dimanche 10 janvier 2010

Un vieux chat

Il y a un vieux monsieur discret dans la salle d'attente. Il a ôté sa casquette, et posé, à côté de lui, sur le banc, un vieux panier en osier. Il parle tout doucement, comme s'il avait peur de déranger, échangeant quelques politesses avec notre secrétaire à son bureau. Moi, je suis dans la salle de consultation, je finis de renseigner une fiche d'hospitalisation tout en prêtant une oreille attentive à la conversation qui filtre, à la limite de l'audible, par la porte entrouverte.

Je ne l'ai pas reconnu, même si je sais que j'ai déjà vu son compagnon. Coincé sur la fiche d'hospitalisation, je ne peux lire le carnet de rendez-vous. Alors j'écoute. J'écoute un vieil homme se raconter, raconter son chat. Il a vingt ans. Il aurait du mourir il y a 5 mois, mais je l'ai sauvé. Il l'a ramené pour une euthanasie il y a deux mois. Il l'a encore ramené chez lui. Et cette fois, d'après lui, il ne passera pas Noël. Il s'y est résigné, il a pu profiter de son vieux matou au-delà de ce qu'il aurait imaginé, mais il sait qu'on arrête pas l'âge et la maladie. Il voudrait enterrer son compagnon au fond du jardin.

Moi, je vais jouer l'innocent. Un coup d'œil à la fiche du vieux chat, et les souvenirs me reviennent. Une vilaine tumeur mammaire, kystique, énorme, que j'avais ponctionné. Vu l'âge de l'animal, j'avais écarté d'emblée la chirurgie, pensant qu'avec la ponction et quelques médicaments à visée palliative, il aurait encore quelques semaines confortables devant lui. Lorsqu'il me l'avait ramené, le kyste ne s'était pas reformé, mais le vieux chat avait une vilaine gastro-entérite. Probablement sans lien. Il était déshydraté, en légère hypothermie, il ne mangeait plus, mais j'avais vérifié l'absence d'insuffisance rénale et tenté un simple traitement médical. Qui avait parfaitement fonctionné.

Et cette fois-ci ?

- Alors monsieur, qu'est-ce qui lui arrive au matou ?
- Oh vous savez... c'est la fin.

Sa voix est aussi douce que dans la salle d'attente. Je baisse d'un ton. Il n'est pas sourd. Le vieux chat rougne un peu, mais accepte de venir sur mes genoux. Comme d'habitude en début de consultation, je m'assieds sur la table d'examen pour sortir l'animal de sa panière. Ne pas le tenir, ne pas le contraindre, le laisser accepter les caresses et rester naturellement avec moi. Ça ne marche pas toujours, mais cette fois-ci, rien à redire. Ronronnement immédiat.

- Sa tumeur s'est percée, du liquide a coulé et ça a saigné, pourtant ce n'était pas gros comme la première fois, vous savez...

Le vieux monsieur tient sa casquette entre les doigts, la presse et la retourne. Les jointures de ses doigts sont blanches, blanches de serrer si fort, pâles d'attendre mon verdict. Il tient le menton en avant, joue discrètement avec son dentier. Moi, je ne dis rien. Je caresse le chat, que j'ai retourné sur le dos. Il se laisse gratter le menton, se détend. Il a un vilain cratère au milieu de l'abdomen, vers le nombril. Trois centimètres de diamètre, un ou deux de profondeur, dans le tissu sous-cutané. Autour de la plaie, le poil est lissé, léché et reléché. La plaie est atone, ou presque, elle ne saigne pas. Quelques traces de tissu de granulation, sans doute usé par le léchage incessant. Le chat ronronne, le vieux monsieur me raconte son appétit dévorant, ses câlins et ses interminables siestes près du poêle. Moi, je ne dis rien.

Un long silence s'est installé. le vieux monsieur attend que je prononce mon verdict : "cette fois-ci, ce sera l'euthanasie."

Alors, je prends une longue inspiration. Le vieux monsieur avance le menton, sa casquette ne bouge plus, ses doigts sont blancs, si blancs.

- Bon, deux piqûres, une ou deux boîtes de pâtée, et il rentre à la maison. Je vais vous laisser un flacon d'antiseptique, il va avoir des antibiotiques, mais il verra une nouvelle année.

Les doigts du vieux monsieur sont devenus rouges. Mais il n'a pas lâché sa casquette. Il laisse échapper un "ah" à la fois surpris et soulagé, je lui tends le matou.

Joyeux Noël.

lundi 2 novembre 2009

Babette

Elle s'appelait Babette. Bab', pour les intimes. C'était une énorme, monstrueuse, débordante minette dont le corps, posé à plat sur la table d'examen, semblait s'écouler sous une peau encore trop lâche. On aurait pu la remplir encore, semblait-il, pourtant, elle pesait déjà une bonne dizaine de kilos. Elle en avait pesé 3, ou 4 sans doute. Elle avait une douzaine d'années, et elle avait déboulé dans ma clinique suite à l'appel d'une consœur qui nous l'envoyait pour oxygénothérapie et examens complémentaires.

Bab' suffoquait, Bab' s'étouffait, et ne tenait plus sur ses roulettes pattes. Elle ne mangeait plus, elle se tenait, droite, plate, hovercraftienne, le cou tendu sans doute sous le gras qui le noyait. Luttant pour trouver de l'air, buvant l'oxygène sans pourtant qu'on ne devine ses mouvements respiratoires sous sa masse graisseuse. Sa propriétaire s'était presque évanouie sur sa chaise lorsque je l'avais extraite de sa cage de transport, parfaitement moulée en ovale, pour la déposer, parfaitement moulée en pavé, dans l'aquarium reconverti en cage à oxygène. La propriétaire de Bab' était très âgée (comme Bab'), très émotive (comme Bab'), très diabétique (comme Bab') mais très maigre (pas comme Bab').

Elle souffrait donc de diabète sucré, cette maladie hormonale commune aux humains, aux chats et aux chiens, dont le traitement repose essentiellement sur l'administration d'une hormone déficiente, l'insuline. Une, ou deux piqûres par jour, pour que le sucre passe du sang aux tissus qui en ont besoin. Bab' était diabétique, traitée depuis cinq ans, et ma consœur craignait une embolie pulmonaire, une complication rare et gravissime. J'avais stabilisé Babette sous oxygène, puis rassuré tant bien que mal sa propriétaire avant d'entamer des investigations plus poussées pour confirmer ou infirmer l'hypothèse de la vétérinaire qui me l'avait envoyée. J'étais assis devant l'aquarium, parallélépipède de verre doublé de fourrure de chat, à me demander quels examens j'allais bien pouvoir faire à un animal qui pouvait mourir à la première manipulation stressante, pour une affection rare et grave s'ajoutant à une maladie pour laquelle cette minette présentait tous les facteurs de complications imaginables.

Et puis d'abord, comme allais-je bien pouvoir diagnostiquer une embolie pulmonaire, moi ?

La Babette semblant plus calme, je l'avais déposée sur le coin de la table d'examen afin de mieux l'examiner. D'où la description introduisant ma présentation de la minette. Je ne pouvais pas observer ses mouvements respiratoires. L'examen neurologique était réduit à néant par son état subcomateux, ou du moins sa concentration absolue tendue vers un seul objectif : respirer.

Puisque je n'avais pas d'idée, j'allais au moins lui poser une perfusion. Ça servirait toujours. Ne serait-ce que pour la réanimer si elle faisait un arrêt cardio-respiratoire tout à l'heure, pour la radio qui me semblait le premier tâtonnement vers le diagnostic de thrombo-embolie pulmonaire.

Et puis, tout en l'examinant et en commentant avec le plus grand sérieux et sans la moindre ironie son corps graisseusement gracieusement étalé sur la table, j'ai quand même envisagé de vérifier sa glycémie (la concentration du sucre dans le sang), ce que n'avait pas fait ma consœur qui me l'avait envoyée dans l'urgence. Avec une diabétique, j'aurais au moins une base de réflexion.

Voire un diagnostic.

Une coupure sur le pavillon de l'oreille, une gouttelette de sang, et un résultat : 21 mg/dL.

Ce ne fait vraiment pas beaucoup. Tout à fait de quoi provoquer une disparition de tous les réflexes, voire un sub-coma, des vertiges, une détresse respiratoire, bref, une Babette sur ma table. Une belle imitation de thrombo-embolie, mais en beaucoup moins grave. A soigner avec un médicament de pointe : perfusion de glucose. Du sucre en piqûres, quoi.

Le soir même, Bab' respirait normalement. J'appelais sa propriétaire pour donner de bonnes nouvelles. Le lendemain matin, Babette marchait (ce qui ne changeait pas grand chose à son allure générale, sauf que les pattes ne dépassaient plus sur les côtés). Nouveau coup de fil, nouvelles bonnes nouvelles. Une analyse urinaire confirmait que la chatte n'avait pas été en hyperglycémie depuis longtemps. Bab' avait tenté de se débattre pour éviter la ponction vésicale mais le fait de la rouler sur le dos avait permis de contenir ses attaques. Le soir, elle mangeait et se toilettait, et quelques jours plus tard, elle repartait avec une courbe de glycémie correcte et un protocole d'insulinothérapie modifié. On avait même du finir par devoir faire attention à nos doigts.

Mon hypothèse : les injections étaient réalisées dans le gras et du coup, l'insuline ne diffusait pas à une vitesse normale dans le sang, provoquant en apparence une réponse insuffisante au traitement alors que l'accumulation d'insuline avait failli la tuer. En injectant sous la peau des rares endroits maigres moins gras du corps, la réponse au traitement était redevenue normale. Pourquoi ce jour là, et pas avant ? Aucune idée, mais les doses d'insulines avaient été augmentées par la propriétaire de Babette qui avait constaté ses hyperglycémies récurrentes : elle la testait à la maison avec son appareil personnel, elle-même étant diabétique.

Cette fois-ci, cependant, je ne jetterai pas la pierre à cette dame pour cette erreur, commise de bonne foi suite à un raisonnement logique, et validé par son vétérinaire. Le problème était plus subtil, et il avait fallu une catastrophe pour le pressentir. Je ne suis pas sûr d'avoir correctement interprété cette crise hypoglycémique, d'ailleurs. Mais c'est la seule hypothèse qui semble tenir la route.

Je ne jette pas non plus la pierre à ma consœur qui a suspecté une complication cohérente avec l'historique de l'animal et son examen clinique. C'est une vérification mécanique qui m'a donné la solution, pas un brillant raisonnement. Je pense qu'elle est un peu vexée d'être passée à côté de ça. Je le serais aussi à sa place. Moi, je suis plutôt flatté qu'elle m'ait fait confiance.

Par contre, je suis beaucoup plus gêné par la suite des opérations, la propriétaire de Bab' ayant apprécié nos installations et équipements, ainsi que la présence nocturne d'un vétérinaire en cas de besoin. Apprécié au point d'avoir décidé de se passer des services de ma consœur pour rester chez nous... décision qu'elle m'annonça alors que je finissais d'imprimer le compte-rendu pour ladite consœur à qui je comptais bien confier la suite des opérations.

Une cliente de plus ou de moins, soyons clair, je m'en contrefous. De bonnes relations avec une collègue que j'apprécie et dont j'estime le travail, ça a un prix bien supérieur. Et ce genre d'éraflures dans nos relations, même si ni elle ni moi n'y pouvons rien, c'est contrariant, et frustrant.

Le principe, c'est : "on ne pique pas les clients des voisins". J'y tiens beaucoup. Mais les clients ne nous appartiennent pas, et nous ne pouvons pas les empêcher d'aller et venir, et, d'ailleurs, tant mieux, la libre concurrence, dans le respect de l'autre, c'est idéal pour l'émulation. Mais dans ces circonstances, je n'apprécie pas du tout : on a l'impression de trahir la confiance de l'autre, on ne sait pas ce qu'il peut penser (je n'ai jamais enfoncé cette consœur devant la propriétaire de Bab', son erreur de diagnostic était cohérente, mais elle n'était pas là pour m'entendre, même si je pense qu'elle me fait confiance sur ce point), bref, c'est frustrant. D'autant qu'elle pourrait, à raison, craindre que d'autres propriétaires d'animaux fassent le même cheminement que celle-ci, alors que je pense qu'elle fait très bien son travail. Et que sa plate-forme technique plus limitée, dans la grande majorité des cas, ne l'handicape pas.

Référer un cas, c'est accepter de confier ses propres insuffisances à un confrère ou à une consœur plus compétent, plus équipé, plus quelque chose. Avouer et reconnaître son impuissance, ce qui n'a rien de honteux, mais qui n'est pas toujours facile. Je le fais tous les jours ou presque, quand j'ai besoin d'un ophtalmo, d'un échographiste, d'un chirurgien orthopédiste, d'un comportementaliste ou tout simplement d'un autre angle de vue. Par contre, je ne reçois pas de cas référés, ou presque. Babette était une exception, une urgence.

Il va falloir que je trouve comment prévenir les transferts de clients... Et si vous avez des idées, que vous soyez propriétaire d'un animal (déjà référé, ou pas, par un votre véto habituel), vétérinaire référent ou référationneur (je pense que ce mot n'existe pas), je suis preneur !

mardi 6 octobre 2009

Echec

L'échec est un vieux compagnon de route, qui sait à chaque détour me surprendre par une nouvelle et sinistre facétie. Il me hante lorsque j'examine, lorsque je diagnostique, lorsque je traite, lorsque je dissèque ou que je ligature. Il guette mes absences, mes faux-pas, nourrit mes angoisses et alimente mes doutes.

Il me fait avancer, aussi. Me pousse dans mes recherches, lorsque je feuillette mes bouquins ou explore les recoins de la toile. L'échec me fait revoir mes copies, reconsidérer mes positions, apprendre, tout simplement.

L'échec est quotidien. Je tente de le maîtriser, je contrôle et observe, téléphone et préviens. Méfiez-vous monsieur, s'il se passe ceci, ou s'il ne se passe pas cela, téléphonez-moi, prenez un rendez-vous, ramenez moi votre compagnon. Appelez-moi aussi si tout se passe bien. Désormais, pour nombre de chirurgie, mes forfaits opératoires comprennent une consultation de contrôle, bien avant le retrait des points. Lorsque je traite une otite ou un ulcère cornéen, il y a toujours plusieurs consultations de contrôle. A moindre coût, voire presque gratuites si elles se multiplient.

Dès que quelque chose ne se passe pas comme prévu, je reprends mon diagnostic, cherche la faille dans le traitement - ai-je mal choisi, ou bien ne l'applique-t-il pas correctement ? Le produit est-il bien instillé au fond de l'oreille, ou le maître le dépose-t-il à l'extérieur, de peur de faire mal ? Une démonstration, une discussion à bâton rompus, un comptage des quantités restantes sont autant d'axes d'exploration. Un examen complémentaire, repoussé en première intention, peut être réalisé. Une bactériologie et un antibiogramme, par exemple. Des radios, que sais-je ?

Souvent, l'échec ne prête pas à conséquence. Au pire, il retarde la guérison.

Mais parfois, l'échec tue.

Parfois, l'échec naît de mes erreurs. Manque de connaissances, mauvaise compréhension d'un signe, ou d'un symptôme, le diagnostic peut être faux, ou incomplet. Je peux avoir vu l'arbre, et manqué la forêt. Trouvé la conséquence, l'avoir confondue avec la cause. L'échec est rarement surprenant : plus le temps passe, et plus je vois venir ses coups fourrés, ses trahisons. Plus je me prépare, donc à le recevoir. Et plus je prépare le propriétaire de l'animal à le reconnaître, et, avec moi, à le transformer en étape diagnostique ou thérapeutique. Si je continue à nourrir mes doutes - et mes angoisses - cet échec là mourra.

Parfois, l'échec est celui du propriétaire. Celui qui refuse d'admettre une maladie, ou un traitement, à cause de ses convictions, ou de ses peurs. Il me faut alors expliquer, décortiquer, justifier, manipuler parfois. L'amener à comprendre les conséquences de ses choix, ou de ses maladresses. Redresser la barre, si c'est possible. Plus le temps passe, et plus cet échec devient mon échec. Je me l'approprie, jalousement, le refuse au maître, cet irresponsable, je m'accuse et me juge, sans témoin, sans juré. Je suis mon procureur, et mon avocat. J'aurais du le voir venir, j'aurais du deviner, j'ai oublié de préciser. Il ne pouvait pas savoir, il a mal compris, c'est ma faute. Cet échec là m'use, car il m'entraîne dans de longues explications, tours et détours, précautions, justifications. Je dois susciter l'adhésion, l'enthousiasme, nourrir et entretenir la motivation du maître, de sa famille, savoir que telle personne recevra tel message quand telle autre nécessitera celui-ci. Au risque de me noyer, de me perdre, et de perdre, aussi, celui que je tente de protéger. Trop d'explications tuent l'explication, et, lors des plus longues démonstrations, je conclus toujours par un "je sais, je vous ai noyé d'informations, et tout n'est pas simple. N'hésitez pas à me téléphoner si vous souhaitez des précisions, si vous avez des questions."

Et parfois, l'échec n'est ni le mien, ni celui du maître.
C'est celui d'un système : l'argent limite toujours nos possibilités, et là réside l'une des différences fondamentales avec la médecine humaine telle qu'elle est pratiquée dans notre pays. Combien vaut un diagnostic, celui d'une affection simple, celui d'une grave maladie ? Celui qui condamne à une mort certaine, ou à une lente agonie ? Celui qui n'amène même pas un traitement, éventuellement superflu ? Quelle est la valeur de la vie ? Cet échec là est forcément injuste. Il peut être logique, justifié, mais il reste révoltant, à moins de se blaser, de se blinder. Il faut alors l'accepter, et le négocier. Quand je peux, je propose un étalement des paiements, une remise, une solution alternative. Parfois, même, des soins gratuits. Mais un animal reste un animal. Se révolter ne doit pas le faire oublier.
L'échec peut aussi être celui d'une société. De sa stupidité. De celui-ci, nous sommes tous responsables. Comme l'euthanasie d'une chienne qui ne l'a jamais méritée. Alors, j'essaie de le contourner, de le contenir, mais au prix de quelles responsabilités ? A mon petit niveau, j'essaie d'aider, et je frémis lorsque je lis, et vis, ces échecs, qui, eux, ne concerne pas "simplement" des animaux.

L'échec, enfin, peut être le signe de notre impuissance face à la maladie, face à la mort. Inéluctable et naturel, cet échec est, sans doute, le plus facile à admettre. Ce qui ne le rends pas, forcément, moins douloureux.
Pas de dialyse ou de greffe de rein pour une IRC. Mais la souffrance, la solitude.
Plus d'antalgique pour l'arthrose terminale, la douleur, et la paralysie. Plus de jeu, plus de pirouette.
Plus d'antibiotique, non plus, contre la bactérie, celle qui a gagné, la résistante, l'immortelle.

Avec le temps, ces échecs deviennent plus durs, plus violents. Parce qu'autrefois, j'étais remplaçant, ou assistant. J'étais une ombre, une petite main. J'avais ces piliers derrières lesquels me dissimuler, ou me défausser, quelqu'un sur qui m'appuyer. Les animaux étaient des cas, des nouveautés, leurs maîtres, des inconnus.

Mais le temps passe.

Je ne suis pas seul, mais on compte sur moi, on s'appuie sur moi. Mais je ne suis pas prêt, pas encore ! Je ne peux plus écouter le sage et m'y fier aveuglément. Le doute infiltre les avis de mes pairs, ce doute nécessaire à tout diagnostic, à toute décision. J'ai perdu cette confiance naïve, au plus grand bénéfice de mes patients, sans doute.

Mes patients vieillissent et meurent, quand je les ai vu naître et grandir. Mes clients souffrent et pleurent, et leur douleur me touche d'autant plus durement que j'ai fait son premier vaccin à leur boule de poils. Empathie, et sympathie.

Un médecin généraliste proche de la retraite me disait que sa patientèle vieillissait avec lui. Et que, désormais, ses patients mouraient.

Ce bien triste billet est une pensée, une pensée pour Corneille, âgé de trois ans, qui meurt ce soir.
J'ai observé ses premiers pas de bébé, j'ai pansé sa patte cassée dans une chute d'escalier, je l'ai confié aux bons soins de mes confrères plus spécialisés pour sa fracture, pour ses problèmes oculaires, pour sa peau infectée. Je l'ai accompagné, avec ses maîtres, dans leurs projets fous de portées et de bébés, ces rêves jamais réalisés. J'ai vécu l'arrivée de sa promise, qui restera sa "chaste fiancée", j'ai rassuré sa maîtresse, encouragé son maître. Corneille n'a jamais été en bonne santé, et, au fil du temps, est née une vraie complicité. Ses bobos et ses blessures, son foutu voile du palais, son bout de langue rose toujours promptement retiré lorsque j'essayais de l'attraper : terminé. Parce qu'une bactérie a décidé de résister. Une "bête" infection cutanée.
Ce soir, pour ne pas pleurer, je me suis concentré, j'ai écouté son cœur faiblir, son cœur se battre, puis fibriller, et s'arrêter.

Un échec, assumé, justifié, sans que personne ne puisse rien se reprocher. Ce qui ne le rend pas moins violent, ni moins douloureux.

dimanche 6 septembre 2009

Pourquoi vacciner mon chat ? (3/5)

Rappelez-vous, il y a quelques temps déjà, nous parlions des raisons de vacciner son animal, et plus particulièrement son chien.

Je pense qu'il est temps de s'occuper du chaton, là, sur l'épaule du monsieur, qui patiente depuis pas mal de mois dans la salle d'attente de ce blog.

Contre quelles maladies protège-t-on les chats ?

- Comme d'habitude, je vous répondrais que tout dépend du contexte. Les vaccins doivent toujours s'adapter à la situation épidémiologique, c'est à dire à l'environnement de vie de votre animal, et à votre animal lui-même. Cependant, certains vaccins sont, comme le CHPPiL des chiens, conseillés à tous les chats français.

- Encore des saletés dues à des virus et à des bactéries ?

- Et oui ! Cette fois encore, il  s'agit de maladies dont les principales caractéristiques sont la contagiosité, la dangerosité, et l'absence de traitement simple. Le coryza de votre chaton, monsieur, est un bon exemple de maladie qui peut être vaccinée...

Les 4 vaccins principaux

Le typhus, ou panleucopénie féline (étiquette : c'est le P) est du à un virus assez proche de celui de la parvovirose canine. Il provoque une entérite hémorragique, mais surtout une destruction des tous les globules blancs de l'organisme (d'où le nom panleucopénie), or ce sont ces cellules qui sont censées lutter contre le virus ! La maladie est très contagieuse, mortelle presque à tous les coups et son traitement spécifique coûte extrêmement cher. Le vaccin, lui, est excellent, et a rendu la maladie particulièrement rare.

Le calicivirus du chat (étiquette : C) et l'herpesvirus de la rhinotrachéite féline (étiquette : R) sont deux agents de coryza. Le coryza est un terme générique qui désigne ces affections de la sphère respiratoire supérieure et des yeux, affections plus ou moins graves en fonction de leur(s) agent(s) causal(aux). Relativement bénins s'ils sont pris tôt, les coryzas font des ravages chez les chatons, les chats affaiblis et dans les grands effectifs. Ils deviennent redoutables lorsqu'ils sont mal gérés et virent à la chronicité, se compliquant de sinusites, bronchites voire pneumonies. Qui n'a jamais vu un de ces répugnants matous au nez bouché, les yeux mi-clos, éternuant toutes les cinq minutes ?

La tristement célèbre leucose féline dispose depuis un certain nombre d'années d'un vaccin efficace mais onéreux, que je réalise systématiquement sur tous les chats de ma clientèle. Ce virus nommé FeLV (Feline Leukaemia Virus), de la famille des rétrovirus, est souvent confondu avec celui du Syndrôme d'ImmunoDéficience Acquise du chat, le tout aussi tristement célèbre FIV (Feline Immunodeficiency Virus), contre lequel nous ne disposons pas de vaccin. Je reparlerai de ces deux maladies dans un billet ultérieur, mais retenez que l'on ne peut vacciner que contre le virus de la leucose (étiquette : L), qui est responsable d'une forme de cancer des globules blancs.

Les vaccins spécifiques

Je les baptise ainsi car leur utilisation systématique ne se justifie pas et doit s'adapter aux conditions de vie de l'animal.

Les maladies réglementées

Il s'agit en fait uniquement de la rage (étiquette : R), dont le vaccin est obligatoire lors de séjours à l'étranger, ainsi que dans certains lieux de rassemblements de chats comme les expositions ou les pensions. Je ne reviens pas sur le sujet, j'en ai déjà parlé dans un billet dédié et dans celui consacré aux vaccins des chiens.

La chlamydiose

Cette maladie, due à une bactérie répondant au doux nom de Chlamydophila psittaci (étiquette : Ch), est responsable de coryza mais surtout de conjonctivites récidivantes assez particulières, dont seule la vaccination permet de s'affranchir si l'immunité naturelle du chat ne prévient pas les rechutes. Pour ma part, je vaccine systématiquement étant donné la haute prévalence de cette maladie dans ma clientèle.

Comment vaccine-t-on un chat ?

- Mais docteur, ce petit bout de chaton, on peut lui faire tous ces vaccins en même temps ?

- Oui, sans problème s'il a deux mois, sauf la rage qui ne peut légalement être vaccinée avant l'âge de trois mois.

- Mais là, il a un coryza, on peut le vacciner quand même ?

- Là, par contre, ma réponse est négative : on en vaccine pas un animal malade, surtout pas un pitchoun' comme lui. Nous allons d'abord le soigner. La consultation vaccinale sert, entre autres, à voir si l'on peut vacciner l'animal le jour même. Quand il sera guérit, nous le vaccinerons. Son organisme est occupé à lutter contre d'autres microbes, il ne répondra pas bien au vaccin si on le lui injecte aujourd'hui.

- "Injecte" ? Ce sont des piqures ?

- Oui, une injection sous-cutanée, à renouveler à 3-4 semaines d'intervalle la première fois, puis tous les ans.

- Et ça fait mal ?

- Non, même si c'est désagréable. La plupart des jeunes chatons râlent pour le principe, les chats plus âgés ne disent rien, en général.

Mais est-ce que ça marche ?

- Oui, ça marche. Pour refaire un petit tour d'horizon : le vaccin contre le typhus est excellent. Personnellement, je n'ai jamais vu un chat vacciné développer un typhus, sauf une fois. Un traitement très simple et très peu onéreux a permis de soigner l'animal (qui aurait peut-être d'ailleurs guérit tout seul).
Pas de problème non plus avec ceux contre la rhinotrachéite féline et la calicivirose, même si des coryzas, moins graves, peuvent être causés par d'autres agents pathogènes contre lesquels on ne vaccine pas.
En ce qui concerne la vaccination contre la leucose, pareil, mon expérience personnelle est excellente : je n'ai jamais vu un animal dépisté négatif avant vaccination tomber malade et mourir de leucose. De toute façon, cette saleté de maladie là, nous en reparlerons.
Pour la chlamydiose, personnellement, je manque de recul. Le succès est très net dans un protocole thérapeutique de prévention des rechutes lorsque le diagnostic a été posé, et pour l'instant, je n'ai pas eu en consultation de chat vacciné de manière préventive et ayant développé une chlamydiose.

- Vous dites qu'un chat a attrapé le typhus alors qu'il était vacciné ? Comment est-ce possible ?

- C'est tout simple : un vaccin n'empêche pas un animal d'être en contact avec un virus. Par contre, son administration permet d'apprendre au corps à se défendre contre ce microbe, ce qui démultiplie ses chances de s'en débarrasser avant qu'il ne rende l'animal malade. Du coup, l'animal ne risque pas non plus de le transmettre à ses congénères. Par contre, dans certains cas, et pour des raisons diverses (coup de fatigue, âge, gestation ou co-infection), le microbe contre lequel l'animal est correctement vacciné va quand même réussir à s'installer, mais sans provoquer la maladie dans toute son ampleur. En général, on constate des formes bénignes faciles à soigner.
Dans le cas des coryzas, c'est un peu plus complexe : comme je le précisais plus tôt, les coryzas peuvent être dus à de nombreux agents pathogènes différents, et pas seulement à ceux contre lesquels on vaccine. Évidemment, nous vaccinons contre les plus dangereux, délaissant ceux qui, au fond, ne sont globalement responsables que de simples "rhumes".

- Mais mon chat ne vivra qu'en appartement, il n'est pas utile de le vacciner !

- Ah, écoutez donc cet exemple de mon confrère Vache albinos, il est, je pense, édifiant :

5 chats au 10e étage d'un immeuble. Adorables. Ne sortent jamais, même sur le rebord de la fenêtre (au 10e, les fenêtres doivent être verrouillées d'ailleurs je pense). Bien sûr, rien n'y fera, j'avancerai tous les arguments du monde, les chats ne seront pas vaccinés.
+
1 chaton, dans une poubelle en bas de l'immeuble. Il est petit, il est mignon, il est maigre, il est seul. Il y a déjà 5 chats dans l'appartement, on n'est plus à un près, on va lui faire une place.
=
6 chats morts du Typhus en une semaine, des propriétaires au bord de la cirse de nerfs et un vétérinaire qui hésite entre la compassion et "je vous avais prévenu, bande de...".
Le vaccin contre le typhus existe, n'est pas très cher et est d'une efficacité remarquable. 3 chats vivent à nouveau au 10e étage d'un immeuble, et tous sont à jour de leurs vaccins.

Les effets secondaires

- Et ce n'est pas dangereux, tout ça ? Ma sœur est absolument contre les vaccins.

- Non, ces vaccins ne sont pas dangereux. Des millions de chats sont vaccinés tous les ans, et le bénéfice est immense, alors que les risques sont infimes.

- Infimes, ça ne veut pas dire nuls !

- C'est vrai, et il n'y a aucune raison de cacher les éventuels dangers des vaccins :

  • La réaction locale est due à une inflammation plus ou moins importante en réponse aux adjuvants, ces molécules que l'on ajoute dans les vaccins pour faire réagir l'organisme. C'est en général une boule molle, peu douloureuse, dont la taille diminue lentement, et qui doit disparaître totalement en quelques jours. Si un animal réagit systématiquement, un traitement préventif peut être utilisé lors de la vaccination.
  • Certains chats, et c'est très rare, sont particulièrement fatigués après une vaccination, avec parfois un peu de fièvre et des courbatures. En général, c'est plutôt à la seconde voire à la troisième injection qu'apparaissent ces réactions, qui sont vraiment bénignes.
  • L'allergie est beaucoup plus grave, mais exceptionnelle. De toute ma carrière, je n'ai connu qu'une fois cette mauvaise réaction, due à une réaction allergique violente à un constituant du vaccin. Si l'animal est géré très vite, il peut être sauvé, ce qui a été le cas dans mon expérience personnelle. Par contre, la vaccination doit être abandonnée pour cet animal.

- Et cette histoire de vacciner les chats au bout des pattes ?

- Ah, vous faites allusion au fibrosarcome félin. C'est quelque chose de très important, même si l'expérience de chaque vétérinaire est très différente vis à vis de cette saleté. Le fibrosarcome félin est un cancer à malignité locale qui se développe dans le tissu sous cutané du chat suite à une irritation. Et les injections, qu'il s'agisse d'antibiotiques ou de vaccins, sont des irritations. Le traitement de ce cancer consiste en une chirurgie très large autour de la tumeur, avec éventuellement des séances de rayons ou une chimiothérapie. C'est en pensant à ce cancer que je vous disais, il y a un instant, qu'une réaction locale au point d'injection doit disparaître en quelques jours. Le fibrosarcome, lui, est une masse qui grossit plus ou moins rapidement, très dure, en général polylobulée, le plus souvent située sous la peau au point d'injection classique : entre les épaules.
Afin de rendre l'exérèse chirurgicale moins traumatisante, certains ont imaginé vacciner le chat sur des extrémités, car il est plus facile de couper une patte que d'enlever plusieurs centimètres autour de la tumeur sur le dos.
Pour ma part, je ne souscris pas à cette idée. D'abord, vacciner un chat sur le bout d'une patte, vous pouvez être sûr que ce sera très douloureux, voire impossible : il n'y a pas là l'espace conjonctif lâche que l'on trouve sur le dos. Ensuite, cette tumeur reste très rare, et devrait le devenir plus encore avec les progrès de la vaccinologie, qui prends désormais en compte ce danger et tente de le réduire en ajustant la formulation des vaccins pour les rendre moins inflammatoires.
Pour vous donner des chiffres plus concrets : en cinq ans, et en vaccinant 3-5 chats par jour, sans parler de toutes les injections d'autres produits que je réalise quotidiennement, j'ai observé deux fibrosarcomes, dont un sur l'abdomen qui n'avait rien à voire avec une injection vétérinaire (probablement une petite blessure lors d'une bagarre ou d'une escapade).

Pour conclure sur le sujet des risques des vaccins, j'insiste et j'appuie, au risque de devenir répétitif : les vaccins sont une excellente protection contre des maladies graves, parfois incurables, dont les effets secondaires ne justifient en aucun cas de s'en dispenser.

mardi 4 août 2009

La collerette de la honte ?

Je me demande combien de temps il va falloir pour l'entendre en consultation, celle-là ?

La collerette de la honteCelle-là ? Oui, cette expression fatidique : "la collerette de la honte". Une bonne crise de rire au cinéma, en voyant le film Là-haut des studios Pixar. Film que je vous recommande instamment, collerette de la honte ou pas.

Non, c'est vrai, qui a eu l'idée de cet instrument de torture que j'utilise tous les jours ou presque ? Sur le principe, c'est très simple : une parabole en plastique accrochée au collier, dont l'objectif est d'empêcher le chien de se lécher ou de se gratter une quelconque partie du corps.

Courte, elle protègera par exemple les oreilles des redoutables pattes arrières. Plus longue, voire beaucoup plus longue, elle interdira à un chien ou à un chat de se lécher des points de suture, une plaie, un pansement, un drain... Sa taille dépendra de celle du chien ou du chat, bien entendu, mais aussi de la zone à protéger : vue la souplesse d'un carnivore et l'agilité de sa langue, il vaut mieux prévoir une parabole satellitaire pour protéger une plaie sur l'arrière ou sur une patte.

Parce qu'il faut bien s'ôter une idée de la tête. Non, les animaux ne savent pas ce qui est bon pour eux. Ils ne vont pas épargner leurs points de suture si ceux-ci les démangent. Ils ne vont pas se retenir de lécher comme des furieux une plaie ouverte si elle gratte. Et non, le léchage d'une plaie n'est pas bon pour l'évolution de celle-ci. Au mieux, dans les minutes qui suivent un accident, le léchage permet d'ôter une partie des saletés, mais après, la langue est un véritable bulldozer qui laboure les très fragiles tissus de granulation cicatriciels. Ralentissant, voire empêchant, le bon déroulement de ladite cicatrisation.

Des anecdotes ?

J'ai du un jour euthanasier un chien suite à une simple castration sans histoire. Trois jours après l'opération, la plaie devait commencer à démanger. C'est normal. Il s'est léché, mordillé sans doute, et à fait sauter la suture cutanée puis sous-cutanée. Ensuite, il s'est... littéralement dévoré. Jusqu'à atteindre ses intestins, qu'il a coupés. Les dégâts étaient catastrophiques. Pour une bête castration. Pour quelques minutes d'inattention sans collerette.

Dans le même genre, une chienne qui s'était fait sauter les sutures abdominales après une césarienne. Intestins mordillés, elle aussi. Entérectomie de 1h à 5h du matin. Elle est morte le lendemain. je me rappelle encore de sa propriétaire, éleveuse avertie, juste après la césarienne : "oh non je ne lui mets jamais de collerette ça ne sert à rien, de toute façon elle est très sage". Il ne lui a sans doute fallu que quelques minutes pour s'arracher le pansement et assouvir son envie de gratouilles.

Des moins dramatiques, j'en ai des tonnes. Ré-intervention avec parage de plaie pour re-suturer, pose d'agrafes, arrachage de drains... Nous donnons toujours une collerette après chaque chirurgie, surtout sur les chiens. Pas un instant nous ne leur faisons confiance. Une cicatrice, c'est comme un bouton de moustique. Quand on se gratte, sur l'instant, c'est jubilatoire, alors on continue, on gratte, on frotte, on démange, on arrache parfois. Plus on gratte et plus ça gratte. C'est la même chose.

Alors oui, il existe d'autres moyens de contention, car un certain nombre d'animaux ne supportent pas la collerette (quoique la plupart s'y habituent après un ou deux jours). Bandages type "le retour de la momie" (bonjour l'épilation au retrait), carcans, bouées, ce sont des solutions qui ne conviennent pas à toutes les situations mais qui peuvent être très intéressantes. Et plus chères.

Alors non, elles ne sont pas parfaites, ces collerettes. Elles sont même dangereuses pour les jeunes enfants ou les personnages âgées lors qu'un chien très heureux avec leur fonce dessus et leur explose les jambes, ou le reste. Gare au mobilier, aussi.

Mais ne les sous-estimez pas.

jeudi 30 juillet 2009

Fracassé

L'accident stupide.

Un chat amené en consultation pour... un petit bobo, un vaccin ? Je ne sais même pas.

Un couple d'une quarantaine d'année.

Un animal stressé, tenu en harnais, qui saute des bras de sa maîtresse en avisant le gros chien derrière la porte.

La laisse se déroule, le chat se débat, se glisse et se libère, bondit comme une balle sur la route devant la clinique.

Une voiture.

Un accident.

Un cri, un appel au secours, j'ai couru mais il n'y avait rien à faire, le chat était mort sur le coup. L'automobiliste était navré, le propriétaire du gros chien (qui n'avait même pas vu le chat), désolé. Et moi, impuissant.

Cette image me hantera longtemps, celle du chat que j'ai déposé au fond d'un carton. J'ai réussi à masquer l'état de son crâne à sa propriétaire en larmes. Il y a des choses qu'il vaut mieux ne pas voir.

N'amenez pas votre chat en laisse à votre cabinet vétérinaire, ou dans tout autre endroit potentiellement stressant. Et encore moins en liberté dans vos bras. Ou dans un carton mal scotché. Utilisez une cage de transport, de bonne qualité, avec un plastique lourd et solide, certaines ne valent rien.

samedi 27 juin 2009

Plume de chat

Il est venu quelques jours avant Noël.

Si frêle et si fragile qu'on n'osait le toucher, de peur de le bousculer.

19 ans de siamois, 19 longues années.

Il ne voulaient plus manger, un peu déshydraté, il vomissait les quelques bribes ingérées.

Winnie semblait léger, si léger, une plume de fourrure grise marquée de noir, mal toiletté, un peu collé, un peu déséquilibré.

Il hésitait, sur le bord de la table, oscillant, balançant, n'osant pas sauter. Sa maîtresse l'avait caressé, ramené, plus en sécurité, il n'aurait sans doute pas su se rattraper.

J'avais imaginé une IRC, j'avais commencé à la préparer.

Mais Winnie n'était pas en crise d'urée. Winnie avait un diabète sucré.

Qui aurait pu croire qu'à 19 ans, un diabète sucré se guérissait ?

Pouvait-on espérer le stabiliser ?

Une petite tumeur, un épuisement du pancréas ou une inflammation chronique jamais soupçonnée, qui sait ? Peu importe : trop de sucre dans le sang, pas assez dans ses muscles, trop dans son cerveau, dans ses urines, un organisme complètement déséquilibré parce que l'insuline n'était plus correctement secrétée. L'insuline qui régule les taux de sucre, l'insuline qui équilibre à chaque instant besoins et apports, celle que nous pouvions peut-être lui apporter.

Il faudrait plusieurs jours pour le rééquilibrer. Ajuster les doses, contrôler, vérifier, faire manger, hydrater, perfuser, caresser.

Accompagner.

Dans quelques jours, sa famille devait s'absenter. Pour les fêtes. Et malgré les dix-neuf années de vie partagée, elle ne pouvait pas repousser.

Winnie passerait Noël à la clinique. Hospitalisé. Câliné, caressé, soigné, mais hospitalisé.

Elle savait que, peut-être, elle ne pourrait pas le retrouver. Nous étions le 23, dans 5 jours, le 28, elle reviendrait.

Il serait peut-être mort.

Alors Winnie est resté. Le traitement fonctionnait, un peu, pas assez, mais surtout, il ne voulait pas manger. Les choses s'équilibraient, Noël approchait, et Winnie restait.

Tout seul, dans sa cage. Si ça se trouvait, le 25, je n'aurais pas à aller à la clinique si personne ne m'appelait. C'est bien entendu uniquement pour m'éviter quelques aller-retours indispensables à son traitements et au contrôle que... je l'ai ramené. Je suis entré dans la chambre, il était 21h00 passées. Chouette réveillon. J'avais un panier, un flacon d'insuline dans sa poche isotherme, quelques aiguilles et seringues, un lecteur de glycémie, et Winnie.

Ma femme a découvert cette plume de chat fatigué, venu se frotter contre sa main, avançant sur la couette à pas légers, avant de venir se coucher. Au grand dam de nos deux chats, particulièrement outrés.

Alors nous l'avons caressé.

Câliné.

Soigné,

Hydraté.

Mais pas moyen de le faire manger.

Enfin... pas les aliments pour chats diabétiques, en tout cas. Ni les autres.

Mais bien du pâté de sanglier. Fait maison...

Juste une fois : après, il n'était plus intéressé.

Le lendemain, foie gras. S'il-vous-plaît. Mais une seule fois.

Œufs brouillés.

Poulet grillé.

Saumon fumé.

Bouchée par bouchée, lentement mâchées, difficilement avalées. Une seule fois.

Dans la chambre, cela sentait le pâté, le foie gras, le saumon et les œufs, il n'était plus intéressé.

Son diabète s'équilibrait. Moi, j'allais et venais.

Il est resté à la maison, sur le lit, presque jusqu'au bout, jusqu'au retour de sa propriétaire. Je l'ai rendu, lui ai conseillé tout ce que nous n'avions pas essayé. Winnie partait, de plus en plus léger, il ronronnait, profitait, mais il mourait.

La plume de chat est partie deux jours plus tard. Entouré.

Le diabète ? Equilibré, mais... à 19 ans, c'était trop espérer.

A pas légers, si légers, sur ma couette, il s'était étiré.

Il avait ronronné.

dimanche 8 février 2009

2008, l'année des D : Palmarès

La tradition - et le règlement de la SCC - veut que pour chaque année, une lettre déterminée commence le nom des chiens et des chats. Il en est d'ailleurs de même pour les chevaux, mais selon un calendrier différent de celui des carnivores.

En réalité, pour les chiens qui ne sont pas inscrits au LOF (ou pour les chats qui ne sont pas inscrits au LOOF), cela ne constitue en rien une obligation, même si je dois reconnaitre qu'elle me facilité la vie en consultation pour connaitre l'âge d'un patient.

Le mode d'emploi est simple : en 1926, la SCC a décidé arbitrairement que l'on commencerait par la lettre A, et que l'année suivante, on passerait à B. Histoire de simplifier la vie des gens, le Z a sauté, puis d'autres lettres sont également passé aux oubliettes en 1973 (sans doute une conséquence de la crise, va-t-on constater la disparition d'autres lettres avec l'appauvrissement annoncé, par certains de la langue française, et le développement d'une nouvelle crise ?).
Bref.
Dans d'autres pays, les éleveurs changent de lettre à chaque portée - à chacun son système. Le leur a l'avantage d'offrir plus de variations, mais perd son intérêt de repère chronologique pour les vétérinaires.

Comme les éleveurs sont des petits malins, et que certaines lettres ne sont vraiment pas intéressantes, ils ont parfois tendance à tricher un peu, ce qui donne parfois des choses amusantes : l'année des M, beaucoup de chiens s'appellent M. Loulou, M. Tartempion ou M. Bullbastick. D'autres utilisent une première partie de nom liée à la portée, pour mettre autre chose derrière.

Année des G ? Glace Vanille, Glace Chocolat, Glace Caramel.

Année des U ? U-Too, U-Boat, U-Baby...

Ensuite, beaucoup de gens trouvant le nom "officiel" de leur chien ridicule, choisissent plutôt de l'appeler Tayau, ou Princesse. Gaffe aux papiers divers et variés, le nom officiel est celui qui est enregistré à la SCC (l'erreur classique est la carte de tatouage au nom de Rhododendron de la Clairière aux Alouettes, ses propriétaires ont préféré Mirza, et c'est le nom annoncé au vétérinaire qui doit pourtant faire attention à remplir le passeport canin au nom de Rhododendron etc.).

L'année 2008 était donc l'année des D. Florilège.

Les plus originaux :

Deedadeedeedada
Darjeeling
Dermojet

Original, c'est pas forcément joli non plus...

Ceux dont j'aurais cru qu'ils auraient plus de succès :

Dora (6) - mention spéciale : "c'est ma fille qui a voulu l'appeler comme ça"
Dana (2) - prix du jury "mon fils a remarqué que nous habitions dans une vallée"
D'Artagnan (5)
Douce (3), j'aurais vraiment cru qu'il y en aurait beaucoup
Démon (0) - superstition ?

Et les grands gagnants !

Première marche du podium : Diane, chasseresse et épagneule breton en général (26)
Deuxième place bien méritée : Dolly, chasseresse et épagneule breton, éventuellement bleue de Gascogne (22)
Ex-aequo sur la troisième marche : Daisy & Dick (13)

Une mention pour les Domino (11), qui ne sont pas passé loin du podium !

Ma déception ? Pas de Dark Vador...

Pour l'année prochaine, je m'attends à une volée d'Elliot et d'Elsa. Je vous tiendrai au courant début 2010 !

vendredi 9 janvier 2009

Mais docteur, vous n'y pensez pas ?

"Bonjour docteur, je viens pour un conseil."

Elle a sans doute la quarantaine, mais elle le cache bien sous un beau manteau et un maquillage soigné. Son mari se tient à ses côtés, en fait, il a l'air plus jeune, un peu en retrait. C'est elle qui mènera la conversation.

"Je voudrais un conseil pour m'occuper de ma chatte."

Et on ne ricane pas dans le fond, je vous ai vu avec vos idées mal placées.

"Je vous écoute ?
- Voilà, elle vomit à chaque fois qu'elle mange des croquettes.
- Vraiment à chaque fois ?
- Oui, oui. Mais quand on lui donne de la pâtée elle ne le fait pas.
- Elle vomit juste après avoir mangé ou un peu plus tard ?
- Plutôt plus tard, en forçant beaucoup, et elle en met partout, j'en retrouve sur les tapis, sur les fauteuils."

Ca doit faire tache dans l'intérieur.

"Mais elle va très bien, hein. Et j'ai essayé plein de marque différentes, à chaque fois c'est pareil.
- Ah.
- Pourtant elle a de l'appétit, et on ne l'entends jamais se plaindre.
- Et elle a quel âge ?
- 5 ans.
- Elle fait ça depuis longtemps ?
- Au moins un mois.
- Elle vomit systématiquement à chaque repas depuis un mois ?
- Oui ! Sauf avec la pâtée. Mais je préfère les croquettes. Du coup je ne lui donne pas trop de pâtée.
- Ouais..."

Là, je suis face à mon étagère de médicaments, un brin dubitatif. Elle ne vomit certainement pas à chaque fois depuis un mois, elle serait cachectique. Mais ça dérange la dame, quoique pas assez pour qu'elle reste à la pâtée.

"Bon, le plus important, c'est de stopper les vomissements. Si elle continue, cela va de toute façon entretenir une gastrite et une œsophagite. Donc pâtée, et pâtée, au moins deux semaines. Je vais vous donner des comprimés...
- Ah non docteur, pas des comprimés, on ne peut pas lui en donner, elle devient furieuse.
- Mais...
- Pour le vermifuge ça a été l'horreur, elle en a mis partout et pourtant c'était de la pâte.
- Ouais, d'ailleurs j'allais en parler, du vermifuge, elle a eu la dose du coup ?"

C'est le mari qui réponds :

"Non, je ne crois pas."

Je me tourne vers lui, mais son épouse reprends les rênes de la conversation.

"Ca pourrait être les vers ?
- Peu probable, mais de toute façon ça ne peut pas faire mal de la traiter, je vais vous donner un vermifuge en pipette à mettre sur le dos, bien sur la peau, pas sur les poils.
- Ouh là, ça va être compliqué !
- Ca ne fait pas mal. Pour les comprimés...
- Impossible !
- Ah... Et vous pensez que vous pourriez lui faire des injections ?
- Vous n'y pensez pas ?
- ...
- Ils sont petits les cachets ?
- Très petits... mais il faut les donner matin et soir. Vous pouvez les écraser dans la pâtée.
- Inutile : elle les sentira.
- Vous pouvez toujours essayer... Sinon j'ai des trucs en seringue mais c'est moins bien, et puis vous aurez autant de mal à lui donner.
- Oui.
- Bon, et puis si ce n'est pas mieux en 4-5 jours, il faudrait nous l'amener, quand même.
- Impossible, docteur, elle ne voudra pas, elle déteste les vétérinaires !
- Elle est déjà venue ?
- Non.
- ..."

Je tapote sur mon ordinateur.

"Et que de la pâtée, si on favorise les vomissements on ne s'en sortira pas.
- Je ne peux pas mettre des croquettes une fois sur deux ?
- Non. Et les comprimés c'est matin et soir.
- Je ne peux pas donner le double une fois par jour ?
- Non ! Et si elle ne va pas mieux très vite, il faudra l'amener ! Et ça fait 14 euros 60."

Avec le soupir qu'elle a poussé, j'ai failli être grossier.

dimanche 12 octobre 2008

Tests génétiques et autres boules de cristal

A l'origine de ce billet, une demande de Véro suite à une discussion sur le blog Aube Nature, au sujet d'une maladie cardiaque chez les chats de races Maine Coon dont le dépistage est désormais possible grâce à un test génétique.

Plutôt que de me lancer sur une discussion pointue au sujet de ce test, je pense plutôt reprendre quelques fondamentaux... ce qui me permettra sans doute de répondre aux questions soulevées par cette maladie et ce test.

Lire la suite...

vendredi 26 septembre 2008

Grippe chaviaire

"Docteur, j'ai une requête inhabituelle à formuler.
- Heuuuuu"

Le tableau : le vétérinaire, une seringue entre les dents, une brebis entre les genoux, en train de vacciner. Le monsieur, 60ans bien sonnées, qui tient vaguement la tête de la brebis - elle s'appelle Berthe - en gilet Lacoste vert et chemise blanche, pantalon gris à pinces, chaussures vernies.
Il a deux brebis de compagnie, nous les vaccinons en passant.

"Dites toujours ?"

Là, on imagine le pire : une embrouille sur les inventaires d'élevage, un truc sur les dates de vaccination, ou ? Le type est un peu bizarre, méfiance.

"Je voudrais vous demander d'effacer les fiches informatiques de mes chats sur votre ordinateur.
- Hein ?
- Oui, c'est à cause de la grippe aviaire.
- ...
- Comme vous le savez, nous allons bientôt avoir de la grippe aviaire, comme nous avons eu la langue bleue. Or, il est évident qu'il faudra euthanasier tous les chats. Et je pense qu'ils se baseront sur les fichiers des vétérinaires pour trouver nos minets. Je voudrais donc, à titre préventif, que vous effaciez les fiches de mes animaux."

Vérification : il a l'air très sérieux.
Il n'est pas "un peu bizarre", il est carrément tordu.

vendredi 8 août 2008

Regard : Chaton nouveau-né

Chaton nouveau-né par césarienne

Environ une dizaine de minutes après sa sortie du ventre de sa mère (par des voies non conventionnelles), réanimé, frictionné, réchauffé, et en attente des tétines maternelles...

Quant à moi, j'ai enfin accès à internet chez moi, je vais donc pouvoir paisiblement reprendre l'écriture de ce blog !

vendredi 6 juin 2008

IRC

IRC...

Pour la plupart des gens, ça ne doit pas évoquer grand chose. Les geeks penseront Internet Relay Chat, sans doute.

Pour les vétérinaires (comme les médecins), et un certains nombre de maître, l'IRC ce serait plutôt l'Insuffisance Rénale Chronique, première cause de mortalité du chien ou du chat âgé qui serait passé au travers des autres saletés que peut lui réserver l'existence. Pour résumer, et si l'on exclut les cancers, pour nous autres humains, c'est notre cerveau ou notre coeur qui seront les premiers organes à montrer de sérieux signes de défaillance, et, finalement, dont les dysfonctionnement causeront notre agonie, puis notre mort.

Pour les carnivores domestiques, ce sont les reins. Quand je parle des reins, je parle de ces deux stations de filtration/épuration/recyclage ultra-modernes et performantes qui permettent d'évacuer tous les déchets produits par le fonctionnement de notre organisme. Je ne parle donc pas des "reins" comme lorsque l'on dit "j'ai un tour de reins", où là, on évoque plutôt la musculature et les vertèbres lombaires, situées juste en regard des "vrais" reins. Je préfère préciser tant la confusion est fréquente.
Les reins, ce sont des organes vitaux. On ne peut pas vivre sans eux.
Les lombes, c'est pénible quand ça craque et que ça fait mal. La douleur, je ne la souhaite à personne, mais on peut vivre avec.

Formulons-le autrement : l'espérance de vie de votre chien ou de votre chat est suspendue à ses reins.

Chaque cellule de notre organisme fabrique des déchets. Comme une voiture, comme une usine, comme tout ce qui construit ou produit de l'énergie. Et le rendement de la machine biologique est particulièrement mauvais, ce qui fait du foie et des reins des organes incontournables dont la mission principale (en tout cas pour les reins, le foie fait pas mal d'autres choses) est de balancer aux ordures (l'urine et les selles !) tout ce qui ne sert à rien, et, surtout, tous les déchets toxiques. Car oui, nous fabriquons du poison, des quantités invraisemblables de bouts de protéines, d'acides, de trucs pas trop identifiables auxquels nos cellules accrochent un panneau "jetez-moi" pour indiquer au rein ou au foie de virer ces saletés. Un système certes peu rentable mais terriblement efficace.

Les reins, en fait, sont deux stations rassemblant des centaines de milliers de petites unités de filtration/recyclage que l'on appelle des néphrons. Leur boulot, c'est de fabriquer l'urine primitive en filtrant le sang grâce à un tamis assez peu sélectif mais très fin, à travers duquel passent les plus petites molécules sanguines. Les poids lourds du sang, comme le cholestérol, les globules rouges, ou les anticorps, ne passent pas ce filtre et ne vont donc pas dans les urines. Le reste, comme les minéraux, les toutes petites protéines et les déchets inclassables de petite taille, filent dans les urines. Un certain nombre de molécules importantes sont récupérées pour ne pas être balancées, comme les minéraux.

Comme je vous le disais, nous naissons avec des centaines de milliers de néphrons. Bien plus que nous n'en avons besoin, en réalité ! La marge de manœuvre est immense, sauf que... un néphron mort est définitivement perdu. Il ne repoussera pas, ne sera pas réparé, il sera perdu.
Et nous perdons des néphrons dès le premier jour de notre vie. Chez les humains, il se trouve en général que nous mourrons avant de ne plus en avoir assez.
Pour le chiens et les chats, ce n'est pas du tout la même chanson... eux, généralement, sont encore en vie lorsqu'il ne reste plus qu'un tiers du nombre de néphrons qu'ils avaient à l'origine. Lorsque ce tiers fatidique est atteint, un système d'alerte retentit dans le corps et la cadence des néphrons restant est augmentée pour permettre de garder le sang pur. Une alerte qui permet, entre autres, d'augmenter la tension artérielle à l'entrée des reins pour augmenter le débit de filtration. Le souci, évidemment, c'est que les tamis des néphrons ne sont pas faits pour être passé bien longtemps au kärcher de l'hypertension. Du coup, ils s'usent encore plus vite. Lorsqu'il ne reste plus que 25% des néphrons, les reins peuvent devenir incapables d'assurer leur travail. Du jour au lendemain. Sans prévenir. Et l'organisme de votre chien, de votre chat, va commencer à s'empoisonner doucement. Ou brutalement.

Heureusement, il y a des signes avant-coureurs. Lorsque le chien ou le chat flirte avec les 33%, des premiers signes d'alerte peuvent être décelés. Comme un coup de fatigue, un "coup de vieux". Une tendance à boire plus, mais très progressive : votre chien ou votre chat boit plus pour pouvoir uriner plus, filtrer plus... Un appétit plus capricieux, aussi. Une difficulté à supporter les temps chauds et humides, la forte pression atmosphérique avant l'orage. Des toutes petites choses qui peuvent ne rien signifier mais qui, mises bout à bout, doivent vous alerter. Surtout l'augmentation de la quantité d'eau bue, qui s'accompagne d'une dilution des urines. Attention ! Je ne dis pas que ses urines vont devenir comme de l'eau, ou même qu'elles vont s'éclaircir, seul un réfractomètre pourra donner leur densité exacte.

Une densité nettement inférieure à 1.020 sans raison particulière, c'est LE signe d'alerte biologique. A ce stade, les marqueurs sanguins sont encore normaux, la prise de sang ne sert à rien : le corps s'adapte pour filtrer plus, dons le sang reste normal : les reins assurent leur fonction, en modifiant leur façon de travailler. A ce stade, il existe des traitements pour retarder l'inéluctable. Supprimer le sel pour réduire l'hypertension, administrer des anti-hypertenseurs, très efficaces, ou des molécules ralentissant la sclérose du néphron, ou réduisant la formation des déchets azotés. Choisir une alimentation spécialement conçue pour un insuffisant rénal, très digeste, avec très peu de déchets. Toutes ces thérapeutiques sont intéressantes, certaines sont primordiales (IECA et alimentation), d'autres sont secondaires. Mais aucune n'empêchera ce qui arrivera forcément un jour ou l'autre : on ne peut que ralentir la dégénérescence rénale, pas l'empêcher.

Jusqu'au jour où un effort trop important leur fera dépasser leur capacité, et les déchets s'accumuleront. Nous serons alors bien proches de 25% fatidiques.
Ce jour là, la concentration sanguine de l'urée et la créatinine, deux déchets qui servent de marqueurs biologiques de la filtration rénale, augmenteront. L'intensité de cette augmentation sera un indice intéressant de la gravité de la situation.
Votre compagnon commencera à s'intoxiquer sérieusement, et les symptômes seront d'ordre neurologique : vomissements, perte de l'appétit, de la soif, avec une déshydratation correspondante, pertes d'équilibres, voire modifications du comportement, angoisses nocturnes, aboiements, etc.

Ce jour-là, votre vétérinaire vous proposera sans doute d'hospitaliser votre chien, ou votre chat, et de le mettre sous perfusion. La perfusion va mécaniquement relancer le fonctionnement rénal en forçant la filtration, et donc abaisser les concentrations de déchets dans le sang, faisant diminuer la gravité des symptômes. Ce traitement pourra fonctionner, c'est le plus souvent le cas, mais il pourra aussi échouer. Dans ce dernier cas, et malgré les efforts de votre vétérinaire, l'état de votre compagnon va empirer.
Si le traitement marche, votre chien, ou votre chat, pourra rentrer à la maison. Votre vétérinaire vous prescrira certainement des mesures d'accompagnement, afin de retarder au plus la prochaine crise. Car il y aura une prochaine crise, une nouvelle crise d'insuffisance rénale. Six jours plus tard, ou six mois plus tard, ou plus ? Difficile à dire.

Face à cette nouvelle crise, votre vétérinaire vous proposera peut-être de recommencer la perfusion, sauf si l'état de votre compagnon était trop critique. Ce traitement pourra marcher à nouveau, ou pas.

Vous serez face à l'agonie de celui qui a vécu plus de dix ans avec vous, qui a partagé vos galères, vos bonheurs, votre enfance ou votre première petite amie. Il était peut-être là, sur le buffet, le jour où vous avez embrassé ce garçon pour la première fois. Il vous faisait peut-être la fête le jour où vous êtes rentré à la maison avec votre bébé, de retour de la maternité. Il lui a collé un gros coup de langue sur le nez, ce jour-là. C'est cet abruti de chien qui a bouffé vos chaussures, cette boule de poil qui était un chiot il y a si peu de temps... C'est cet andouille de chat qui vous a fait trébuché alors que vous portiez les verres en cristal de maman, qui a fait ses griffes sur le canapé en cuir tout neuf. Cette boule de poil qui courrait après les bouchons en liège que vous lanciez sur le parquet.

Vous allez souffrir. Et le vétérinaire ne pourra rien faire, je ne pourrai rien faire. Je comprendrai votre souffrance, parce que je l'ai vécue, parce que toutes les semaines, je vois une personne, comme vous, qui m'aura dit, en retenant ses sanglots : "c'était mon cadeau de mariage, mon mari est mort il y a deux ans."
"Il a accompagné les premiers pas de mon fils."
"Elle a accouché dans mon tiroir à petites culottes."
"Il adorait se frotter contre l'épaule de mon mari quand il était dans le fauteuil en train de lire son journal. Nous avons divorcé et le chat a gardé le fauteuil."
Moi, je retiendrai mes émotions, j'utiliserai le bouclier de l'empathie pour évoquer avec vous l'euthanasie.

Je ne serai pas indifférent, et vous serez en colère, ou effondré. Vous m'en voudrez, ou vous en voudrez à la vie, à votre compagnon qui vous quitte déjà. Puis vous accepterez, mais vous souffrirez. Cela, je n'y pourrai pas grand chose.

Mais votre chien, ou votre chat, souffrira aussi. Les poisons dans son sang le rendront nauséeux, anorexique, le feront vomir, lui feront perdre ses repères. Pas une douleur aiguë, une souffrance intense, mais une déconnection avec la vie. Et lorsque les perfusions ne marcheront plus, il sera temps de cesser, car le seul vrai traitement serait une greffe de rein, et aujourd'hui, aucun vétérinaire en France ne pratique cette intervention. Son heure sera venue.

Vous aurez sans doute à choisir l'euthanasie, car l'agonie par insuffisance rénale est généralement très longue et très douloureuse. Vous ne le trouverez pas mort, paisible, dans son panier, le matin en vous levant. Vous vous accrocherez à cet espoir car un ami vous a dit que, parce que sur internet vous avez lu que c'était arrivé, que certains étaient morts sans souffrir. Je le souhaite pour vous, pour lui, pour moi aussi. Mais je sais comment finit la majorité.
Des jours entre la vie et la mort, et personne ne peut souhaiter cela. Il aura peut-être de la chance, mais ne comptez pas dessus... J'ai trop souvent vu cette agonie et cette souffrance dans les yeux d'un chat ou d'un chien que son maître ne pouvait se résoudre à laisser partir.
Rappelez-vous : il est un stade ou nul traitement ne le soulagera. Ce jour là sera terrible.

Aujourd'hui, je n'irai pas plus loin, mais un de ces jour, je vous parlerai de Minouche, ou de Trompette, d'un chien de chasse ou d'un vieux matou. De ce que nous avons fait pour eux, de ce que nous n'avons pas pu faire pour eux. De leur vie, et de leur mort. De moi, de vous peut-être.

samedi 24 mai 2008

Consultation vaccinale

"Vous savez docteur, j'ai l'impression que mon chien est mieux suivi que moi. Je veux dire, il vient tous les ans pour son rappel, alors que je ne vois jamais mon médecin, puisque je vais bien."

L'homme qui me parle a la soixantaine. Comme tous les ans, il m'a amené Punky (il précise toujours que c'est son fils qui lui a trouvé ce nom), officiellement croisé de caniche et de berger allemand. Peut-être, s'il le dit. En tout cas il ne ressemble à rien, et ça lui va très bien. Bref, Punky a maintenant dix ans, et, au fil de la conversation, alors que j'examinais l'animal, l'homme m'a précisé qu'il arrivait que Punky se "relâche," et oublie un peu les notions de propreté : en gros, il fait pipi à l'intérieur.

"Le jour, la nuit ?"

J'ai posé mon stéthoscope pour me concentrer sur cette phrase anodine, perdue au milieu de la conversation.

"Heuu, seulement la nuit, docteur, le jour, il demande.
- Et la nuit, il ne demande pas ?
- Remarquez, peut-être, mais comme il dort en bas et que je suis un peu sourd, je ne l'entends peut-être pas."

Du coup, je hausse la voix. Sans crier, quand même.

"Et il boit plus qu'avant ?
- Ooh, non. Je ne crois pas.
- Vous diriez qu'il boit combien par jour ?
- Je lui remplis sa gamelle tous les jours. Je ne sais pas, un litre sans doute, bien un litre.
- Et il mange de la soupe, c'est ça ?
- Oui, oui...
- Bon, alors c'est trop pour son poids. Je vais lui prélever des urines et les analyser de suite."

Ce qui m'a permis de dépister une insuffisance rénale débutante, mise sous traitement à temps. Comme son cœur, auquel mon confrère a découvert l'an dernier un souffle bénin, sans conséquence, mais que nous suivons depuis avec attention.

L'homme reprend : "Moi, j'ai peut-être un souffle au cœur, et je ne le sais pas ?
- Et oui, si vous n'allez pas voir le docteur, vous ne pouvez pas le savoir, au début. Comme moi d'ailleurs...
- Mais je ne vais pas aller voir le docteur alors que je suis en bonne santé ?
- Votre chien aussi est en "bonne santé". Mais son organisme commence à s'user et des traitements précoces lui assureront une espérance de vie supérieure, sans souffrance.
- Mais c'est parce qu'on le vaccine tous les ans que vous avez trouvé ça.
- C'est parce que je le vois tous les ans. Sinon, je l'aurais trouvé bien plus tard, quand il aurait été malade de ses reins, ou de son cœur..."

La consultation vaccinale, c'est le cœur du suivi médical de mes patients. L'occasion de discuter, de parler des petits soucis du quotidien, qu'ils concernent ou pas l'animal. De maintenir le lien, d'offrir des conseils, sur la reproduction, l'alimentation, les sorties, les réglementations, etc.

C'est aussi un excellent moyen pour dépister les affections précoces qui peuvent venir assombrir l'avenir du chien, ou du chat. Insuffisance rénale, cardiaque, arthrose, problèmes oculaires, ces maladies là ne rendent pas "malade" avant une longue évolution, qui passe la plupart du temps inaperçue.

Parce que quand vous vous essoufflez plus facilement, vous le sentez. Parce que votre douleur sourde mais récurrente à l'épaule, vous la connaissez, vous savez l'évaluer sur le long terme. Mais votre chien, lui, ne se plaindra pas d'une douleur de ce type. Pas plus qu'il ne vous dira qu'il urine plus qu'avant, ou qu'il a tout le temps soif.

Dans mon cabinet, une consultation vaccinale dure, pour un animal en pleine forme, au sujet duquel il n'y a rien de spécial à raconter, une dizaine de minute. Si je dépiste un problème, ou si il y a un sujet sur lequel je souhaite sensibiliser les maître, cela peut durer une demi-heure. Voire plus.
Avec les chiots, je parle d'alimentation, de vermifuges et d'éducation. Généralement, ces consultations là durent trente à quarante minutes.
Avec les jeunes, je parle de sexe, de puberté et de stérilisation.
Pour les jeunes adultes, en général, pas grand chose à dire, mais on peut parler des vaccins, de certaines maladies courantes, comme la piroplasmose, ou de réglementation pour voyager, ou de toute autre chose.
Dès que les chiens vieillissent, on parle arthrose, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, alimentation, etc.

Certaines personnes pensent que, la plupart du temps, je me contente de poser mon stéthoscope, histoire de justifier mes honoraires, puis d'injecter la dose de vaccin et de coller mon coup de tampon sur le carnet (ce dernier point étant souvent le plus important pour elles).
Pourtant, j'examine l'animal dès son arrivée, à travers la fenêtre de la salle de consultation, sur le parking. Je regarde son attitude dans la salle d'attente, son comportement, sa façon de marcher, les réactions de son maître. Les vôtres !
Pareil quand il entre, et que je le met sur la table d'examen. J'ai serré la main du maître, demandé des nouvelles de la famille et écouté les considérations météorologiques, mais mon attention est ailleurs. J'encourage le maître à parler de son chien ou de son chat, de tout, et de rien. Pas difficile, en général. Les informations sont noyées dans les interprétations, peu de faits, beaucoup d'anthropomorphisme, mais sous-estimer cette discussion est une erreur. Au milieu de ce flot que je n'écoute que d'une oreille distraite, je pêche parfois l'information qui va donner une autre orientation à la consultation, voyez l'exemple de Punky.

Lorsque l'animal est sur la table, je palpe toutes ses articulation, j'examine sa peau tout en cherchant ses nœuds lymphatiques, je vérifie l'état de ses oreilles et de ses yeux. Je soulève ses pattes et examine ses coussinets, et les plis entre eux. J'ouvre sa gueule, regarde ses dents, ses gencives, sa langue, son palais. Je le caresse, je lui parle, je le rassure, et avec ces caresses, je cherche les anomalies, je palpe les mamelles, ou les testicules, je vérifie le fourreau, ou la vulve, l'air de rien. Je palpe son abdomen, aussi. Tout cela se fait naturellement, très vite, sans, généralement, que le propriétaire remarque grand chose. Souvent, je souligne mes explorations, je signale au maître ce que je regarde et ce que je vois.
Puis je prends sa température, et vérifie par la même l'état de son anus, la couleur de ses selles.
Enfin, je prends mon stéthoscope, j'écoute le cœur, et les poumons. Selon l'âge du chien, ou si j'ai le moindre doute, je prends mon ophtalmoscope ou mon otoscope, pour vérifier respectivement les yeux et les oreilles.

Avec les chats, les manipulations sont les mêmes mais se font au gré des caresses et des ronronnements : au rythme du chat...

Ensuite, et seulement ensuite, et si l'animal est en bonne santé, je réalise l'injection, puis je fais les papiers...
Et je laisse, pendant ce temps, l'animal en liberté, excellent moyen de l'observer encore, ou d'analyser ses rapports avec son maître... C'est le bon moment aussi pour une ultime recommandation !

lundi 31 mars 2008

Pourquoi vacciner mon animal ? (1/5)

"Docteur, bonjour."

Une dame s'avance vers moi. La quarantaine, les cheveux frisés, elle me sourit. Elle n'a pas d'animal avec elle. Prise de rendez-vous ou demande de renseignements ?

"Je voudrais vous voler quelques minutes de votre temps afin de discuter des vaccins de mes animaux. Je suis nouvelle dans la commune et ma voisine m'a conseillé de venir vous voir.

- Heureuse idée, que souhaitez-vous savoir ?"

Il y a trois ou quatre personnes dans la salle d'attente. L'ASV est en train de servir un éleveur venu chercher des antibiotiques et quelques conseils, tandis que les autres patientent en attendant leur tour. Il y a là une cliente habituelle avec son labrador, un chien sans histoire aucune, venu justement pour son rappel vaccinal. Il y a également un jeune homme avec un chaton sur l'épaule, je devine d'ici ses paupières gonflées et son écoulement nasal. Un coryza ?
Enfin, il y a M. Ferrier, un jeune homme très stressé depuis qu'il a acheté une ponette à sa fille, et encore plus depuis que je lui ai annoncé qu'elle allait bientôt pouliner... Elle a manifestement eu le temps de faire des galipettes avant d'arriver chez lui. Son anxiété est perceptible depuis le comptoir contre lequel je m'appuie pour répondre à la dame qui m'a interpellé.

"Et bien, aucun de mes animaux n'est vacciné. Enfin, mon chien Whisky l'a été, mais cela fait longtemps, je ne suis pas sûre qu'il soit encore protégé. Est-ce que ça vaut la peine de recommencer ? J'ai peur que ce soit dangereux, il est vieux maintenant. Et mon chat, qui vivait en appartement, il sort, maintenant. Il faut le vacciner aussi ?"

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vendredi 21 mars 2008

Il est venu pour mourir

Il est 20h30.

Mon téléphone sonne.

"Bonsoir. Je m'excuse de vous déranger, mais mon chat ne va pas bien. Il ne bouge presque plus, il a l'air très fatigué. Je sais, il est très âgé, mais..."
Je ne la laisse pas continuer. Je sais qui elle est, je connais son chat. Il a 19 ans. Je sais que ce n'est pas une urgence. Mais pour elle, pour lui, je n'hésite pas.
"On se retrouve dans dix minutes à la clinique ?
- Merci"

J'ai 2 kilogrammes 600 de chat sur la table. 2 kilo 600 qui ont traversé 19 années, 2 kilo 600 un peu déshydratés.
C'est sa fille qui est venue. J'aime bien ces deux femmes. Elles sont sans doute un peu trop... chats, mais elles ont une attitude saine et digne face à la mort. Je sais que je n'aurais pas de crise, pas de passion, pas de hurlements.

"Je sais qu'il est très âgé. Je sais qu'il est à la fin de sa vie. Mais je voudrais juste savoir s'il est juste trop vieux, ou s'il y a autre chose. Je ne voudrais pas mal comprendre."

Sa voix est très douce, posée, les mots sont choisis. On m'a rarement dit de tels mots de cette façon là. Je devine qu'il serait indécent de s'acharner. Dragon est venu pour mourir.

Je prononce quelques mots sur la fin de vie des chats. "Généralement, les chats meurent car leurs reins ne fonctionnent plus. Buvait-il beaucoup ces derniers temps ?
- Non, je vois ce que vous voulez dire, mais non."
Un silence. Je caresse le chat. Il y a des traces d'urine sale autour de son prépuce. Alors que par ailleurs, il s'est toiletté.
"Par contre, un de nos chats a uriné dans la pièces où ils sont le plus souvent. Il faut dire que la litière est loin. Mais ils ne font jamais ça. Je ne sais pas si c'est lui."

Dragon ronronne discrètement. Sa déshydratation est un indice d'insuffisance rénale, mais...

Je prends mon thermomètre.

"Il a de la fièvre. 39.2. Il n'est pas en train de mourir. Les chats qui partent n'ont pas de fièvre. Ils sont plutôt en hypothermie. Il est... juste malade. Et je crois que..."

J'attrape un petit haricot en métal, que je place entre les postérieurs de Dragon, puis je place délicatement les doigts de ma main droite autour de son minuscule abdomen, et ma main gauche sur son dos, entre ses omoplates, pour le maintenir. Sa vessie est entre mes doigts, je la presse doucement. Un jet d'urine, puis deux. Quelques gouttes. Assez pour moi.
J'emmène ces gouttes de vie dans le petit laboratoire.
Une bandelette urinaire. Du sang, des globules blancs, un pH acide.
Mon réfractomètre. Densité 1.018.
L'acide nitrique. Heller 2mm.
Je centrifuge les dernières gouttes de vie. Je ne dis rien.
Deux minutes se sont écoulées depuis le prélèvement d'urine. Je regarde le culot de centrifugation au microscope. Il grouille de bactéries, il y a beaucoup de globules blancs, mais pas de calcul.

Mon diagnostic tombe comme un acquittement.

"Votre chat a une cystite. Une banale infection de la vessie.
- Une bête cystite ? Comme moi ?"

La jeune femme laisse échapper un rire gracieux.

"Et vous avez pu savoir ça en si peu de temps ?
- Il a eu la bonne idée de ne pas avoir la vessie vide..."

Un silence. Je devine le ronronnement du chat qui s'appuie contre ma main, posée sur son dos.

"Il n'est pas venu pour mourir, finalement. Je vais lui injecter un antibiotique qui agira deux semaines, un antispasmodique pour la douleur, et je vais lui faire une injection de liquide de réhydratation sous la peau. Même s'il est très âgé, et fragile, il devrait aller mieux demain."

J'adore l'atmosphère apaisée de la clinique alors que, dehors, la tempête fait rage.

mardi 18 mars 2008

Obligation de soins ?

Un vétérinaire peut-il refuser de soigner votre animal ?

Est-il obligé d'accepter une consultation en pleine nuit, voire d'opérer votre chat s'il s'est cassé la patte, ou s'il a une allergie aux piqûres de puces ?

Et si vous n'avez pas d'argent, doit-il quand même lui détartrer les dents ? Soigner ses blessures ?

Peut-il le laisser souffrir, ou mettre sa vie en danger en refusant de le soigner ?

Je vous laisse réfléchir aux questions, avant d'aborder les explications.

Ca y est, vous avez vos réponses ?

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dimanche 16 mars 2008

Essentielles

Vendredi, 11h59, le téléphone sonne à la clinique.

Une voix paniquée : "Docteur, c'est horrible, mon chat convulse dans tous les sens !
- Ben heu... amenez le vite."
Je mangerai une autre fois...

Dix minutes plus tard, le chat est sur la table de consultation. Il est vaguement conscient, convulse par intermittence, bave à en remplir des seaux, sa température est à 40°. Sans doute à cause des convulsions.

"Ca l'a pris brutalement, juste avant midi !
- Il a pu manger quelque chose d'inhabituel ? C'est un chat qui sort ?
- Oui, il vit autour de la ferme, il peut aller partout, mais quelque chose d'inhabituel... je ne sais pas, peut-être une plante ?
La dame retient ses larmes, elles a une voix presque stridente. Il faut dire que le chat n'est vraiment pas bien. Je lui injecte du valium pour calmer les convulsions en attendant de trouver leur origine.
- Mouais... Je n'y crois pas trop. C'est la première fois qu'il fait ça ?
- Oui ! Il est épileptique ?
- Pourquoi pas, mais ça m'étonnerait, il a 5 ans, et ce n'est vraiment pas fréquent chez les chats.
J'examine sa tête. Il n'a pas l'air d'avoir pris de coup.
- Il n'a pas pu prendre un coup sur le crâne, madame ?
- Pas juste avant les convulsions, il était à l'intérieur, en train de dormir.
Je regarde ses oreilles, ce chat a une petite gale auriculaire. Pas de quoi fouetter un ch... heu convulser.
- Vous avez des produits pour tuer les fourmis, les limaces, les souris, ou d'autres produits toxiques à la maison ?
- Ah non docteur, moi, je suis bio !
- Ah.
- Enfin sauf pour les moustiques, parce que la citronnelle et compagnie, c'est nul.
- Certes, mais vous n'avez pas mis un coup de bombe sur votre chat quand même ? Je hausse un sourcil, inquiet.
- Ah nooooon.
- Bon... bizarre.
Je commence à me demander si une otite pourrait faire ça.
- Il avait la tête penchée, votre chat ?
- Oui, parce qu'il a une gale !
- Effectivement, bien observé.
- Mais je l'ai traitée, ce matin d'ailleurs.
- Ah ! Avec quoi ? Du lindane ?"
Cette vieille molécule, qui vient d'être totalement interdite, était encore utilisée il y a peu pour traiter les gales auriculaires des chats et des chiens. Pour ces derniers, pas de problème, c'était un produit très efficace et sans effet secondaire. Pour les chats, par contre, j'étais assez frileux, car même si le médicament possédait l'indication dans cette espèce, on dénombrait quelques accidents neurologiques... un peu trop à mon goût.
"Du lindane ? Quelle horreur ! Non, avec des huiles essentielles ! De la sariette."
Je suis nul en médecines alternatives. Mon truc, c'est la médecine, pas l'alternative. J'ai été un étudiant très remonté contre l'homéopathie ou l'aromathérapie, mais j'ai décidé d'être moins sectaire le jour où j'ai vu une grand-mère retirer le feu à son petit-fils, brûlé au second degré. Je suis devenu plus pragmatique : vrai truc qui m'échappe ou effet placebo, peu importe, si ça marche et qu'on ne m'empêche pas de faire mon boulot. Par contre, avec les huiles essentielles, je suis très méfiant. Il y a beaucoup de molécules très toxiques là-dedans, et possédant une forte affinité pour le gras, et donc... le système nerveux.
"Vous lui avez mis de l'huile essentielle de sariette dans l'oreille ? Pure ?
- Oui, mais juste une petite goutte !"
Je prends mon otoscope, et part explorer le conduit auditif... il est cruellement brûlé par le produit, je crois que je tiens mon coupable.
"Je ne recommencerais pas d'ailleurs, apparemment ça l'a brûlé !
- Effectivement."
Sa voix s'affaiblit. "J'ai intoxiqué mon chat ?
- Manifestement. Vous avez versé un produit potentiellement neurotoxique à un centimètre de son cerveau...
- Et il y a un antidote ?
- Pas à ma connaissance... je vais le perfuser, le maintenir sous sédation, et tenter de sauver son foie, la plupart de ces saletés sont hépatotoxiques."

Deux jours plus tard, le chat rentrait chez lui, sans séquelle apparente. Plusieurs mois après cet épisode, il se porte très bien.

J'en ai retenu plusieurs choses, après m'être renseigné (la propriétaire du chat m'a elle-même fourni un certain nombre de documents qu'elle a déniché sur la toile - je ne vous donne pas les liens, car je trouve ces articles très incomplets, ou faux sur un certain nombre de points).
Les huiles essentielles sont manifestement très toxiques chez les chats. Pour des questions de dose, et parce que les chats ont du mal avec les molécules toxiques (une histoire de déficience hépatique, nous en reparlerons quand nous discuterons du paracétamol).
Elles peuvent détruire le foie, et leur affinité pour le gras favorise une accumulation dans le cerveau (et des troubles neurologiques car certaines molécules sont très réactives). Sans parler de tous leurs effets, variables selon les huiles, et parfois dangereux (oui, ce sont réellement des molécules actives). Théoriquement, la sariette serait plus hépatotoxique que neurotoxique, mais ça ne correspond pas à ce cas... ?

N'oubliez pas que ces huiles sont obtenues à partir de procédés de purification somme toute grossiers, et que leur composition est très mal connue, contrairement à des médicaments synthétiques dont la pureté est certaine, et dont les effets, bénéfiques comme néfastes, ont été étudiés avec une très grande attention.

Vous faites bien ce que vous voulez avec votre santé, mais évitez de mêler les animaux, ou, pire encore, les enfants, à ces traitements empiriques et mal maîtrisés.

jeudi 6 mars 2008

Rage

On entend à nouveau parler de la rage ces dernières semaines, suite à la découverte d'un cas en Seine et Marne le 26 février.

Comme d'habitude, cet épisode est la conséquence d'une importation illégale d'un animal depuis un pays où la rage reste une maladie courante. En l'espèce, il s'agirait d'un chien non vacciné, parti avec ses maîtres au Maroc, et qui aurait rapporté le virus dans ses souvenirs de vacances avant de le transmettre à ses petits camarades.

Comme d'habitude, c'est l'ignorance ou la négligence qui mettent des vies en danger et, accessoirement, lancent une alerte sanitaire d'ampleur.

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mercredi 20 février 2008

La valeur de la vie

Les vétérinaires praticiens sont des professionnels de santé des animaux. Vous avez pu constater au fil de mes billets qu'ils doivent également faire preuve de pas mal de psychologie. Je vous expliquerais sans doute un jour ou l'autre qu'ils doivent également être des chefs d'entreprise.

Ils doivent également être des comptables. Je ne parle pas des comptes du cabinet (j'en parlerais dans un autre billet). Je parle de la comptabilité de la vie, et de la mort.

En parler ?

Le sujet gêne, le sujet fâche. On préfère l'esquiver. Se dire que la vie a la valeur que l'on daigne lui accorder. Nier. Parce qu'il n'est pas question d'argent avec mon chien adoré, c'est ma peluche, mon compagnon de jeu, mon confident fidèle, lui, alors que mon petit ami m'a quitté. Parce que mon chat ronronne sur ma couette le matin, et qu'il fait ces petits caprices si agaçants lorsqu'il a faim.
Pourtant, un jour, je vous déclarerai peut-être : "C'est un cancer. Il existe un traitement efficace qui peut offrir à votre chat 6 mois à 3 ans de vie, sans souffrance. Un traitement qui exigera un suivi extrêmement précis, et que je chiffrerais aux alentours de 2500 euros. Une chimiothérapie. Ou alors, nous pouvons lui donner de la cortisone, qui ralentira la maladie et lui permettra de finir sa vie confortablement, au bout de 3 à 9 mois, pour environ 30 euros."
N'ergotez pas sur les chiffres, ils sont vagues dans une situation vague, mais ils sont réalistes. Que répondrez-vous ?

Que l'argent n'a pas d'importance ? En général, ceux qui me disent ça sont ceux pour lesquels il en a le plus, justement.

Peut-être me demanderez-vous combien aura coûté le traitement de votre chat au bout de 6 mois ? Je vous répondrais sans doute : 1200 euros. Peut-être calculerez vous alors que la cortisone offre aussi six mois de vie confortable, mais pour 30 euros. Nous parlerons de médiane de survie, de probabilité de survie au bout d'un an, de deux ans. Vous vous direz sans doute que, finalement, la cortisone, ce n'est pas si mal que ça. Vous vous direz aussi que certains humains n'ont même pas l'accès au vaccin polyo/tétanos, qui doit coûter quelques euros. Et vous aurez raison... Mais vous serez en train de marchander la vie de votre chat. Et que penserez-vous si malgré les meilleurs soins, après avoir payé 900 euros, au bout de cinq semaines, le chat meurt ?

Ou vous me direz sans doute que vous n'avez pas les moyens de payer 2500 euros pour votre chat, même en trois ans. Vous aurez honte. Vous culpabiliserez. Moi aussi, parce que je peux pas vous offrir ce traitement pour moins. Parce qu'en réalité, 2500 euros pour une chimiothérapie, ce n'est pas cher. Cela vous choque ? Je comprends. Nous en reparlerons dans un autre billet.

Et oui, nous parlons bien du prix que vous serez prêt à payer pour la santé de votre compagnon. De la valeur de sa vie.

Certains personnes me disent que 60 euros, pour le vaccin de leur chat qui est en parfaite santé, c'est cher. Je leur réponds que pour beaucoup de gens, 60 euros pour un animal, c'est un luxe. Je leur parle ensuite du typhus ou de la leucose qui sont des maladies mortelles. Je ne leur parle même pas de la valeur de la consultation vaccinale, du nombre de points que je contrôle, des dépistages effectués à cette occasion. Mais j'assume mes 60 euros.

Qu'est-ce qui définit la valeur de la vie ?

Classiquement, on définit deux paramètres dans l'argent que des propriétaire sont prêts à mettre dans les soins vétérinaires.

La valeur monétaire, c'est le prix de l'animal. Peu de gens sont prêts à soigner le hamster de leur fils, qui a coûté huit euros. "Il suffit d'en racheter un autre. Et puis, c'est une leçon de vie pour le gamin. Et la consultation du véto est à 25 euros ! Alors que, si ça se trouve, il ne pourra rien faire."

La valeur affective, c'est l'argent que ces mêmes propriétaires sont prêts à donner pour que l'on soigne leur compagnon. Combien aurait payé l'enfant pour sauver son hamster ? Tout, sans doute, parce que dans ce cas, l'exemple est mauvais, il s'agit d'un enfant, n'est-ce-pas ?

En fait, ces deux paramètres, classiquement donnés en cours, sont très incomplets. La profession vétérinaire touche à une multitude de milieux sociaux et culturels. Une stagiaire me demandait aujourd'hui, pour son rapport, comme je définirais ma clientèle. Je lui ai répondu : "Géographique. Ma clientèle, dans cette région rurale, ce sont les habitants 20 kilomètres à la ronde. Il y a des paysans, des chasseurs, des ouvriers, des médecins, des bourges, des pauvres, des enfants, des homme, des vieux, des médecins, un curé, des femmes, un foyer pour handicapés..."

Et toutes ces personnes ont leur propre rapport à l'animal. A leur animal, et à celui des autres. Je connais une jeune retraitée bien pensante qui ne supporte pas ces chasseurs de sanglier qui envoient leurs chiens au carton. Je lui parle alors de ces chiens qui, même blessés à mort, feraient n'importe quoi pour y retourner, qui adorent chasser. Qui sont malheureux lorsqu'ils voient la meute partir sans eux sous prétexte qu'ils ont des sutures partout. Je connais aussi une très vieille dame qui trouvait quand même étrange de payer une cinquantaine d'euros pour castrer son chat alors que, quelques soixante années plus tôt, elle quittait Lille pour gagner la zone libre. Elle trouvait qu'elle avait de la chance de payer cette somme aujourd'hui.

Il y a l'utilité de l'animal. Travaille-t-il avec son propriétaire pour lui faire gagner sa vie, comme un chien de berger ou un chien de garde ? Lui permet-il de surmonter son handicap, comme un chien guide d'aveugle ? Lui rapporte-t-il de l'argent lorsqu'il le vend, comme un veau limousin (son seul revenu, sans doute) ? Lui permet-il d'avoir des loisirs, comme un chien de chasse ou un cheval de concours. Il est probable qu'il ne "sert" à rien, comme votre chat. Il a pourtant de la valeur.

Il y a la place que l'on accorde à son animal. Le statut social, si vous préférez. Certains pensent que leur chien, même s'ils l'adorent, n'est qu'un chien. Ils veulent bien payer, mais ils veulent être "raisonnables". Certains pensent qu'un chat, c'est à peine "plus" qu'une fouine. Presque un nuisible. "Certaines personnes achètent un chat ? Les gens sont fous." D'autres demandent à leur avocat de négocier le droit de garde alterné du Yorkshire que leur ex a emporté. Comment cet avocat va-t-il leur expliquer qu'en droit, un chien est un bien meuble ? La plupart se situent dans un "juste" milieu. Juste ? Mais pour qui ?

Il y a l'espérance de vie de l'animal. Qui payerait des milliers d'euros pour offrir un mois de vie à son chien de 16 ans ? Tant de mes clients décident d'arrêter de vacciner leur chien lorsqu'il atteint un "certain" âge, souvent un âge où, pourtant, ces protections lui seraient bien utiles... D'autres refusent de réparer une patte cassée lorsque la chienne est vieille. Certains se moquent de son âge, ils se disent qu'ils leur doivent bien ça. Un éleveur de bovins n'investira pas une grosse somme dans une vache âgée qui ne pourra plus produire de lait ou de veaux. Il la réformera. Qui a raison, qui a tort ?

Enfin, il y a simplement l'affection que l'on porte à son animal. Vous ne vous posez pas vraiment la question, mais je vous la poserai peut-être un jour : combien êtes-vous prêt à payer ? J'espère sincèrement que ce cas ne se posera jamais pour vous. Mais la question est intéressante, non ? Et glaçante, sans doute. Vous n'avez sans doute plus très envie de vous la poser.

Alors pourquoi répondriez-vous pour les autres ?

Un conducteur a renversé une chienne avec sa voiture. Il n'y est pour rien, elle s'est jetée sous ses roues, il roulait à une vitesse normale. Quelle somme est-il prêt à payer pour soigner la chienne ? Et le maître de la chienne, si le conducteur s'est enfui ? Et le conducteur, s'il s'avère que la bestiole est une chienne errante que personne ne regrettera ? Combien le conducteur serait-il prêt à payer, si, cette fois, il était en tort ? S'il se disait que cela aurait pu être sa chienne ? Ou s'il déplaçait le problème, s'il se disait qu'il aurait pu renverser un enfant ?
Un éleveur demande au vétérinaire d'euthanasier l'une de ses vaches. Combien, pour qu'elle ne souffre pas, au lieu de la regarder mourir, ce qui ne lui coûterait rien ? Le prix des vaccins de ses veaux ?
Et celui qui achète un steack, combien est-il prêt à payer pour que l'animal meurt sans souffrance à l'abattoir ? Plus, d'après les sondages. Les gens sont si généreux. Pourtant, ils achètent la viande la moins chère au lieu d'acheter celle qui vient d'un pays où des règles très strictes encadrent l'abattage et la souffrance animale, comme la France.

Ces préjugés que j'aimerais tant briser

Je vous en ai donné quelques exemples avec mes chiens de chasse et mon yorkshire. J'ai répondu à Mona par ici, je lui rends hommage, c'est elle qui m'a donné l'envie de vous écrire ces lignes. Je ne veux pas être agressif avec elle, mais je devine ses a priori.

Chaque personne donne, pour chaque animal, une valeur à son existence. Ce prix dépend de tous ces paramètres plus ou moins irrationnels... alors, avant de juger les autres, essayez de comprendre. Moi, c'est ce que je dois faire tous les jours.
Et pourtant, je n'ai pas à décider, personnellement : j'offre des alternatives, et j'aménage un peu selon les clients. Le gamin avec son rat, qui pleure toutes les larmes de son corps, ne paiera qu'une somme symbolique, mais une somme quand même. Pour le symbole, justement. La dame, avec son yorkshire, qui me demande un certificat comme quoi son ex a maltraité Kiki (pour avoir le droit de garde, vous comprenez), ou celle qui réveille tous les confrères de la région en pleine nuit pour avoir une ovariectomie de chatte en urgence, risque fort de payer plus. Oh, rassurez-vous, je ne me permettrais pas de gonfler mes tarifs, mais je multiplierais les examens pour démontrer que Kiki va très bien. Heureusement, la plupart du temps, je me contente d'énoncer des devis, de proposer, et de laisser le maître se débattre avec ses contradictions.

Pourquoi pensez-vous qu'un éleveur se fiche de ses vaches, qu'il paiera le moins possible et certainement pas pour du "superflu" ? Parce qu'il les envoie à l'abattoir ? Vous pourriez aussi vous dire qu'il consacre sa vie à marcher dans la merde à se casser le dos. Qu'il subit des contraintes réglementaires dont vous n'avez même pas idée, pour le bien-être animal, pour la sécurité sanitaire. Et tout ça pour gagner combien, finalement ? Peut-être qu'il ne fait pas ça que pour l'argent. Je sais bien que beaucoup jouent les durs... mais les éleveurs aiment leurs animaux. J'aimerais que vous voyiez l'un de ces rustres lors d'une euthanasie.

Qu'est-ce qui vous permet de penser que ces brutes de chasseurs se fichent de leurs chiens ? Vous n'imaginez même pas combien ils payent pour les nourrir, les emmener à la chasse, ou les soigner. Combien de temps ils passent à les dresser, aussi. Vous devriez vois leur visage lorsque l'un d'entre eux reste sur le carreau.

Un chien de race, un shar pei qui se vend 2000 euros, vaut-il plus qu'un bâtard ? Non, bien sûr ! Pourquoi cette cliente si gentille, qui soigne si bien son chiot, s'est-elle mise à dépenser beaucoup d'argent pour lui alors que sa vieille corniaude a juste eu droit à une euthanasie précoce, quand elle aurait pu être soignée ? Je n'exagère pas, et cette personne est vraiment charmante, en plus.

Ca vous choque que l'on gave une oie ? Que l'on paye 2000 euros pour faire une triple ostéotomie du bassin sur son bouvier bernois de 7 mois ? Que l'on mange les chevaux ? Que l'on euthanasie un rottweiler parce qu'il a grogné ? Que l'on enferme un chien dans un appartement 23h30 par jour ? Que l'on donne des trucs à table à son chien pendant les repas ? Que l'on décapite une poule ?

Pourquoi ? Pourquoi pas ?

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