Les craquements ressentis à l’intérieur de son bassin me confirmèrent mon hypothèse : fracture du pelvis. Du repos, un sol stable, pas d’autres vaches, et elle s’en remettrait sans doute assez bien. Juste assez pour être dans les dernières à partir, car au fil de la visite, l’éleveuse me confirma ce qu’elle annonçait depuis longtemps : sa cessation d’activité prochaine. Ses fils ne reprendraient pas de bétail. Une ferme de moins. Une de plus. Cela fait des années qu’à chaque visite, elle m’explique la dernière crasse administrative inventée. Les conditionnalités des primes, les documents, les délais, les petites lignes. Le prix du lait. « A 67 ans, vous croyez vraiment que je suis capable de les gérer, leurs entourloupes ? S’ils veulent nous faire crever, qu’ils nous le disent au lieu de faire semblant ! »
Mes nuits vont continuer à s’apaiser, mais me restera-t-il encore longtemps des vêlages à raconter ?
A 13h15, j’étais assis à une table de jardin sous un saule pleureur. Je caressais une vieille saucisse qui ne savait pas trop si elle devait m’aboyer dessus, m’ignorer, vivre, mourir ou aller manger. La vieillerie incarnée, avec un cancer inopérable. Ce matin, elle avait fait une longue et épuisante crise de toux, ils s’étaient décidé : c’était terminé. Son indignation en constatant que j’osais débarquer chez elle au lieu de rester enfermé dans la clinique où ses maîtres s’obstinaient à l’amener régulièrement les avaient fait douter.
J’avais écouté l’avis de chacun : les grands-parents, les enfants, les petits enfants. J’avais questionné, assis en rond sous le saule, au bord du canal du moulin, à une table de jardin autant de guingois que la vieille bicoque et leur chien. Nous avions conféré. La conclusion, finalement, serait que la mort pouvait bien attendre, ce que la vieille chienne avait confirmé en allant vider sa gamelle d’une démarche incertaine.
A 14h00, j’étais chez moi, j’avais mangé. On ne me rappelait pas. J’allais donc pouvoir me consacrer à massacrer des ronciers à la débroussailleuse pour excaver les clôtures qui se dissimulaient, je le savais, quelque part en dessous. Pour faire tomber les ronces qui partaient à l’assaut des noyers, accompagnées de lianes indéterminées. A 17h00, trempé de sueur, j’achevais le dernier roncier. Ma femme me tendit le téléphone et 1/2 litre d’eau : « un vêlage chez M. Garbet. »
Un vêlage chez M. Garbet, ce serait probablement une césarienne. L’ambiance serait différente de chez Mme Estours à midi. Ici : 200 vaches, autant de vêlages, de grands bâtiments, et des gens très déterminés. Je me garais devant l’une des trois stabulations, la plus petite, celle des « tantes », les vaches laitières utilisées pour faire téter les veaux de lait. Entre les barrières, une montbéliarde. Autour des barrières, le patriarche, sa belle-fille, sa petite-fille.
Je su que j’allais suer. J’enfilai ma combinaison en plastique, mes gants. Une exploration vaginale : une torsion utérine, col fermé, irréductible. Césarienne inévitable. Tous soupirèrent, puis le ballet commença : deux seaux, de la paille propre, la cordelette pour attacher la queue de la vache à son jarret, histoire d’éviter qu’elle colle son toupillon plein de merde dans la plaie chirurgicale, la corde entre les jarrets, pour limiter les coups de pied. J’injectai des tocolytiques pour faciliter la manipulation de l’utérus : première mauvaise surprise, la vache me bondit dans les bras. Une pince mouchette plus tard, je lui rasai le flanc, puis le désinfectai. Lorsque mon aiguille toucha sa peau pour l’anesthésie locale, elle rua à nouveau dans les brancards. Il allait falloir la sédater. Pour elle, et pour nous.
La césarienne à proprement parlé se déroula sans réelle difficulté. Anesthésier le cuir et le muscle, inciser, écouter mon téléphone sonner, repousser les intestins à leur place, réduire la torsion utérine, repousser les intestins à leur place, inciser l’utérus, écouter mon téléphone sonner, repousser les intestins à leur place, extraire le veau, le réanimer, sortir l’utérus du ventre, écouter mon téléphone sonner, recoudre l’utérus, le remettre à sa place, suturer le premier plan musculaire, écouter mon téléphone sonner, regarder la vache tomber au sol, l’insulter, écouter mon téléphone sonner, détacher les cordes, se dire qu’évidemment, il fallait que comme les tartines, elle tombe côté confiture (mais heureusement le plan musculaire profond était suturé…), puis l’aider à se relever, écouter mon téléphone sonner, nettoyer et désinfecter la plaie pleine de fumier, faire la deuxième suture musculaire, puis la cutanée, écouter mon téléphone sonner, injecter antibiotiques et anti-inflammatoires, vérifier le veau un peu sonné et puis, prendre congé. Après avoir enlever mon t-shirt totalement détrempé, façon sortie de machine à laver sans essorage.
Ah : et écouter les 5 messages sur mon répondeur. Passant de « AAAAAAH c’est affreux » à « AAAAAH mais pourquoi vous ne répondez pas ?» puis à « Bon ben je pars ailleurs ». Rappeler ceux dont je ne savais pas s’ils avaient trouvé un confrère ou une consœur, et puis, une fois avoir tout géré, rentrer à la maison.
Il était alors 19h et quelques, l’heure de terminer cette journée de repos et de débuter l’astreinte. Après avoir lancé une machine à laver.

Veau montbéliard

dimanche 22 octobre 2017

Une chose. Un nuisible. Du bétail. Un compagnon. Une personne. Comment la perception de l'animal change dans la France rurale.

Titre original : From the « thing », the « pest » or the livestock to the pet or « the animal as a person » : how the perception of the animal changes in rural France

Cette conférence a initialement été écrite pour le congrès vétérinaire de Leon au Mexique, en septembre 2017, où j'ai été invité pour deux conférences suite à la traduction de mon livre en espagnol. Le président du congrès, le Dr Cesar Morales, a voulu proposer des conférences plus « sciences humaines » qu'habituellement. 17000 personnes, 27 conférences simultanément pendant 4 jours… et pour moi deux conférences en anglais, devant des hispanophones.%%%
Cette conférence a été pensée pour un public de vétérinaires qui connaissent aussi bien notre métier en France que je connais le leur au Mexique (spoiler : pas du tout). Mon objectif est de décrire et de donner quelques pistes de réflexion, à approfondir dans la seconde conférence, consacrée au conflit entre questions éthiques et économiques dans notre métier.

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lundi 3 juillet 2017

Ils gisent

Elle gît. J'observe sa tête posée entre ses deux pattes, son corps amaigri, son poil terni. Elle m'attendait sur la terrasse, à l'ombre d'une table, incapable de bouger. Ils m'attendaient autour d'elle. Il n'y avait plus rien à dire. Pas de surprise, pas de colère, pas d'incompréhension. Simplement, la fin. Attendue.
Sur la terrasse de la maison, j'essaie d'entendre son cœur tandis que passent, indifférents, voitures et camions qui couvrent mon auscultation.
J'attends le silence. Enfin. Ni voiture, ni camion.
Ni cœur.

Il est si facile de tuer. Tout s'est, vraiment, très bien passé. C'était une bonne mort.

Lorsque je rentre à la clinique, mes pas me dirigent vers le bloc. Il est toujours là. Lui aussi, il gît. Couché sur le côté, son pansement autour du corps, on pourrait croire qu'il dort encore. Mais le concentrateur d'oxygène est éteint, le circuit est débranché. Il est extubé. Il a encore son cathéter, sa perfusion, même si elle est arrêtée. Près de son corps, deux seringues, une aiguille, posées sur le métal de la table de chirurgie. Un gant retourné. Un stéthoscope. Sous lui, le tapis chauffant qui l'a accompagné pendant toute l'opération. Une petite serviette, aussi. Au-dessus de son corps, le scialytique semble le veiller. Tout est éteint, mais les grandes baies vitrées baignent de lumière son pelage tigré, son épaisse fourrure dans laquelle, hier, encore, je plongeais mes mains lorsque j'essayais de le rassurer. L'inox de la table brille tout autour de lui. Il est resté comme je l'ai laissé, lorsque son cœur l'a abandonné : silencieux, enfin apaisé. Je regarde à nouveau la cuve de chaux sodée et les tuyaux de la machine d'anesthésie. Le scialytique. Mes témoins. Je m'assieds, et, par réflexe, je reprends le stéthoscope. L'absolu silence là où cela devrait taper, souffler, grouiller et gargouiller. Le délicieux et répugnant vacarme de la vie, contre le silence sans nuance.

Il y a deux heures à peine, son cœur battait, il se réveillait. Je le veillais depuis une trentaine de minutes, seul dans la clinique, attendant le moment où je pourrais, en conscience, le laisser. Je n'aimais pas sa respiration, je pressentais que les choses allaient mal se terminer. Accélérations cardiaques, ralentissements, régularisations, des respirations spastiques puis à nouveau harmonieuses… son cœur a finalement perdu le rythme, et il ne l'a pas retrouvé. Je pouvais bien masser et m'exciter sur mon ballon d'oxygène, mes seringues et ses tuyaux. Il ne s'est jamais réveillé. Près de trois heures de chirurgie après deux jours d'hospitalisation, pour… rien.

Pas pour rien, non : il fallait tenter. Après l'avoir stabilisé et vaincu l'état de choc, il fallait lui laisser le temps de récupérer, puis attendre que nous puissions opérer, dans les meilleures conditions. Il fallait opérer, de toute façon. Ou décider d'abandonner, et l'euthanasier. Tout arrêter ? Alors qu'il n'avait que quatre ans et que nous avions une vraie chance de le sauver ? Je me suis impliqué, je l'ai... porté. Le matin, à midi, le soir, la nuit aussi. J'ai surveillé les drains, je l'ai caressé, je lui ai donné des médicaments avant de prendre le temps de me faire pardonner, jusqu'à l'entendre ronronner. J'ai rassuré ses propriétaire sans jamais leur mentir, je savais que les choses pouvaient mal se terminer. D'autres que lui… s'en sont sortis. J'ai l'impression de les avoir trahis, en les accompagnant dans la décision d'opération, en insistant sur les chances de le sortir de là. J'ai l'impression de lui avoir fait défaut, aussi. On ne demande jamais son consentement à un animal. Et de toute façon, ils hurlent tous non, de toutes leurs forces, même si, souvent, ils font confiance. J'accepte de ne pas les écouter parce que je sais que je peux les guérir, que je peux les sauver. Je le sais. Je sais aussi que je peux avoir tort. Je joue avec les probabilités, je tente ma chance, et la leur. J'apprends l'humilité. Je ne veux pas regretter de n'avoir pas essayé, mais je ne veux pas infliger à un animal une souffrance qui ne serait pas justifiée. Drôle d'équilibre.

Depuis sa mort, je cherche. Ce que j'ai pu rater, ce que j'aurais pu mieux faire, ce que j'aurais pu décider. Je ne trouve pas de vrai mauvais choix. Pas non plus de décision justifiée mais malheureuse. Les choses ont suivi leur cours logique, nous avons bien travaillé, et il est mort. C'est tout.

C'est tout et comme toujours, c'est insupportable. Je pense à ceux qui l'aimaient, qui sont venus le voir jusqu'à l'ultime instant, pour son endormissement, qui voulaient m'entendre dire que oui, nous allions, j'allais le sauver. J'ai, nous avons échoué.

Il est tellement difficile de les sauver.

mardi 12 juillet 2016

Jour vingt-et-un. Motif : Pas en forme.

Jour vingt-et-un.

Motif : Pas en forme

Pas en forme ! Tu parles ! Ce chaton pèse à peine 1,2 kg et avec une fièvre à 40°C et une déshydratation à 5-7 %, il peut être fatigué !

Cela fait à peine 5 minutes que ce chaton est sur ma table, et je sais déjà à quoi la prochaine heure sera occupée. Je vérifie le planning, passe la tête par la porte de la salle de consultation et demande aux ASV de m'oublier.

Récapitulons : pas de symptôme à la maison, si ce n'est des efforts pour déféquer (et ne rien faire). Il n'a rien mangé depuis hier soir, et il ne joue plus. Ce qui, pour ce rouquin d'à peine trois mois, est certainement le symptôme le plus préoccupant. Il ne joue plus et ne mange plus parce qu'il a 40°C. Mais pourquoi ? Et pourquoi ces efforts pour déféquer ? Ou pour uriner, pour ce que j'en sais ?

La palpation abdominale est anormale. Pas très douloureuse, mais inconfortable. Pas de nœud dur, pas de boule bizarre, pas de point douloureux, et il est assez souple pour que je puisse me toucher les doigts en le pressant de chaque côté. Je n'arrive pas à palper la vessie.

- A la maison, il se mettait sur le côté, comme ça, en dégageant son ventre, et on aurait dit qu'il était gonflé.

On aurait dit… Oui, c'est vrai. Il est un peu gonflé. Vermifugé ?

M. Gouhouron opine. La dernière fois que je l'ai vu opiner, c'est quand il a donné son accord pour l'euthanasie de sa minette, il y a quelques mois. Je sens bien à quel point il est stressé, à quel point il a besoin d'être rassuré. Mais je n'ai pas de quoi le rassurer. Je vais au moins essayer de cadrer.

- Nous cherchons une infection. On oublie les poisons, les « accidents », les parasites. Nous cherchons une bactérie, ou un virus, et nous allons chercher du côté de l'abdomen, puisque c'est la seule anomalie. Je vais commencer par une radio, ou plutôt deux, pour écarter occlusions et autres. D'accord ?

M. Gouhouron opine à nouveau. Son épouse est en retrait, à ses côtés. J'emmène le chaton, tranquillement posé sur mon avant-bras comme une panthère sur sa branche. Un cliché sur le côté, un cliché sur le dos, il n'aime pas que je l'étire, il n'aime pas que je le contraigne. Rien. Pas de signe d’iléus ou de corps étranger.

- Un virus, ou une bactérie. Il n'est pas vacciné, mais ça n'est pas mon inquiétude première. Nous allons faire une numération-formule, ça peut nous orienter. Et puis, éventuellement, un test FIV-FeLV. L'interprétation peut être un peu délicate vu son jeune âge, mais si la NF ne m'avance pas, il faudra exclure cela.

Mme Gouhouron me pose quelques questions, monsieur renchérit. J'explique, pourquoi chaque examen, pourquoi dans cet ordre. Rester progressif, méthodique, débroussailler sans exploser le budget.

Même pour la prise de sang, il ne bouge pas. La NF est normale. Les blancs à 9000, je ne suis pas avancé. Pile dans la moyenne. Un test FIV/FeLV ? Double négatif. Tant mieux.

Je ne sais pas ce qu'il a.

Un truc assez costaud qui fait mal au ventre, qui colle 40°C de fièvre et qui n'a aucun autre symptôme, pour le moment. Il est temps de prendre mon temps.

Avec l'accord de M. et Mme Gouhouron, j'injecte un anti-inflammatoire, une bête amoxicilline, et du liquide de perfusion par voie sous-cutanée, en évitant de l'hospitaliser.

Je leur dis de ne pas hésiter à nous appeler, de nous dire ce soir, et demain, ce qu'il en est. Mais je me garde bien de les rassurer.

vendredi 8 juillet 2016

Jour dix-sept. Motif : coryza

Jour dix-sept

Motif : Coryza

En ce moment c'est carrément l'épidémie. Comme tous les ans, en fait : les chattes ont mis bas au moins une fois, les chatons de 2-3 mois pullulent, la série suivante commence à naître. Bouillon de culture pour coryza. Pour coryzas : ces infections des yeux, du nez et de la bouche, contagieuses, d'origines aussi variées que leur gravité. Il n'y a pas un coryza. Il y a des coryzas, plein de coryzas, causés par des virus, des bactéries, et des associations de malfaiteurs.

Et ce chaton là va être compliqué à sauver. Je ne sais pas si c'est un herpesvirus, un calicivirus, une chlamydophilose, ou une combinaison de ces trois là associés ou non à des opportunistes, peut-être sur fond de rétrovirose, et je ne le saurais pas. Des tests existent, mais ils sont chers, la réponse prend du temps et de toute façon, on peut taper facilement sur tout le monde en même temps. De façon clinico-probabiliste, je dirais herpesvirus + opportuniste, vue la contagiosité dans le quartier et les formes observées sur des adultes (niveau de preuve : mes chaussettes – on fera avec).

Mme Diège est venue avec sa fille. Plus une enfant, mais un peu quand même. Elle a quoi ? 15 ans ? J'ai senti son hostilité dès son entrée dans la salle de consultation. Ou plutôt : juste après. Je n'aurais pas du siffler mon inquiétude en voyant la tronche du chaton. Je décide de faire comme si je n'avais rien remarqué, et de m'adresser aux deux sans réellement orienter mon discours. Être très précis sans jargonner, et… elles vont avoir du boulot, de toute façon. On va voir si je vais réussir à me rattraper.

Je m'assieds sur la table d'examen, je prends le chaton sur les genoux, assis, tourné vers moi, je lui lève la tête en le cadrant avec mes poignets. Maintenu mais pas tenu, il se laisse facilement manipuler. Même s'il essaie mollement de repousser mes doigts avec ses pattes ses griffes sont si fines et ses forces si diminuées qu'il ne peut réellement me blesser. Ni se dégager. Il respire la bouche ouverte. Ses yeux sont à demi-fermés. Il est déshydraté, le bout de son nez est collé, je n'ai pas besoin de stéthoscope pour l'entendre siffler. La langue est propre, les gencives sont saines. Pas de rougeur en fond de gueule, pas de réaction des nœuds lymphatique. Je lui soulève la queue, il s'offusque quand je lui prends la température, se couche sur le côté et tente de me repousser. 38,2°C. Je le soulève et tente de contrôler une moue dubitative. Je me demande s'il n'y a pas une kératite associée, aussi. C'est souvent difficile à estimer quand ils sont si jeunes et qu'ils ont encore des iris bleutés.

Doucement, avec patience et fermeté, je prends des compresses, du sérum physiologique, je commence ma démonstration.

- Il va falloir lui laver les yeux, souvent. Très souvent. Il ne va pas apprécier, mais il ne faut pas laisser toutes ces mucosités. Du sérum phy, que vous trouverez en dosette en pharmacie. Une compresse, un mouchoir, peu importe, vous essuyez, vous mouillez, et vous essuyez. Avec l'eau, tout ça va se liquéfier et s'en aller. Il ne faut pas laisser les croûtes s'installer. Ensuite : le nez. Je vais vous laisser une petite seringue comme celle-ci, elle va vous servir à verser sur le bout du nez. Il faut le rincer, le rincer, encore le rincer. Il va éternuer, cracher et râler, mais il faut tout déboucher. S'il ne mange plus, c'est parce qu'il ne sent plus. Un chat doit sentir ses aliments pour avoir envie de les manger. Il va falloir le faire boire, aussi. Juste qu'à ce qu'il s'y remette tout seul. Ensuite, il y a les pommades. Écarter les paupière, poser un petit grain de riz sur la cornée, masser pour étaler.

Mme Diège et sa fille sont attentives. Elles m'aident, maintiennent le bébé, posent des questions. J'explique pourquoi l'antibiotique, pourquoi l'anti-viral. Quoi surveiller, comment, combien de temps. Comment les choses peuvent évoluer, comment elles ne doivent pas évoluer. Ce qui doit motiver une nouvelle consultation, bref, tout ce qui pourrait arriver.

Je crois que j'ai vaincu son hostilité.

Reste à faire de même avec ce coryza...

mercredi 29 juin 2016

Jour huit. Motif : plaie

Jour huit

Motif : Plaie

J'allais partir en visite, juste avant l'ouverture de la clinique, quand j'ai vu cette dame à l'air désemparé sur le parking. Il n'y a aucun rendez-vous à 9h00, je viens justement de vérifier. Je baisse la vitre et la salue. Elle vient pour un chaton. Non, elle n' a pas pris rendez-vous. Elle ne savait pas. Je lui explique qu'il faut appeler, toujours, même pour une urgence. Là, il n'y aurait pas eu de vétérinaire sur place avant une bonne heure, nous étions tous en visite.

Je la rassure, coupe le contact et ouvre la porte latérale de la clinique. Les ASV ne sont pas encore là, je ne veux pas que d'autre personne entre.

C'est une vilaine plaie à la queue, que le chaton ne me laisse pas examiner. Je subodore qu'elle s'enfonce bien plus profondément que le premier coup d’œil ne le laisse supposer. Elle ne sait pas comment le chaton s'est fait mal, mais la blessure date de hier soir. Elle l'a désinfectée.

Vu le très faible niveau de coopération de la bête, de toute façon, je n'ai pas 36 alternatives : je vais devoir l'anesthésier, et me préparer à toutes les possibilités. J'évoque donc avec Mme Maudan les différentes possibilités, du simple parage avec pansement jusqu'à l'amputation.

Anti-inflammatoires, antibiotiques. Et je file en visite, on verra ça tout à l'heure, il n'y a pas urgence.

Il me faut environ une heure pour faire le tour de trois exploitations proches – vaccination FCO, encore.

Lorsque je reviens, la clinique est très calme. Je devrais avoir le temps d'opérer le chaton avant que le prochain rendez-vous n'arrive. Un contrôle dermato, puis un contrôle ophtalmo. Ils pourront éventuellement attendre un peu.

Deux injections, j'esquive les morsures. Je repose le chaton dans sa cage, il lui faudra quelques minutes pour s'endormir vraiment. Dès qu'il dort, Perrine, l'ASV qui est sur le pont ce matin, prend la tondeuse et nettoie. J'en profite pour aller faire quelques factures.

Lorsque je reviens dans la salle de préparation, la queue est tondue, lavée, désinfectée.

- Vous amputez ?

Honnêtement, je n'en sais rien, je n'ai pas encore regardé. Je tourne et retourne la plaie. 4 cm de coupure cutanée, plus ou moins dans le sens de la longueur, des muscles releveurs de la queue sectionnés, mais pas complètement. Les ligaments des vertèbres caudales sont intacts. La vascularisation n'est pas atteinte.

- On tente de garder.

Perrine sort une petite boite de chirurgie, redésinfecte la plaie tandis que je me lave les mains. Une paire de gants, un fil non résorbable, un gros tas de compresses. Je commence par enlever les poils collés dans les recoins de la blessure. Puis je gratte dans les cul-de-sac et commencer à raviver la plaie en frottant à la compresse. Je désinfecte, encore et encore. Puis je décide de poser trois points en X sur la partie supérieure de la blessure tout en laissant la partie inférieure, la plus étroite, ouverte : la plaie est en phase de détersion, elle va suinter. Si j'enferme tout ça, je n'aurais que des complications. Comme d'habitude, je cherche le meilleure compromis entre « théorie médicale », faisabilité et acceptabilité par l'animal. Si le patient détruit méthodiquement ce que je fais quelques minutes après le réveil, ça ne sert à rien de faire la plus « belle » suture du mois.

J'enrobe le tout dans un pansement collé sur la partie supérieure de la queue mais ouvert sur la partie inférieure de la plaie. Il fera une « casquette » protégeant la blessure, tout en laissant les écoulement sortir librement. Ce chaton ne laissera personne lui refaire un pansement…

J'enlève mes gants, et remets le chaton dans sa cage, avec une bouillotte. Il fait très chaud aujourd'hui, mais s'il met plus de temps à se réveiller que ce que j'estime, on risque l'hypothermie.

Il ne me reste plus qu'à préparer l'ordonnance et à téléphoner à Mme Maudan pour lui faire le compte-rendu.

samedi 25 juin 2016

Jour quatre. Motif : une boule sur le dos

Jour quatre

Motif : Une boule sur le dos

Il l'a appelé Padawan. C'est un joli chat noir au poil brillant et au regard un rien pervers.

- Ben oui : on l'a choisi en famille après un vote, alors c'était l’Élu. Mais Néo c'était pas marrant, et Darth prétentieux et dangereux, du coup Padawan, ça allait mieux.

L’Élu a une boule sur le bassin, juste à la base de la queue, et son Maître le tient courageusement tandis que je palpe, explore et diagnostique :

- Ben c'est un abcès, et vu sa localisation, il a fui lâchement devant l'adversité, puis il s'est fait mordre là et là, dis-je en appuyant, mais pas trop fort, là où ça fait mal.

Les chats, c'est magique : leurs dents sont des aiguilles à injecter des bactéries, et leur tissus sous-cutané un milieu de culture remarquable. Du coup : abcès. Et puis, c'est la saison de chaleurs, les chats rôdent et se castagnent. Même s'ils sont castrés, ils défendent leur territoire contre les matous en rut à la recherche de femelles. Qui n'a pas dans son voisinage cet escogriffe qui terrorise tous les chats du quartier comme un caïd de cour de récré ?

Le Maître s'en veut, à mort. Il aurait du l'amener avant, il n'a pas vu, il n'a pas compris. Je le laisse à ses regrets tout en lui faisant remarquer qu'il pouvait difficilement deviner, et passe un coup de tondeuse, le plus court possible, faisant sauter les deux touffes de poils agglomérés qui obstruaient encore l'abcès presque mûr. Une injection d'anesthésique local, un coup de scalpel. Le Maître tient bon, abandonnant ses atermoiements, le Padawan râle, mais l'abcès est crevé, et le fluide s'écoule, sanie infâme de sang et de pus entremêlés. Le Padawan râle, mais il se laisse soigner (pas comme le gremlins de la consultation précédente qui a essayé de me manger lorsque j'ai osé approcher le même genre d'abcès).

Je purge l'abcès, puis injecte un mélange d'eau oxygénée diluée dans la bétadine et l'eau tiède. C'est beau, ça mousse, ça chauffe un peu, et le Padawan râle encore, mais juste pour la forme. Son Maître découvre l'infect parfum du pus et du sang. Je le surveille du coin de l’œil, qu'il ne se fasse pas mal s'il tombe dans les pommes. Je ne suis pas sûr qu'il tienne le coup malgré – ou à cause – de ses protestations courageuses.

Reste à le rassurer. Ce n'est pas grave, et tout va bien se passer. Enfin. Si le mordeur n'avait pas le SIDA. Pour la leucose, le Padawan est vacciné. Mais là, je ne peux rien anticiper...

jeudi 9 avril 2015

L'instant bleu

Juste une respiration dans un quotidien infernal où les drames et les morts se multiplient, pour un petit câlin impromptu entre deux rescapés qui en avaient bien besoin. Le chiot est rentré chez lui, et, du coup, le chaton l'a suivi - le type a craqué. On ne l'a pas du tout fait exprès.

La chienne l'a adopté.

L'instant bleu
L'instant bleu

vendredi 6 septembre 2013

20 ans

J'ai beaucoup de chats de 20 ans dans ma clientèle.

La plupart d'entre eux me sont amenés pour la première fois à cet âge canonique, l'équivalent d'un plus que centenaire pour un humain. M. ou Mme tient son chat dans les bras, et...

"C'est la première fois qu'il voit le vétérinaire, il a toujours été en très bonne santé, il a vingt ans vous savez !"

Avec l'âge apparaissent les maladies que l'on imagine, bref.

J'ai souvent un sourire discret devant ces vieux, légers comme des papillons, tout secs et tout maigres. Il y a généralement un lien très touchant entre ces chats et leurs humains de compagnie.

Mais ils ont bien rarement 20 ans. La plupart du temps, je ne fais que m'en douter, et je ne dis rien. Après tout, je n'en sais rien, et cela n'a pas d'importance médicale. Pourquoi vexer les gens en remettant leur parole et leurs représentations en doute ?

Le temps passe, plus ou moins vite, et en l'absence de repère temporel, personne ne sait réellement l'âge du chat. Parfois, je les ai vu, quelques années plus tôt, pour un bobo ou une vraie maladie. Notre informatisation a une dizaine d'années, et le croisement de l'âge déclaré à l'époque et de celui du jour est incohérent. En général (mais c'est parfois l'inverse), le chat est moins âgé. Les gens sont souvent surpris.

C'est comme un seuil, 20 ans.

Avant, on ne notait pas ce genre de chose, ou mal. Alors tous les très vieux chats avaient 20 ans. Aujourd'hui, il y en a toujours, mais moins qu'il y a 20 ans ?

Il y en a eu un qui m'a fait sourire, il y a peu.

"Bonjour docteur, je vous amène ma vieille minette. Elle a 20 ans. Elle s'appelle Pikachu."

Pikachu est restée quelques jours avec nous. C'est une collaboratrice ophtalmo, passant devant sa cage, qui a levé le lièvre.

"Elle ne peut pas avoir 20 ans, elle n'a pas les yeux, elle n'a pas les iris d'un chat de 20 ans."

Il fallait sans doute être ophtalmo pour le voir.

Mais nous aussi nous aurions pu nous rendre compte que Pikachu n'est apparu sur les petits écrans français qu'en 1999. Il y a 14 ans.

Nous avions eu plus de facilité à estimer l'âge d'un Zizou, il y un an de cela.

Finalement, l'âge, c'est dans la tête ?

samedi 15 septembre 2012

Télémédecine

A l'accueil, à la clinique, une dame.

- Bonjour, je voudrais un médicament pour mon chat. Sous forme liquide.
- Heu...
- Sous forme liquide parce que je ne peux pas l'attraper.
- Ah. Mais il a quoi votre chat ?
- Je ne sais pas, je ne peux pas l'attraper.
- Mais pourquoi voulez-vous un médicament ?
- Eh bien, parce qu'il est malade !
- Ah, mais il a quoi ?
- Je ne sais pas je vous dis, je ne peux pas l'attraper !
- Mais vous voulez quoi comme médicament ?
- Je ne sais pas moi, je ne peux pas l'attraper ! Mais liquide, hein.

La dame est repartie sans médicament, assez frustrée. Pas franchement en colère, mais... Pas satisfaite, quoi.

vendredi 22 juin 2012

Vieux

"La vieillesse n'est pas une maladie." Cet axiome, je ne l'ai entendu qu'une fois ou deux, dans ma scolarité. Ou pendant mes stages, mes premiers remplas. Ou en entendant discuter des médecins. Ou des piliers de comptoir. Je ne sais pas.

Mais il m'a marqué.

Et cette phrase, pour moi, est devenue une litanie.

On ne guérit pas du vieillissement : ce n'est pas une maladie.

On ne prévient pas le vieillissement : ce n'est pas une maladie.

Mais la vieillesse est souvent le prétexte à une démission, lorsque je déroule un fil diagnostique, passant, étape après étape, les hypothèses les plus évidentes, pour m'acheminer vers la complexité.

"Oh, vous savez, docteur, il est vieux".

Entendez : "ne vous cassez pas le bol, ça ne sert à rien, de toute façon, il est vieux, il vaut mieux le piquer."

OK, il est vieux. Mais alors, pourquoi me l'avez-vous amené ? Pour que je mette un nom médical sur sa vieillitude, genre SVC ?

- Oh, madame, vous savez, c'est un SVC, et même, sans doute, un SVCEN (en anglais : ODSEN).
- Un SVCEN, oh non docteur ?
- Et si. Ca pourrait même être un SDC.
- Un SDC !! Alors... on l'euthanasie ?

Parce que voilà, on veut un bon argument médical pour déculpabiliser d'en avoir assez, pour se faire entendre dire, que, oui, ça suffit ? Pour que quelqu'un d'autre décide ? Moi ?

Remarquez, j'exagère. Parfois, le constat "mais est-ce qu'il n'est pas tout simplement vieux ?" est parfaitement sincère. Cette sincérité étonnée, je la rencontre en général avec les plus jeunes de mes clients. Ils ou elles ont 18, 20 ans, et ils n'ont pas encore eu besoin de se demander, très personnellement, si la vieillesse était autre chose qu'une maladie inéluctablement incurable.

Parfois, la demande d'euthanasie est parfaitement assumée. Reste à en discuter, même si certains ne viennent pas pour discuter.

Et parfois - moins qu'avant - c'est le véto qui se fend d'un "boah, vous savez, il est vieux, alors on va le piquer hein". Ma première euthanasie, c'était ça. J'étais stagiaire, quatrième année, et le (vieux) vétérinaire a reçu ces personnes âgées. Il a flairé le pyomètre de cette vieille golden, lui, le véto à vaches. Il l'a prouvé d'un coup d'échographe. Et puis il a énoncé sa sentence. "Elle est vieille. Fourrure, tu t'occupes de l'euthanasie." Je ne l'ai pas remis en question, le maître. Les gens ont été impassibles. Pas de larmes, pas de mots, ils s'y attendaient, je suppose. Surtout : ils n'attendaient pas autre chose. Moi non plus ? Moi, j'ai euthanasié la chienne, avec la certitude zélée de l'élève paralysé par le respect. Quel con. Évidemment, même si on avait discuté chirurgie, même si, même si, ça aurait sans doute fini pareil. Peut-être. Peut-être pas.
Nous ne sommes pas là pour décider à la place de nos clients. Nous pouvons avoir tort. Une cliente me reproche tous les trois mois d'avoir voulu, il y a deux ans, euthanasier son chat au taux de créat' délirant. Qui vit encore très bien sa vie de papy. Nous pouvons aller trop vite. Et puis, il y a cette routine qui nous encroûte, tous. Cette habituation, cette acceptation de la souffrance, cette certitude : de toute façon, on sait bien comment ça va finir. Autant abréger.

Non.

Ça ne marche pas comme ça. Parce que le chien, ou le chat, ben il est vieux, certes. Pas besoin d'un véto pour lire une date de naissance et calculer un âge. Mais le chien, il ne serait pas un peu cardiaque ? Le chat, beaucoup hyperthyroïdien ? Diabétique ? Ou plus simplement perclus d'arthrose ? Une hernie discale ? Un pyomètre ? Un hémangiome ? Une bonne vieille pyodémodécie des familles ?

Ah ben oui, il pue. Il est sale. Il bouge lentement. Mais, bordel, si on lui collait des anti-inflammatoires, il pourrait pas bouger plus vite ? Se remettre à remuer la queue avec un enthousiasme spontané ? Ou recommencer à dévorer ses gamelles, avec appétit ?

Comme avant.

Avant qu'il soit vieux, avant qu'il ne soit plus le compagnon que vous aviez choisi, celui qui pouvait faire des balades, celui qui jouait à la balle, celui qui venait ronronner dans le lit après avoir chopé quelques souris. Avant qu'un matin, soudain, vous réalisiez que, ça y est, il est vieux. Et qu'il doit souffrir, le pauvre, et qu'il n'y a plus rien à faire, alors, on va l'emmener chez le véto, qui va diagnostiquer un Syndrome du Vieux Chien (ou Chat), de préférence dans sa variante Euthanasie-Nécessitante, ou un Syndrome de Décrépitude Chronique. Comme ça on l'aura même amené chez le véto, on l'aura fait soigner, il n'aura rien pu faire, et on passera à autre chose. Facile.

Mais.

Non.

Alors, des fois, oui. Parce qu'il y a des maladies trop lourdes à soigner, ou juste pas soignables. Parce que, oui, l'âge est une excuse valable pour éviter certaines procédures médicales, lorsque le bénéfice est faible et le risque, ou les inconvénients, élevés. Je suis d'accord : imposer une mammectomie totale et une chimio à la doxo à une chienne avec des tumeurs mammaires métastasées de partout, dont l'espérance de vie se compte en jours, ou en semaines pour les plus optimistes, c'est plus que discutable.

Parce que lorsque l'insuffisance rénale chronique arrive à son terme, il faut savoir aider l'urémique en souffrance à partir.

Les plus observateurs parmi vous remarqueront que, bordel, si le vieux avait été amené avant, on aurait pu mieux l'aider. Était-il nécessaire d'attendre qu'il se paralyse pour se soucier de son arthrose ? N'aurait-on pas pu gérer son diabète avant qu'il ne vire à l'acido-cétose délirante ? N'y avait-il pas des signes d'appel ? Après tout, depuis combien de temps avait-il du mal à se lever, à monter dans la voiture, à sauter sur le canapé ? Depuis combien de temps maigrissait-elle tout en mangeant comme quatre et en descendant dix fois plus d'eau qu'avant ?

Bien sûr, vous avez raison. On aurait pu faire du bon boulot, plus tôt. Et souvent j'hérite de situations effectivement irrécupérables qui auraient pu être évitées, ou sérieusement retardées. Et trop souvent, je n'ai pas le choix, entre une agonie mal gérée (parce que nous n'avons pas accès à assez de soins palliatifs, pour moult raisons), et une euthanasie.

Mon discours n'est pas : "il ne faut pas tenir compte de l'âge de l'animal". Bien entendu : il faut en tenir compte, mais la vieillesse ne doit pas être une excuse ou un prétexte. Elle diminue les défenses de l'organisme, elle diminue les capacités de cicatrisation, de récupération, elle implique indirectement tout un tas de maladies qui, misent bout à bout, rendent nombre de prises en charge irréalistes.

Une ovario-hystérectomie sur un pyomètre, ce n'est pas irréaliste; Une mammectomie, même une, voire deux chaînes complètes, ce n'est pas délirant s'il n'y a pas de métastases. Une cardio-myopathie dilatée avec tachycardie paroxystique, ça se traite. Pas dix ans, mais quand même. Une arthrose douloureuse, une hernie discale avec début de perte de proprioception, ça se gère. Même un cancer incurable, ça peut se gérer.

Bien sûr, les critères financiers comptent. Le vétérinaire, ça peut vite coûter très cher. Mais la vieillesse ne doit pas être un maquillage pour des problèmes d'argent : ceux-ci doivent être envisagés pour ce qu'ils sont. Et il faut parfois - souvent ? - admettre qu'ils ne peuvent être surmontés.

Il faut aussi prendre en compte la volonté des propriétaires du chien ou du chat. Imposer une prise en charge, ça ne marche pas. Si refuser l'euthanasie aboutit à condamner le chien ou le chat à agoniser dans un coin de la cour, c'est nul.

Parce que c'est ça, mon boulot, et les bonnes âmes ne devraient pas trop vite l'oublier. Il est facile de s'indigner. Facile de juger, de reprocher aux gens de n'avoir pas mieux fait. Facile de refuser d'admettre les contraintes financières. De blâmer alternativement le véto, le maître et/ou le système capitaliste. Moi, mon problème, c'est de trouver, pour l'animal, les solutions les meilleures aux situations dont j'hérite. Par ailleurs, culpabiliser le propriétaire négligent est rarement constructif, au contraire. Le braquer, c'est le meilleur moyen de faire perdre ses chances à son animal.

Les incantations et les reproches, ça n'a jamais soigné personne.

Bien sûr, j'euthanasie, mais plus tellement des vieux. Maintenant, j'euthanasie plutôt des malades pour lesquels je n'ai pas d'alternative acceptable.

Beaucoup sont vieux.

lundi 4 juin 2012

Stériliser sa chienne ou sa chatte

La peluche vient de recevoir sa seconde injection de primo-vaccination. Nous discutons alimentation, et un peu éducation. Je pose la question de la stérilisation.
- Ah oui docteur, on va la faire opérer hein, quand elle aura fait sa première portée.
- Ah, vous voulez une portée ?
- Oh oui docteur, comme ça elle sera heureuse.
- Mmh vous savez, ce n'est pas d'avoir une portée qui la rendra, ou pas, heureuse. Vous avez réfléchi à ce que vous ferez des chiots ?
- On lui en laissera un, parce que sur le bon coin, c'est difficile de les vendre.
- Donc vous allez tuer les autres ?
- On vous les apportera quand ils seront tout petits.
- Et vos faites ça pour qu'elle soit heureuse ?

Je veux dire : anthropomorphisme pour anthropomorphisme, soyons au moins cohérents.

Notez que ça marche avec plein de variantes :
On lui laissera faire une fois des chaleurs.
Une portée, mais on ne garde aucun petit.
Ce serait mieux si on la faisait saillir puis avorter ?

Cela fait des années que j'entends ce genre de choses. J'anticipe de plus en plus, amène la conversation sur le sujet le plus tôt possible, dès la première consultation de primo-vaccination, en indiquant sans insister qu'on en reparlera le mois prochain - histoire de forcer les gens à y réfléchir un minimum.

J'ai appris à ne plus énoncer ma science en me réfugiant dans mes scolaires certitudes. J'ai appris à ne pas donner l'impression d'être un maniaque de la stérilisation. Je fais attention aussi à ne pas avoir l'air vouloir opérer "juste pour faire de l'argent". D'ailleurs, quand je devine le soupçon dans le regard de mon interlocuteur, un calcul rapide de ce que me rapportent les problèmes de reproduction le dissipe assez efficacement. On y reviendra.

Mais de quoi parle-t-on ?

Aujourd'hui, on parle des filles. J'ai déjà abordé le devenir des testicules dans un précédent billet, je ne reviens pas dessus. Je ne vais pas reprendre certains éléments, qui restent pertinents dans le cadre de la stérilisation des femelles. Je vais me concentrer sur les chiennes et les chattes.

Chez la chienne, la puberté (le moment où l'animal devient apte à se reproduire) survient entre 5 et 18 mois. En général, plus c'est une chienne de grand gabarit, plus la puberté est tardive. 5-6 pour une chienne de 5-10 kg, 18 mois pour une Saint-Bernard. Évidemment, c'est complètement approximatif, et il y a des tonnes de contre-exemple. Mais ça vous donne une idée. C'est d'ailleurs assez spectaculaire pour les plus précoces, les propriétaires ne s'étant pas encore habitués à leur petit bébé boule de poil qu'elle est déjà enceinte.

Les chattes sont plus compliquées : leur puberté survient en général vers 4-6 mois, mais le déclenchement des cycles sexuels est saisonnier. En gros : de janvier à septembre. Plus que l'âge, je regarde la période de l'année (quel âge aura-t-elle en janvier si elle est née en été/automne, quel âge aura-t-elle en automne si elle est née au printemps ?).

Un cycle sexuel canin dure 6-7 mois, en moyenne. Disons deux périodes de chaleurs (on dit œstrus quand on veut être précis) par an. Gestation ou pas, cette durée ne varie pas, ou peu. Selon les races, les portées comptent de deux à quinze petits. Voire plus.

Le cycle sexuel de la chatte est un véritable foutoir. Sans saillie, une chatte est généralement en chaleur pendant une semaine toutes les deux semaines. La gestation dure environ deux mois, pour deux à six chatons en général. Trois portées par an, avec les filles de la première portée qui mettent bas en même temps que la troisième portée de leur mère, pas de problème.

Elle veut des bébés ?

Pour les gros malins du fond qui font des blagues sur les salopes en chaleur : les chaleurs, ce n'est pas un choix de la part de la femelle. A aucun moment. Lorsque le cycle en arrive là, les décharges hormonales poussent la femelle à chercher le mâle. Elle part "en chasse", comme on dit. Pas parce qu'elle en a envie, ou qu'elle veut se faire plaisir, ou parce qu'elle sera heureuse avec des bébés. Non : parce que ses cycles l'y obligent. Et les mâles ne sailliront pas pour le plaisir, ou par choix. S'ils vont se foutre sur la gueule pour la femelle en chaleur, c'est parce qu'ils sont en rut, à cause des phéromones produites par la femelle. On ne parle donc pas de plaisir, de désir d'enfant, ou de toutes ces choses qui font la complexité de notre humanité. Je sais que des commentateurs vont encore me faire le coup de "mais les humains aussi marchent aux phéromones". Non. Les phéromones ne dictent pas notre conduite, ne nous forcent pas à accomplir des actes instinctifs. Qu'elles aient une action dans le désir et la séduction, admettons. Mais je n'ai jamais vu de femme en train de se rouler sur le dos dans la rue en espérant que tous les badauds du quartier la sailliront en montrant leurs pectoraux virils.

Tiens, dans la Paille dans l’œil de Dieu, de Larry Niven, il y a un abord très intéressant d'une civilisation intelligente soumise à un impératif de reproduction.

La chirurgie

Chienne ou chatte, le principe est le même : une incision cutanée, soit sur la ligne blanche (c'est la ligne verticale qui prolonge le sternum, passe sur le nombril et arrive au pubis) près du nombril, soit sur les flancs (dans le creux en arrière des côtes et sous les lombes). Incision musculaire en dessous, on ouvre le "sac abdominal" plus précisément nommé péritoine, et là, on se trouve dans le ventre : on voit les intestins, l'estomac, la vessie, le foie, les reins, et les ovaires et l'utérus.

Les ovaires, ce sont les couilles des filles : ayant meilleur goût que les garçons, elle se passent du scrotum et cachent leurs affaires près des reins, près de la colonne vertébrale. Tout au fond.

L'utérus, c'est un tuyau qui ressemble à un Y. Au bout de chaque bras du Y (on appelle ça les cornes), il y a un ovaire. En bas du Y, il y a le col de l'utérus, qui sépare l'utérus des parties qui intéressent plus le mâle moyen, en tout cas humain : le vagin, puis le vestibule et la vulve. C'est dans l'utérus que se passe la gestation.

Quand on stérilise une chienne ou une chatte, on réalise une ovariectomie (ovari- pour les ovaires, -ectomie pour enlever). Une ligature ou deux sur le pied qui apporte le sang à l'ovaire, une ligature sur le bout du bras du Y, et hop. Je passe sur les détails.

On peut également pratiquer une hystérectomie : on enlève l'utérus. C'est un poil plus lourd. Et dans ce cas on enlève aussi les ovaires, c'est donc en réalité une ovario-hystérectomie. Mêmes ligatures sur les pédicules ovariens, mais on enlève l'utérus tout en laissant le vagin.

Vous pouvez employer le mot castration, qui est le terme courant pour la chirurgie consistant à enlever les gonades (une gonade, c'est le terme générique pour les ovaires et les testicules). En pratique, l'usage consacre plutôt le mot castration à l'orchiectomie, c'est à dire la castration des mâles.

Ce sont des opérations courantes. Pas anodines, mais pratiquées tous les jours ou presque par tous les vétérinaires. Les complications chirurgicales sont rares, et consistent essentiellement en des hémorragies au niveau du pédicule ovarien, pénibles mais pas très graves : il suffit de rechoper ce foutu pédicule (c'est simple, dis comme ça, mais en fait c'est super casse-gonade) et de refaire une ligature. Stress maximum pour tous les chirurgiens débutants, surtout sur les grasses.

En pratique, chez la plupart des vétérinaires : vous amenez votre chienne ou votre chatte le matin, vous la récupérez le soir. Elle sera debout, un poil dans le gaz, et prête à faire comme si de rien n'était, en dehors de ce pansement et/ou de ces sutures qui grattent et qu'elle aimerait bien arracher. Elle aura sans doute une collerette. Elle aura peut-être des antibiotiques et des anti-inflammatoires à prendre quelques jours.

Choix chirurgical

Ovario, ou ovario-hystérectomie ?

A ma connaissance, la plupart des vétérinaires français pratiquent en priorité, sur les jeunes animaux non pubères ou à peine pubères, une ovariectomie simple. Les manuels américains semblent privilégier l'ovario-hystérectomie, mais les publications que j'ai trouvées semblent plutôt en faveur de nos habitudes (notamment van Goethem & al., 2006).

En pratique, surtout sur les jeunes chattes qui risquent d'être pleines, c'est surprise à l'ouverture : s'il y a une gestation visible, on enlève l'utérus, sinon on le laisse. Note aux ASV : bien penser à prévenir avant les propriétaires des animaux que le prix ne sera, du coup, pas le même, ça évite des crises à l'accueil, surtout avec ces charmants clients qui téléphonent d'abord à toutes les cliniques de la région pour choisir la moins chère pour opérer minette.

Par les flancs, ou par la ligne blanche ?

Sur les jeunes chiennes, je propose les deux. Si j'ai un doute sur une gestation, c'est ligne blanche (on ne peut pas faire d'hystérectomie par les flancs). je n'ai pas de préférence forte, je laisse choisir les gens, surtout sur des critères esthétiques. Je trouve que la récupération post-op' est un poil meilleure en passant par les flancs, mais ce n'est pas essentiel.

A quel âge pratiquer la stérilisation ?

Le discours classique, c'est : avant les premières chaleurs, au plus tard entre les premières et secondes chaleurs. Pas pendant les chaleurs. Et pourquoi pas sur des animaux très jeunes. Cette chirurgie peut bien entendu être pratiquée sur des animaux plus âgés, ayant déjà eu, ou non, des portées. Rien n'empêche de stériliser une chienne ou une chatte de dix ans. Ou quinze.

La stérilisation très précoce (vers trois mois) ne semble pas augmenter le risque d'apparition d'effets indésirables (je reviendrai sur ces derniers plus bas). Elle possède d'indéniable avantages pratiques, Dr Housecat est vétérinaire et éleveur de chats, il vous explique ici pourquoi il la pratique.

Les avantages de la stérilisation

Les chaleurs

Si votre chatte est ovariectomisée, elle ne miaulera pas comme une perdue pendant une semaine toutes les deux trois semaines pendant 6 mois. Elle ne vous fera pas deux ou trois portées de chatons dont vous ne saurez que faire. Elle n'attirera pas tous les matous du quartier qui viendraient hurler tels des métalleux décidés à expérimenter la sérénade au balcon. Qui du coup ne se sentiront pas obligés de se foutre sur la gueule sous vos fenêtres, voire dans votre maison, si ils arrivent à rentrer. Ils éviteront aussi, du coup, de devenir castagner votre gentil chat castré qui ne demandait rien à personne et se demandait bien pourquoi sa copine s'était ainsi transformer en furie.

Si votre chienne est stérilisée, elle n'aura pas, deux fois par an, ses chaleurs, et tous les chiens du coin ne viendront pas creuser des trous dans votre jardin et pisser sur le pas de votre porte. Vous pourrez vous promener avec elle dans la rue sans avoir l'impression de refaire les 101 dalmatiens. Il n'y aura pas de gouttes de sang sur vos tapis. Mais vous ne pourrez pas lui mettre ces culottes super sexy. Ou alors juste pour le plaisir.

Une chienne ou une chatte stérilisée n'a plus de chaleurs. C'est le but.

Et pas de bébé, du coup.

Les tumeurs mammaires

C'est, en termes de santé, l'argument majeur poussant à la stérilisation précoce des chiennes et des chattes. Pour le dire simplement : le développement des tumeurs mammaires est lié au développement et à l'activité du tissu mammaire. Pas de puberté, pas de cycle sexuel, beaucoup moins de tumeurs mammaires.

Les chiffres sont spectaculaires : le risque de développer les tumeurs mammaires est diminué de 99.5% lorsqu'une chienne est stérilisée avant ses premières chaleurs. Le résultat est presque aussi bon si la chirurgie a lieu entre les premières et les seconde chaleurs. Ensuite, stériliser présente toujours un intérêt, mais moindre. En sachant que les tumeurs mammaires sont le cancer n°1 de la chienne, et le cancer n°3 de la chatte, que les tumeurs sont malignes dans 50% des cas chez les chiennes et plus de 90% des cas chez les chattes, ce seul avantage en termes de prévention justifie la stérilisation.

En passant, concernant les tumeurs ovariennes : elles sont rares, mais évidemment, le risque devient nul après chirurgie.

Les infections utérines

Le pyomètre, littéralement, c'est l'utérus qui se transforme en sac de pus. C'est une infection assez fréquente chez les chiennes âgées, qui passe longtemps inaperçue (pas de perte, ou pertes avalées par la chienne qui se lèche la vulve avant de vous faire un bisou sur le nez). Le traitement peut être médical, mais le risque de rechute et si élevé que l'ovario-hystérectomie est très fortement conseillée.

Mon record sur une chienne berger allemand est un utérus de 4.2kg. De pus. Et je suis sûr que certains ont fait pire.

Les risques de séquelles sont importants, en accélérant notamment l'apparition d'une insuffisance rénale chronique.

Pas de cycle : pas de pyomètre.

Les maladies sexuellement transmissibles

J'en ai déjà parlé dans le billet sur la castration, c'est un avantage essentiel pour les chattes (moins pour les chiennes).

Les inconvénients de la stérilisation

Les chaleurs

Une chienne ou une chatte stérilisée n'a plus de chaleurs. Donc si vous voulez avec une ou plusieurs portée, quelles que soient vos motivations, il est évident qu'il ne faut pas la faire opérer... j'enfonce une porte ouverte, mais je vous assure que ce n'est pas pour le plaisir, on m'a déjà posé la question. Il ne faut jamais sous-estimer les incompréhensions sur les questions de sexualité et de reproduction. Je suis persuadé que les médecins ont plein d'exemples en tête, rien qu'en me lisant. Mauvaise éducation, tabous, je ne sais pas, mais maintenant, je prépare le terrain.

Il est parfois plus facile pour certaines personnes de noyer des chatons que de parler sexualité animale avec le vétérinaire.

L'obésité

C'est le risque n°1. Oui, les chiennes et chattes stérilisées, comme les mâles, ont un risque d'obésité très supérieur à celui des animaux "entiers". Comme chez les mâles, une surveillance sérieuse de l'alimentation permet d'éviter ce danger.

L'incontinence urinaire de la chienne castrée

Ça aussi, c'est un risque réel : la force du muscle qui ferme la vessie (le sphincter urétral), dépend en partie de l'imprégnation en œstrogènes, qui sont des hormones fabriquées dans les ovaires. La stérilisation, chez certaines chiennes, provoque un affaiblissement de ce muscle. La chienne, surtout si elle dort et a la vessie pleine, peut "déborder" : ce sont souvent des mictions involontaires de fin de nuit, plus ou moins marquées. Ce ne sont pas des chiennes qui se pissent dessus toute la journée en déambulant dans la maison.

Ce n'est pas grave, mais c'est pénible, et relativement fréquent. Il existe des traitements efficaces pour ce problème.

Les cancers

Quelques études ont soulevé un risque supérieur (x1.5 à x4) d'ostéosarcome, de carcinome transitionnel de la vessie et d'hémangiosarcome chez les chiennes stérilisées. Ces cancers sont relativement rares (beaucoup plus que les tumeurs mammaires), et cette augmentation de risque ne justifie pas d'éviter la chirurgie.

J'insiste sur ce point, car on lit généralement des articles fracassants dans la presse sur des notions proches, et assez mal comprises, du genre :

Si l'incidence des hémangiosarcomes canins est globalement de 0.2% (sur 1000 chiens pris au hasard, 2 ont un hémangiosarcome), une étude a relevé une incidence de 2.2 x 0.2 % soit 0.44% sur les chiennes stérilisées : sur 1000 chiennes stérilisées, 4.4 ont un hémangiosarcome. Je simplifie le raisonnement et évacue la problématique de la "fiabilité" des études, pour que ce soit simple à comprendre.

Si l'incidence des tumeurs mammaires canines est globalement de 3.4% (sur 1000 chiennes prises au hasard, 34 ont des tumeurs mammaires), cette incidence passe à 0.5 % x 3.4 % soit 0.017 % : sur 1000 chiennes stérilisées elles ne sont plus que 0.17 à avoir des tumeurs mammaires...

Voilà pourquoi je dis que l'avantage est incomparable aux inconvénients sur ces risques.

Au sujet des idées à la con, en vrac

Le bonheur et la nature

J'ai déjà évoqué ce point plus haut. C'est l'argument principal soulevé par les propriétaires, qui craignent que leur chienne ou leur chatte ne soit pas heureuse si elle n'a pas de cycles, ou pas de petits. J'ai cherché pendant des années comment le faire admettre à ceux qui ne peuvent concevoir le bonheur sans enfant. Ou qui trouvent que ce n'est pas naturel. Finalement, c'est un documentaire sur les loups qui m'a donné un argument qui marche presque à tous les coups : dans une meute, seul le couple alpha se reproduit. Les autres ne sont pas malheureux pour autant, et c'est naturel. Notez que pour approximative qu'elle soit, la comparaison marche aussi pour expliquer aux maîtres qu'ils doivent être les maîtres, et qu'un chien dominé n'est pas un chien malheureux.

Et votre chienne ne vous en voudra pas, pas plus que votre chatte.

La perte de caractère

Non, une chienne stérilisée, pas plus qu'un chien castré, ne perd son identité, son caractère, son envie de jouer avec vous, de se barrer chasser les lapins ou rassembler les moutons.

Les ovaires, pas plus que les testicules, ne sont le siège de la personnalité et de l'intelligence.

Les chirurgies exotiques

Non, n'enlever qu'un ovaire, ça ne sert à rien. Je n'ai toujours pas compris pourquoi certains vétérinaires pratiquaient cette opération (des anciens, en général). Si quelqu'un a un indice ? J'ai suppose à un moment qu'ils n'enlevaient que le plus facile à atteindre, et ligaturaient l'autre trompe, histoire de simplifier la chirurgie, mais... en fait je n'en sais rien. Cela dit ça fait dix ans que je n'en ai pas vu.

N'enlever que l'utérus, c'est garder à peu près tous les inconvénients des cycles sexuels, pour n'avoir qu'un avantage, l'absence de gestation. Cliper ou ligaturer les trompes, idem.

mardi 8 mai 2012

Dimanche

Aujourd'hui, c'est dimanche. Je suis d'astreinte : de garde, avec mon téléphone portable même aux toilettes, mais chez moi. Je suis d'astreinte en continu depuis deux jours, mon après-midi de repos précédente, c'était jeudi. La prochaine, mardi. Les journées ont été chargées. Les nuits, moins.

Il est 7h30, je suis dans mon lit, et mon téléphone sonne. Volume à fond, branle-bas de combat. Une voix de femme. Jeune.

- Service de garde.. bonjour ?
- Docteur c'est affreux mon cochon d'Inde a une tique, j'ai peur !
- Zgrmfl mais c'est pas grave, il suffit de l'enlever...
- Mais comment ??? Et puis, il y a les enfants !
- Pfff attendez je vais prendre votre téléphone, je vous rappellerai quand je serai à la clinique...

Suit une séance titubante pour trouver un stylo et un papier, noter le numéro.

- Merci docteur !

7h30. Là, c'est sûr, je suis réveillé maintenant. J'aurais pu l'envoyer chier. Même pas le réflexe. On ne me réveille jamais en semaine pour des conneries pareilles. C'est uniquement les dimanches et jours fériés.
Et moi j'envoie pas chier. Et tout à l'heure, quand je serai à la clinique pour gérer mes hospitalisés, je vais l'appeler pour enlever la tique de son cobaye. Lui montrer comment on fait, lui vendre un crochet à tiques, et même pas lui faire payer le tarif de garde. Mais quel con.

Foutre les chiens dehors, petit dej', twitter, café. Je vais partir assez tôt à la clinique, j'ai des trucs très lourds dans mon chenil, pas que ce soit urgent mais là, tout seul chez moi, je stresse et tourne en rond. Je bouquine un chapitre de mon Ettinger, n'en retiens rien, prends mes clefs et ferme la porte. Je vais aller voter en vitesse, pas sûr que j'aurais le temps plus tard. Au bureau de vote, il y a quelques vieux du village et une assiette de crêpes. Je serre quelques mains en vitesse, engloutis une crêpe tendue par madame le maire, et file en montrant mon téléphone comme une excuse.

"Les urgences, tout ça."

Il est 9h lorsque j'ouvre la porte de la clinique. Le chien qui devrait être mort depuis trois jours va bien. Très bien. Le téléphone sonne, un chien qui refuse de manger, pas joyeux, pas en forme. Alerte piro. Ce n'est peut-être pas ça, mais on ne va pas prendre de risques. En attendant qu'il arrive, j'appelle la propriétaire du cobaye, et administre ses traitement à mon hospitalisé lourd. Le chat opéré hier soir va très bien, pas d'inquiétude, il ronronne peinard dans sa cage avec ses morphiniques, sa litière, sa gamelle et son coussin. N'a pas touché à sa perf', comme souvent les chats. Je lui fous la paix. Il est apaisant.

Le propriétaire du jeune chien pas en forme arrive vite, pas le temps de promener le chien hospitalisé. On verra après. Un jeune lab', qui remue à peine la queue alors que d'habitude, rien ne le démonte. Son maître a eu raison de me l'amener. Il n'a pas de fièvre, l'examen clinique est normal, le frottis piro négatif, il n'est même pas franchement malade, mais il y a un truc.

Il a mal, forcément. Le ventre est souple mais il me regarde d'un air accusateur lorsque je le palpe.

"Il a tendance à manger des conneries, ce loulou ?
- Heu, non, ça lui a passé depuis quelques mois déjà."

J'enfile un gant, que je fais claquer comme dans les séries. Un doigt dans le rectum, des fragments durs, des gouttes de sang. Qu'est-ce qu'il a mangé ce con de chien ?

Des morceaux de bois.

Antalgiques, antibiotiques en couverture, paraffine, on revoit demain si ça ne va pas mieux : m'étonnerait qu'il faille lui ouvrir le ventre, à celui-là.

Pendant la consultation, la dame au cobaye est arrivé. J'ai enlevé la tique avec le petit crochet qui va bien, je lui ai montré comment faire. Quatre euros cinquante, le prix du réveil le dimanche, le prix pour être rassurée même si ce n'était rien du tout. Je trouve ça très con, et je ne vois pas comment faire autrement, là. Je renvoie la dame chez elle avec son cochon d'Inde. Il n'y a pas à dire, je sauve des vies. Je me dis que je comprends les généralistes qui n'assurent plus leurs gardes, vu que de toute façon les vraies urgences filent aux urgences, et qu'il ne reste que ce genre de conneries.

Il est 11h00, et le voisin arrive avec son chien. C'était prévu depuis hier. Ce papy setter s'est descendu une bassine de gras l'avant-veille, et ça a du mal à passer. Je préfère jeter un œil, même si les choses semblaient se dérouler normalement, hier. Il nous a déjà fait une hépatite, une pancréatite, une prostatite, une uvéite, manquerait plus qu'il nous refasse un joyeux mélange de tout ça sur son indigestion carabinée. Pas de selles depuis la veille, mais plus de vomissements non plus. Je fais une radio, histoire de vérifier l'absence d'image d’iléus. RAS en dehors de son arthrose et des plombs qu'il a pris il y a des années. Je remets des antalgiques, on verra demain.

Je promène le chien hospitalisé, renseigne un quidam qui a trouvé un chien, pucé heureusement, renvoyé dans ses pénates immédiatement. Ça aussi c'est du service public : je ne facture jamais rien pour ce genre de trucs, sauf si je garde le chien le temps que le maître puisse le récupérer...

Enfin, il est midi et j'ai fini mes urgences. Je vérifie mes perf', fais le tour de la clinique, ferme la porte.

Devant la mairie, les gens sont attroupés au soleil. Il y a la queue entre la boulangerie, le tabac et la mairie. Mais ici, ils n'ont pas de crêpes.

Deux heures moins dix, j'ai eu le temps de manger, cette fois. Le téléphone sonne à nouveau.

Un vêlage. A l'autre bout de la clientèle. Je choppe une chupa au passage, en guise de dessert. Pastèque, ma préférée.

Vingt minutes de route, je fais un détour par la clinique pour attraper l'embryotome, au cas où.

Le téléphone sonne, sur la route. Un chien qui s'est arraché une griffe. Il a mal, forcément, mais ce n'est pas grave. Je donne quelques conseils à la dame, qui voudrait quand même me le montrer. Je lui explique que je pars sur une grosse urgence, que j'en ai peut-être pour une heure ou deux. Je la rappellerai.

La petite étable est ouverte aux quatre vents. Il fait un froid glacial malgré le soleil, mais ma chasuble de vêlage coupe bien le vent. Le gars n'est pas trop habitué à me voir dans ce rôle. Avec ses 15 salers, on ne fait jamais d'obstétrique chez lui. Il a eu un bon réflexe : repérer la bête "malade", la remonter à "l'étable", repousser le veau déjà à moitié engagé. J'enfile mes gants, plonge mes bras dans la chaleur de la matrice. La jeune vache n'apprécie pas, mais ne dit rien. Le veau est là, présentation antérieur. D'après l'éleveur, il avait une patte pliée. Une bricole, mais bon, quand on n'a pas l'habitude... Le souci, c'est cette sensation de vide, d'air dans l'utérus. Normalement, l'utérus, même atone à cause de l'épuisement, ça colle fort au veau, il n'y a pas des masses de place. Là, j'ai l'impression de balader mes mains dans une cathédrale de muqueuses. Et de sentir trop bien le rein gauche, la panse, là en bas. Percée. J'enlève mes gants pour en voir le cœur net, sentir les détails : une vraie catastrophe. Elle est déchirée, depuis le vagin jusqu'à, sans doute, la moitié de l'utérus, avec, évidemment, le col en vrac au milieu. Coup de bol, les artères n'ont pas pris, et le veau est encore en vie. Je glisse mes doigts sur les limites de la déchirure, sens passer un ovaire.

Et après tout, pourquoi pas ?

Je fais une tronche d'enterrement, l'éleveur et sa femme ont changé de visage en voyant le mien.

"Bon, votre veau a tenté de sortir par césarienne, mais tout seul. Il a bien réussi l'ouverture de matrice, même si ça fait plutôt incision de débutant, mais pour le péritoine, les muscles et le cuir, il a merdé. Je vais finir le travail : ouvrir là (je monter le flanc), on sort le veau par le trou qu'il a fait, et je referme tout le bordel. C'est un foutu chantier, il y en a pour deux heures sinon plus, ça peut rater, elle peut mourir de choc (elle fait déjà bien la gueule), ou faire une péritonite dans les jours qui suivent. Le veau, ça devrait aller. Il me faudrait deux seaux d'eau, froide ça ira."

Ils hésitent. A la fois choqués - ils n'ont jamais vu un truc comme ça - et rassurés par mes tentatives humoristiques. Je sais ce que j'ai à faire, je suis sûr de moi, et ils le sentent. Ils me font confiance. Il y a une sensation de puissance étrange dans ces instants. Ce genre de chirurgie, tous les vétos ruraux s'y sont essayés. Avec, je suppose, des succès variés. Ça ne s'apprend pas à l'école, ça ne s'apprend pas tout court. C'est le bordel, on ne sait pas ce que l'on va trouver en ouvrant, on a notre petite boîte de chir' et nos mains, on est tout seul. C'est exaltant. Surtout quand on l'a déjà fait et que l'on sait que ça peut marcher. La première fois que cela m'est arrivé, j'ai du "inventer" cette chirurgie. Depuis, j'ai un peu peaufiné. Ce matin, j'ai enlevé une tique du cou d'un cobaye. Là, la vie d'un veau et d'une vache dépendent de ce que je vais faire. Non que seule ma compétence compte : même en travaillant bien, elle peut y rester. Mais si je ne fais rien, elle mourra.

Le temps que je savonne la bestiole, anesthésie le flanc, ligote les postérieurs et pose une mouchette (dans le désordre), madame est revenue avec des seaux. Je dispose ma boîte de chir', sors mes fils, ma lame. Je me désinfecte les mains, les bras. Explique au monsieur comment tirer le veau, quand je le lui présenterai. Il est nerveux, se roule une cigarette, qu'il rallumera 100 fois pendant la chirurgie, vu le vent.

J'incise, esquive un coup de pied pas trop vaillant et de toute façon bridé par mon huit aux jarrets. Ça a le cuir épais, une salers. je crois que c'est la première fois que j'en ouvre une. Dessous, deux fines couches musculaires, puis la cavité péritonéale. Je repousse la panse vers l'avant, glisse mes bras derrière. L'ouverture est là. Depuis le milieu de la corne gauche jusqu'au vagin. Plutôt rectiligne. Le veau n'est pas trop mal placé pour une extraction. Je sors ses pieds, les tends à l'éleveur, qui place les lacs et, avec mon aide, extrait facilement le bestiau. Le veau est secoué, a du mal à respirer. Un coup d'analeptiques, et ça repart. Je le surveille trois minutes avant de retourner me laver puis désinfecter les mains. C'est maintenant que les choses sérieuses commencent.

Nous sommes sur une petite route de campagne, et l'étable est ouverte du côté de la route. Il y a un passage monstre, avec les élections. Les gens s'arrêtent comme ils s'arrêtaient à la sortie de la mairie, discutent. Il y a des voisins, des vieux, des jeunes, une petite fille de six ans qui voudrait savoir si ça fait mal, et pourquoi le veau tremble comme ça. Elle aussi, elle a froid. Une dame sort une couverture du coffre de sa voiture pour abriter le veau, et enfile son blouson à la petite.

Je suis dans ma chasuble vert poubelle, les bras jusqu’aux coudes dans l'abdomen de la vache. Suture intégralement à l'aveugle, pas moyen d'extraire la matrice, même partiellement. J'appelle ça la suture au doigt : je me pique régulièrement pour bloquer la pointe de l'aiguille. Je serre mon surjet sur mes phalanges, me scie les articulations. Alors que j'écris ce billet, je compte douze coupures et piqures sur mes doigts. Les seules douloureuses sont celles de la deux-trois phalangienne de chaque index. Là où le fil passe quand je serre. Le premier surjet est le plus hasardeux. Le ligament large et les débris de placenta me gênent. La coupure est mal foutue. Con de veau. Il me faut pas loin de trois quart d'heure pour finir ce premier surjet. Pas parfaitement étanche, mais pas loin. Le second, enfouissant, me prendra une petite demi-heure. Du plaisir de faire un surjet en ne prenant que la séreuse et la musculeuse, sans traverser la muqueuse, lorsqu'on ne voit rien et qu'on a les deux bras dans la vache...

Une vieille dame me regarde travailler, souriante. Elle avait des vaches, avant, je ne les ai jamais connues. Ils ne parlent pas politique, aucun. Ils discutent, de la petite du voisin, des brebis, de la pluie, du beau temps, d'un baptême, de l'herbe qui pousse et du veau qui est gros, mais pas tant que ça. Ils parlent de tout, ils parlent de leur essentiel. Ils évoquent le véto qui était là avant moi, et qui est mort. Les Pyrénées sont splendides sous le soleil.

Je me sens utile, même si, finalement, ils ne s'intéressent pas tant que ça à moi.

J'ai fini mes surjets. Un monsieur, le père de l'éleveur, je crois, veut savoir quelle longueur de fil a été nécessaire : 2m50. Il n'en revient pas. Quelqu'un que je n'ai vu ni arriver, ni partir, vient de revenir avec une bouteille de colostrum empruntée au voisin laitier. Sortie du congel' et réchauffée au bain-marie.

Je fais vider un flacon de pénicilline dans l'abdomen de la vache. Plus par habitude que par réel souci d'efficacité, mais ça "parle". Ça aurait aussi bien marché en intra-musculaire. Premier surjet musculaire, second surjet musculaire. Cette fois, ça va très vite. Je suture le cuir, un joli montage à points passés. en esquivant les savates - la peau est toujours mal anesthésiée en fin de chirurgie...

J'ai terminé.

Reste à faire le ménage, m'enlever le sang de tout partout. L'eau des seaux n'est pas froide, elle est chaude. J'en pleurerais de plaisir, moi qui ne suis pourtant pas frileux.

Dans ma voiture, le téléphone chante les messages sur le répondeur.

Les gens sont partis. Mais le veau a toujours sa couverture.

J'explique un peu le post-op' à l'éleveur et à son épouse. Rien de bien compliqué. Ils sont dramatiquement confiants.

C'est une belle journée, même en plein vent.

Sur mon répondeur, un message, un chat blessé. Je pense à la dame avec son chien a la griffe arrachée, quand un chasseur m'appelle : il vient de faire ouvrir un chien au parc... Je donne rendez-vous aux deux en même temps. Le premier arrivé passera le premier sur la table de chir', le second sera hospitalisé. Je rappelle pour le chien avec sa griffe, m'excuse et explique à sa propriétaire que j'ai d'autres animaux à prendre en charge en priorité. Elle l'admet très bien, me demande quelques conseils. Elle ira le lendemain chez son vétérinaire habituel (qui ne fait pas ses gardes...).

A la clinique, je patiente un peu, range quelques papiers, regarde de loin ma 2035. Je me connecte sur Twitter. #radiolondres, et le gazouillis habituel. C'est le printemps.

Le chasseur arrive le premier. Un bon gros chien de chasse qui en a vu d'autres, une belle ouverture à la cuisse. Un petit trou sur l'abdomen. Largement de quoi justifier une anesthésie générale. J'ai le temps de poser mon cathéter et brancher ma perf' quand le chat arrive. Un gros matou manifestement plus qu'à moitié sauvage, avec une vilaine blessure au cou, probablement un vieil abcès percé. Bien dégueulasse. Je discute trois minutes, propose de le castrer en profitant de l'anesthésie. La dame est d'accord - ça lui apprendra à se battre, comme elle dit - j'hospitalise, elle le reprendra le lendemain.

Il est 17h passées et j'ai deux chirurgies qui m'attendent.

J'endors rapidement le gros chien. La plaie à la cuisse ne nécessite presque pas de suture musculaire, mais un drain ne fera pas de mal. Le trou abdo, finalement, ce n'est rien. Une demi-heure de boulot, et je laisse le chien se réveiller en expliquant les traitements et consignes pour la suite.

Il est 18h lorsque je tente d'endormir le chat. Je réussis mon injection, mais en bon gros matou costaud et à moitié sauvage, il essaye de me bouffer, m'échappe et ravage ma salle de préparation, avant de se réfugier sous une armoire. Nous avons laissé exprès l'espace nécessaire à un chat pour se planquer là, pour ce genre de cas. Je tue le temps de l'induction en faisant les soins à mon gros chien hospitalisé, qui continue de défier les pronostics, et en babillant sur twitter.

Pose de cat', perf. Le téléphone sonne à nouveau. Un veau, très mal. J'indique à l'éleveur que je passerai après avoir fini ma chirurgie. Le parage de l'abcès me prends une grosse vingtaine de minutes, la castration cinq de plus. Je remets le chat en cage, vérifie que tout va bien, et je repars.

Le veau est à dix minutes de route de là. Il est 19h20 lorsque je l'examine. Douleur majeure, à en claquer. Une vilaine diarrhée hémorragique, une bonne fièvre. Coli, salmo ou coccidies ? Je pense pour les dernières, mais les fragments de fibrine et de nécrose dans la diarrhée me font douter. Le veau est mal, en tout cas. Dans le doute, je traite pour les bactéries comme pour les protozoaires, prends un échantillon, et surtout, je soulage la douleur. A 19h45, je suis de retour à la clinique, je mets la diarrhée à décanter pour une coproscopie. J'ai le résultat à 20h00. Normal. Coccidiose massive. Jamais vu autant de ces saloperies par champ (zone éclaircie, là, pas moyen de prendre la photo avant d'avoir dilué, ça ne rendait pas, mais l'idée était un peu la même que pour ces coccidies de lapin).

Eimeria bovis

Je ne rappelle pas l'éleveur, de toute façon il viendra demain pour la suite du traitement, si le veau a survécu, ce qui est loin d'être gagné.

Moi, je promène le chien hospitalisé. Un gros cœur de malamut. Nous avons un nouveau président de la république, twitter gazouille tant que je n'arrive plus à suivre, et mon chat opéré de la veille est toujours là, et pète le feu. Celui à qui je viens de parer l'abcès et couper les roubignolles se réveille gentiment.

Je laisse un message aux propriétaires du malamut, et la salle de préparation à la femme de ménage. Dans un état lamentable, j'en suis désolé pour elle, mais je n'en peux plus.

Je referme la porte. Klaxons de joie dans le lointain.

Il est 20h40 quand j'arrive chez moi. Je vais me coucher tôt. Une grosse journée m'attend demain.

mardi 20 septembre 2011

Toxicité des pyréthrinoïdes chez le chat

Comme régulièrement, je lis sur le net un post ou un billet rapportant une intoxication à la perméthrine chez un chat. Les commentaires sous cet article alternent le pire comme le meilleur, entre indignation sincère mais sans recul, et informations pertinentes et foireuses (et qui a pris garde à la réponse d'un membre de la société commercialisant ce produit, au fait ?). Je vais donc me fendre d'un billet, histoire de casser une ou deux idées reçues, et confirmer ou infirmer certaines affirmations.

Les pyréthrinoïdes sont nos amis

Les pyréthrinoïdes sont une famille d'insecticides dérivés des pyrèthres, des insecticides végétaux utilisés depuis des millénaires et issus du chrysanthème (on dirait une intro de dissert', non ?). Les plus anciens sont, par exemples, l'alléthrine et la phénothrine : c'est facile, les scientifiques leur ont collé un suffixe en -thrine, si vous regardez les étiquettes des produits que vous avez à la maison. On peut citer, par ordre d'apparition et pour aider Google à trouver ce billet : la perméthrine, la cyperméthrine, la deltaméthrine et le fenvalérate (oui des fois les scientifiques, ou en tout cas ceux qui donnent leur nom aux molécules, se lassent d'une bonne idée).

Peu ou pas utilisées au début du vingtième siècle, ces molécules sont revenues en grâce parce qu'elles sont rapidement dégradées dans l'environnement, et donc peu polluantes (ce qui ne veut pas dire pas polluantes, mais à côté du DDT ou du lindane, c'est de la rigolade). Si vous deviez faire un bain de pyréthrinoïdes à votre chien pour le débarrasser de ses aoûtats, laissez l'eau dans la bassine en plein soleil, la molécule sera rapidement dégradée. Ne balancez pas le produit non dégradé dans vos massifs de fleurs (ouille les abeilles et les autres) ou dans la mare d'en bas (boum les notonectes, et aussi les poissons, d'ailleurs, j'y reviendrai). Et non, en mettre sur votre chien n'est pas dangereux pour l'environnement, d'autant que les abeilles ne butinent pas ses cages à miel.

Ces molécules sont des neurotoxiques, chez les insectes comme chez les mammifères. Pourtant, on les utilise largement pour traiter, d'une part l'environnement domestique (lutte contre les puces essentiellement) et les animaux eux-mêmes. Mais pas tous, et pas n'importe comment !

Chez le mammifère, le produit est appliqué sur la peau, via shampooings, sprays et spot-on.
Il diffuse très lentement vers le sang : la dose reçue par l'organisme à un instant donné est donc très faible.
La destruction, puis l'élimination des pyréthrinoïdes (notamment par le foie, mais aussi dans la peau et le sang) est par contre très rapide : il n'y a donc pas de stockage significatif (dans le cadre d'une dose normale !) dans le corps, et notamment là où c'est dangereux : le système nerveux.
Si l'animal lèche le produit qui lui a été mis sur la peau, pas de panique : l'absorption digestive est faible, et le produit qui passe dans les veines mésentériques est détruit dans le foie. La toxicité digestive, par irritation, est liée aux excipients (les produits qui servent à aider les pyréthrinoïdes à rentrer dans la peau), et elle est de toute façon très modérée avec les produits destinés aux animaux de compagnie.
La tolérance est donc très élevée chez les mammifères. Pas de risque, donc, d'intoxiquer votre chien, votre cheval ou votre vache, ou vous-même, en lui en appliquant sur la peau, ou même si, en se léchant, votre animal avale tout ou partie de sa dose.

Pas de risque non plus de surdosage, à moins de faire vraiment n'importe quoi (le flacon entier de produit pour vache sur le caniche, ça finira mal, oui).

D'ailleurs, d'une manière générale, lisez attentivement la notice des antiparasitaires que vous achetez, et respectez les indications qui s'y trouvent. On vous dira de respecter le dose, de ne pas l'utiliser sur des femelles en gestation, sur de très jeunes chiots (< 6 semaines)...

Les pyréthrinoïdes et les chats : l'arme fatale du CCC

En ce qui concerne les chats : ces animaux ont un sévère défaut en une enzyme de détoxification banale (chez les autres mammifères), la glucuronyltransférase. Son boulot est de coller sur des produits toxiques un espèce de tag qui dégrade la molécule et la destine aux ordures. Je le redis en français : un toxique arrive dans le foie, les cellules du foie le prennent en charge, le reconnaissent pour "étranger et indésirable", essaient de le couper en petits bouts et lui collent sur la tronche une étiquette sucrée qui abîme le produit toxique et le fiche à la poubelle. Sauf que chez le chat ce processus d'étiquetage ne fonctionne pas du tout. C'est valable pour les pyréthrinoïdes, mais aussi pour nombres d'autres molécules "étrangères" au chat, comme le paracétamol (je ferai un billet sur le sujet, promis) ou nombres d'huiles essentielles.
Edit : on me signale en commentaire que ce n'est pas ce mécanisme là qui est la cause de la toxicité des pyréthrinoïdes chez le chat, contrairement à ce qu'on a longtemps pensé (ce qui ne change rien à la toxicité, mais c'est néanmoins très intéressant).
Et pour ceux qui se posent la question : oui, je simplifie l'extrême complexité du métabolisme hépatique, si vous voulez aller plus loin je vous conseille un bouquin de toxicologie et de physiologie hépatique.

La perméthrine et ses copains sont donc hautement toxiques pour les chats !

Les symptômes les plus souvent décrits chez les chats sont des tremblements musculaires, une myoclonie, de l'hyperesthésie, des convulsions, de l'hyperthermie, de l'hypersalivation, de l'ataxie, une mydriase voire une cécité temporaire (par ordre décroissant de fréquence). Ils commencent à apparaître dans les 1-40h suivant l'application d'un spray ou spot-on (médiane 8 heures).

La bonne nouvelle, c'est que ces symptômes sont réversibles.

La mauvaise, c'est que le chat risque de mourir, le temps qu'ils disparaissent.

Le boulot du vétérinaire est donc essentiellement de maintenir le chat en vie et de gérer les complications.

Si vous avez du temps à perdre avant d'amener votre chat empoisonné à votre véto (mauvaise idée, mais supposons que vous attendez un taxi, ou que la route sera très longue), lavez votre chat à l'eau tiède (pas chaude, pas froide !) avec du savon s'il a le produit sur la peau.

Vous pouvez traiter l'environnement (la maison) avec ces molécules, même si vous avez des chats, mais pas en leur présence. Ne les laissez pas rentrer avant d'avoir bien aéré. Choisissez une formulation en diffuseur, qui ne risquera pas de laisser des dépôts comme un produit à diluer dans un seau et à passer sur le sol, par exemple. Vous mettez le diffuseur en action, vous partez, vous revenez trois heures plus tard, vous ouvrez tout en grand, et quand c'est bien aéré, vous laissez les chats rentrer.

Si vous mettez sur votre chien un spot-on à base de pyréthrinoïdes, et qu'il est très proche de votre chat, séparez les, histoire que le chat ne s'allonge pas sur son dos et ne se prenne pas le produit.

Attention : ces produits sont très toxiques pour les poissons (et les batraciens). Évitez d'utiliser les diffuseurs pour l'habitat si vous avez un aquarium !
Les oiseaux y sont par contre très résistants.

En passant, parlons "chimique" vs "naturel"

Alors vous allez sans doute vous dire : "bon, ok, il dit que c'est pas dangereux si c'est bien utilisé, mais dans le doute, je voudrais un truc plus naturel".

Déjà, n'oubliez pas que les produits naturels sont tout aussi chimiques que les produits artificiels, cette distinction ne veut rien dire. On peut parler de degré de purification, de complexité, de potentialisation ou de tout un tas de truc, mais si c'est actif, c'est grâce à la chimie. Et l'homme n'a pas plus inventé la chimie que l'électricité. Les pyrèthres sont chimiques et naturels, comme l'azadirachtine de l'huile de neem, le curare ou la digitaline. Efficaces et dangereux.

Vous lirez sans doute, au détour du net, un article ou un post sur un forum conseillant l'utilisation d'huiles essentielles, comme celle de Tea-Tree. Encore une fois, prenez garde aux huiles essentielles ! Ce n'est pas parce que quelque chose est naturel que ce quelque chose est bon, ou meilleur qu'un produit de synthèse, que ce soit en termes d'efficacité, ou d’innocuité. Tout le monde sait qu'il y a plein de plantes toxiques, que la dose fait le poison, etc... Ben c'est pareil pour les huiles essentielles. Dans le doute, abstenez-vous, et n'oubliez jamais que les chats sont particulièrement sensibles à tout un tas de produits inoffensifs pour d'autres mammifères (et maintenant vous savez même pourquoi).

Alors, oui, je sais qu'on va encore me dire que l'aromathérapie, c'est super, etc. Bon, soyons clairs : je n'y connais rien. Je sais que les huiles essentielles sont pleines de molécules chimiques très actives, et qui peuvent être très efficaces, donc non, a priori, je n'ai rien contre les huiles essentielles. Par contre, qui a sérieusement (je veux dire, vraiment sérieusement, pas juste lu trois bouquins !) étudié le sujet ? Qui peut me donner le titre d'un livre plein de références sérieuses, de publications scientifiques, en double aveugle et tout le reste ? Sans ce type d'études fiables, on en reste à une méthode d'essais-erreurs sur des cas individuels, d'approximations et d'application de recettes dont personne ne connaît la source. Et avec ce genre de méthodes, je continuerai à voir des chats intoxiqués aux huiles essentielles, et des peaux de chiens cramées par des shampooings en contenant. Non, pas à chaque fois, pas dans tout les cas, les pures sont dangereuses, les diluées moins, ok, dans quelle mesure ? Quelle est la marge de sécurité pour la propriétaire d'un chat qui veut bien faire et utiliser des produits naturels pour ses animaux ? Et vous rendez-vous compte de votre responsabilité quand vous propagez ce genre de recettes ?

Notes diverses

Parce que les conflits d'intérêt, c'est pas pour les chiens :
Je suis vétérinaire : oui, je prescris et vends des produits à base de pyréthrinoïdes, mon billet devrait suffire à vous expliquer pourquoi. C'est pour cela que je les connais bien. Non, je ne fais pas fortune grâce à eux, et ne suis lié à aucune société en commercialisant, autrement que par ma relation de détaillant à un fournisseur. Je ne vends pas ces produits comme je vendrais des baguettes de pain : il y a des indications, des contre-indications, des usages recommandés et efficaces, d'autres qui ne le sont pas. Des alternatives, aussi. C'est mon boulot, de conseiller mes clients. N'hésitez jamais à demander conseil à votre vétérinaire !

Parce qu'avec des publications scientifiques, c'est mieux :
Clinical effects and outcome of feline permethrin spot-on poisonings reported to the Veterinary Poisons Information Service (VPIS), London
Feline permethrin toxicity: retrospective study of 42 cases
Poisoning due to Pyrethroids
Pyrethroid insecticides: poisoning syndromes, synergies, and therapy
Use and abuse of pyrethrins and synthetic pyrethroids in veterinary medicine
Tea-Tree :
Toxicity of melaleuca oil and related essential oils applied topically on dogs and cats
Australian tea tree (Melaleuca alternifolia) oil poisoning in three purebred cats (texte intégral)

Mes remerciements aux twittos qui m'ont donné un coup de main pour la rédaction de ce billet, spécialement à @Emita__

dimanche 21 août 2011

Pas de miracle

- Tiens, regardez au microscope, vous allez voir le coupable.
- Mais elle est horrible cette bestiole docteur !

Otodectes cynotis

- Et bien, c'est une simple gale d'oreille, ce n'est pas grave du tout ! Et cela se traite très simplement. Nous allons utiliser une pommade auriculaire à base d'ivermectine...
- Non, pas de truc chimique dans son oreille !
- Alors on peut utiliser un spot-on, on va lui mettre quelques gouttes sur la peau, et je vous conseille de renouveler le traitement...
- C'est chimique ?
- Heu, oui, c'est un médicament...
- Alors non, je veux pas de produit chimique.
- Dans ce cas laissez-moi vous déconseiller les huiles essentielles, qui sont souvent toxiques pour les chats.
- Je veux autre chose, de naturel.
- Il n'existe pas d'autre médicament que je puisse vous recommander...
- Et alors on fait comment ?
- Soit vous changez d'avis, soit vous allez à Lourdes.

Quelques jours plus tard, sur un post-it :

Mme Baïsole n'est pas contente du tout, elle a été à Lourdes et cela n'a servi à rien. Elle veut être rappelée.

dimanche 15 mai 2011

Toxoplasmose : Foutez la paix aux chats !

- Clinique vétérinaire, bonjour.
- Bonjour, c'est madame Dupin, je voudrais prendre rendez-vous pour l'euthanasie du chat de ma belle-fille, madame Létang. C'est Caramel, il est soigné chez vous.
- Heu... mais qu'est-ce qui lui arrive, à Caramel ?
- Ma belle-fille est enceinte, vous comprenez ?
- Bien. C'est elle qui l'amènera ? Je la recevrai personnellement.
- Merci docteur, je viendrai aussi pour la soutenir, ce n'est pas facile pour elle.
- Parfait, nous pourrons parler ensemble de tout ça.
- Merci d'être aussi compréhensif, docteur !

- Clinique vétérinaire bonjour ?
A l'autre bout du fil, des pleurs.
- Madame ? Il y a une urgence, vous voulez m'amener votre animal tout de suite ?
- Non je veuuux pas mais la gynéco elle m'a dit qu'il fallait que je me débarrasse du chat parce que je suis négatiiiiiiive.
- Bien, alors vous allez venir, sans le chat, nous allons discuter, puis vous envisagerez de vous débarrasser de votre gynéco.

- Bonjour, j'ai chopé la toxo alors mon docteur il m'a dit que mon chat était malade, du coup je viens pour vous le montrer.
- Ah, il faudra que j'envoie une boîte de chocolats au docteur alors. Il est vraiment malade, votre chat ?
- Ben, maintenant que vous le dites... non.

Bon, vous pouvez remplacer la gynéco par une sage-femme, un généraliste ou ce que vous voulez. Même le pharmacien s'y est mis. Oh, pas tous hein, n'exagérons rien. Mais j'ai quand même une belle collection d'appels de ce style. Mes ASV me demandent régulièrement confirmation de l'inanité de l'idée de se débarrasser du chat, elles finissent par s'y perdre avec toutes ces affirmations péremptoires de médecins ou de sages-femmes qui ont mal digéré leurs cours sur la toxoplasmose.

Celui à qui je dédie ce billet est médecin. J'ai fini par l'appeler...
- Oh oui, je sais bien que le risque de transmission de la toxo par un chat à un humain est nul, mais vous comprenez, mieux vaut être prudent, ça ne coûte rien.
- Heu... si. Ça coûte un chat.
- Oui, enfin entre un chat et un bébé...

C'est l'argument imparable. On ne prend pas de risque quand la santé d'un fœtus est en jeu. Je comprends l'idée, hein, mais qu'est-ce qu'elle est conne bordel ! Parce que dans ce cas, expliquez-moi pourquoi on laisse les femmes enceintes conduire, travailler, marcher dans la rue, fréquenter des êtres humains pleins de microbes, prendre des médicaments, manger autre chose que des aliments stérilisés... Enfermons-les, pour le bien du bébé et de l'humanité ! Et ne les laissez pas aller sur Facebook, non plus, même si elles s’emmerdent à rester enfermées à la maison (demandez à Marion pourquoi).

A l'école véto, le but était d'avoir la moyenne à l'examen de parasitologie. Comme dans les autres matières. Une réponse fausse concernant la toxo était éliminatoire, direction septembre et les rattrapages.

Un toxoplasme, c'est quoi ?

Il y a plein de sites qui l'expliquent un peu partout sur la toile, mais vu que j'ai décelé des conneries en sélectionnant au pif, c'est reparti pour un tour. La page wikipedia semble bien, si vous devez choisir.

La toxoplasmose est une maladie provoquée par la présence d'un microbe de la catégorie des parasites (pas une bactérie, ni un virus, donc), appelé Toxoplasme gondii. C'est un parasite, mais ce n'est pas un ver : il est microscopique. Rien à voir avec les Toxocara que votre chaton vous a joyeusement dégobillé sur le plancher l'autre fois (si, si, vous savez, les spaghettis qui se tortillent et qui font que le vomi part en rampant).

La plupart des parasites ont une vie compliquée, qui implique de passer d'un hôte à un autre. Un hôte, c'est vous, c'est moi, et plein d'autres bestioles (mammifères, insectes, mollusques, ça dépend des parasites).

Il y a des hôtes définitifs (le parasite se multiplie sexuellement dans cet hôte, mais non, ce n'est pas sale, des vers font ça tous les jours dans votre intestin), et des hôtes intermédiaires (dans lesquels les parasites ne font que passer, en général en y gagnant un peu de maturité, il faut savoir varier les expériences quand on grandit). Pour le toxoplasme, l'hôte définitif, c'est le chat. L'hôte intermédiaire, c'est n'importe quel animal à sang chaud (nous compris).

Le chat se contamine en ingérant des proies dans lesquelles les ookystes (voir plus bas) de toxoplasmes sont enkystés : oiseaux, souris, etc.

Il se contamine pour la première fois de sa vie ? Les toxoplasmes se multiplient dans son intestin et finissent par "pondre" des "œufs" (ookystes de leur vrai nom) qui vont être éliminés avec les selles. Ces ookystes ne sont pas immédiatement contaminant (comme des œufs qui viendraient d'être pondus : si on les ouvre le poussin est plus un embryon qui s'étale au sol qu'un petit piou-piou tout mignon). Si vous mangez le caca frais du chat, vous ne pouvez pas choper la toxo. C'est valable pour les poussières de matières fécales qui se trouvent sur son pelage lorsqu'il vous colle son trou de balle dans la figure en vous faisant des câlins. Les ookystes sporulent (et deviennent contaminants) en deux à cinq jours dans un milieu favorable (la terre du potager et la litière du chat sont des milieux favorables).

L'hôte intermédiaire (un humain ou un animal) ingère des ookystes sporulés de l'environnement (attention aux légumes mal lavés, à la terre, aux litières dégueulasses). Les toxoplasmes filent dans le sang, partout dans le corps, se multiplient et forment des kystes, notamment dans les muscles. On peut aussi attraper le toxoplasme en mangeant ces kystes microscopiques qui se trouvent dans la viande des hôtes intermédiaires (ovins, bovins, porcs, humains, etc.).

Quelles sont mes chances d'être contaminée par un toxoplasme ?

La toxoplasmose est généralement dépistée par des analyses sérologiques : on fait une prise de sang, et on regarde si le corps a des défenses contre les toxoplasmes, ce qui prouve qu'il a été en contact avec le parasite. On ne cherche pas le parasite, puisqu'il est en général enkysté dans les tissus, endormi et silencieux. Une séro positive ne permet pas de dire quand on a été en contact avec le parasite (même s'il y a des méthodes pour savoir si c'est ancien ou récent).

Selon les études, 25 à 45% des chats domestiques sont séro positifs.
On estime que 1% des chats sont excréteurs à un moment donné.
Et seules les selles qui ont eu le temps de traîner dehors sont potentiellement infectieuses.
Les chats ne sont excréteurs que pendant quelques jours à quelques semaines de leur vie, le temps pour eux d'obtenir les défenses adaptées suite à une primo-contamination. Des chats atteints de maladies immunodépressives (SIDA du chat, leucose féline) peuvent être excréteurs plus longtemps. On peut leur faire des sérologies : si la sérologie du chat est positive, il a de bonnes défenses, il n'est pas excréteur. Si elle est négative, il pourrait l'être ou le devenir s'il rencontre des toxoplasmes. D'ailleurs, il y a tellement de nuances que faire ces sérologies n'a aucun sens : mieux vaut avoir de bonnes pratiques d'hygiène, sur lesquelles je reviendrai plus loin.

La toxoplasmose, ça fait quoi ?

A un adulte en bonne santé, rien dans 80% des cas. Un bon syndrome fébrile avec pas mal de fatigue pour les 20% qui restent.
A un chat, pas grand chose non plus : au pire, une gastro-entérite fébrile, j'en diagnostique de temps en temps. Les ovins avortent bien, par contre.
Et c'est ce genre de risque qui intéresse la femme enceinte et qui fait la triste célébrité de la toxoplasmose : une infection pendant la grossesse peut avoir de graves répercussions sur la gestation, allant de l'avortement à la naissance d'un enfant atteint de troubles congénitaux. Les risques et les conséquences varient selon le stade de gestation, je n'y reviens pas, c'est assez bien expliqué ici et en de nombreux autres endroits.

Mais c'est horrible, il faut que je me débarrasse de mon chat !

Non !

Au début de votre grossesse, on vous fera une sérologie pour vérifier si vous avez déjà été en contact avec le toxoplasme. Il ne faut vous inquiéter de ça que si vous êtes séronégative.

J'ai eu un jour une discussion complexe avec une jeune femme enceinte à qui on avait très mal expliqué certains termes médicaux. Son chat était mort du FIV, le SIDA du chat. Son gynéco lui avait dit qu'elle était séropositive. Pour elle, séropositive, ça voulait dire "atteinte par le SIDA". Elle avait demandé si c'était son chat qui avait pu lui donner ça, le gynéco avait répondu oui, en pensant, évidemment, à sa séro toxo. Elle ne m'avait pas cru lorsque j'avais compris, et lui avais expliqué, la confusion. Donc hop, j'en profite pour le redire ici : le SIDA du chat et le SIDA de l'homme sont deux maladies différentes, la contagion est impossible.

Vous êtes séronégative pour la toxoplasmose ?

Je cite le rapport de l'AFSSA :

Malgré les résultats hétérogènes des études portant sur le risque d’acquisition de la toxoplasmose on peut identifier les facteurs de contamination les plus importants :
- Le risque lié à la consommation de viande mal cuite ressort nettement de toutes les études. Il est essentiel qu’il soit clairement mis en avant dans toute information destinée à des femmes à risque.
- La consommation de crudités (légumes et fruits) insuffisamment nettoyées et la mauvaise hygiène des mains sont également des modes de contamination à intégrer dans un programme de prévention en insistant en particulier sur le risque des repas pris en dehors du domicile qui expose à la consommation de crudités insuffisamment lavées.
- La possession d’un chat ainsi que le nettoyage de sa litière : même si théoriquement sur le plan parasitologique le risque est faible (cf. section E), ces modes de contamination sont à prendre en compte dans un programme de prévention.

Cuisez bien votre viande, à cœur. Vous aurez des petits guides partout pour vous l'expliquer. La viande ovine est la plus à risque, mais tous les animaux à sang chaud peuvent être contaminés (surtout en milieu fermier). Congelez votre viande, mais à -20°C, pas dans le petit freezer de votre réfrigérateur.
Lavez-vous les mains.
Lavez les légumes, soigneusement.
Nettoyez la litière du chat tous les jours, ou mieux faites nettoyer la litière tous les jours, et lavez-vous les mains.

J'ai plusieurs consœurs vétérinaires, exerçant depuis plus d'une dizaine d'années, qui manipulent des chats malades tous les jours, des chatons, des chats immunodéprimés, qui se font mordre, griffer, qui font des coproscopies et manipulent dont des selles, et qui sont toujours séronégatives pour la toxoplasmose.

Donc, je le dis, je le répète : on ne se débarrasse pas du chat .

Je n'euthanasierai jamais un chat pour ce motif.
Mais vous pouvez faire comme la femme du début de ce billet et venir en discuter, ce sera avec plaisir.

Et n'oubliez pas, encore une fois, que le risque fœtal ne concerne que les femmes séronégatives ! Si vous avez déjà chopé la toxo, votre corps a les défenses nécessaires pour protéger votre bébé.

Références

Thèse de doctorat vétérinaire de Magali Charve Biot
Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments : Rapport Toxoplasmose (très long, très complet et passionnant, le résumé au début permet de faire le tour des infos importantes).
Center for Disease Control

samedi 18 décembre 2010

Au fil de l'eau...

... au fil des mots...

Les journées et les nuits s'enchaînent avec une fluide et trompeuse facilité, mais elles me laissent une étrange sensation de temps enfui. Pour la première fois, des ébauches de billets s'accumulent sur dotclear. Pas la tête à écrire. Pas la tête à réfléchir, je me laisse juste porter, balloté de cas tout bête en cas de merde, de petites joies en belles réussites ou en échecs.
Un chat qui sert de corde à nœuds à deux chiens. Hémorragie thoracique, décès en deux jours.
Une chienne de chasse qui se fait juste disséquer un muscle intercostal par une défense de sanglier, sans pneumothorax. Petit chantier là où je craignais un gros boulot.
Une anémie hémolytique des familles, qui vient tester mon dernier protocole immunomodulateur.
Un stagiaire de troisième qui n'imaginait pas qu'il y aurait des choses aussi tristes que des agneaux morts-nés ou l'euthanasie d'une vieille jument. Qui ne pensait pas non plus qu'un "grand" pouvait s'arrêter sur la route pour ramasser une grive en état de choc. Des fois que ça compenserait ?
Il n'imaginait d'ailleurs pas non plus le nombre de papiers que je peux remplir en une semaine. Surtout une semaine avec deux après-midi à faire des visites sanitaires bovines, un genre de questionnaire assez con, surtout chez les éleveurs à deux-trois vaches (pour les "vrais", encore, ça peut ouvrir des pistes de discussion).
J'apprécie beaucoup les conversations avec lui. Il a quoi, 14-15 ans ? Il est un peu en retrait, mais attentif. Branché. Je dois faire bien attention à ne pas oublier son âge, à préparer et débriefer. On ne sort pas indemne d'une première rencontre avec la mort toute nue, d'avec la douleur des gens.
De la prophylaxie, tranquille pépère, cerveau débranché, éviter les coups de pieds - prise de sang, tuberculine, puis vaccin. Routine, routine, confortable routine.
Une césarienne, un p'tit veau dans sa stabu, une perfusion ou deux, un cheval boiteux.
De la compta.
Du givre, de la flotte. Ne jamais oublier mon bonnet.
Ne pas oublier non plus que c'est une mauvaise idée d'aller râper des dents de chevaux quand il fait -2°C. Les entailles sur les mains et l'eau glacée, dur dur.
Tiens, une belle tentative d'arnaque. Je lui offrirai un billet. Des fois que ça puisse servir, ou faire sourire.
Le flot des consultations ne s'interrompt pas, des clients râlent : "oui, mais c'est vous que je veux voir." Je ne peux pas être partout.
Une bête consultation vaccinale, je détecte une masse abdominale, à explorer. Inquiétant. Je parie un hémangiome, une tumeur de la rate. Prise à temps, ce n'est pas méchant, comme le dit la pub.
Piro, piro et piro. Pour changer.
Ah et sinon, monsieur, oui, contre la leptospirose, votre chien aurait pu être vacciné. Il s'en serait très probablement sorti.
Pas comme cette IRC. Fin de règne. Fin de vie.
Belle polyarthrite auto-immune, je suis tout fier, j'ai trouvé une cellule de Hargrave. Beau diagnostic, docteur. J'en parle à tout le monde à la clinique, je suis tout content, et en plus, le chien va super bien. Auto-congratulation.
Je suis tout aussi content d'avoir sorti un pseudo-pit' de sa catégorie. Hop, plus de muselière ! J't'en foutrais du chien méchant.
Touiller du caca d'un effectif de chiens, diarrhée mucoïde un peu étonnante. La coproscopie : un art, un sacerdoce.
Brasser de la pisse, de la merde et du vomi. Pas étonnant que ma femme me demande de virer toutes les saloperies non identifiables et bizarrement macérées qui s'accumulent sur la bonde de l'évier. J'ai l'habitude, je suis vétérinaire.
Belle radio d'un thorax de chat avec de très moches métastases de tumeurs mammaires. Elle n'en a sans doute plus pour très longtemps. Sa propriétaire va s'enfoncer un peu plus dans sa déprime. Les curieux en apprendront plus ici et , et la verront .
Un couple d'anglais m'amène un chat à castrer. Ils aiment la sonorité du mot "châtrer". Étonnante conversation.
Et puis il y a ces souvenirs qui n'arrivent pas à devenir des billets, douleurs à mûrir, à accoucher avant de publier.
L'oreiller, le réveil.
Heureusement, il y a la splendeur des collines givrées, des couchers et levers de soleil d'hiver, toutes les boules de poils et les sourires, des clients, des ASV, des simples passants.

dimanche 13 juin 2010

Les vers noirs

22h30, samedi soir

- Service de garde, bonsoir.
- Bonsoir docteur, je suis désolée de vous déranger, mais il y a des vers noirs qui courent sur la peau de mon chaton !
- Des vers ?
- Oui, ils rentrent et ils sortent du poil, ils se tortillent, c'est horrible !
- Mais il y a encore les poils ?
- Oui !
- Et vous les avez vu depuis quand, ces vers ?
- Depuis avant hier !
- ...
- Ça a quelque chose à voir avec les vermifuges ?
- Non, les vermifuges c'est pour les vers de l'intestin.
- Rien à voir alors ?
- Non, rien à voir. Et ce chaton, il va bien ?
- Pour le moment, oui... mais elle a une plaque rouge.

*soupir*

- Et vous êtes sûre que ce ne sont pas des puces ?
- Mais les puces, ce sont des insectes ? Avec des pattes ?
- Oui, tout à fait...
- Mais là ils n'y a pas de pattes, et ils sont longs !
- Et noirs ?
- Oui, noirs !
- Donc ce ne sont pas des asticots...
- C'est grave ?
- Bon, ben écoutez, je n'ai pas la moindre idée de ce que ça pourrait être, donc on se retrouve à la clinique dans dix minutes, mmhh ?
- Mais docteur, combien ça coûte de vous faire déplacer un samedi soir ?
- Cinquante euros pour la consultation, après, il faut voir s'il y a besoin de plus de soins mais là, a priori...
- J'arrive !

Alors ?

A votre avis ?

A quel parasite étrange et peu courant ai-je consacré mon samedi soir ?


***

Des puces.

De stupides puces. La dame ne m'a pas cru, alors j'ai du épouiller le chaton pour en saisir une entre les ongles. Alors après, elle était désolée...

La plaque, c'est le chaton qui se l'est faite en se grattant.

Finalement, ce que j'ai préféré, c'est qu'elle ait attendu le samedi soir 22h pour m'appeler, alors qu'elle voyait les "vers" depuis deux jours sur son chaton...

vendredi 12 mars 2010

Castration

J'aurais sans doute pu aborder le sujet depuis longtemps. Il me manquait l'angle, l'anecdote, ou l'envie. Ça tombe bien, on vient de me chauffer suffisamment pour que je ressente le besoin de me défouler.

Aujourd'hui, nous allons parler de castration. De chiens et de chats, mais vous pourrez extrapoler. Nous allons parler de castration, avec un brin d'agressivité, une pointe de provocation et un zeste de vulgarité.

De quoi s'agit-il ?

Faisons simple : couper les roubignolles est une chirurgie tellement superficielle que cela en est humiliant pour notre mâle fierté. Superficielle ne signifie pas forcément simple, mais c'est loin d'être le bout du monde malgré tout. Pour faire savant (c'est moins inquiétant et un peu plus gratifiant), on peut parler d'orchiectomie (orchis, le testicule, -ectomie, on coupe), je vous laisse faire un copier/coller sur le billet si vous y tenez.

Chez le chat, on tond ou on épile le scrotum - la bourse, la peau, l'enveloppe superficielle - puis on incise ledit scrotum, ce qui permet de découvrir une enveloppe nommée "vaginale", laquelle n'a strictement rien à voir avec le vagin de ces dames et demoiselles.
On incise la vaginale - sur un centimètre à peine, et cela permet de découvrir le testicule à proprement parler, accompagné de son annexe l'épididyme, diverticule sur le canal déférent, ce tuyau qui mène des usines à spermatozoïdes jusqu'à l'urètre (le tuyau de sortie). On ligature le vaisseau sanguin qui nourrit le testicule et le conduit déférent, puis on coupe et on retire le testicule et l'épididyme.

Et puis c'est tout.

Chez le chien, on incise plutôt sur le côté du fourreau que sur le scrotum - question de sensibilité et de facilité chirurgicale, puis on remonte le testicule dans la vaginale (essayez messieurs - ou mesdames et mesdemoiselles, je pense que ces messieurs n'y verront aucun inconvénient si vous êtes délicates : c'est simple, poussez vers le haut, ça glisse tout seul jusqu'à sortir du scrotum et se retrouver sous la peau de l'aine, ce qui, chez le chien, revient à se trouver au bord du fourreau). On incise la peau puis la vaginale en regard, on ligature les vaisseaux et conduits et on coupe tout ça, avant de suturer.

C'est une chirurgie simple, aux complications rarissimes. Non douloureuse en plus, courte, avec récupération très rapide. C'en est presque vexant de voir le chat castré le matin même chasser les souris le soir dans la grange comme si de rien n'était. On aimerait un peu plus de pathos et de douleur, mais bon.

Quels avantages ?

De l'(in)utilité des testicules

Pour répondre à cette question, il faut d'abord bien se souvenir de l'utilité de nos testicules : soyons honnêtes, ils font partie des organes les plus dispensables de notre corps. Parce qu'à part faire des bébés et permettre le développement des attributs masculins, via une hormone nommée testostérone, les couilles ne servent pas à grand chose.

Premier point : un chat ou un chien n'a pas besoin de se reproduire pour être heureux. Je sais, c'est très dur à admettre, et votre coiffeur est d'un autre avis. L'envie de se reproduire, d'avoir des enfants, est absolument humaine. Je n'ai pas l'intention d'aborder l'analyse du désir d'enfant, mais dites vous bien qu'elle est hors de propos chez les animaux, pour lesquels la reproduction est une affaire d'instinct, permettant la perpétuation de l'espèce au même titre que la pollinisation des fleurs. La femelle en chaleur voit son comportement modifié par ses hormones, elle produit des phéromones, des espèces d'odeurs qui viennent stimuler un organe situé entre le nez et le palais, lequel est directement branché sur le cerveau et provoque une réaction immédiate et instinctive, le rut. Le matou ou l'étalon chevauche la donzelle, avec plus ou moins de parades et de simagrées plus ou moins romantiques (c'est plus sympa à observer chez les chiens que les chats, au moins les premiers ont l'air de se faire un minimum plaisir), et en avant. Il passe à la suivante. Il n'y a rien là-dedans qui se rapporte à l'assouvissement d'un comportement nécessaire au plein épanouissement du mâle (ou de la femelle). Ce comportement n'est déclenché que par les phéromones de la femelle en chaleur, et ne marche que si le mâle a les récepteurs pour les comprendre, ce qui n'est plus le cas juste après une castration précoce ou longtemps après une castration tardive.

Second point, concernant les caractères sexuels secondaires. Au niveau physique, pas de barbe ni de moustache, encore moins de pectoraux velus : les caractères sexuels secondaires physiques sont discrets chez nos carnivores domestiques, et on s'en passe très bien.

Au niveau comportemental, par contre, c'est beaucoup plus net : le mâle castré va éviter toutes les séquences comportementales liées au rut, et donc nombre de bagarres, de fugues et de coups de pieds dans le derche. Il marquera également moins son territoire (adieu les pipis des matous sur les murs). Je précise encore une fois l'importance de la précocité de la castration sur ces aspects là : si les comportements sont bien installés, castrer sera inutile ou beaucoup moins profitable que si la castration avait été pratiquée autour de la puberté. Les mâles castrés tardivement pourront même continuer à saillir (et pour ceux qui ne suivent pas dans le fond : non, ils ne feront pas de bébés).

Des risques de la sexualité débridée

Le sexe, c'est chouette, mais ça a quand même un paquet de défauts, d'autant qu'il est déjà difficile d'expliquer et de faire appliquer les précautions minimales à un ado qui n'a presque pas l'excuse des phéromones pour faire n'importe quoi, alors, ne parlons pas d'un chat ou d'un chien.

Au niveau sanitaire, notons chez les chats l'existence de deux maladies sexuellement transmissibles :

  • le Syndrome d'ImmunoDéficience Acquise (SIDA) du chat, très proche du SIDA de l'homme mais sans aucun risque de contamination de l'un par l'autre (les maladies et les virus responsables sont similaires mais ne passent pas d'une espèce à l'autre). Il provoque une perte d'efficacité des défenses de l'organisme, et le développement d'autres infections opportunistes qui finiront par emporter le chat. Il n'y a pas de vaccin, et pas de traitement, on peut tenter de gérer les choses à l'aide d'anti-viraux et de traitements ciblés mais ça marche mal et c'est hors de prix.
  • la leucose féline, provoquée par le virus FeLV (Feline Leukaemia Virus), provoque des anomalies de la multiplication des globules blancs, ces cellules qui assurent la défense du corps, et des cancers de ces globules blancs (lymphomes ou leucémies). Il existe un vaccin contre la leucose féline, d'une efficacité tout à fait remarquable, ainsi qu'un traitement, d'une efficacité beaucoup moins remarquable (mais qui peut valoir le coût dans un certain nombre de cas).

La meilleure protection contre ces deux maladies reste la castration (et l'ovariectomie pour les femelles).

Les chiens ont plus de chances, ils n'ont pas de MST aussi graves même si on pourrait discuter dans ces deux espèces de la chlamydiose et des herpes virus.

Au niveau sanitaire toujours, la castration permet de diminuer le risque :

  • d'abcès sur les chats (suite aux bagarres)
  • d'hyperplasie bénigne de la prostate et de prostatite chez les chiens
  • de coups de pieds dans le derrière, et de leurs amis coups de fusils, coups de bâtons, distributions de mort-aux-rats
  • de se faire rouler dessus par une voiture

Attention cependant à quelques inconvénients, dont nous allons parler maintenant.

Quels inconvénients ?

J'en vois certains qui sourient en coin. Bien sûr qu'il y a des inconvénients à la castration. Ce n'est pas parce les roubignolles ne servent pas à grand chose en dehors de la procréation, qu'elles ne servent à rien.

Premier inconvénient : le risque d'obésité, problème fréquent chez les mâles comme les femelles stérilisées. La prise de poids est principalement due aux modifications du fonctionnement du corps induites par la disparition (pour le mâle) de la production de testostérone. Ça se gère très bien en faisant attention à la gamelle, mais c'est un risque insidieux et sous-estimé par les propriétaires.

Second inconvénient : le risque de formation de calculs urinaires chez le chat mâle castré est 3.5 à 7 fois supérieur (selon le type de calcul) par rapport au chat mâle non castré. L'obésité et la sédentarité sont aussi des facteurs de risque. Je n'ai pas de chiffres sous la main, mais j'observe ce genre de pathologie environ 8-12 fois par an dans ma clientèle, ce n'est donc pas extrêmement fréquent (mais c'est grave et cela nécessite une prise en charge vétérinaire rapide).
Ce risque peut être prévenu en donnant au chat des croquettes adaptées (contenant moins d'éléments constitutifs des calculs et stabilisant l'acidité urinaire). A ce sujet : attention aux allégations sur les paquets de croquettes, car tout le monde se met à marquer "spécial calculs" sur les emballages, or j'ai constaté de flagrants échecs avec certaines marques de supermarché. Les croquettes ne sont pas des médicaments, il ne faut pas croire tout ce qui est marqué sur les boîtes. De mon expérience personnelle, j'ai une confiance assez solide dans les marques haut de gamme (croquettes vétérinaires). Mais c'est cher.

De l'antropomorphisme aux idées reçues

Rassurons-nous : l'image de l'épouse castratrice qui amène Rex pour le faire raccourcir après une violente dispute à ce sujet avec son mari reste, globalement, un fantasme, quoique tous les vétérinaires ont quelques anecdotes de ce type.

La castration des chats mâles passent assez bien, tout simplement parce que les marquages urinaires des mâles entiers sur les rideaux scellent généralement le destin de leurs testicules, et que le passage du minou sous les voitures en période de chaleurs constitue souvent un drame familial que peu de gens sont prêts à expérimenter chaque année.

Pour les chiens, c'est plus compliqué : on voit moins l'intérêt direct de les castrer, que ce soit du point de vue de la santé ou du comportement du chien. Ce sont les propriétaires des femelles qui subissent le plus de désagréments de la vie sexuelle de leur compagnon, et la virilité de Médor a tendance à flatter monsieur, alors...

De plus, on craint souvent que la castration ne fasse disparaître le flair (faux : le siège de l'odorat ne se trouve pas dans le scrotum), ne diminue les performances sportives (faux : combien de champions d'agility sont castrés ?), ne modifie le comportement du chien (faux, en dehors des comportements spécifiquement liés à la reproduction). Tiens, en passant, pour les chiens mordeurs : castrer ne résout en général aucun problème, sauf en ce qui concerne les agressions liées à la reproduction.

Ah, et le fait de castrer un individu, quelle que soit son espèce, ne le transforme pas en fille, je précise cela pour ceux qui se posent encore la question.
Dans le même registre, un mâle peut saillir sa mère, sa sœur ou sa fille (il ne va pas se gêner, les phéromones sont les phéromones).
Les races de chiens (et de chats) sont toutes inter-fécondables, donc oui, le fox peut couvrir la labrador, le bâtard la caniche, et ainsi de suite.
Un étalon de race qui a sailli une bâtarde ne sera pas perverti, et ses futurs produits ne seront pas abâtardis par son inqualifiable écart de conduite, vous pouvez donc le conserver pour saillir la femelle que vous lui aviez choisi. De plus, il vous emmerde, et recommencera à la première occasion.
Oui, les bâtards sont fertiles, cela n'a rien à voir avec les mulets (croisement cheval/âne, stérile, car ce sont deux espèces différentes, alors qu'un Yorkshire, un Bleu de Gascogne ou un Saint-Bernard sont tous des chiens).

Oui, il existe des testicules artificiels en silicone, qui servent à remplacer le vide béant laissé par les organes d'origine lors de la castration. C'est purement esthétique et ça ne sert à rien. Je précise à l'attention d'une de mes charmantes clientes qui ne me lira pas ici, que si elle me redemande d'enlever l'unique testicule intra-abdominal de son chien, de laisser l'autre (qui est en place) et de placer l'une de ces prothèses, je réaliserai également une vasectomie (ligature des tuyaux qui transportent les spermatozoïdes) sur le testicule "normal" afin de l'empêcher de se reproduire, car je sais bien qu'elle en profiterait pour faire confirmer son champion et le faire reproduire moultes fois (or cette anomalie de descente des testicules a une forte composante génétique et constitue un critère d'exclusion de la reproduction par les clubs de race). J'apprécierais aussi qu'elle évite de me prendre pour une burne en me précisant que je pourrais faire un certificat pour attester que le chien était monorchide, puisque je sais aussi qu'elle s'empressera de ne pas s'en servir.

Et non, non, non, votre chien ou votre chat ne vous en voudra pas si vous le faites castrer, il ne sera pas malheureux, il ne se sentira pas inférieur quand il croisera ses congénères. Il attache beaucoup moins d'importance que vous à ses testicules, soyez en sûr(e)s.

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