Etablir un diagnostic

Comment fonctionne le cerveau de votre vétérinaire ? Quels sont les rouages, les méthodes, les étapes qui lui permettent d'affirmer que votre animal a ceci ou cela ? Pourquoi va-t-il avoir besoin de faire une prise de sang, ou comment peut-il s'en passer ? Fait-on vraiment de grands schémas sur des tableaux blancs ? Pourquoi est-ce que votre vétérinaire ne vous écoute pas ? Ou pourquoi vous pose-t-il toutes ces questions sans rapports avec le problème de votre compagnon ? Est-il sûr de lui ? Le diagnostic est-il certain ? Ou s'il ne l'est pas, est-ce que c'est grave ? C'est quoi cette bouteille de lait ? Pourquoi une radio et pas une écho ? Pourquoi est-ce si cher ? Pourquoi est-ce que ce test n'est pas sûr à 100 % ? Pourquoi préfère-t-il récupérer des urines et non du sang ? Dr House est-il un fumiste ? Ce type est-il vraiment obligé d'enfoncer son bras dans le rectum de cette vache ? Touiller du caca, c'est diagnostique ? Peut-on faire confiance à un type qui porte une blouse blanche ? Un débutant est-il forcément moins bon en diagnostic qu'un vieux véto ? Jusqu'où peut-on aller dans un diagnostic, pourquoi, comment ? D'ailleurs, c'est quoi, un diagnostic ? Mon véto, avant, il n'avait pas besoin de tous ces examens, et c'était moins cher. Ce billet peut-il répondre à toutes ces questions, et aux autres ?

Définitions

Je vais essayer d'être précis, mais aussi concis, ce qui risque d'être difficile. Pour gagner du temps, je vais donc employer des termes médicaux qui sont souvent utilisés à mauvais escient, remettons donc les pendules à l'heure, avec quelques définitions en cascade.

Un diagnostic est une démarche qui permet d'identifier la nature et la cause de l'affection dont un patient est atteint.

Une affection est une modification pathologique de l'organisme, c'est un ensemble de symptômes. On la confond souvent - à tort - avec une maladie, qui est un ensemble de symptômes liés à une cause précisément identifiée. Le terme d'affection est plus large que celui de maladie. La pathologie est une science, l'étude de la maladie, mais ce n'est pas la maladie. Un journaliste à la radio m'a horripilé, l'autre jour, en confondant addictologie (l'étude des addictions) et addiction. On ne demande pas : "de quelle pathologie souffre mon chat ?"

Un symptôme est la manifestation d'une anomalie lésionnelle ou fonctionnelle. Un symptôme repose sur la perception du clinicien, il est subjectif. Un symptôme est la conséquence d'une lésion ou d'une anomalie fonctionnelle, il n'est pas la lésion ou l'anomalie fonctionnelle. Un syndrome est un ensemble de symptômes. Un signe est la manifestation d'une anomalie obtenu par un examen particulier.

Une lésion est une modification de structure d'un tissu vivant sous l'effet une cause morbide. Une blessure, une verrue, une brûlure sont des lésions.

Une auscultation est une technique qui permet d'écouter les sons produits par les organes (cœur, poumons notamment), ce n'est pas un synonyme, mais un temps de l'examen clinique, qui est beaucoup plus global.

Un exemple ?

Passez la souris sur les mots pour savoir à quelle définition ils répondent. Non, il n'y a rien à gagner !

Un chaton arrive en consultation. Il a les yeux collés, et un genre de muco-pus qui obstrue ses narines. Il tremble, il semble abattu, un thermomètre me permet de vérifier qu'il a une hyperthermie à 39.5°C, ces derniers éléments me permettent de dire qu'il a de la fièvre. L'auscultation et une radiographie me permettent d'écarter une atteinte pulmonaire. C'est donc un coryza. Une bactériologie et un ensemble de PCR réalisées sur un prélèvement de muco-pus vont me permettre de trouver les coupables : ''Bordetella bronchiseptica'' et un ''herpesvirus'' félin.

Mais certains d'entre vous froncent les sourcils. On ne va quand même pas faire une radiographie, une bactériologie et des recherches virologiques sur le premier coryza venu ?

Alors, comment établit-on un diagnostic ?

Tout est une question de méthode, de connaissances et d'expérience. Les jeunes ont les deux premiers éléments. Les vieux, les trois... mais certaines ont tendance à délaisser la première et à ne pas entretenir la deuxième. Enfin, ne généralisons pas.

Je vais axer mes explications sur les animaux de compagnie, mais l'essentiel reste vrai pour les animaux de rente, je préciserai certains éléments qui les concernent plus spécifiquement.

Les données de base

L'examen clinique

L'examen de l'animal commence dès sa descente de la voiture et sa traversée du parking, continue dans la salle d'attente et se poursuit en salle de consultation. C'est une étape d'observation, qui comprend plusieurs parties.

L'examen à distance permet d'observer la posture de l'animal, son comportement, l'état de sa peau, de ses poils, son embonpoint, sa façon de respirer, son pouls jugulaire... Il y a des dizaines d'indices à relever, certains sont essentiels pour la suite de la consultation ! D'autres sont simplement utiles, certains, enfin, sont sans intérêt.

L'examen rapproché comprend une palpation générale du corps, des nœuds lymphatiques (les mal nommés ganglions), de l'abdomen, des yeux, des muqueuses, des dents, des oreilles, la prise de température rectale, puis l'auscultation, des percussions thoraciques, palpation, pression, manipulation des articulations, observation des réflexes... Tous ces signes et symptômes ne seront pas forcément recherchés, mais l'examen doit cependant rester le plus large possible. Il est vrai que l'examen locomoteur, par exemple, ou l'examen neurologique, sont de peu d'intérêts dans nombre de consultations. Cependant, nous devons toujours rester vigilants et la moindre anomalie doit nous conduire à pousser plus loin nos investigations dans ces directions. Même si, a priori, tout cela n'a rien à voir avec le motif de consultation.

L'anamnèse

Cet examen clinique est réalisé avant, pendant et après une discussion avec la personne qui a amené l'animal, discussion essentielle à la compréhension du problème. C'est ce que l'on appelle l'anamnèse et le recueil des commémoratifs. J'insiste : c'est une discussion, pas un interrogatoire.

Elle comprend l'énoncé du motif de consultation (à ce propos, ne pas se fier à ce qui est écrit sur le carnet de rendez-vous, une fois sur cinq, c'est faux !), qui doit être le plus clair possible : il faut comprendre pourquoi une personne a amené son animal ! C'est réellement essentiel, car ce n'est pas forcément le motif de consultation qui frappera le clinicien lors de l'examen clinique. On peut par exemple m'amener un chien pour une boiterie alors qu'il a aussi de gros problèmes de peau. En faire prendre conscience au propriétaire et le faire soigner ça n'est pas forcément évident, parce que, par exemple, cela ne le dérange pas, ou bien c'est devenu tellement habituel que, pour lui, c'est rentré dans le domaine du "normal". Les déclarations du propriétaires ne doivent pas non plus nous amener à nous focaliser sur le problème qu'il soulève. Combien de consultations pour boiteries pendant lesquelles nous oublions de vérifier, par exemple, le fonctionnement cardiaque. On a l'air con, deux mois après, quand des symptômes d'une maladie cardiaque apparaissent, alors que les choses auraient pu être gérées plus tôt, ou que le propriétaire aurait pu être averti.
Et parfois, ce n'est pas facile. "Docteur, il boite, pourquoi vous lui écoutez le cœur ?" "C'est aux oreilles qu'il a mal."
Peu importe : méthode et rigueur sont indispensables sous peine de louper des choses essentielles, qui parfois n'ont rien à voir avec le motif de consultation, qui parfois l'éclairent sous un jour nouveau. Il n'y a rien de pire que l'examen orienté a priori.

Cette discussion est aussi et surtout un temps de questionnement et d'écoute : depuis combien de temps ça dure, est-ce qu'il y a eu des traitements antérieurs, est-ce apparu brutalement ? Est-ce qu'il mange bien, est-ce qu'il boit beaucoup ? Depuis combien de temps l'avez-vous chez vous ? Mais aussi, quel est l'âge de l'animal, est-il stérilisé, quand est-ce qu'il a eu ses dernières chaleurs ? C'est une discussion ouverte, à bâtons rompus, qui est aussi l'occasion de faire connaissance avec le propriétaire, de découvrir son environnement familial, d'apprécier sa vision des choses et de comprendre son fonctionnement : ce sera essentiel lorsqu'il faudra le faire adhérer à un diagnostic et à un traitement. Lors de cette étape, nous avons besoin de faits pour établir notre diagnostic, et surtout pas d'interprétations. Il y a beaucoup de tri à faire. A l'école, on me disait de jeter les interprétations, de ne pas en tenir compte, de ne pas me laisser orienter par elles. Mais c'est faux, il ne faut pas les jeter : elles ne servent pas au diagnostic (sauf en nous orientant vers les faits qui les sous-tendent), mais elles sont très utiles pour comprendre le maître.
Il faut écouter le propriétaire. Même s'il raconte des conneries en boucle. D'une part, il vous appréciera plus si vous l'écoutez. Quitte à le contredire en douceur (ou pas !). En rentrant dans sa logique, vous pourrez l'amener vers la vôtre. D'autre part, on sous-estime trop ceux qui vivent, au jour le jour, avec leur animal. Au moins autant que ces mêmes propriétaires surestiment la valeur de leurs avis.

Un exemple ? Nous avons soigné pendant des mois un chat pour une chlamydiose récidivante. Ça fait une conjonctivite horripilante à soigner, qui rechute sans cesse. Le chat n'était pas franchement très malade, mais c'était très pénible. Une consultation spécialisée avec un confrère a permis de confirmer cette chlamydiose, son traitement, et la recommandation de vaccination pour éviter les rechutes. La dame voulait absolument que ce soit la conséquence d'une affection dentaire. Nous, nous avions nos chlamydiae, l'efficacité du traitement, et nos certitudes : pas de douleurs gingivales, pas de lésions visibles, un chat jeune, et même une radio dentaire (de qualité moyenne, nous n'avons pas d'appareil spécifique) sans lésion apparente. Jusqu'au jour où, de guerre lasse, nous avons arraché sa molaire au chat. Et découvert une toute petite lésion de la racine, vraiment une bricole. Le chat a été mieux. La dame était ravie. Puis elle nous a pourri l'existence parce que nous étions des incompétents qui ont laissé souffrir son chat et ont mis sa vie en danger. Il a fallu des heures de discussions, une arrangement financier à l'amiable et beaucoup d'explications pour la convaincre que le chat avait aussi une chlamydiose, que tous les frais engagés pour cette maladie étaient justifiés, mais que nous avions eu tort de ne pas l'écouter puisqu'il y avait aussi une affection dentaire. Reconnaître nos torts et justifier nos positions, et nos honoraires. Je déteste ce genre de conflits. J'aurais du mieux écouter cette dame, et mes confrères aussi. Même si nous ne l'aimons pas. Avec tout ça, elle est très satisfaite et continue à venir nous voir... Je ne suis pas sûr d'en être heureux.

Il ne faut pas hésiter à croiser les questions, à soulever les incohérences, à confronter l'aspect des lésions avec les déclarations du propriétaire. Non, une tumeur mammaire grosse comme une orange, ça ne pousse pas en une nuit. Une lichénification dorsale due à une dermatite allergique aux piqûres de puces, ce n'est pas cohérent avec un chien qui se gratte depuis une semaine. Tout le monde ment, comme dirait l'autre, mais ces mensonges permettent de comprendre ce qui se passe, et comment on va ensuite le gérer.

L'examen de l'environnement

Il est utile lorsque l'on va chez l'animal, ce qui est surtout le cas pour les animaux de rente. Observer les locaux, la ventilation, l'hygiène, les abords, les pâtures, les congénères. On peut obtenir un certains nombres d'éléments sur l'environnement lors de la discussion avec le propriétaire, ce qui est très utile dans le diagnostic : est-ce que c'est contagieux, est-ce que c'est ancien, est-ce que ça a pu être apporté par un nouvel arrivant ? Une intoxication végétale est peu probable si le cheval ne sort pas de son box et d'un paddock sans une touffe d'herbe...

Les examens complémentaires

Les examens complémentaires interviennent toujours après l'examen clinique et la discussion avec le propriétaire. Ils peuvent être inutiles, intéressant, ou carrément indispensables. Ils peuvent être nécessaires au diagnostic d'affection ou, celui-ci établit, amener au diagnostic de maladie.

Ils représentent toujours un coût supplémentaire, et peuvent, ou non, être disponibles.

Ils peuvent être nécessaires au traitement et à son suivi, ou complètement inutiles de ce point de vue là.

Par exemple : soit un labrador âgé avec d'importantes difficultés locomotrices, surtout au réveil, surtout s'il fait froid et humide, qui est devenu grognon, dont l'examen clinique ne révèle rien de particulier sinon une douleur à l'extension des membres postérieurs. Il est presque certain qu'il souffre d'arthrose. Une radio permettra de le confirmer et de visualiser les lésions, mais elle n'est pas indispensable, puisqu'elle ne changera rien au traitement.

Je ne rentre pas dans les détails, on en reparlera en commentaires ou dans des billets dédiés.

Les examens complémentaires simples et peu onéreux

Ils sont (ou devraient être) disponibles chez tous les vétérinaires, et réalisés au moindre doute.

Ce sont :

  • l'analyse d'urines : aspect, densité, bandelette, réaction de heller (billet à venir)
  • la coproscopie
  • le frottis sanguin, coloré ou non (permet d'apprécier les différentes populations cellulaires et la présence de parasites sanguins, comme les piroplasmes)
  • le frottis vaginal (permet de déterminer la position dans le cycle œstral, la présence ou non d'une infection)
  • les raclages et autres prélèvements cutanés à la recherche de parasites
Les examens complémentaires simples mais plus onéreux

Ils demandent un matériel et/ou un savoir-faire spécifique, ou l'intervention d'un laboratoire d'analyses.

Ce sont :

  • la numération-formule : comptage des cellules sanguines
  • la biochimie sanguine : études des constituants du sang (minéraux, protéines, enzymes, hormones, métabolites etc)
  • la radiographie
  • l'échographie
  • l'électro-cardiogramme (ECG) : rythme et appréciation du fonctionnement électrique du cœur
  • la cytologie : étude des cellules d'une masse ou d'un liquide, elle peut être réalisée au cabinet mais demande des connaissances et un savoir-faire spécifiques
  • l'histologie : étude des lésions, elle est réalisée dans un laboratoire spécialisé
  • la bactériologie et l'antibiogramme : identification d'une ou plusieurs bactérie, et étude de leur sensibilité théorique aux antibiotiques
  • la virologie : recherche de virus
  • la sérologie : recherche des traces de défense du corps contre des agents pathogènes
  • l'analyse génétique : recherche de gènes corrélés avec des maladies génétiques.
Les examens lourds et/ou onéreux

On les trouve dans des structures spécialisées, dans les grandes villes, et pas dans le commun des cabinets.

Ce sont :

  • l'IRM
  • le scanner
  • l'endoscopie
  • l'électro-rétinogramme

etc...

L'autopsie

C'est un examen utile, et même indispensable dès lors que l'on envisage l'affection sous un angle collectif. Elle n'a pas grand intérêt si l'on s'occupe d'un individu unique, à part pour expliquer au propriétaire pourquoi son chien ou son chat est mort, si aucune cause n'a été déterminée auparavant. Je n'y reviens pas, j'en ai déjà parlé ici.

La démarche diagnostique

Grâce à la discussion avec le propriétaire, à l'examen clinique et à d'éventuels examens complémentaires, je dispose d'une masse délirante d'informations. Il va me falloir décider si elles sont pertinentes ou non. Les hiérarchiser par ordre d'importance.

Ces infos peuvent me permettre de reconnaître une maladie connue, ou de construire des analogies. Ça, ça fonctionne quand on a de la bouteille, c'est très peu efficace pour un débutant. C'est pertinent pour une maladie caractéristique sur le plan clinique, c'est inopérant sur les syndrome vagues, peu reconnaissables. Si le chien se contente d'avoir de la fièvre, je ne suis pas avancé avec cette méthode. Disons que la reconnaissance/analogie permet de gagner beaucoup de temps... ou d'en perdre, dans certains cas.

Je peux aussi construire une série d'hypothèses, et les confronter à mes examens, quitte à en faire de nouveau, pour vérifier leur pertinence ou les infirmer. C'est long mais efficace.

Enfin, je peux identifier les anomalies, les explorer jusqu'à poser un diagnostic d'affection, et, petit à petit trouver la maladie causale. Long, et efficace.

En réalité, la pratique quotidienne mélange un peu de tout ça.

Dans ma tête à moi, ça se passe de la façon suivante :

J'écoute le propriétaire tout en examinant l'animal. J'explore les pistes que me donne le maître, sans négliger les autres. Les choses, dans les affections simples à reconnaître, vont très vite : je me contente de vérifier qu'il n'y a pas une autre blague dissimulée. Ce sont les cas complexes qui sont intéressants d'un point de vue de la démarche.
Au fil de la découverte des symptômes et signes, je construis, dans ma tête, un arbre diagnostique. Une liste d'affections et/ou de maladies, avec, pour chacune, les examens qui me permettront de les infirmer, ou, plus rarement, de les confirmer : en général, il est plus facile d'éliminer une hypothèse que d'en confirmer une. Je tiens compte des examens complémentaires simples que je peux réaliser à tout instant. J'informe le propriétaire de ce que je trouve, sans forcément lui en donner la signification finale, mais je veux qu'il visualise un peu le travail fourni, ça m'aidera pour me justifier, ou pour la facture.

La méthode, en elle-même, n'est pas très compliquée. Elle demande trois qualités :

  • de la méthode et de la rigueur dans l'examen comme dans la réflexion
  • une base de connaissances très étendue sur le normal et l'anormal, sur la réalisation technique des gestes diagnostiques, sur l'épidémiologie des maladies (qui elles frappent, de quelle manière, quand, à quelle fréquence, à quelle vitesse...), sur leur pathogénie (qu'est-ce qui les cause, et qu'est-ce que ça implique), sur leurs symptômes, systématiques, fréquents, rares ou exceptionnels, etc.
  • une capacité permanente à se remettre en doute, à revenir à une hypothèse abandonnée, à en ajouter de nouvelles, bref, à ne pas se faire confiance.

Un exemple : un chien de 4 ans arrive avec un abattement léger, il a chassé la veille sans grand enthousiasme. Il n'a pas mangé ce matin. Il n'a pas d'historique médical particulier. Je note une respiration un peu rapide mais un chien stressé et globalement en forme, des muqueuses rosées, une palpation abdominale anormale avec une rate un peu grosse. Il a une température de 39.4°C, cohérente avec un léger syndrome fébrile. L'auscultation est normale. Je manque d'éléments cliniques, mais j'ai déjà une hypothèse, une piroplasmose, qui est la plus probable même si je n'ai pas des muqueuses pâles. Bien sûr, il y en a quantité d'autres : une infection pulmonaire discrète, une ehrlichiose, un cancer quelconque, mais toutes ces hypothèses sont moins probables, et je dispose d'un examen simple pour, une fois n'est pas coutume, confirmer ou infirmer directement la piroplasmose. Un frottis sanguin va me permettre, ou non, de visualiser les babesia qui en sont responsables. Je prends une goutte de sang et file au chevet de mon fidèle microscope. Cinq minutes de lecture, et pas de babesia. J'en fais un second pour confirmer, car cela m'étonne, et je confirme ma première lecture. Ce n'est donc pas une piro. Je passe donc à ma seconde liste de suspects, les moins probables. Infection pulmonaire, ou ehrlichiose ? Une numération-formule va me donner des indices sur les deux cas.
Lors de la prise de sang, je note que le sang est trop liquide dans ma seringue, il y a une anomalie, probablement une anémie. La machine, dont je dispose dans ma clinique, me le confirme trois minutes plus tard : ce chien manque sérieusement de globules rouges, de globules blancs et de plaquettes. Ça élimine la pneumonie, mais ça rend l'ehrlichiose hautement probable. Je décide donc de commencer le traitement pour cette maladie, mais j'envoie également un échantillon de sang au labo pour une recherche d'ehrlichia, car certaines causes (catégorie : improbable) pourraient aussi offrir ce tableau clinique. En attendant les résultats, qui arriveront dans une petite semaine, je prendrai régulièrement des nouvelles du chien pour vérifier que la réponse au traitement est cohérente avec mon hypothèse.

Le diagnostic, c'est ça : confronter en permanence des informations à des probabilités, dans le cadre d'un socle étendu de connaissances.

Les questions que tout le monde se pose

Établir un diagnostic, est-ce utile ?

Oui, non, peut-être.
Établir un diagnostic d'affection, oui, c'est indispensable. Celui de maladie, pas forcément. La plupart des coryzas non compliqués, par exemple, se traitent de la même manière, quel que soit l'agent causal. Dépenser 120 euros en recherches d'agents pathogènes spécifiques pour un traitement qui coûte une dizaine d'euros et une maladie qui ne met pas en danger le chaton, ça n'a pas beaucoup de sens. Évidemment, j'insiste : c'est dans le cas où les choses évoluent bien, où il n'y a pas de facteurs de risque particulier, ni de complications.

Autre chose : il est impensable qu'un propriétaire d'animal reparte sans réponse. Nous ne sommes plus à l'âge des vieux bonzes en blouse blanche adeptes de la rétention d'information. Les propriétaires ont le droit et la capacité de comprendre ce qui arrive à leur animal. Pas besoin de leur faire un cours sur la maladie : une explication simple, adaptée à l'auditoire, de son origine, de ses conséquences et de son traitement suffit.

Cette transparence nous offre la confiance de nos clients, la crédibilité de notre démarche, l'adhésion au traitement proposé, la justification de nos honoraires. Et puis zut, c'est une obligation morale ! Je déteste entendre quelqu'un revenir de chez son médecin et être incapable de me dire ce qu'il a.

Il faut aussi savoir dire à un client qu'on ne sait pas (encore !) ce qu'a son animal. Qu'il va falloir faire tel ou tel examen, ou prendre un peu de recul en observant une réponse à un traitement, donner les possibilités, les alternatives, expliquer pourquoi on peut attendre - ou pas. Ne prenons pas les gens pour des cons !

A mon avis, ne pas donner son diagnostic à un client, ou l'enfumer, est surtout une belle preuve de manque de confiance en soi.

Etablir un diagnostic, moi, propriétaire d'animal, en suis-je capable ?

La réponse courte, c'est non.

Oui, vous pouvez reconnaître un coryza, des coliques sur un cheval, une diarrhée ou une toux. D'autant plus facilement que votre animal, ou l'un de ses prédécesseurs, ou celui de votre coiffeur, a déjà présenté les mêmes symptômes.

Mais... des coliques, une diarrhée ou une toux, ce ne sont pas des maladies. A peine des affections, plutôt des symptômes. Pourquoi, comment ? Pouvez-vous répondre à ces questions ? Et si vous donnez un médicament qui améliore votre animal, est-il guéri pour autant ?

Un exemple : mettons que votre chien tousse, comme l'année dernière. Votre véto vous avait filé des antitussifs et des anti-inflammatoires, diagnostiquant un collapsus trachéal et vous expliquant que ces symptômes reviendraient. Vous retournez chercher ces médicaments sans consulter, pourquoi pas. Cette fois encore, les symptômes disparaissent mais vous trouvez, peu à peu, votre chien de plus en plus fatigué. Pourtant, il tousse moins. Et si ça se trouve, cette fois, c'était une bronchite qui devient une pneumonie.
Le bon sens, c'est bien. Et je ne sous-estime pas la capacité des propriétaires d'animaux à observer leurs compagnons. Ou leur élevage. Mais il faut aussi savoir se remettre en doute... et ce n'est pas si facile.

Un autre exemple : votre chien se gratte, et votre coiffeur vous explique que son véto lui a filé de la cortisone pour son chien qui se gratte exactement comme le vôtre. Il vous donne une plaquette, ou vous filez chez le pharmacien en chercher (celui-ci n'a pas le droit de vous les délivrer, mais il le fera probablement). Votre chien ne se gratte plus, ça marche au poil, quels arnaqueurs, ces vétos.
Et puis votre chien a la peau qui s'épaissit et se gratte à nouveau, mais si vous augmentez la dose, ça passe.
Au bout de trois semaines, vous allez voir votre vétérinaire. Qui va avoir un mal de chien à poser son diagnostic car la cortisone dissimule beaucoup de symptômes. Et puis, avec beaucoup de persévérance, sur un raclage cutané, il va trouver un demodex responsable d'une pseudo-gale. Le traitement, c'est tout sauf des corticoïdes. Ils sont même contre-indiqués dans ce cas, comme dans de nombreuses affections dermatologiques.

Ces cas sont fréquents. Très. Ce ne sont pas des maladies rares ! Et je pourrais multiplier les exemples, concernant les chevaux, les bovins, et pas seulement les chiens ou les chats.

Le principal défaut des propriétaires d'animaux est leur incapacité à se remettre en question et à identifier la cause d'une "défaillance". De plus, nous avons naturellement tendance à voir dans un évènement la conséquence d'une action que nous avons entreprise : si mon chien va mieux, c'est parce que j'ai fait cela. Sauf que... peut-être pas.
Si je ne suis pas mouillé, c'est parce que j'ai sorti mon parapluie. Ou alors, c'est parce qu'il ne pleut plus. Ou bien c'est parce que suis juste sous un arbre sur lequel va tomber la foudre. On appelle ça l'imputabilité.

Un jeune véto est-il forcément moins bon qu'un vieux ?

Non, non, et non ! La formation vétérinaire est excellente, même si les jeunes confrères ne s'en rendent pas compte. On sort de l'école avec une méthode implantée au fer rouge dans le cerveau, à nous de ne pas l'abandonner en chemin. Ce qui manque à un jeune véto, c'est la capacité à mobiliser ses connaissances et à les hiérarchiser. D'où l'intérêt de prendre son temps, ou de consulter un bouquin.

Le diagnostic thérapeutique, c'est quoi ?

Cette démarche consiste à donner un médicament à un animal et à voir si cela le guérit. Dans le cadre d'une réflexion globale et d'une démarche diagnostique étayée, cela peut être une méthode tout à fait valable. Totalement déconseillée à la maison sans contrôle vétérinaire, cf. les exemples ci-dessus.

Puis-je faciliter le boulot de mon vétérinaire (ou de mon médecin) ?

Oui : donner des faits, pas des interprétations. Ne dites pas : mon chien a de la fièvre, il a la truffe sèche.
Donnez toutes les informations, même celles dont vous avez "honte" : avoir déjà consulté, avoir donné des médicaments, mais aussi des informations qui vous semblent sans importance. Si vous les jugez sans importance, vous interprétez déjà.
Faites attention avec internet/votre coiffeur/votre maman/votre docteur (rayez la mention inutile) : les informations obtenues par ces canaux sont forcément tronquées. Une monographie consacrée à une maladie sur internet peut être exacte, vous pouvez y trouvez les symptômes de votre chien, mais cela ne veut pas dire que c'est ce qu'il a ! Et ce n'est pas non plus parce que le vétérinaire de tel forumiste a mis le chien sous marbofloxacine que la céfalexine n'est pas l'antibiotique adapté à votre animal.

En conclusion ?

Établir un diagnostic est, dans le principe, une démarche simple et logique qui demande une très importante base de connaissance, et qui est accélérée par l'expérience.
Cela demande beaucoup de rigueur.
Et cela oblige à prendre beaucoup d'éléments qui ne sont pas forcément liés directement à la médecine : la tendance des propriétaires à interpréter au lieu de donner des faits, notamment. Ou des facteurs financiers, ou organisationnels. Certains examens ont, dans certains cas, un rapport intérêt/coût disproportionné. On a parfois intérêt à choisir un examen plutôt qu'un autre tout simplement parce que faire 200km pour trouver un scanner n'est pas très malin dans certaines situations. Ou parce que certains vont permettre d'éliminer une hypothèse, même mineure, en deux minutes et pour un coût minime.

N'oublions pas non plus que l'on peut obtenir de très beaux diagnostics sans examens complexes, les ruraux et les canins de petits cabinets sont les spécialistes de ces démarches cliniques "pures". Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire d'examen complémentaire... !

Il ne faut pas non plus hésiter à référer un cas à des collègues plus spécialisés, ou plus équipés. A en discuter avec les autres vétos de la structure (nous le faisons énormément dans notre clinique, quitte, parfois, à faire les consultations à deux ou trois), ou à demander son avis à un confrère d'une autre clinique. Nous avons tous nos réseaux, sachons les mobiliser !

Enfin, n'oublions jamais que les patients et les microbes qu'ils trimbalent n'ont pas lu les bouquins : manifestement, dans certains cas, ils choisissent de défier les règles de l'art... et c'est au clinicien de réussir à démêler ces pièges !

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