vendredi 20 janvier 2017
Fin de césarienne
vendredi 20 janvier 2017, 16:58 / 13 commentaires
dimanche 8 janvier 2017
dimanche 8 janvier 2017, 10:30 / 11 commentaires
Je glisse.
Je glisse de village en hameau, de lampadaire en guirlande. Il n'y a pas un son, pas un mouvement, ou plutôt, il y a cette impression que ma voiture est immobile tandis que défilent les nappes de brouillard ? Je passe d'un havre à un autre en empruntant ces étranges et pourtant quotidiens corridors d'obscurité cotonneuse. Cela fait dix jours que le brouillard ne se lève plus sur les collines et les vallées. Parfois, du haut d'une crête, on aperçoit quelques chênes sur la colline suivante, une tour médiévale ou, plus loin, les Pyrénées. Pour replonger aussitôt dans un bassin de brume glacée. Minuit est passée depuis plus d'une heure, et il me reste quelques kilomètres avant d'atteindre cette ferme isolée où vit - par force ? - un reclus. M. Pirou est sourd, et muet. Je ne sais pas vraiment s'il a quarante, cinquante ou soixante ans. Il vit seul dans son silence, avec une meute de chiens hurlant à longueur de journée. Les voisins m'avaient même contacté pour se plaindre.
Je ne suis pas sûr d'être réveillé. J'ai bien tenté d'allumer la radio, mais je me suis senti agressé par la voix mielleuse d'un expert au nom improbable. Je lui ai aussitôt coupé le son. Je préfère tenter de ne pas réfléchir aux différents scénarios. Une torsion, et donc, à la clef, une césarienne ? Deux agneaux emmêlés qui sortent en même temps ? Une simple patte tordue ? J'avale les kilomètres en tentant de m'échapper du sommeil. Le réveil a été brutal, pourtant : la sonnerie du téléphone. Une voix inconnue ; un nom connu. Celui d'un éleveur de limousines à la retraite. Pas un client, mais je l'ai croisé à l'occasion, quand il venait "donner la main" pour la prophylaxie, chez ses voisins. Qui sont aussi à la retraite, d'ailleurs. Pourquoi m'appelle-t-il ? "M. Pirou, dans la cour de la ferme. Je crois qu'il essaye de me dire qu'il a une brebis qui n'arrive pas à mettre bas."
A une heure du matin ? C'est bien l'heure...
Je crois que j'ai pensé à haute voix. Je le remercie en grommelant, m'échappe de mon lit, enfile mes vêtements, et démarre ma voiture. Chauffage à fond. Je roule sans voir à plus de quelques mètres, presque au pas. Presque vingt bornes m'attendent, entre "grosses" départementales et petits chemins communaux. Je glisse.
J'entre dans la cour de la ferme. Enfin. M. Pirou est là, sous la chiche lumière du pas de sa porte. Il s'approche tandis que j'enfile mes bottes. Je lui tends la main. Pas de vœux, pas de bonjour. Devrions-nous faire semblant ? J'entre derrière lui dans la bergerie. Quelques tôles, une lampe, une brebis couchée, une patte qui dépasse. Donc pas de césarienne. Voit-il mon soupir de soulagement ? Je le regarde en articulant "combien d'agneaux ?" Il ouvre la main en tentant : "Drois"
Pas de césarienne, mais de la vraie manip' obstétricale. Les brebis et leurs agneaux s'écartent devant moi, deux d'entre elles parviennent à s'échapper. Elles rentreront bien vite, vu le froid.
M. Piou m'aide à écarter la parturiente du mur, j'enfile un gant, le tartine de lubrifiant, et explore. Un agneau. Mort ? Il ne réagit pas. Une patte dans le passage, la tête aussi, moins avancée, l'autre antérieur, introuvable. Je tourne et mobilise, cherche à comprendre, palpe l'épaule, glisse ma main. Les cris de la brebis déchirent le silence. Je lui parle, des mots idiots, des mots dénués de sens et même de pertinence. Juste un son doux, je sais que personne ne m'écoute. Je ronronne pour nous : pour la brebis et sa douleur, pour l'agneau qui est probablement mort, pour M. Pirou qui ne peut m'entendre mais qui a réussit à me faire venir, et pour moi, finalement. Je trouve les onglons, les ramène en le faisant passer de phalange en phalange, puis de doigt en doigt : je n'ai pas la place de bouger ma main, là-dedans. Je ramène le membre entier, réaligne la tête, et tire. Un long glissement, ferme et solide, et l'agneau se retrouve au sol dans un dernier cri maternel. Il inspire. Mal. Je me relève, le suspendant par les postérieurs. Je cherche de l'eau. Jette un œil sur le seau, vide. M. Pirou m'ouvre la porte et m'amène au seau qu'il avait préparé pour que je me lave les mains, à la fin. Tiède. Je le regarde : "Froid". Il secoue la tête. Je mime en me frottant les bras comme si je me gelais, tenant toujours mon agneau à la respiration erratique. Je le pose au sol, vide sa bouche, masse un peu. Il a compris, et ouvre un jet d'eau planqué sous un tas de paille. Première douche par moins trois. Bienvenue, bébé.
Je le ramène à la bergerie, et continue mes manœuvres. Massage, vidage de glaires. Il démarre gentiment. Je l'amène à sa mère, elle le lèche aussitôt. Il me reste à vérifier que tout va bien. Je remets un gant, explore l'utérus. Tout est en place. Je rentre chez moi.
mardi 16 septembre 2014
mardi 16 septembre 2014, 10:45 / 14 commentaires
Il est 10h. J'étais en train de vacciner des chevaux, mais la clinique m'appelle et m'envoie en urgence chez un éleveur juste à côté. Un vêlage qui déconne. Pas le choix : j'explique la situation aux propriétaires des équidés, ces derniers n'étant manifestement pas fâchés du changement de programme. D'autant qu'il fallait inspecter les bouches et les dents de tout le monde, et que, curieusement, ils n'aiment en général pas ça.
Il ne me faut que cinq minutes pour être sur place. En fait, ce n'était pas forcément si pressé que ça : rien qu'à l'odeur, le travail dure depuis au moins deux jours. Alors une demi-heure de plus, hein...
La vache est allongée sur une vieille banquette en béton, un peu trop courte pour elle, comme souvent : conçus il y a 30 ou 50 ans pour des vaches bien moins grandes que les modèles actuels, les bâtiments sont souvent trop petits... L'éleveur a noyé la rigole de l'extracteur à fumier avec de la paille bien sèche. Nous sommes sous des tôles. Le thermomètre sur le mur, à l'ombre du bâtiment, indique 40°C. Et il n'est que 10h.
Ça pourrait sentir la paille fraîche, ou l'odeur forte, tenace mais pas si désagréable des vaches, mais ça pue la mort. Respiration buccale réflexe, et, pendant trois heures, rien ne passera par mon nez. Des mouches bourdonnent tout autour de nous. Un veau fait le con dans le fond du bâtiment, puis brame un coup en se coinçant entre deux barrières.
"On vient de la ramener du pré, vu que ça passait manifestement pas. J'ai fouillé, mais j'ai rien compris, il y a des pattes partout."
Nous faisons lever la vache, doucement, sans difficulté. J'enfile ma chasuble en plastique, le sac poubelle en plastique vert qui va me servir de sac de cuisson vapeur pour les trois prochaines heures. Une paire de gants de fouille. J'en utiliserai quatre paires en trois quart d'heure. Je finirai par les abandonner devant leur manifeste inutilité.
La vache salue mon arrivée par un coup de pied. Pépette, on va pas pouvoir la jouer comme ça : mise en place d'une corde, attachée bas pour qu'elle puisse tomber sans problème, et d'une mouchette, tenue par le fils de l'éleveur qui aimerait bien être loin, très loin de ce chantier.
J'explore. Le passage est très étroit, le col très mal dilaté. Il y a trois pieds en même temps. Je palpe les articulations, arrache quelques lambeaux de placenta pourri. Je sue déjà. Je repousse le postérieur, ou plutôt : j'essaie. Pas moyen, il a l'air coincé. Où est sa foutue tête ? Sur la droite, en bas, à l'envers. J'accroche le menton du bout des doigts. C'est loin...
La vache pousse fort, mais rien ne bouge. Tout est calé, bien coincé. Sec au possible. Je sors mes bras de là, jette mes gants et part chercher une sonde en silicone, un entonnoir et un bidon d'huile de paraffine liquide. Je vais remplir cet utérus d'huile minérale, c'est le seul truc qui lubrifiera assez longtemps pour le boulot qui m'attend : les lubrifiants à base d'eau, c'est bien, ça épargne les préservatifs, mais si ça doit durer des heures, rien ne remplace les lubrifiants minéraux.
C'est reparti, et je sue à grosses gouttes, je transpire, mon T-Shirt est certainement déjà trempé. Mes gants ont déjà pris le jus, il y a du liquide purulent et de l'huile de paraffine qui me coulent le long des avant-bras. Ne surtout, surtout pas lever les bras.
Je ne vois plus le temps passer. Je crève de chaud. Ramener le veau dans le bon axe. Je ne vais pas pouvoir le découper, parce qu'il n'y a pas la place : il n'est pas si gros, mais il est gonflé d'emphysème. Son cuir est décollé des muscles par les gaz de putréfaction, je finis par prendre un scalpel en prévenant : quand les gaz vont s'échapper par le trou que je vais faire, ça va puer comme jamais. Je suis sûr qu'ils pensaient que ça ne pouvait pas être pire, quand je les ai prévenus. Ils m'ont cru. Après. Le truc quand on fait ça, c'est de ne pas blesser le vagin ou l'utérus. Là, ce foutu col oedématié ne m'aide vraiment pas. Je saisis la lame du scalpel entre mon pouce et mon index, laissant à peine dépasser sa pointe, je lubrifie tout ça et enfonce mon bras. Butée sur le cuir du veau. Du bout du doigt, je vérifie la texture. Je perce.
J'ai fini par réussir à décaler le veau. La tête est toujours mal placée, la vache tombe souvent, se relève, retombe. Un côté, puis l'autre. Elle sait vêler, elle sait faire jouer son bassin, mais là, ça ne m'aide pas du tout. Je noue une corde à chacun des deux antérieurs. Ma première prise est mal assurée, la corde glisse et emporte un onglon. Refixer, resserrer, assurer. La sueur dégouline sur mon visage, de grosses gouttes, lourdes et lentes, qui glissent sur mon front et s'échoue dans mes épais sourcils. Ça gratte, ça gratte horriblement mais je ne peux pas passer mes mains pleines de pourriture sur mon visage. Et ces saloperies de gouttes finissent par déborder mes sourcils pour couler dans mes yeux, ça pique et c'est insupportable, je ne craquerai pas, je ne foutrais pas dans mes yeux le placenta pourri qui me coule sur les doigts.
Les deux antérieurs sont dans l'axe, le postérieur qui venait en même temps est à peu près repoussé. Il faut que je choppe la tête, et le col est toujours trop serré. Pas moyen de travailler à deux bras. Je glisse ma main droite sous son menton, j'essaie de l'accrocher en pince entre l'intérieur et l'extérieur de la bouche. Je commence à le ramener, mais ma main est écrasée par le col et je me coupe les doigts sur ses incisives. Je commence à avoir mal au bras. J'essaie avec la main gauche, à plat sous la tête, échoue, cherche une prise, les orbites. Pas mieux. Je repousse un peu le sternum, échange mes bras, l'un après l'autre, le remonter, j'ai mal, j'ai putain de mal aux tendons de l'avant-bras, je ne peux plus serrer.
J'abandonne et prend une corde. Noyée d'huile de paraffine, je la glisse derrière sa tête. Je passe une oreille, puis l'autre. La boucle sous son cou, en maintenant bien tout en place pour qu'elle ne glisse pas avant le serrage. J'ai si mal au bras que je suis incapable d'aider l'éleveur. C'est lui qui pilote les cordes. Et en plus j'ai merdé, j'ai pris une des cordes des membres dans ma boucle de tête... il faut recommencer.
Je n'en peux plus. Ça fait combien de temps que ça dure. Une heure, deux heures ?
Je m'arrête cinq minutes, appuyé contre une barrière. Je fais des étirements de mon avant bras, c'est atrocement douloureux, j'ai des putains d'étincelles devant les yeux, et ma sueur me pique...
J'y retourne. Remonter la tête, encore, déplier l'encolure, coincer le front du veau contre le col utérin, faire tirer l'éleveur, allonger ce cou. C'est bon. Il tire les pattes, tout est étiré. Mais jamais, jamais ça ne va passer ! Le veau est gros, mais surtout, le col et le vagin sont si enflammés, si oedématiés, que le passage est ridicule !
Alors on va tirer, mais doucement. La vache tombe, se couche sur un côté, sur l'autre. Nous suivons ses mouvements, déplaçons les points de fixation du palan. Il ne faut pas la déchirer... Respecter l'axe, ne pas perdre ce que nous allons gagner, imprimer des secousses, des torsions. Nous progressons par millimètres, déplaçons la mère plus que son veau lorsque nous tirons. Alors il faut arrêter, la bouger, reprendre. Je finirais par la coucher sur le côté puis lever son postérieur avec une corde, ouvrir le bassin et la forcer à respecter l'axe de traction.
L'extraction aura duré plus de quarante minutes. Mais nous l'avons sorti. Gonflé, pourri, mal foutu, mais en un seul morceau. la mère n''est pas déchirée. Il ne reste plus qu'à lui laver l'utérus. Alors je me recouche, reprends le tuyau, le ramène au fond de la matrice et branche un entonnoir. C'est le fils de l'éleveur qui s'y colle. 20L de solution désinfectante caustique, un rinçage.
J'en ai ras-le-cul. Antibiotiques. C'est l'éleveur qui remplit la seringue, mon bras droit est inutilisable. Tétanisé. Anti-inflammatoires.
Nous avons réussi, et il est content. Parce que je n'ai pas lâché le morceau. Moi je suis content, parce que la vache est vivante, et que j'ai réussi à me faire vraiment mal. Du coup, j'ai un peu l'impression d'être un héros.
Et heureusement, dans ma voiture, depuis quelques années, il y a un T-Shirt et un pantalon de secours.
samedi 23 mars 2013
samedi 23 mars 2013, 20:48 / 17 commentaires
- Il y a un vêlage, chez Fernandez. Une première, elle pousse depuis 9h.
Il est 11h15. J'achève une consultation, je croyais pouvoir écrire quelques compte-rendus. Ce sera pour ce soir. Mon confrère est sur une chirurgie de chien à sanglier, quelque part entre deux muscles de la cuisse. Je n'ai pas bien vu, j'ai juste aperçu les traces de sang laissées par le chien traîné sur notre carrelage. Décoration vite effacée par la serpillière de notre ASV.
Dans sa cage au milieu du couloir, au croisement des salles de consultation et de chirurgie, la césarienne se remet doucement.
Je viens d'enchaîner 7 consultations. Otite, kératite pigmentaire, abcès dentaire, syndrome brachycéphale, vaccin, coryza, revaccin. Plus les conseils aux clients, éleveurs ou "simples" propriétaires de chien à l'accueil. J'ai appelé un confrère pour un chien vu en urgence cette nuit, habituellement suivi chez lui. J'ai eu les infos que je souhaitais auprès du fabricant d'un médicament peu utilisé. J'ai appelé un propriétaire anxieux pour lui annoncer les excellents résultats de l'anapath' de sa chienne. Avant midi, j'avais prévu deux visites à domicile, l'une pour un chien qui tousse - il attendra - l'autre pour une glycémie. A domicile, parce qu'à la clinique, ce couillon de chat se fait des hyperglycémies de stress qui rendent caduque tout espoir de courbe de glycémie.
Depuis 9h ? Elle peut attendre un peu, alors. Le chat diabétique est sur le chemin, j'y passe en vitesse en demandant à mon ASV de l'appeler, histoire de ne pas être retardé. En démarrant, je vois une femme descendre de sa voiture avec un berger allemand boiteux. Elle n'avait pas pris rendez-vous, elle. Elle attendra. Ou elle reviendra plus tard.
8 km de petites routes, pour achever l'escalade d'une colline sur un chemin de terre cahoteux. Il y a trois ans, le passage était impraticable, il fallait faire tout le tour de la colline. L'éleveur a tout ré-empierré, je passe désormais sans difficulté.
Les prunus sont en fleurs, les forsythias aussi. Barres de flocons jaunes sur piquets bruns. Je me gare avant le terrain défoncé qui mène à la vieille étable. Il y a un putain de magnifique soleil, et ce contraste entre le vert de l'herbe nouvelle et le bleu profond du ciel, sur fond de Pyrénées enneigées... L'éleveur me salue de loin, il a l'air de galérer en essayant d'attraper sa vache. Je prends ma trousse de vêlage, saisis mes gants de fouille, une chasuble, une bouteille de gel lubrifiant. Il me rejoint à cet instant.
- Je vous prends un truc ?
- Si on a besoin de plus, c'est que c'est une césarienne.
- Déconnez pas hein ?
Une première. Une jolie blonde de 500 kg, bien charpentée, à l’œil, trois ans, ou trois ans et demi. Pas trop de ventre, pas perturbée. Elle tourne dans l'enclos aménagé dans l'étable, nous amuse 5 minutes avant de se faire prendre à la corde et attacher à une poutre. Bien bas, si elle tombe. Pendant ce temps, un con de veau de deux jours escalade une mangeoire.
J'enfile mon costume de super-véto, la chasuble-sac-poubelle-vert, les gants de fouille orange. L'éleveur se tient à côté de la vache, maintenant la queue. La vulve n'est pas très dilatée. J'écarte les lèvres, m'enfonce doucement. La chaleur, tout doucement. Je passe le col, grand ouvert. Déjà, ce n'est pas une torsion. Ma main a cette position semi-relâchée qui l'amène à suivre les plis lorsque la matrice tourne sur elle-même. Là, elle reste bien droite, et je plonge, jusqu'à l'épaule. Je passe une bride, très tendue. Torsion post-cervicale ? Non, j’atteins le cul du veau. Un siège. De toute façon, vus les commémoratifs, c'était l'une ou l'autre.
La vache n'a pas encore fait de vrai effort de poussée. Le veau est vraiment loin. Il n'est pas très gros. Il est juste... normal. Juste comme il faut pour ne pas m'inquiéter. J'ai de la place pour travailler, tout cet espace entre le bassin du veau et celui de la vache, nécessaire et suffisant pour déployer les membres arrières du bébé. Je balaie doucement, essaie de comprendre la place de chaque chose. Les pieds, très loin. Les jarrets à portée. Ce con de veau est dans la corne gauche, mais il a un pied dans la droite. Bizarre. Pas grave. Je cherche le cordon ombilical, je ne le trouve pas.
J'invite l'éleveur à mettre le palan en place. Il n'y aura plus besoin d'y penser, après, si l'on a besoin de lui. Je lui indique également de préparer une corde pour suspendre le veau. Le risque qu'il boive la tasse, vue sa position, est vraiment important.
Je balaie doucement l'intérieur de l'utérus. Avec un bras, puis avec l'autre. J'abandonne les gants, je veux sentir chaque détail de texture. La fermeté de l'utérus, la suavité des membranes amniotiques déchirées, la tension, la dureté du cordon. J'ai assez de place pour faire une bonne réduction de siège, et la vache pousse peu. C'est rare, d'aussi bonnes conditions. Il ne reste qu'un seul véritable écueil, le risque de prendre le cordon dans un postérieur lorsque je le déploie. Imaginez : c'est comme si le veau était debout dans le ventre de sa mère. Il présente sa queue, et uniquement elle, au col utérin et au vagin. Son cordon est sous lui, bien entendu, mais où se fixe-t-il ? Vers l'avant, comme souvent, auquel cas il n'y aura aucun risque ? Ou vers l'arrière, comme parfois, auquel cas il pourrait se retrouver derrière un des membres postérieurs du veau, au moment où je les ramènerai vers le vagin ? La tension et la compression sur le cordon, lors de l'extraction, signeraient alors la mort du bébé... J'examine attentivement chacun des lambeaux qui flottent dans l'utérus. Il y a un bout de placenta déchiré qui m'inquiète quelques secondes, mais pas de poul : ce n'est pas le cordon. je cherche un jarret. Le gauche d'abord, le plus facile d'accès. Je le remonte doucement.
Il y a un silence parfait dans l'étable. Je ne parle pas, l'éleveur ne dit rien non plus. les vaches sont muettes. Seul ce couillon de veau de deux jours, celui de la vache d'à côté, s'appliquer à foutre le bordel en se prenant les pieds dans le palan. Mais même lui nous épargne d'éventuels appels paniqués.
Je change de bras, plusieurs fois. Je travaille doucement, j'accompagne les poussées maternelles, abandonnant ma manipulation pour mieux la reprendre lorsque l'utérus, qui se relâche, laisse replonger le bébé. Par petites tractions, j'amène le jarret au plafond, le sabot au plancher. C'est maintenant qu'apparait le risque de déchirer l'utérus de la mère, si la pointe du jarret ou la pointe du sabot se plante dans la muqueuse lors d'une contraction. J'accélère, coiffant le sabot, faisant glisser le jarret, jouant sur les bras de levier. Il me faut deux essais. J'amène la première paire d'onglons au vagin. Je n'ai pas emprisonné le cordon.
Je souffle un peu. Pas d'épreuve de force, cette fois-ci. Juste de la technique, de l'expérience. Le plaisir de voir la facilité acquise avec les années, maintenant que je n'ai plus à tâtonner, à réfléchir à chaque mouvement imprimé, pour essayer d'anticiper sur la suite des opérations. Je replonge. A chaque contraction, la vache expulse ses eaux qui ruissellent sur ma chasuble. Encore, toujours, ce délicieux parfum douceâtre, celui du sang et de l'amnios. La respiration de la mère est saccadée, entrecoupée de plaintes discrètes, à chaque fois qu'elle tente une poussée. Je plonge, je saisis le jarret, commence à le remonter, le bascule afin d'amener sa pointe vers l'extérieur, le pied vers l'intérieur, elle va pousser, je relâche, je recule, je replonge, je reprends, je remonte, je bascule, elle repousse, je relâche, je maintiens, elle repousse, elle relâche, je reprends, je coiffe l'onglon, le fait glisser sur le plancher utérin, je relâche, protège le plafond de la pointe du jarret, car elle repousse, puis relâche, cette fois, c'est la bonne, je reprends, je recoiffe le pied, je bascule, je ramène. Deux paires d'onglons entre les lèvres vulvaires.
Je saisis le vagin, malaxe et soupèse. Pas de bride hyménale, pas énormément de place, mais cette excellente consistance de pâte à pain, ferme et élastique, épaisse, solide, qui inspire confiance. Ça passera, sans épisio. Le col est encore perceptible, mais le veau n'est pas gros. Je fixe les cordes aux pieds du veau, prépare ma lame - on ne sait jamais, s'il faut couper.
Tension.
L'éleveur tire sur la palan, juste assez pour maintenir une force sans équivoque sur les cordes, mais pas assez pour faire avancer. La vache pousse, et se laisse glisser. L'éleveur relâche, je fais glisser les membranes, rétracte la vulve dilatée, ça va passer ! Tirez ! Les cuisses, la queue, le bassin, et puis, d'un coup, la délivrance, une corde glisse mais peu importe, le veau chute sur le fumier, je vide le cordon d'un geste rapide, le con de veau de deux jours trébuche sur ma boîte de vêlage et envoie tout valdinguer, le nouveau-né respire, nous le suspendons. Une traction, deux tractions.
Il respire. Calmement. Les glaires s'échappent. Un seau d'eau glacée. Il secoue la tête.
La mère est paisible. Ou plutôt, juste épuisée. Mais pas déchirée. Le vagin est parfait, le col, intact. Elle ne va pas tarder à se relever. Nous allons juste l'accompagner. Redescendre son nouveau-né.
Notre boulot est achevé.
dimanche 15 avril 2012
dimanche 15 avril 2012, 09:03 / 46 commentaires
Il est 6h30, un dimanche matin. C'est une vieille ferme à flanc de montagne, avec une étable à l'ancienne, quatre vaches plus toutes jeunes, un petit troupeau de moutons et un couple d'éleveurs retraités.
C'est une étable propre, qui sent bon la vache, la paille, le foin. Avec des poules sur la crèche et un border collie sur une boule de foin. Un tracteur plus âgé que moi. Un Massey. Rouge.
C'est une maison avec, en façade, une porte d'entrée qui ne sert que le dimanche, et encore : on passe dans l'étable, il y a deux marches, sous l'escalier qui monte à la réserve de foin au-dessus, et ces deux marches permettent d'entrer directement dans la cuisine.
Il est 6h30 et le vieux bonhomme, un genre de Clint Eastwood, grand, mince, avec son béret et ses bretelles, m'a appelé parce que sa vache tourne et retourne, se dilate mais ne fait rien.
- Vous vous levez tôt ! lui ai-je dit au téléphone.
- Mais non, j'y ai passé la nuit !
- Outch, mais vous vous couchez tard ! Enfin j'arrive !
Il ne m'avait pas appelé plus tôt parce que bon, c'était la nuit, mais à force d'attendre, hein, il allait finir par risquer de mourir, le veau.
La vache est une grande blonde. Elle est immense. Placide. Un flegme de break Volvo. Avec un coffre à faire passer n'importe quel veau.
J'enfile ma chasuble, mes gants, je fuis la pluie et me réfugie dans l'étable. Il ferme la porte, celle du bas, pas celle du haut, et nous mettons la bête dans l'axe. Premier bras. la poche des eaux n'est pas percée, je sens un antérieur. Jolie bestiole. Je farfouille un peu, trouve le second, puis la tête. En bas. Et surtout, une jolie torsion, à 180°. L'utérus et le vagin tournent sur leur axe, un demi-tour, et la vache a beau pousser, le veau ne peut pas passer, car les tissus ne peuvent assez se dilater. Le veau est bien vivant, mais, comme d'habitude, je ne dis rien, d'autant que l'on ne me demande rien.
Derrière moi, j'ai entendu la porte de la cuisine s'ouvrir. Madame a refermé derrière elle, elle attend sur la première marche. Elle a son tablier, sa robe qui lui va si bien mais que personne d'autre ne pourrait porter, ce genre de robe et de tablier qui sont comme des uniformes, naturels, évidents. On pourrait se moquer du monsieur, avec son béret et ses bretelles, avec sa chemise à carreaux. On pourrait se moquer de madame, avec ses petites lunettes à cordon et sa robe imprimée. Je crois que j'enverrais sans hésiter le moufle métallique de mon palan dans la figure du premier qui se rirait. Je me sens tellement bien, ici, dans cette petite étable, les bras dans le vagin d'une blonde, un peu de paille dans les cheveux, au chaud, avec ces deux vieux, alors que dehors, il pleut.
Il faut tourner dans le sens des aiguilles d'une montre. Positionner le bras droit est plus facile, mais je manque de force, et ça me casse le poignet. Je ne me suis pas échauffé. Bras gauche, tournant presque le dos à la vache, avec une grande torsion de l'épaule et du dos : oui, mais le poignet souffre encore. Cela dit, dans cette position, je suis plus fort. Bras gauche, retour au droit, par à-coups, tranquillement. Le veau est toujours dans sa poche, et je sais que j'y arriverai. J'alterne, je pousse, je tourne, je bouge. A peine 5 minutes, petit à petit, je trouve le bon rythme, la bonne impulsion, discontinue cette fois-ci. Mon poignet gauche me fait mal. Ça tire sur mes côtes, à droite, dans le dos.
Le veau est revenu dans l'axe, je respire un peu.
On a le temps.
Tout est en place. Monsieur installe le palan, madame va chercher une casserole d'eau. En inox. Pas en cuivre. Ma boîte de réa est là, avec le bazar à césarienne, qui ne servira pas. J'ai mes cordes de vêlage. La vache se remet à farfouiller dans son foin.
Je pourrais m'arrêter là et rentrer chez moi : elle n'a plus besoin de moi. Mais d'une, l'éleveur ne comprendrait pas. De deux, je me boufferais les ongles sans savoir si j'avais raison. De trois, j'ai envie de sortir ce veau.
Alors je replonge mes deux bras jusqu'aux épaules. Chaud, glissant, confortable, avec ce doux et écœurant parfum d'amnios. Je me sens bien. A ma place, à 7h00 un dimanche matin. Dehors, le soleil se lève derrière la pluie. Le border remue sur sa botte de foin.
Un membre, deux membres. Je les saisis fermement, les amène à moi, la maman pousse, sans plus. Tout est en ordre pour la sortie. Le veau est gros, mais il y a la place. La poche des eaux est maintenant percée, elles ruissellent sur la chasuble, coulent sur mes bottes, noient la paille qui emplit le fossé d'évacuation. Tout va bien.
Seconde poche, les glaires, épaisses, filantes, de ce blanc indéfinissable, qui coulent la vie.
J'amène les pieds vers moi, la tête suit gentiment, le front du bébé bloque sur le bassin. Ça va passer, il faudra tirer un peu.
Madame m'apporte les cordes, mes bonnes grosses vieilles cordes de vêlage, passées 100 fois à la machine et à la javel. Je les place autour des canons du veau, bien au-dessus des boulets, et je me suspends, le corps presque à l'horizontal, basculant mon poids vers la gauche, puis vers la droite, les pieds calés dans la rigole. Le veau a tant de force qu'il parvient à me remonter en rétractant son antérieur gauche. Mon poids contre le sien, mes appuis contre les siens. Mais moi je ne suis pas enduit de glaires de vêlage, ou pas trop, et j'en ai eu d'autres avant lui.
La vache est assez dilatée, largement. L'éleveur a pris son temps avant de m'appeler, il n'y a aucun risque d'épisiotomie.
Tout va bien.
Nous accrochons le palan. La vache se couche, pile comme il faut. Monsieur tire, madame fait basculer les cordes, j'accompagne la sortie du "petit". Tout en force, en puissance, une douce violence. Confiance absolue.
Le, ou plutôt la pitchoune finit de sortir, toute étonnée. Couchée sur l'allée centrale, elle respire, un peu sonnée. Sa mère commence déjà à l'appeler, mais reste couchée. Un peu d'eau derrière les oreilles, une grande inspiration, une respiration très bruyante, beaucoup de glaires. Par prudence, on va la pendre. Elle est restée longtemps à l'envers, là dedans. Je noue une corde autour de ses jarrets, monsieur envoie madame chercher une chaise pour pouvoir passer la corde par-dessus une poutre de l'étable. J'enlève, à la main, quelques glaires de la bouche de la vêle.
Elle pose la chaise.
Il prend le temps de retirer ses bottes, et monte sur le siège. Chasse quelques araignées, passe la corde. Je soulève le beau bébé... 50 kg ? Il assure sa prise, fait un tour avec sa corde. Le nez du veau se vide de ses glaires, elle respire bien, nous la redescendons. J'accompagne sa chute sur un matelas de paille, l'éleveur en disperse un peu sur son dos avec sa fourche, pour qu'elle ne prenne pas froid.
Nous relevons la mère, et je réenfile des gants, pour contrôler que rien n'est déchiré.
Tout va bien.
- Vous voulez prendre un café ?
- Ah oui alors, mais d'abord, je vais prendre quelques photos. C'est heuuu... c'est ma sœur qui adore les photos de bébé, c'est bête hein ?
- Oh si j'avais su je n'aurais pas mis de la paille, hein !
Il sourit.
Je mitraille.
On peut avoir 75 ans et apprécier cet instant.
Et ensuite, oui, ensuite, on va aller prendre un café. Mais avant de monter les deux marches vers la cuisine, avant de franchir le seuil, surtout, surtout, je n'oublierai pas de retirer mes bottes. Même si, je le sais, il protestera que ce n'est pas la peine.
J'ai laissé quelques photos de plus par ici.
samedi 17 mars 2012
samedi 17 mars 2012, 11:17 / 55 commentaires
Préliminaire : ce billet s'adresse aux particuliers dont la chienne va mettre-bas. Pas aux éleveurs blasés qui ont déjà vu naître des dizaines de chiots.
Vous le saviez. Ou vous vous en doutiez. C'était voulu, ou pas du tout. D'ailleurs, vous vous demandez bien qui pourrait être le père. Ou les pères ?
Mais là, pas de doute. Elle a pris du bide, ses flancs se sont arrondis, elle respire comme une cocotte minute moderne avec un joint foutu, ses mamelles se sont gonflées, sa vulve s'est décrochée et pendouille au même niveau que les tétine, même sa température a chût. La mise-bas est imminente. Vous ne savez pas si elle aura lieu dans une heure, dans un jour ou dans deux, si vous serez là ou pas, si vous allez vous réveiller avec plein de bébé trop mignons dans sa panière, ou si vous allez assister à un remake d'alien, avec des face hugger qui ne veulent pas sortir de son vagin.
Si vous avez été voir le véto, vous savez sans doute combien il y en a (radiographie de gestation réalisée à plus de 45 jours). Il n'y en a peut-être qu'un (alerte, il risque d'être très gros, ça c'est une mise-bas à risque potentiel), mais il peut aussi y en avoir une douzaine, voire plus. Et puis, savoir combien il y en a, c'est pratique, au moins vous saurez quand c'est terminé. Parce que des fois, ça peut durer 24h...
Déjà, dédramatisons : dans l'immense majorité des cas, tout se passe bien, et votre présence ne sert à rien.
Est-ce qu'ils seront trop gros ? Non, c'est rarissime. Si la tête passe, le reste passe, et la taille des chiots dépend de la taille de l'utérus, donc de la chienne. Même si le mâle fait deux fois le poids de la femelle, ce n'est pas bien grave. Si la gestation a été très longue (65 jours ?), les chiots risquent d'être assez costauds, mais bon, ça ne va pas forcément les empêcher de pointer le bout de leur truffe.
Est-ce que leur mère saura s'en occuper ? Oui. Maladroitement, mais oui. Seules les chiennes hyper anxieuses, trop attachées à vous ou complètement instables ont du mal à gérer leurs chiots nouveaux-nés. Dans l'immense majorité des cas, elles se lècheront la vulve à la sortie du bébé, lui boufferont les enveloppes fœtales (le placenta et tout le bordel) puis raccourciront le cordon. Laissez les faire. Ne les stressez pas. N'intervenez pas, enfin, j'y reviendrai.
Est-ce que la mère poussera bien comme il faut ? Dans l'immense majorité des cas, oui. Et si rien ne se passe alors que tout semble prêt, consultez votre vétérinaire, mais sans urgence. Enfin, n'attendez pas deux jours non plus hein. Ce que je veux dire, c'est qu'en cas de part languissant (oui, c'est comme ça qu'on dit), les chiots ne sont pas expulsés et restent au chaud. Quelle qu'en soit la raison, ils sont relativement à l'abri, nourris, oxygénés. Il faudra peut-être une intervention vétérinaire, voire une césarienne, mais ce n'est pas une urgence absolue. D'autant qu'il est souvent dur de savoir si la chienne a vraiment commencé le travail ou pas.
Est-ce qu'ils sauront téter ? Oui. Il faudra peut-être aider le rata culot de portée à se faire une place s'ils sont nombreux, mais sans plus.
Votre chienne a commencé à pousser. Des HHMMMFFFF plus ou moins désespérés, avec un ventre plus ou moins tendu. Ça n'a pas l'air agréable ? Ça ne l'est pas. Les mamans parmi vous le savent mieux que moi. Si c'est la première fois, votre chienne ne sait sans doute pas comment se poser. Sur le côté, plus ou moins sur le sternum, tête en général dirigée vers le lieu des opérations. Ou alors en position "j'ai une grosse crotte à faire mais bordel elle veut pas sortir HHHMMMMFFFFF". Cette dernière position a d'ailleurs l’amusante particularité d'offrir une naissance sportive au chiot qui va aller s'exploser par terre (enfin, façon de parler, laissez la gérer, bordel).
Tiens, prévoyez que ça risque de tacher, d'ailleurs.
Et puis foutez lui la paix. Si elle vous cherche, soyez-là. Mais c'est tout.
Alors, en fait, il y a une poche plus ou moins noire vaguement translucide qui apparait entre ses lèvres vulvaires. Ne touchez à rien. Votre chienne est probablement en train de pousser comme une dingue, avec des périodes de pause. Laissez-la faire à son rythme. La poche, c'est le sac à bébé, je ne rentre pas dans le détail, vous n'êtes pas la pour ça, mais chez la chienne, il y a un pigment vert assez crado, il y aura un peu de sang, bref c'est pas joli mais c'est normal. Votre chienne va certainement manger tout ça. Laissez faire. j'ai déjà vu une ou deux gastro suite à l'ingestion de quantités importantes de placenta, mais bon. Rien de méchant.
Ne vous inquiétez que si cette poche reste longtemps comme ça, sans progression. Longtemps, c'est quoi ? Une minute, deux minutes. Trois, même ? A ce moment là, ça parait très long. Attendez un peu avant de courir en rond en levant les bras au ciel et en appelant au secours.
Si plus rien ne se passe et que les choses en restent là. J'espère que vous avez les ongles courts. Lavez-vous les mains quand même... les gants, c'est comme vous voulez. Moi je n'aime pas trop l'effet "pellicule de latex", je trouve qu'on sent moins bien les détails. Mettez les doigts dans le vagin de la chienne, autour de la poche ou du chiot si la poche est déchirée. La chienne devrait pousser en sentant la dilatation vaginale augmenter. Essayez d'écarter les doigts pour élargir le vagin.
Si la chienne ne pousse pas avec ça, et que ça dure, il va falloir tirer le chiot. Et vous n'aurez pas le temps d'arriver chez votre véto. Donc il va falloir vous démerder. Passez l'index et le majeur de chaque côté de la tête du chiot, et si vous y arrivez, passer même les doigts de chaque côté du thorax, derrière les épaules. et pliez les comme des crochets. Vous allez vous servir de vos deuxièmes phalanges comme de pinces, et tirer doucement, tout doucement, en faisant des petits mouvements de rotations du poignet pour faire tourner le chiot sur lui même. Il faut tirer fort, et lentement.
Ne tirez pas sur les pattes, c'est fragile. La tête et le cou, c'est costaud. Vraiment.
Ça à l'air compliqué ? En fait, ça ne l'est pas, mais cela le sera pour vous, parce que vous ne saurez pas comment foutre vos doigts, parce que vous aurez peur de faire mal à la chienne (mais un vagin, c'est indestructible), parce que vous n'oserez pas tirer. C'est normal, ce n'est pas votre boulot.
Heureusement, ce genre de situation n'arrive presque jamais.
N'oubliez pas non plus cette règle d'or : le chiot n'a pas d'importance. C'est la mère qui en a. Un chiot mort, c'est désolant, mais ce n'est pas grave. Tant pis. Bien sûr, le but est de le sauver. Mais la mère a la priorité. Si vous vous retrouvez un jour dans cette situation, vous aurez sans doute besoin de votre vétérinaire, mais il est très probable qu'il soit trop tard pour le petit coincé. N'oubliez pas ses frères et sœurs derrière.
On dit "par le siège". C'est moins bien, mais ce n'est pas grave, un chiot c'est un boudin, la tête ne restera pas coincée, et si vous devez intervenir, vous mettrez vos doigts en crochet de chaque côté de l'abdomen, derrière le bassin.
Vous ne tirerez pas sur les pattes ou sur la queue, sinon elles vous resteront dans les doigts.
Le chiot est sorti et il est encore plus ou moins dans sa poche, qui a du se déchirer totalement ou partiellement. C'est vert et dégueulasse, c'est normal. Ça ne sent pas mauvais, au contraire. Enfin moi j'aime beaucoup cette odeur douceâtre de viande tiède et de sang. La mère doit lécher ça comme une dingue, et s'avaler le bordel.
Ne vous occupez pas du cordon. la mère va gérer, le couper plus ou moins court.
Le seul truc que vous pourriez avoir à faire, c'est libérer la tête du chiot si votre chienne ne s'en occupe pas très vite (dans les 10-20 secondes), histoire qu'il puisse respirer. Méfiez-vous notamment quand deux chiots sortent presque simultanément, elle s'occupe encore du premier alors que le second reste dans son sac. Mais ne faites rien de plus, il n'y a pas urgence.
Logiquement, un chiot qui sort gigote et piaule. Le bruit est caractéristique et a pour propriété de mettre tout le monde d'excellente humeur. J'adore les entendre pendant une césarienne, ou dans une cage au chenil quand je travaille en consult'.
S'il ne fait rien de tout ça, vous pouvez essayer de le sauver.
Vous risquer d'échouer, mais au moins, vous aurez essayé. De toute façon, vous n'aurez pas le temps d'être chez votre véto.
Prenez le dans les mains, la queue vers vous, la tête plus ou moins pendante mais néanmoins vaguement maintenue par vos doigts, et donnez quelques coups secs vers le bas, comme si vous vouliez vider la bouteille de shampooing. Oui, c'est violent. L'idée est de vider les voies respiratoires du liquide ou des mucosités qui s'y trouvent. On n'est pas sûr que ça serve à grand chose, mais bon, les habitudes... Deux, trois fois, pas plus.
Ensuite, frictionnez le chiot avec une serviette, en insistant sur les côtes. Soyez dynamique, vous êtes là pour réveiller un mort ! Frottez comme si vous deviez enlever un truc bien recuit sur la plaque de cuisson, en appuyant moins fort quand même (le but n'est pas de les lui casser, les côtes).
Ça vaut le coup d'essayer pendant deux minutes. Disons trois. Au bout de cinq, si le chiot n'a donné aucun signe de vie, laissez tomber.
Oui, c'est assez probable. Pourtant, il n'y a pas de quoi. La plupart du temps, tout se passe bien. Les seuls qui doivent vraiment se méfier sont les propriétaires de bouledogues et autres brachycéphales hypertypés, mais ils sont censés être au courant.
Il n'est pas rare d'avoir un ou deux chiots morts sur une portée, à la naissance ou juste après. Pour plein de raisons. Vous ne pouvez pas éviter ce risque. Ou alors, faites stériliser votre chienne.
Certains maîtres ont eu le malheur de vivre des mise-bas catastrophiques. Qui se sont bien terminées, mais chez le véto, avec ou sans césarienne, avec des chiots morts ou pas, voire tous morts.
Si vous faites reproduire votre chienne, vous acceptez ces risques.
Et si vous ne voulez pas de chiots mais qu'il y a eu un accident, il reste toujours la possibilité de la faire avorter (alors évidemment, si on en est aux derniers jours, ça va être plus compliqué).
Et il ne vous reste plus qu'à placer les chiots...
Dans un prochain billet, on discutera de la pertinence de faire reproduire sa chienne. Puis on discutera stérilisation des chiennes, et des chattes tant qu'on y est...
dimanche 8 janvier 2012
dimanche 8 janvier 2012, 10:29 / 36 commentaires
Autant vous prévenir, le billet qui suit est gore. Choquant. Un épisode classique d'une vie de véto, cru et répugnant. Il y a un animal qui souffre, et d'autres trucs moches.
Parce que véto, c'est aussi des trucs comme ça.
Vous êtes prévenus.
dimanche 3 avril 2011
dimanche 3 avril 2011, 13:54 / 23 commentaires
A chaque fois, je crois que l'on me prend pour un dingue. Mais à voir les sourires sur les visages, on doit se dire que c'est un genre de folie assez gentil. En tout cas là, je suis derrière le comptoir, les ASV qui s'étaient planquées ressurgissent rassurées, un client me regarde d'un air incrédule, une autre reste assise sur sa chaise en se demandant sans doute où elle est tombée. Moi, j'interprète un remix d'une chorégraphie disco-égyptienne de Thriller, en me dandinant avec la grâce touchante d'un caneton à peine éclos.
C'est que, hé ! Elle est vivante !
Des moments de joie gamine comme ça, on n'en a pas si souvent. Après un vêlage, oui, d'accord, mais c'est plus sage, car plus... habituel. Lorsque je sauve une vie, toujours, mais c'est souvent plus confidentiel, parce que j'ai trouvé, mais il n'y a pas cet instant de grâce.
Là, hé ! Elle bêle ! Enfin elle chevrote ! Mais bruyamment !
Cédric n'est pas vraiment un ami, disons, une connaissance sympathique. Il a bossé dans le coin, en service de remplacement. Puis il en a eu marre, et maintenant, il travaille à 80 bornes de là dans une ferme qui accueille des handicapés. Le genre de boutique avec trois chèvres, cinq brebis, deux chevaux, une vache, des poules, des canards et compagnie.
De temps en temps, il me passe un coup de fil pour un conseil, et puis je vais le voir une fois par an, pour la prophylaxie, parce que là où il est, il n'y a plus de vétos ruraux. Cette fois, il m'a appelé pour une mise-bas sur une chèvre. La cocotte n'a jamais mis bas, elle se prépare depuis hier soir, et c'est sa louloute, sa charlotte, son petit sucre, il l'a élevée au biberon, elle le suit partout comme un petit chien, il a évidemment très peur. Il a parcouru tous les forums sur le net, tout le monde lui a écrit que les chèvres se débrouillaient toujours toutes seules, qu'elles n'avaient pas besoin de nous. Surtout les alpines chamoisées. Moi, au téléphone, je lui ai dit d'attendre un peu, qu'il n'y avait pas le feu si elle continuait à brouter l'air de rien, mais que, demain matin, il faudrait quand même que ça ait bougé.
Évidemment, le lendemain matin, il m'a rappelé : "Elle n'a toujours pas mis bas, Fourrure, des fois elle pousse mais pas trop, elle n'est pas bien, elle n'est pas comme d'habitude." Après une nuit entière, il faut se rendre à l'évidence : ça déconne. Le souci, c'est que je suis à 80km, et débordé. Pas moyen que je passe à la ferme. Alors je lui file le nom de plusieurs vétos que je connais et qui, à une époque, ont fait de la rurale. Je lui dis de me rappeler si ça ne donne rien.
Et trois quart d'heures plus tard, le téléphone sonne à nouveau : "Fourrure, il n'y en a aucun qui veut venir, il y en a deux qui veulent bien si je l'amène, mais ils sont à trente minutes, alors si c'est pour la déplacer et rouler, j'arrive, tu m'attends hein ?" Il arrivera vers midi.
Bon.
Pendant ce temps, je boucle les consultations. Et finalement, c'est sa copine qui se pointe avec une vieille 309 toute pourrie. La chèvre descend l'air de rien de la bagnole, la suit pas à pas, provoque la stupéfaction des chiens et des clients dans la salle d'attente et tente de nous piquer le bouquet de fleurs sur le bureau quand nous avons les yeux tournés. Le spectacle n'est vraiment pas banal. Je veux dire : des chèvres, il en vient parfois à la clinique, mais surtout des naines, et généralement complètement paumées. Celle-là se comporte comme si elle était chez elle, un peu comme ces chats qui squattent chez vous en considérant que tout leur est du...
La bestiole n'est pas assez dilatée. Une torsion de matrice sans doute ? En tout cas ma main est trop grosse, et c'est ma consœur qui s'y colle, elle qui n'a aucune expérience en rurale, et qui n'a pas l'air d'apprécier les hurlements déchirants de la parturiente lorsqu'elle lui enfonce son bras dans le vagin. Je ne sais pas si mes remarques l'ont rassurées, dans le style : "tu sais, si elle se relève comme si de rien n'était et se remet à bouffer dès que tu arrêtes de la manipuler, c'est qu'elle en rajoute une sacrée couche, hein ? Beaucoup de comédie, ne t'inquiète pas."
Au final, j'ai enfin la place d'aller voir. Enfin, de glisser mes doigts. le chevreau est très gros, il arrive n'importe comment. J'explique à la copine de Cédric que je vais tenter de le remettre dans l'axe et d'éviter une césarienne, car vue l'émotivité de ces bestioles, je crains fortement cette chirurgie. Nous gardons donc la Louloute pour une petite heure de manœuvres obstétricales infructueuses en guise de repas de midi. Je vous rassure : en nous relayant, nous avons quand même réussi à nous sustenter un peu.
A 14h00, je reprends les consultations, et laisse la Louloute tranquille, en indiquant à ma consœur d'essayer encore un peu si elle veut, des fois que ça la dilate plus, mais sans grand espoir. Le chevreau est vraiment foutrement coincé dans une position à la con, trop loin pour être découpé, bref, ça sent le bistouri.
A 14h50, je passe dans la salle de consultation où ma consœur gît, frustrée, épuisée et inquiète, au milieu d'une flaque de sang, de pisse, d'amnios et de gel lubrifiant, tandis que la biquette renifle la poubelle. Il va falloir que j'opère, sinon elle va craquer. La consœur.
Quelques dizaines de minutes plus tard, la biquette est anesthésiée, ligotée, tondue, désinfectée. La salle de consultation ressemble à un champ de bataille. Un incision cutanée, puis musculaire, les eaux péritonéales provoquées par l'inflammation se déversent par cascades dans la bassine et les serpillières disposées pour l'occasion sur le carrelage. Je saisis délicatement l'utérus, l'incise, extrais le chevreau, mort depuis la veille au moins. La chèvre respire paisiblement. Maintenant commence la phase la plus longue de la chirurgie. Une, puis deux sutures utérines, une suture musculaire, une seconde, et un dernier surjet à point passé pour sa fine peau de biquette. Dans les dernières minutes, mon travail s'accélère. Je n'aime pas sa respiration, je n'aime pas la couleur de ses muqueuses. j'injecte un anti-anesthésique avant de nouer mon point final, mais ma fréquence cardiaque s'accélère autant que la sienne se casse la gueule. Elle va me claquer dans les doigts !
Les ASV sont reparties à l'accueil, et lorsque je passe en courant avec une chèvre de 60kg dans les bras, celle qui passe à côté de moi en demandant des nouvelles, le sourire au lèvre, s'éclipse en vitesse lorsque, stressé à bloc et à la limite de me casser la gueule, je la bouscule en lâchant un "elle est en train de péter, pousse toi je vais au chenil, elle meurt "
Je n'ai vraiment plus ni l'envie ni le temps d'être poli. J'ai cette voix rapide et agressive, avec ces mots chuchotés, qui signale l'explosion prochaine, je sais qu'elles savent, et elles se poussent.
La biquette est posée dans la cage, à moitié couchée, sa tête est retombée sur le côté. Elle est grise, elle ne respire plus, et mon cathéter a glissé, bordel de merde. J'en pose un nouveau en vrac, pile dans la veine. J'injecte un analeptique, lui maintiens la tête haute pour éviter le reflux ruminal, et tente un massage cardiaque.
"ELLE EST MORTE BORDEL DE MERDE !"
Je n'ai pas vraiment crié, mais je sais que tout le monde a entendu dans la clinique, des ASV aux autres vétérinaires en passant par les clients dans la salle d'attente qui se faisaient conter l'histoire de la césarienne de chèvre.
Elle ne respire plus, son cœur s'arrête sous mon stétho, en fibrillation, et non, je n'ai pas de défibrillateur, et j'écoute le cœur : le néant. Je réinjecte une dose d'analeptiques, je tente un bouche-à-naseaux, lui gonfle les poumons - pas le temps de l'intuber - avant de reprendre le massage cardiaque.
Dix secondes.
Dix très longue secondes.
Elle relève la tête.
ELLE RELÈVE LA TÊTE !
Cette fois, je n'ai pas crié, je savoure mon triomphe, stabilise tout ça, réinjecte un coup d'antalgiques, ralentit la perf' qui coulait à fond après un bolus hypertonique.
Dans la clinique, il y a un silence de mort. Tout le monde aime bien Cédric, la biquette était adorable, ma consœur vient de passer des heures à vaincre ses réticences pour le travail "à la rurale" afin de sortir ce chevreau, tout le monde a suivi la césarienne qui se déroulait sans souci, et ils m'ont entendu.
Alors moi je sors du chenil, j'ai laissé la biquette finir de reprendre ses esprits, et je passe façon disco dans le couloir vers le bureau, là, il faut que je triomphe, parce que j'exulte ! Je les regarde tous, et puis j'attends un peu. Ils me regardent comme si j'étais complètement barré.
"Elle est morte, mais elle est vivante !"
Du fond de la clinique jaillit un bêlement puissant et plaintif, du genre "j'ai mal au cul, j'ai mal au bide bande de salauds !" puis un fracas métallique... j'ai laissé la porte de la cage de la morte ouverte, et elle tente de se barrer en courant, en dérapant sur la carrelage trempé, son pied de perf' basculant en emportant tous les tuyaux sur son passage.
J'adore les résurrections.
dimanche 23 janvier 2011
dimanche 23 janvier 2011, 09:22 / 29 commentaires
Direction chez Colucci, pour quelques prises de sang à faire entre deux visites plus "médicales". L'occasion de discuter avec un papy qui en a vu d'autres, de profiter un peu du soleil et de ne plus réfléchir.
Juste ce qu'il me faut.
Mais comme rien ne se déroule jamais comme prévu, mon téléphone sonne.
Évidemment, c'est pas bien, mais je décroche : la sonnerie de la clinique.
"Dr Fourrure ? C'est Francesca, il faut aller chez Pique, une vache qui a le col ouvert mais il ne sent pas le veau.
- OK, je prends."
Comme si j'avais le choix. Colucci attendra. Demi-tour en live dans le premier chemin, et direction chez Pique. J'y serai dans cinq minutes au plus.
Lorsque j'arrive à la stabulation, il n'y a personne. Il a sans doute du aller récupérer son gosse ou un truc du genre, moi, je vois mon objectif : une vache isolée dans le box de vêlage, occupée à... manger.
Je décharge la voiture - la boîte à vêlages, avec le matériel de césarienne, de réa pour le veau, les cordes, des oblets antibiotiques et tout le toutim. J'enfile mon sac poubelle géant ma chasuble de vêlage, une paire de gants, et me dirige vers la parturiente récalcitrante, tandis qu'une 205 se gare en vrac derrière ma voiture. Pique, qui me lance un bonjour, s'excuse, saute sur une corde et file choper sa vache, en posant son gamin sur une barrière.
Deux minutes plus tard, j'ai les bras dans la bestiole. Une limousine de dix ans, c'est censé vêler sans se poser de questions. Elle, manifestement, ne s'en pose pas. Mais elle ne pousse pas non plus, et le veau est bien là, bien au chaud, tout au fond. Je lui tire une patte : il résiste, et la rétracte avec une vigueur indignée qui fait plaisir. Le col est correctement effacé, la vulve et le vagin pas trop dilatés, mais sur une vieille routière comme ça, il n'y à pas à se poser de question : un autobus passerait.
Le truc, c'est qu'elle ne pousse pas. C'est vexant : elle a mes deux bras dans le vagin, enfoncés presque jusqu'aux épaules, et elle essaye de chiper de l'ensilage sous la barrière. Alors évidemment, le veau reste au fond.
Bien sûr, on pourrait attendre. Mais il y a la place, le veau va bien, et surtout, je suis là. Donc : on va tirer. J'envoie Pique chercher le palan, confie mes cordes de vêlage à son fils, qui me regarde gravement du haut de ses cinq ans et de sa barrière.
"Dis Papa, pourquoi le monsieur il a les bras dans la vache ?
- Pour sortir le veau, Chris."
Je prends chacun des antérieur du veau dans mes mains, juste au-dessus des boulets. Entre les gants, les bouts de placenta et le liquide amniotique, il me faut serrer très fort pour maintenir les pattes, au grand dam du veau auquel elles sont attachées. A force de tirer, le veau se déroule, l'avant de ses antérieurs se pose plus ou moins dans le vagin, la tête est juste derrière. Costaud, le machin. Il ne va pas sortir sans effort. Ce qui est sûr, c'est que je ne le sortirai pas plus sans une meilleure prise. Je tend donc un bras vers Christophe, qui me donne une des menotte - ces cordes faites pour relier la patte du veau au palan. Un nœud d'alouette, et Chris' me donne la deuxième corde.
"Papa, pourquoi le monsieur il met les menottes dans la vache ?
- Pour attacher le veau.
- Hey bonhomme tu peux me poser les questions directement, tu sais ?
- Outch, Fourrure, t'aurais pas du dire ça !"
Bah. Le veau est bien attaché, les nœuds sont au bon endroit, je tire. Pas de souci, les onglons pointent à la vulve. Par contre, la tête du veau bute sur le col, et tend à basculer sur la droite, au lieu de se poser gentiment sur les antérieurs et de filer vers la sortie.
Pas bon. Le bestiau est vraiment gros, en plus. Mais il doit passer.
Il devrait.
Je file chercher une autre corde, que je vais lui passer derrière les oreilles, pour allonger le cou vers l'avant et empêcher que la tête ne parte sur le côté lorsque nous tirons les membres : deux ou trois essais successifs ont prouvé que mes bras et mes mains ne sont pas des guides suffisant pour maintenir la tête sur les rails.
"Dis monsieur, pourquoi tu mets encore une corde dans la vache ?
- On dit Docteur, Chris' !"
Je souris.
"Pour l'attacher, comme quand ton papa met une corde à une vache pour l'amener dehors, je fais pareil avec le veau.
- Mais il n'a pas de cornes !
- Oui, du coup je lui ai mis autour du cou.
- Mais pourquoi t'as pas fait un licol ?
- Parce que c'est trop compliqué là-dedans.
- Alors faut pas l'étrangler !
- Ouip, donc je mets ma corde d'une façon très spéciale."
Et bordel : il a que cinq ans.
"Je t'avais prévenu, Fourrure."
Effectivement.
Bon, en deux essais, la corde est bien mise. Nous fixons les menottes sur le palan, et c'est parti. On va y aller tranquillement, tout en douceur.
Sauf que la tête de ce con de veau n'a pas encore passé le col quand j'entends un ronflement de sonneur : ce con est mis à respirer. Mes poils se hérissent, Pique me regarde en hésitant. Il y a la place, on aurait pu prendre 5 ou 10 minutes pour le sortir, il ne tiendra pas si on ne se dépêche pas, car la vache n'a pas jeté ses eaux, à ne pas pousser.
Et d'ailleurs, elle ne pousse toujours pas.
Bordel !
Pique s'emploie de toutes ses forces à tirer sur le palan. Moi, je tire un grand coup la corde passée autour de la tête du veau, constate avec soulagement que la manœuvre a réussi et qu'il a maintenant la tête posée sur les antérieurs. Mais le nez est encore derrière la vulve, coincé dans le vagin, et il a commencé à respirer. Il ne peut pas arrêter, et revenir à un cycle sanguin fœtal. L'hallucinant bouleversement de sa circulation sanguine, qui abandonne le cordon ombilical pour irriguer ses poumons tout juste étrennés, a commencé. Et il est irréversible.
Et là, il ne peut pas respirer.
Je pèse de tout mon poids sur la palan, par secousses violentes, pour essayer de l'avancer un peu et de dégager son nez. Dur, il ne manque pas grand chose, les épaules passeront, les épaules doivent passer, j'ai tout parié là-dessus, et je n'ai plus le temps de m'être trompé. Il n'attendra pas une césarienne, il doit sortir, il doit sortir.
Je lâche le vagin et les menottes, et je viens aider Pique. Comme beaucoup d'éleveurs, il est fort comme un ours. Je ne fais pas le poids, mais à deux, l'avancée reprend. Centimètre par centimètre, les pattes avancent. La vache ne dit rien, elle ne pousse pas, elle s'en fout, elle bouffe ! Elle bouffe et le veau ne sort pas, il va crever dans ce vagin alors qu'il suffirait que sa mère nous aide.
"A trois, Pique !"
Chris' ne pose plus de question.
Je compte et nous tirons un grand coup. Le nez avance, je relève le pli formé par le bord supérieur de la vulve au-dessus de ses narines. Elles sont dégagées, mais il est trop serré pour respirer.
Nous continuons à tirer, de toutes nos forces. Nous risquons de déchirer la vache, mais je n'y crois pas trop, elle en a vu d'autres, elle ne se plaint même pas. Et lui, de toute façon, risque la mort au bout de quelques dizaines de secondes de vie. Je ne crois pas qu'il soit équipé pour l'apnée. Elle, je pourrais la recoudre.
Alors nous tirons, et le veau avance. D'un coup, c'est gagné : les épaules passent franchement, et le veau plonge vers le sol avec une fluide facilité. Il s'explose au sol avant que j'ai le temps de le rattraper. Un grand seau d'eau glacée derrière les oreilles, et Pique le pend en levant ses membres postérieurs au niveau de la barrière. Moi, je profite de la position pour lui vider la gorge de ses glaires.
Il ne respire pas.
Un massage cardiaque, une bordée d'insultes - pardon, Chris' - je frotte son thorax et stimule son cœur, en cinq secondes, un analeptique cardio-respiratoire est injecté en intra-veineuse, et je reprends mes massages. Je le fais remettre au sol, ses voies respiratoires ne sont pas encombrées. Je lui presse le thorax à lui exploser les côtes.
De longues, longues secondes de violence contrôlée, le rythme du massage et l'énergie de la colère.
Et je sens un battement, et je sens un ronflement.
Il est revenu.
samedi 8 mai 2010
samedi 8 mai 2010, 10:03 / 10 commentaires
Quinze heures trente.
J'adore cette petite étable, nichée dans un col entre deux collines, juste en contrebas de la ferme. Huit blondes gargantuesques, deux belles génisses, et un joli veau déjà attaché près de sa mère. Un extracteur à fumier parfaitement vidé, de la paille fraîche, un parfum de foin et de vache. Un poil qui brille. Et une grosse flaque de sang derrière ma parturiente du jour. D'emblée, je doute de l'hémorragie utérine. Il est vrai que le veau est énorme, quoique la vache le soit aussi en proportion. Pas étonnant pour un "port" de 3 semaines. Ces bestioles gagnent 800g à 1kg par jour passé dans l'utérus au-delà du terme !
Les éleveurs, qui ont largement dépassé l'âge de la retraite, me regardent d'un air anxieux. On fait difficilement plus impressionnant, comme urgence, qu'une hémorragie utérine. Il m'a fallu huit minutes pour arriver dès leur coup de fil passé, et le vêlage n'a pas plus de vingt minutes. La vache ne souffle pas, ne tremble pas et se comporte normalement, aucun signe d'hypovolémie due à une hémorragie massive. Cette fois, cela va se passer sans gants. Il va me falloir détecter le point de fuite au milieu du chantier de fragments de placenta, d'amnios, de cordon, de cotylédons et de muqueuses plus ou moins enflammées et déchirées.
Exploration à gauche, exploration à droite : pas de déchirure vaginale. On peut donc, a priori, écarter la rupture d'artère utérine, ce monstrueux cordon du diamètre d'un doigt dont la déchirure peut entraîner une hémorragie tellement importante que la mort survient en quelques minutes. Je gagne encore quelques centimètres pour commencer à explorer le col, cette limite presque impalpable entre la granuleuse muqueuse utérine, ses cotylédons et son placenta, et la soyeuse muqueuse vaginale. Un tissu difficile à isoler, difficile à tenir entre les doigts lorsqu'il s'est effacé pour laisser passer le veau, lors d'une dilatation normale. Je ne sens rien, la muqueuse glisse et s'échappe sans solution de continuité. J'avance encore, mes doigts en crochet derrière le col, à la recherche de la source de l'hémorragie. Un cotylédon arraché, pourquoi pas, mais aurait-il pu justifier une telle flaque de sang ? Pas impossible. Je continue à chercher, pour trouver, juste derrière le col, au plafond à droite, une entaille dans la muqueuse et la musculeuse. La couche la plus externe de l'utérus, la séreuse, n'est pas entamée. La déchirure est de petite taille, elle n'est pas sur le col, pas de danger, d'autant que cela ne saigne presque plus.
C'est lorsque je retire mon bras du vagin de la blonde, sous le regard soulagé du couple de retraités, que mon téléphone sonne à nouveau. La clinique.
"C'est chez Pique. Une hémorragie utérine."
Genre... Je dois intervenir pour ce motif une fois par an à tout casser, et j'en aurais deux à moins de vingt minutes d'intervalle ? Et à vingt bornes d'ici, en plus !
Je me rince rapidement, rassure les éleveurs et file en refusant un café. Les pneus vont souffrir !
Ma première hémorragie utérine, je m'en rappelle comme si c'était hier. Comme du cours à l'école véto aussi. Il n'y avait pas grand chose à raconter sur le sujet, mais le prof avait développé la seule partie qui vaille : un savant calcul pifométrique sur le débit de l'artère, sur la pression sanguine et sur le volume sanguin d'un bovin. De quoi nous rappeler que même si la vache pisse littéralement le sang, on a quelques minutes pour intervenir. Les éleveurs le savent bien, de toute façon. Dans le cas d'hémorragie massive, mettre le bras dans le vagin, chercher la source du flot de sang et boucher le trou avec les doigts. Ensuite, appeler. Ne pas être seul. Pour ma première rupture d'artère utérine, justement, le gars était seul dans sa stabu. Il avait gueulé jusqu'à ce qu'un voisin, un parisien retraité dans sa résidence secondaire, l'entende et vienne voir ce qui se passait. C'est lui qui m'avait appelé, tout fier de pouvoir rendre service. L'éleveur avait attendu une heure, il avait du faire masser sa main pendant des dizaines de minutes pour récupérer de sa crampe. Sa femme, qui s'était chargée du massage, se moquait de lui sur le mode "des crampes de la main comme quand t'étais jeune !". Ils avaient une bonne cinquantaine, le parisien avait fait mine de n'avoir rien entendu en se concentrant sur mon travail, et moi j'avais éclaté de rire en jugulant l'hémorragie.
Je me suis garé devant la salle de traite, avisant le petit bonhomme derrière une grande Prim'Holstein, les bras couverts de sang, sa casquette sur le crâne, avec les bottes couvertes de caillots. Cette fois-ci, pas de doute, c'est une vraie.
"Hé Fourrure, ça saigne à gauche, mais j'ai le doigt dans le trou."
Moi, je ré-enfilais une chasuble de vêlage, toujours sans gants, attrapais ma pince à hémorragies utérines fixée à un aimant sur la carrosserie de ma voiture - toujours à portée de main - et disposais du fil, des aiguilles et quelques clamps. L'éleveur s'est retiré tandis que je pénétrais à mon tour, cherchant à tâtons la source de l'hémorragie. Grosse déchirure à gauche, des caillots de sang, un flux indéfini et assez léger, il faut que j'évacue ces premiers caillots pour relancer le saignement afin de mieux en cerner la source. Et là, ça ne rate pas : je gratte à peine avec les doigts et c'est mes bottes qui, cette fois, sont recouvertes de sang. La vache pousse un peu en sentant mes explorations vaginales, mais sans plus. Il me faut une dizaine d'essais pour caler ma pince d'une manière satisfaisante, stoppant net les flots d'hémoglobine. Avec ce genre de tâtonnements, la scène ressemble cette fois au tournage d'un film gore (à savoir, dans les films actuels, le sang ressemble vraiment à du sang - ce n'était pas le cas il n'y a encore pas si longtemps que ça, et ça reste ridicule dans pas mal de séries).
J'ai du sang plein les bras, évidemment, les petits caillots commencent à sécher sur les poils de mes avant bras mais je sens aussi les gouttelettes sur mon visage, dans mon cou, partout. Cette fois, il me faut recoudre. A l'aveugle, faire le tour de l'artère avec du fil, tout en traversant aussi les tissus vaginaux qui l'entourent pour que le nœud ne glisse pas, mais sans prendre trop de tissus annexes pour que ma ligature soit vraiment serrée. Car la pression est telle que le saignement risque de se poursuivre malgré mes nœuds. On m'a toujours dit de laisser la pince, mais j'aimerais, pour une fois, arriver à l'enlever à la fin de mes sutures.
Vingt minutes et un demi seau de sang plus tard, j'abandonne le projet de récupérer ma pince à la fin de l'intervention : malgré mes nœuds, ça se remet à saigner dès que je la desserre. Comme d'habitude, je la noue avec une ficelle à la queue de la vache, pour qu'elle ne tombe pas dans le fumier lorsqu'elle se détachera. Il ne me reste plus qu'à suturer la muqueuse vaginale, avec mes doigts crampés à force de manœuvrer dans un espace aussi étroit, me piquant et me coupant avec les aiguilles, serrant les nœuds sur les jointure des mes articulations, le tout en répondant par l'affirmative aux commentaires du style : "mais vous n'y voyez rien là-dedans Fourrure".
Mais je n'ai pas besoin d'y voir, je sens.
Deux jours plus tard, je reviendrai enlever ma pince, parce que j'en ai déjà perdu deux malgré mes précautions. Je ne m'étendrai pas sur ce jour là, où je pensais passer 5 minutes mais où je suis resté une bonne demi-heure car l'hémorragie a repris de plus belle lorsque je l'ai desserrée - cela ne m'était jamais arrivé, deux jours après. Cette fois, j'ai carrément suturé la pince au vagin, je reviendrai la chercher à l'occasion. J'ai mis un plus petit clamp, et j'ai écris, sur la boîte de césarienne qui est censée le contenir : "manque une pince, cf. Pique 3564".
mardi 27 avril 2010
mardi 27 avril 2010, 08:00 / 23 commentaires
Sept heures.
La stabulation est plus un abri de parpaings, de tôle et de barrières rouillées qu'une stabulation standard. La vue est magnifique : patchwork de verts, de bruns et de blancs bourgeonnants sur les collines, avec les Pyrénées en toile de fond. Encore une vache qui travaille depuis des heures, encore une blonde, plutôt maigrichonne et du style... mal embouché. Rien que ne puissent contenir quelques cordes et une mouchette.
La vulve n'est pas dilatée, le vagin moyennement, le col... pas du tout. Je passe largement le bras, mais pour un veau, il va falloir travailler. Lui, il est tranquille au fond de son nid, tellement au fond qu'il va bien falloir le remonter à la main avant d'envisager de lui passer les menottes. Mais avant ça, je vais commencer par demander à l'éleveur, un grand type qui regarde son bippeur d'un air inquiet - il est pompier, et de garde - de passer une corde autour des jarrets de la maman. Je veux bien pousser et peiner, mais pas en esquivant les coups de savates.
Elle a du bassin. Le veau ne me semble pas bien gros, mais le col, lui, n'est vraiment pas assez ouvert. C'est d'ailleurs curieux pour une vache de cet âge, qui en a vu d'autres, à terme, avec un veau vivant et dans une position tout à fait standard. Pas sûr que ça va passer, mais, hé, on ne va tout de même pas faire une césarienne pour ce veau et cette vache !
Alors je pose ma main droite sur son antérieur gauche, ma main gauche sur son antérieur droit, et la bagarre commence. Bébé contre véto, il a l'avantage de la position, et sa mère fait tout pour l'aider (botter avec un huit aux jarrets, c'est du vice !). Niveau force, nous sommes égaux. Je le piège en tractant l'antérieur droit, stimule sa résistance puis relâche rapidement en tirant d'un coup l'antérieur gauche. Gagné ! Si je n'ai ni la force ni l'avantage de la situation, je ne vais quand même pas me faire gruger par un bébé même pas né ! L'onglon pointe à l'orée de la vulve, mais une secousse brutale me fait tout lâcher. Bébé a gagné. Un point. En tout cas, notre partie de boxe a un avantage : la mère se décide à pousser, mais sans en faire assez pour monter le fœtus. Je me mets alors à travailler le col. Massages et dilatation forcée, d'excellents exercices de musculation. Imaginez-vous avec une chambre à air de brouette autour des poignets, à essayer de la détendre en écartant les bras, ça vous donnera une idée...
J'alterne les efforts sur le col et sur le veau, espérant profiter de ses membres et de sa tête pour remplacer mes poignets au niveau du col de sa mère. Antérieur droit, antérieur gauche, tractions, céder, tirer, attacher ! Au bout d'une vingtaine de minutes, je suis en sueur, mais je lui ai passé les menottes. Je fais accrocher le palan sur ces cordelettes, non pour tirer - le passage n'est pas encore assez dilaté - mais pour le garder à vue. Si je le lâchais, il repartirait dans sa planque. Pas envie de refaire le match.
Cela fait plus d'une demi-heure que je travaille, la mère a renoncé à taper, le veau est attaché, mais on n'est pas plus avancé. Le col reste, pour une raison inconnue, obstinément "fermé". Si je tirais, je le déchirerais : autant condamner la vache. Pourtant, je ne vais pas pouvoir continuer : le veau risque de ne pas apprécier... mais il pourrait peut-être le tolérer. C'est l'heure du choix, celle de la césarienne que j'ai déjà évoquée à demi-mot pendant mes parties de catch : si j'ouvre, je sauve la mère et le veau, mais ça coûte plus cher. Si je n'ouvre pas, on continue à travailler et on sortira le veau, sans risque pour la mère, mais sans garantie pour son bébé.
Arguments pour la césarienne : on est sûrs de sauver tout le monde.
Arguments contre la césarienne : le prix, la taille du veau qui donne envie de le sortir par les voies naturelles, l'âge de sa mère qui a vu passer d'autres bébés, et l'impression d'avoir perdu 40 minutes de boulot à essayer de le faire sortir.
A chacun de faire son choix. Moi, à ce stade, je préfère opérer. De toute façon, j'ai mal au bras, et puis j'ai autre chose à faire que de passer la matinée à me battre avec le bébé.
J'avais déjà rasé la mère pendant une pause. L'éleveur s'est décidé, et j'injecte les anesthésique locaux en esquivant les sabots, pendant que mon pompier maintient les onglons du veau à la vulve : ce con vient de se décider à respirer, sans être sorti de sa mère. C'est le risque lorsque l'on trafique trop longtemps... Il se sert des cordelettes fixées aux antérieurs pour ouvrir le vagin et laisser passer l'air.
Moi, je tranche. Le cuir s'ouvre en silence, ma lame caresse et les muscles s'écartent, jusqu'à la dernière membrane, le péritoine au travers duquel je devine les organes en train de jouer. Je plonge mon bras dans l'abdomen, de la vulve de la vache s'échappe l'écho caverneux d'un soufflet de forge sévèrement encrassé. Une dernière découpe, à l'aveugle, au fond du ventre, ma main chasse les intestins et du même geste, plonge la lame cachée à travers la paroi utérine tandis que je sens le placenta s'échapper sous la pression du bébé. Je vais vite, très vite. Simultanément, détacher le veau pour ne pas emmener les cordelettes dans le ventre : souillées, elles risqueraient trop de laisser de la bouse dans la cavité abdominale. Puis je tire et hisse les jarrets par la plaie. Là, il boit la tasse au fond de sa planque, l'éleveur me rejoint et en moins de 20 secondes, le veau est dehors, pendu à une poutre par les pieds. Les glaires écoulent par sa bouche et par son nez, je lui dégage la trachée du bout des doigts. Il braille (crie-t-il "trichééééé ! trichééééé !" ?). Il s'en sortira. Moi, j'm'en fous, j'ai gagné.
Du premier coup de lame à la sortie du nouveau-né, moins de deux minutes se sont écoulées.
Plus qu'à recoudre...
dimanche 25 avril 2010
dimanche 25 avril 2010, 13:12 / 13 commentaires
Minuit.
La vache est coincée entre une barrière et le mur d'une vieille annexe de l'étable, mangeoire de pierre et râtelier de bois tordu. Un épais tapis de paille fraîche, la lumière de deux grosses ampoules jaunes. Il fait doux, presque chaud. Un chaton miaule, quelque part dans une botte de foin. La blonde pousse depuis des heures, mais sans résultat, une bonne grosse vache qui en a vu passer d'autres et qui ne devrait pas avoir besoin d'aide. Qu'est-ce que je vais trouver cette fois-ci ? Les vêlages s'enchaînent et ne se ressemblent pas, à un rythme éreintant, sans trêve ni relâche. Pour le repos, on verra dans quelques semaines.
Je gagne à nouveau la douceur vaginale, silencieux et trop fatigué pour discuter. J'ai peut-être prononcé quelques automatiques banalités, mais ma tête est ailleurs, au bout de mon bras, au bout de mes doigts qui explorent le vagin puis le col, alors que la vache reprend ses efforts. Je ne suis pas vraiment concentré, juste confiant et détendu. J'aime faire vêler dans cet élevage. De toute façon, avec un bassin pareil, peu importe ce qu'il y a au fond, il ou elle sortira par les voies naturelles. Je parie sur une torsion.
Mon bras s'enfonce et ma main dévie dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, puis se pose sur la tête du veau encore enveloppée dans les membranes placentaires. Il est vivant, j'ai un bon appui, cela devrait aller vite. L'utérus et sa centaine de litres de chair de veau, de glaires et d'humides membranes, suspendu par deux ligaments trop lâches, s'est vrillé. La torsion rétrécit le passage et empêche la sortie du veau, mais, coup de chance, le col semble dilaté.
La blonde souffle et pousse, se tortille et piétine, l'éleveur tient sa queue tandis que je pose ma main bien à plat sur l'encolure. Celle du veau. Sa mère doit peser ses 700kg, j'ai de la chance d'être grand...
C'est un coup à prendre, une habitude, un mouvement puissant et continu que j'achève d'une dernière poussée, utilisant la force du bras et celle du dos tout à la fois. Un instant cette fois-ci, une dizaine de minutes parfois. Comme d'habitude, je ne me suis pas échauffé. Comme d'habitude, je risque la déchirure... Pas pour ce soir. Un dernier basculement et le veau se retrouve dans l'axe, les pattes en bas, la tête entre les genoux, je perce la poche et laisse venir les fluides au rythme des contractions. Le col est bel et bien dilaté, le passage très large, je parie sur une femelle, d'une jolie taille mais sans excès. Elle passera.
Mes mains sur ses canons, je sens ses tremblements, de petits mouvements spasmodiques comme si elle secouait la tête. Il ne va pas falloir tarder. Douceur et puissance, je tire les onglons à la vulve, petits sabots d'un jaune et blanc d'ivoire humide sur un poil gluant, au parfum d'une douceur écœurante. Un peu de sang et beaucoup de liquide amniotique sur ma chasuble, le long de mes bras. Il fait bon, il fait doux, je suis bien, si bien, là, à maintenir ce nouveau-né tandis que l'éleveur court chercher les menottes de vêlage que j'enroule autour de ses membres. La prise est solide. Il met le palan en place tandis que je fais passer, tout en lenteur, le col de l'utérus au-dessus du la tête du bientôt-né. Ses onglons sont maintenant bien sortis et je me suspends aux cordes, le corps parfaitement droit, les pieds calés dans la litière entre les postérieurs de la vache. Je m'imagine tenir les suspentes d'un cerf-volant, je ne fais aucun effort, la tête à 70cm du sol, presque horizontal, tirant vers le bas et vers l'arrière en suivant les contractions de la mère. Au-dessus de moi, à un petit mètre de mes yeux, je vois les lèvres de la vulve s'écarter sur celles de la velle, un bout de langue, puis un nez humide et un mufle couvert de glaires, des yeux, un front, des oreilles... L'éleveur se dépêche de mettre le palan en place, mais c'est inutile, le veau sort sous la traction de mon poids, tandis que je replie un peu les jambes pour éviter de tomber.
Passent les épaules puis le thorax, l'éleveur a lâché son palan dans la paille et s'apprête à recevoir les postérieurs du bébé tandis que, accroupi, je réceptionne le nouveau-né. Une inspiration, une expiration humide et muqueuse, elle secoue déjà la tête alors que nous la suspendons pour éliminer les dernières glaires. Sa mère râle et mugit, appelle et regarde derrière elle les deux bipèdes occupés aux premiers soins.
Une dernière plongée dans la matrice, désormais vide, un peu de sang, un col parfait, un vagin souple, sans déchirure, des artères intègres, je peux rentrer me coucher, après un dernier regard une fois la vaisselle terminée. La velle tente déjà de se lever, sa mère bave et mousse en la léchant d'un air halluciné, nous surveillant du coin de l'œil tandis que les chiens se pelotonnent sur un lit de paille, derrière le mur. Une chouette appelle. Le chaton miaule encore dans sa mangeoire. Les veaux dorment, deux me contemplent d'un air... bovin. Au lit.
vendredi 19 février 2010
vendredi 19 février 2010, 18:20 / 38 commentaires
Accroupi dans un coin de l'abri, je contemple avec un sourire un peu débile le magnifique petit ânon couché en rond devant moi. Indifférente, sa mère broute tranquillement le foin du râtelier tandis que ses propriétaires, un couple de jeunes vieux - je ne saurais pas comment les définir autrement - attendent avec impatience mon diagnostic.
- Bon, je résume. Vous m'arrêtez si je dis une ânerie : il est né hier matin, vers neuf heures, vous ne pensez pas qu'il ai tété du premier lait parce que sa mère ne s'intéresse pas à lui. Par contre, vous avez réussi à lui donner du lait au biberon, et notamment un peu de celui de sa mère que vous avez réussi à traire, mais très peu.
- A peine un verre...
- Et le lait que vous lui avez donné, c'est du lait en brique.
- Oui on ne savait pas et on a mélangé un peu de pain et un œuf battu avec.
- Bon. Mais vous m'avez dit que c'était son troisième ânon, et qu'il n'y avait pas eu de souci pour les précédents ?
- Oui, enfin on croit, on l'a eue l'année dernière, elle n'avait pas fait de bébé depuis des années.
- Et en plus elle a un joli pis...
L'ânon est splendide. Une fourrure dense et soyeuse, de grandes oreilles presque dressées et des sabots déjà durcis. L'ânon des albums photos. Mais couché en rond, en légère hypothermie. Sa mère ne le lèche pas, ne le renifle pas. Je ne comprends pas.
- Vous croyez qu'il va mourir ?
- C'est presque sûr s'il n'a pas bu assez de colostrum, en plus il ne va pas digérer ce que vous lui avez fait boire. Il faudrait du lait pour nouveau-né, pour veau, ou mieux, pour poulain, et du colostrum de préférence.
- Mais il est tellement mignon !
Ouaip. C'est sûr. Splendide, parfaitement normal, mais en train de s'affaiblir parce qu'il ne peut pas téter. Même plus capable de tenir debout, j'ai essayé tout à l'heure de le faire boire au pis en le portant tandis que ses propriétaires tenaient sa mère. Pas brillant. Je ne comprends pas pourquoi elle ne s'y intéresse pas.
Mon silence s'éternise, à peine troublé par la respiration de l'ânesse et ses volutes de vapeur dans ce froid matin d'hiver. On pourrait manger dans ce box. Il est parfait, la paille scintille, le bois est magnifique, tout est parfaitement impeccable. Même l'ânesse doit être brossée deux fois par jour. Ses sabots luisent, sans doute entretenus à l'huile de laurier.
Tiens, je parie qu'ils ont brossé l'ânon...
- Il est né à quel heure, vous m'avez dit ?
- Neuf heures, on avait fini le petit déjeuner !
- Et vous avez eu la chance d'y assister ?
- Oh oui !
- Elle a bien délivré ?
- Oui Jean a jeté le placenta répugnant pendant que je m'occupais du petit.
- Vous lui avez enlevé les glaires ?
- Oh oui il était tout collant ! Sa mère m'a laissé faire, elle est si gentille.
- C'est bien...
Je ne comprends pas.
Ou alors ?
- Et elle ne l'a pas léché du tout ?
- Non pourtant je l'avais bien lavé !
- Vous l'aviez... "bien lavé" ?
- Oui j'ai enlevé toutes les glaires, je l'ai shampooiné, je l'ai séché avec la serviette et le sèche-cheveux. Oh, il était si mignon quand il essayait de se lever dans la salle de bain !
- Vous avez retiré le petit à sa mère dès la naissance ? Et vous l'avez lavé ? Dans la salle de bain ?
- Oui pour le sécher il faisait si froid ! Il ne fallait pas ?
Vue la dernière question, elle a du détecter mon changement d'intonation.
Je vous passe le reste de la discussion. Expliquer à un couple de gens adorables qu'ils sont vraiment des crétins finis, le tout en gardant à l'esprit qu'ils sont surtout des ignorants finis et qu'ils vont sans doute être responsable de la mort du bébé, n'est pas une partie de plaisir. Je leur ai expliqué comment aider le pitchoun' à téter, comment maintenir sa mère, comment tenter de lui sauver la vie.
Il est mort deux jours plus tard.
samedi 2 mai 2009
samedi 2 mai 2009, 17:01 / 15 commentaires
Une sonnerie.8h35, je suis de garde mais la clinique ouvre à 9h00. Probablement encore un client qui veut un rendez-vous. Je ne prends même plus la peine de répondre : si c'est urgent, il laissera un message. Sinon, il rappellera.
Et ça n'a pas manqué, le bidibidip du message. Combien vous pariez que c'est le bruit d'un téléphone qui raccroche ?
"Oh. Il dit qu'il est en intervention, qu'est-ce que je fais ?"
Elle a le téléphone loin de la bouche, je l'imagine le bras ballant. J'entends une autre voix derrière elle. Je la vois très bien dans l'entrée de sa maison, je l'ai déjà reconnue.
"Oh. Merde. Et bien, laisse un message ?"
J'allais le dire.
"Oui bonjour, c'est Mme Colucci, c'est pour un vêlage, ce sont des jumeaux et ils viennent à l'envers, c'est urgent."
Je suis déjà dans ma voiture. Sur la route, le téléphone sonne à nouveau, même numéro. Je lui confirme que j'ai bien eu le message, et que j'arrive. Moins de dix minutes entre appel et présence sur site.
La lourde porte coulissante de l'étable s'ouvre alors que je gare mon utilitaire, en décrochant ma ceinture du même geste. Je suis déjà en train de farfouiller dans le coffre lorsque M. et Mme Colucci s'avancent vers moi, avec cette allure pesante que l'on attribue aux sénateurs. Lorsque je sors la tête du coffre pour dire bonjour, j'ai déjà enfilé ma chasuble de vêlage, les gants et de fouille et je tiens ma "boîte à naissances" à la main.
Mon "bonjour" plein d'entrain crée un contraste étonnant avec leurs mines d'enterrement. Au fil des questions, je m'avance vers l'étable en apprenant qu'il s'agit d'une vieille-vache-mais-pas-trop, d'un grand gabarit, et qu'il lui semble que ce sont des jumeaux, parce qu'il y a une tête et des pattes arrières. Il n'oublie pas de préciser dix fois qu'il n'est pas certain, bien entendu, de ce ton qui annonce qu'il n'a pas de doutes sur la question.
Je m'avance jusqu'à la porte...
J'avais oublié.
Une vache me regarde, la queue comiquement levée sur une contraction. Un sacré grand gabarit, oui. Elle a l'air d'aller très bien. Mais ce sont les deux génisses qui attendent de l'autre côté du grand bâtiment qui me ramènent à une douloureuse réalité. Cela fait un mois que le troupeau de M et Mme Colucci a été dispersé... Elles ne sont plus que trois. Je dis distraitement bonjour à une troisième personne, un inconnu que j'imagine être un voisin avant que l'on m'explique qu'il est venu chercher la vache.
J'ai la gorge un peu serrée, loin de cette jovialité qui accompagne les vêlages dont on devine qu'ils se passeront bien, ces vêlages où priment l'expérience et l'observation, faits de manœuvres obstétricales et d'efforts physiques, sans césarienne, sans danger pour la vache, et probablement sans danger pour le veau. Un drame familial a précipité la retraite de ce couple d'anciens qui appartiennent autant à la région que ses collines, ses moujetades ou ses sangliers - aussi mal embouchés que leurs chasseurs.
Elle avec sa masse imposante, son tablier bleu rayé de blanc et ses improbables couettes, lui, frêle, en blouse bleue, toujours éclipsé par la présence de son épouse. Des éleveurs de veaux sous la mère dont les produits étaient reconnaissables sur n'importe quel marché, sans confusion possible. Immuables, invariables, comme les Pyrénées.
Il n'y a pas de jumeaux. Le veau est sur le dos, les pattes en l'air, et ce sont bien des antérieurs. Ils sont placés de telle manière que M. Colucci et l'acheteur de la vache ont confondu les coudes et les jarrets. Un classique. Le passage est large, le col est déjà dilaté, il n'y a qu'une petite torsion qui sera vite résolue... Le veau est vivant.
C'est un vêlage comme je les aime, fait de tractions à la main, en harmonie avec les efforts de la mère, sans palan ni vêleuse, dont on ressort les narines pleines du parfum du liquide amniotique, les oreilles assourdies par les mugissements de la vache qui réclame son veau, les yeux emplis de l'image du nouveau né qui secoue la tête d'un air indigné en se recevant son premier seau d'eau glacée à la figure.
Avec l'odeur de la paille et du fumier, l'air frais du matin sur mes bras dénudés. Les mains lavées dans l'eau glacée, avec un bout de savon de Marseille et un essuie immaculé.
Un de ces vêlage que l'on a envie de partager avec ses amis et sa familles, avec ses lecteurs, parce qu'ils sont tout ce que j'aime dans ce métier.
Un de ces vêlages parfaits, mais auquel il manquerait le brouhaha caractéristique des vaches curieuses, l'indifférence des vieilles rombières, les coups de langue adroits des veaux qui tentent de saisir ma blouse à travers les barreaux de leur boxe.
Un vêlage parfait, s'il n'y avait les larmes de Mme Colucci, incongrues et saisissantes, une fontaine à la mesure de sa masse et de ses couettes. Mme Colucci qui se frotte les yeux en s'excusant d'une voix de chagrin de petite fille.
Son mari la regarde avec le visage réservé aux funérailles des amis.
L'acheteur est piteux, discret.
Et moi, le vétérinaire. Je suis sans doute là pour la dernière fois, acteur et témoin privilégié de ce petit morceau d'histoire humaine, le cœur serré, à me demander quand viendra mon tour.
Moi, qui ai envie de m'asseoir dans la paille et de serrer ce veau contre moi. J'imagine Mme Colucci, une fois seule, accomplir ce geste d'adieu et d'amour.
Il n'y en aura qu'un à ne pas penser aux jours anciens.
A secouer la tête, en tentant, déjà, de se relever avec vigueur et maladresse, avec ces gestes instinctifs d'une fulgurance déséquilibrée, ses grands yeux noirs de chevreuil et son poil collé.
Sa mère le lèche avec passion.
Le dernier veau.
samedi 22 novembre 2008
samedi 22 novembre 2008, 11:39 / 9 commentaires
5 heures du matin, mon téléphone sonne. De garde, évidemment,
J'essaye de rassembler mes neurones, c'est à peu près aussi efficace que le sprint d'un bouledogue.
"Grmlvice de garde, bonsoir ?"
La voix des grands jours...
"DocteeeEeeeeEEeuuur !"
Ouh là, ça réveille, ça. Bizarre, elle n'a pas l'air affolée. Juste hyper-excitée. Je connais cette voix, mais... ?
"Docteur, il est né, il est né ! Je suis maman !
- Gneu ?
- Notre poulain !
- Mme Ballester...
- Oui, il est magnifique, vous venez le voir ?
- Huuu, là, de suite ?"
Ma femme se retourne dans le lit, intriguée. Il faut dire que la voix de Mme Ballester doit s'entendre à dix mètre dans le silence nocturne.
"Oui oui il est né il y a une demi-heure !
- Félicitations. la mère se porte bien ?
- Oui oui, elle est debout, elle le lêche et nous empêche d'approcher.
- Magnifique, et le pitchoune ?
- Il tente de se lever.
- Superbe... le placenta ?
- Un gros truc répugnant, il est par terre. Oooh il est troooop beau !
- Parfait, parfait..."
Là, je commence à saturer. La dame est ravie, heureuse, c'est son premier poulain, elle l'attends depuis des mois, j'ai vu sa mère trois fois depuis deux mois, des fois que.
Il y a vraiment un côté magique à observer l'émerveillement des gens autour d'une naissance.
Mais à 5 heures du matin, je dois être un peu imperméable.
"Alors, vous venez ?
- Mouif, vers neuf heures.
- Pas maintenant ?"
La déception dans sa voix. je m'en voudrais presque.
"Vous m'avez dit que tout allait bien. Retournez vous coucher, laissez la maman tranquille, on contrôlera tout ensemble tout à l'heure.
- Oh la la je ne pourrais pas me rendormir, je suis trop excitée il est superbe ! A tout à l'heure docteur !
- A tout à l'heure..."
"Elle est amoureuse ?"
C'est ma femme.
"De son poulain ? Surement..."
La "visite de poulain nouveau-né" sera longue, un peu magique, à la fois attendrissante et un peu agaçante, mais quel plaisir que de travailler avec des nouveaux-nés et des gens émerveillés !
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