Animalecdotes

Petites histoires de vétérinaire...

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lundi 8 octobre 2018

Mal de gorge

18h30, le papa rentre dans la clinique avec sa fille de trois ans pendue au bout de son bras droit, et un chien du même âge sous le bras gauche. Il est à la bourre, il était chez le médecin. Pour la petite, bien sûr.

- Tu vois Sylvain, elle se plaignait de la gorge la semaine dernière, m'explique Benoît.

Je fais tomber les gouttes d'anesthésique dans chaque œil, pour pouvoir explorer l'étrange conjonctivite du chien de chasse. J'attends un peu qu'elles agissent, puis je recommence.

- Alors on a pris rendez-vous chez le docteur. Mais depuis trois jours elle ne se plaint plus de la gorge, par contre elle dit qu'elle a mal à l'oreille.

La petite brunette hoche vigoureusement la tête, avec un sourire serré qui fait ressortir ses fossettes. Je remets des gouttes dans les yeux du Bruno, puis j'attrape mes pinces et ma lampe frontale. Il est temps d'aller explorer les culs-de-sac conjonctivaux. Je passe, pince fermée, entre la paupière du dessus et l’œil, puis entre la paupière du dessous et la troisième paupière, la nictitante. Le chien réagit trop. Je cesse et remets des gouttes.

- Du coup, on a maintenu le rendez-vous. Alors, Flo, qu'est-ce qu'il a dit le docteur ?
- Je suis pas malade ! répond-elle en hochant toujours aussi vigoureusement la tête.
- Mais tu vois, je lui ai pas demandé de regarder la gorge, puisque c'était fini. Mais ma femme va me tuer !

La petite me regarde et sourit, ses fossettes sont adorables. Je reprends l'exploration de l’œil droit, je soulève la troisième paupière. Le chien réagit à peine... pas de graine ou autre saleté, mais un tout petit fil blanc qui gigote ! Un Theilazia ! Un petit ver qui vit dans les replis des conjonctives, sous les paupières !

- Un ver ? Mais c'est dégueulasse, Sylvain !
- Dégueulasse, mais pas grave et rigolo, approuvé-je. Ils n'aiment pas du tout les anesthésiques locaux, ça les fait gigoter. Il y en a sans doute d'autre, attends.

Je reprends mes pinces et ma lampe frontale.

- Pfiou la la qu'est-ce que je vais prendre...

Je regarde l'enfant. Puis je m'accroupis à sa hauteur.

- Tu vois, Florence, je soigne les yeux des chiens. J'ai une petite fille un peu plus grande que toi, elle fait tout le temps des angines. Alors je lui fais ouvrir la bouche comme ça, puis tirer la langue très fort, comme ça, en faisant Bwaaaaaahhhh ! Et je regarde avec ma lampe. Tu fais pareil ?
- Bwaaaaaaaaahhhh !
- Tire plus la langue !
- BWAAAAAAAAAAAAAAaaaaaaahhhh !
- Pas d'angine, de grosses amygdales, pas enflammées. Demande au toubib, mais pas de traitement, je suppose. Dis-lui que c'est moi qui ai regardé.

Le papa me regarde, très fier de lui.

- Ah, j'avais raison alors !
- Mais papa, il est vraiment docteur, le monsieur qui fait des grimaces ? lui demande sa fille.
- Bien sûr qu'il est docteur, il enlève même les vers des yeux des chiens ! Mais ne dis pas à maman que c'est lui qui t'a examiné, hein.

Je le regarde en souriant :

- Qu'est-ce que tu vas prendre, Benoît...

jeudi 28 janvier 2016

Le jars

Oie de ToulouseJ'avais hésité un instant. Devais-je garer ma voiture à droite ou à gauche de cette voie sans issue ? Dans le sens d'arrivée, ou le sens de départ ? Coincée entre de vieux murs de pierre plus ou moins effondrés, ma voiture bloquerait de toute façon la ruelle. Pas trop près du mur, en tout cas, à cause d'un caniveau dont je n'aurais jamais pu ressortir ma roue. Je choisis la droite, et le sens d'arrivée, parce que je ne me voyais pas manœuvrer. Je ressortirai en marche arrière. J'espérais juste que personne ne klaxonnerait en s'offusquant de la présence d'un étranger dans sa ruelle. J'espérai aussi que le lierre éviterait encore quelques heures à la grange au toit effondré qui dominait mon véhicule de s'effondrer et l'ensevelir sous des gravats centenaires.

Le portail de la ferme était de l'autre côté de la petite rue. Juste devant la porte de ma voiture, donc. Un antique assemblage de ferraille soudé sur place dont les gonds descellés n'avaient pu prévenir le basculement. Une première réparation, un câble tendu entre l'extrémité du portail et le haut du mur censé supporter les gonds, n'avait pas mieux réussi. La seconde réparation, moins audacieuse, semblait tenir la route : une roue de brouette soudée sous le portail, coincée dans le caniveau, qu'il me fallait soulever puis faire rouler en espérant ne rien casser.

Il n'y avait personne. Dans le petit jardin devant moi, au fond duquel se tenait, tant bien que mal, une étable abritant mes patientes, quelques poules, un mouton, deux oies. Ou plutôt : une oie, et un jars. Énorme. Les deux volatiles me tançaient d'un air mauvais, portant leur ridicule bavette et fanon avec leur majesté caractéristique. Je me tenais dans l’entrebâillement du portail dont la roue, coincée par ma botte, attendait de retomber dans le profond caniveau dont j'aurai le plus grand mal à l'extraire à nouveau.

J'observais les oies, les oies m'observaient. Personne n'avait prononcé le moindre mot, personne n'avait osé cacarder. Je portais, repliée sur mon avant-bras droit, ma lourde blouse de coton couleur cachou, l'uniforme de camouflage du vétérinaire rural, couleur bouse. Dans ma main gauche, mon stéthoscope, un thermomètre, quelques tubes et aiguilles de prélèvement sanguin, des gants en plastique pour la fouille. Bien trop de choses. Je lançais un regard anxieux au petit portail qui, à la moitié de la longueur de ce jardin, communiquait avec la courette empierrée de la ferme. Pas un mouvement. Les chiens dormaient, et monsieur et madame Bordes aussi, sans doute. Je n'avais aucune envie de les réveiller.

Mes premiers contacts avec M et Mme Bordes avaient été… impressionnants. Cela ne faisait que quelques mois que je travaillais pour ce vétérinaire, et si j'avais peu croisé monsieur, madame m'avait fait forte impression en débarquant comme une furie dans le cabinet. Le soir, avant la fermeture, maniant son relevé de facture mensuel comme un maillet, elle s'était jetée sur mon employeur, un petit bonhomme à lunettes débonnaire. Je m'étais prudemment réfugié dans la salle de consultation, ne voulant rien avoir à faire avec ce qui semblait un rituel bien réglé, la contestation de facturation. Je devais découvrir au fil des semaines qu'effectivement, cette agression mensuelle avait valeur de tradition entre madame Bordes et mon employeur. M Borde, lui, n'intervenait jamais, et d'ailleurs, ne parlait jamais, du moins en présence de son épouse. Elle, avec sa robe à fleurs à motif imprimés, ses lunettes à cordon en demi-lune et son inidentifiable mais caractéristique parfum, lui, dans son pantalon et sa veste de toile bleue d'ouvrier. Lui, silencieux, et même taciturne, dont j'avais le plus grand mal à obtenir le moindre commémoratif lorsque je soignais ses veaux, elle, volubile, orageuse, prenant toujours tout le monde à partie sur tout et n'importe quoi : la météo, l'injustice du monde ou l'incurie du maire.

Dans l'idéal, si tout pouvait se dérouler comme je l'imaginais, j'irais jusqu'à l'étable, j'examinerais la vache, la délivrerais de son placenta pourrissant et m'en retournerais sans encombre dans le refuge de mon automobile. Je ne voyais qu'un obstacle à mon plan : un couple d'oies grises et blanches. L'équilibre qui prévalait à cet instant ne pourrait se prolonger indéfiniment. Si elles n'avaient pas encore esquissé le moindre geste, au milieu des poules indifférentes, c'est que je m'étais également figé. Je sentais que mon prochain pas, accompagné de la fermeture du portail, serait une rupture. J'avais peur des oies. Je pouvais tenir un pitbull dans les bras ou approcher une vache juste vêlée, piéger un chat agressif ou tenir tête à un cheval paniqué, mais j'avais peur des oies. Pas une peur panique et irraisonnée, plutôt une inquiétude née de la méconnaissance de ces bestioles et des déclarations péremptoires de ma mère sur le sujet, qui m'avaient fait forte impression pendant mon enfance. De sales bêtes. Et puis, j'avais en tête le Capitole et ses oies de garde, le vacarme de leurs criaillements qui immanquablement tireraient monsieur, et surtout madame Bordes, de leur sieste.

Je choisis la confrontation bravache. Ces animaux sont impressionnables, il suffit de prendre la pose en écartant les bras devant elles pour qu'elles renoncent, m'avait-on expliqué. Je m'étais imaginé, à dix ans, prendre la posture d'une oie, jambes un peu pliées, buste redressé, bras en V avec les poignets cassés. Au cas où je me ferais piéger en allant voir un de mes amis fils d'agriculteur [1].

J'avançais donc d'un pas décidé vers l'étable, au fond du jardin, démarche quelque peu compliquée par le slalom entre les fientes de la basse-cour. Les oies s'avancèrent vers moi, une accélération coulée, presque silencieuse, tête vers l'avant, bec ouvert, ailes à peine écartées. Je leur fis face, j'écartai les bras. Elles se figèrent. Je ricanais. Je repris mon chemin vers l'étable, elles se glissèrent derrière moi, imaginant sans doute me pincer les mollets ou les fesses. Je me retournai sèchement, elles redressèrent leurs longs cous. Il y eu un instant de flottement, puis le jars passa à l'attaque, ailes grandes ouvertes, sifflant, criaillant, son oie sur les talons. Je vis son bec d'un orange profond surmontant cette bavette qui, moins ridicule tout d'un coup, lui conférait un air vicieux. J'avais ma lourde blouse cachou dans la main droite, je n'hésitai pas : je lui assénai un coup violent. Sa tête valdingua vers ma gauche. Il tomba comme une masse. Inerte. Ne se releva pas. Une goutte de sueur froide dévala ma colonne vertébrale.

« Simone ! Il a tué l'jars ! »

M. Bordes se tenait appuyé sur son petit portail, me coulant un regard mauvais sous sa casquette grise à carreaux. Son épouse le rejoignit, se penchant comme lui. J'étais figé.

« Vin d'là ! Une bête de concours ! La meilleure du canton, on avait été la chercher au marché de Samatan tout exprès ! »

Combien cela allait-il me coûter ? Et comment mon employeur allait-il prendre l'histoire ? Non qu'il me reprocherait une faute éthique. Je l'imaginais plutôt m'en vouloir d’avoir fourni des cartouches à sa Némésis dans leur lutte mensuelle. Madame Bordes se retira, dégoûtée. Je savais qu'elle reviendrait à l'assaut, calculant combien cela nous coûterait. Monsieur Bordes, lui, n'avait pas bougé. Il me fixait. Comme l'oie, dressée derrière le cadavre de son mâle.

Il y eut un frémissement. Le jars redressait la tête, le jars se relevait. Il tangua, retomba, tituba, tenta de reprendre contenance. Le cou plié, à moitié assis, la bavette molle, il reprenait ses esprits. Il fit demi-tour. Je masquais un soupir de soulagement.

« Simone !
- Quoi ?
- Le véto
- Quoi le véto ?
- Il l'a raté ! »

Un gargouillement monta de la maison.

« Saloperie de bestiole ! »

Note

[1] Je visualisais très bien la technique, c'était exactement ce que faisaient les chevaliers du Zodiaque à longueur d'épisode. Le Club Dorothée avait donc des valeurs pédagogiques en matière de survie en milieu hostile.

lundi 1 juin 2015

A sec

- Elle est super gonflée derrière, elle se couche et pousse de grands soupirs de douleur, surtout pour faire ses crottins, et ça dure depuis que je vous ai appelé !

Elle s'est levée quand je me suis approché. La jument est mal apprivoisée : très jeune, et Mme Hers vient de la récupérer. Pas sauvage, mais de là à l'examiner paisiblement, non. J'arrive à la caresser, elle baisse les oreilles, retrousse ses lèvres, roule des yeux mauvais.
Du cinéma. Ça va.
Je lui parle doucement, elle tolère bien que je lui caresse l'arrière-main. Pas l'encolure. On ne lui mettra pas de licol, il faudra faire dans ce champs, en liberté. Mes doigts glissent sur son dos, sa croupe. Je parle, je touche, doucement, mais fermement, je m'appuie contre elle. Ne pas rompre le contact, et tout faire en douceur, avec tact. Elle garde un œil mauvais, pour la forme, mais elle me laisse faire. J'écoute son ventre. Elle gargouille, peut-être pas tout à fait autant qu'il faudrait, mais cela me rassure. Je continue à la caresser, je tourne autour d'elle, je ne cesse pas de parler. Elle me tolère. Elle me laisse faire.
Je lui soulève la queue, doucement. Je glisse mes doigts, le thermomètre, elle n'apprécie pas, évidemment. Elle s'éloigne de moi, mais le thermomètre est bien en place. Je le récupère une minute plus tard, je m'approche d'elle comme je m'approchais des poulains au débourrage, à demi-sauvage, à l'époque où j'avais l'énergie et l'inconscience de monter des animaux peu domestiqués. Ils me font marrer, les chuchoteurs, à nous faire croire qu'ils réinventent le lien avec le cheval.
40.1°C
Elle me fuit à nouveau. Mollement, mais en prenant son air méchant.
Elle n'a pas encore fait mine de me taper. Je me glisse contre elle, je la caresse, toujours, ne pas rompre le contact. Mme Hers ne dit rien, elle nous regarde nous tourner autour, il faut que j'arrive à l'examiner. Elle n'a jamais eu de licol, je ne pourrais pas la sédater. Je soulève sa queue, à nouveau.
J'avais bien vu.

- Mme Hers, l'étalon, je suppose qu'il est là pour la saillir ? Depuis combien de temps ?
- Ah oui, heu, une quinzaine. Et puis, il n'arrête pas. Il l'a mordue, c'est lui, c'est ça ?
- Heu... pas de trace de morsure, hein. Par contre. Il est du style à la grimper même quand elle ne veut pas ?
- Oui...
- Manifestement. Et puis là, il a visé l'autre trou. Parce qu'en fait... elle a l'anus défoncé. Et je suis bien infoutu de vous dire si elle a le rectum lacéré, parce que bon, elle me laisse faire pas mal de chose, mais elle ne me laissera pas y toucher. Mais c'est un risque à ne pas négliger.

Alors antibios. Et anti-inflammatoires.
A injecter en liberté.

Et puis... on va voir.

jeudi 30 avril 2015

Jumeaux

Il est venu à la voiture tandis que j'enfilais mes bottes. Une montagne de muscles, le genre à ne pas avoir besoin de coéquipier quand il faut tirer sur le palan. Un sourire, quelques mots, et le vif du sujet :

- Ben tu vois, Sylvain, il y a deux veaux, un je pense que c'est l'arrière parce que j'ai pas trouvé la tête, et il est mort. J'ai réussi à mettre les cordes aux pattes. Et puis l'autre il vient avec la tête, tout en même temps !

En général, ils sont petits, les jumeaux, le souci c'est que tout se coince. Faut en repousser un, et remonter l'autre. Mais là, je ne comprends pas. Les pieds sont énormes. Ce sont bien des postérieurs. La mère, c'est une jolie blonde, une vieille routière qui n'aura pas de mal à le sortir, mais deux comme ça, là-dedans ? Non ?
Je suis les membres avec mes mains, je palpe et explore. Je trouve la queue et le périnée du veau. OK. Mais il n'y en a pas d'autre ? Je vais plus loin, il était peut-être enroulé, et sortait ses quatre membres en même temps ? Foutrement improbable vue la position.
Non, il n'y a rien. Juste un veau en présentation postérieure.
Je refouille, je fais le tour par l'autre côté. Je m'enfonce, jusqu'aux épaules, je vois que l'éleveur est inquiet. Je file le long de la paroi de l'utérus, au plancher, à la recherche d'une déchirure, une plaie interne par laquelle le second veau aurait pu être "expulsé" dans le ventre. Rien. Tout est normal.

- Heu, je...

Comment lui dire sans le vexer ?

- Bon, il vient de cul, on est d'accord. Les cordes sont bien placées, c'est nickel, on va le sortir, je vais juste la dilater un peu plus. Mais heu... je... heu... je n'en trouve qu'un.

Je vais passer pour un con, là. Ou un incompétent. Ou le vexer.

- Comment ça il n'y en a qu'un ?
- Ben...
- Bien sûr qu'il n'y en a qu'un !
- Mais ?
- C'est la vache d'à côté celle qui a le veau dans le bon sens : ils viennent en même temps !

lundi 11 août 2014

Le mode d'emploi

- Alors, M. Pique, qu'est-ce qu'il a bouffé cette fois-ci ?

M. Pique : un agriculteur à la retraite, avec moustache et béret.
Il : Ioda, un genre de berger allemand de 9 mois.
Cette fois-ci : la première fois, de la mort-aux-rats, la deuxième fois, de la mort-aux-rats, la troisième fois... de la mort-aux-rats. Mais pas la même à chaque fois.

- Ah ben j'sais pas mais j'ai vu du bleu sur ses babines et sur son palais, alors il en a bouffé !
- Et vous avez quoi avec du bleu chez vous ?
- Chez moi rien, mais chez l'voisin du tue-limace, et puis bon, son truc c'est la mort-aux-rats, vous savez.

Tu parles que je sais, ouais. Et à chaque fois il en trouve une différente.

- Bon, ben protocole habituel.

Je pose le cathéter et décongèle l'apomorphine diluée. Le jour où nous n'en aurons plus sera un jour funeste pour les vomissements provoqués. Hop, une gougoutte dans la veine, et le chien vomit. Deux fois.
Avant, ça servait à faire dégueuler, et ça ne coûtait rien. Maintenant, ça sert à traiter les troubles de l'érection et le parkinson, et ça coûte un bras.

- Allez hop filez, vous m'appelez quand tout est sorti ?

Le tue-limace, je n'y crois pas trop. Il n'a pas le moindre signe nerveux, or ça agit super vite, et c'est vraiment violent. Tue-souris, peu crédible, pour les mêmes raisons. Reste, dans les trucs très courants, la mort-aux-rats. Dans le doute, on fera un temps de coagulation pour vérifier.

- Hey docteur, c'est bon, il a vomi !

Je rejoins M. Pique dans la pelouse, devant la clinique. Un beau vovo que je vais décortiquer sur la table de consultation.

Du bleu. Plein de bleu.
Des morceaux de bouchon en liège. De champagne, vue la capsule.
Un demi ballon de baudruche.
Un toxocara canis. Penser à vermifuger.
Un bout de sachet en plastique, sans doute celui du poison.
Des nouilles. Pas assez cuites.
Des croquettes, pas mâchées mais bien gonflées. Friskies ? Non, Fido.
Et un bout de papier, tout replié, humide et collé. Bleu, et visqueux :

COMPOSITION : 0,001 % de Brodifacoum.
Agent d’amertume : Benzoate de Dénatonium.

PROPRIETES :
– Appât frais prêt à l’emploi : une pâte onctueuse composée de farines et de graisses végétales, dont l’appétence est renforcée par l’ajout d’arômes naturels et de sucre. Le processus de fabrication assure une imprégnation totale et homogène de l’appât pour une assimilation immédiate de la matière active par les rongeurs.
– Puissant anticoagulant : le brodifacoum. Le rongeur meurt dans les 2 à 5 jours suivants l’absorption, la mort semble naturelle et n’éveille pas la méfiance du reste de la colonie, qui continue à consommer le produit.
– La présentation : en sachet toilé biodégradable microporeux, hydrofuge, évite la dispersion des appâts et simplifie l’application avec une plus grande sécurité.
– Non détecté par les rongeurs, un agent d’amertume intégré dans la composition de l’appât réduit les risques d’absorption accidentelle par l’homme.

RECOMMANDATIONS :
– Ne pas toucher les appâts avec les mains pour ne pas éveiller la méfiance des rongeurs.
– Ne pas conserver ou déposer ces appâts à portée des enfants et des animaux domestiques.
– Conserver uniquement dans l’emballage d’origine.
– En cas d’ingestion ou de malaise consulter immédiatement un médecin et lui montrer l’emballage ou l’étiquette.

ANTIDOTE : Vitamine K1 administrée sous contrôle médical.

Pratique.

lundi 7 octobre 2013

Le permis de tuer

A l'accueil, 18h55

- Clinique vétérinaire, bonjour ?
- Je veux parler au vétérinaire.
- Je suis désolée, il est déjà en ligne, monsieur.
- Ah ben on peut bien crever hein !

A l'accueil, pendant la crise de la fièvre catarrhale

Balançant un paquet de passeport de bovins sur le bureau :
- Tenez, tamponnez moi tout ça.
- Je vais m'occuper de ça, monsieur, veuillez patienter.
- Vite hein, j'ai pas que ça à faire !

A l'accueil, toujours :

- Je veux 1cc de marbocool et 0.8cc de toofine. Et tarifé à la fraction de flacon.

Il y a le regard de l'ASV (assistance spécialisée (ou un autre truc en S) vétérinaire).

Le regard désespéré.

Le regard colérique contenu.

Le regard ras-le-bol.

Il faut sourire, il faut être polie, même avec les ours, même avec les cons, les machos, les "je-ne-veux-parler-qu'au-véto", les pressés, les ça-urge-il-est-malade-depuis-sept-jours.

Il faut supporter que la personne soit mielleuse avec le véto alors qu'elle vient d'être odieuse avec l'assistante.

Il faut de l'empathie, de la patience, beaucoup de gens, même pas forcément aimables, le méritent. Ils sont perdus, stressés, apeurés. En colère ou désespérés. Et facilement injustes.

Mais il y a les quelques autres. Les enfoirés qui te tirent une balle dans le dos, ceux qui te prennent pour une merde, ceux qui essayent de te piéger.

Pour certains d'entre eux, j'accorde, privilège d'employeur, un "permis de tuer".

Il faut que l'importun soit un récidiviste. Il faut qu'il soit dans son tort. Il faut qu'il n'ait aucune excuse.

Si ces trois conditions sont réunies, alors ok. L'ASV a le droit de l'envoyer chier.

La plupart du temps, on ne revoit pas l'emmerdeur. Tant mieux.

Parfois, je reçois un coup de fil :

- C'est monsieur Pique, je vous appelle car votre assistante, elle m'a envoyé paître.
- Mmmhhhh
- Alors c'est elle ou moi, hein, parce que c'est pas tolérable.
- Je comprends M. Pique. Au revoir, donc.
- Hein ?
- Et bien, c'est elle ou vous ? Je la garde.

Hey, il est revenu, et il est devenu super poli.

Bon, jusqu'au jour où il a recraqué, et cette fois-là, ça a été terminé. Mais bon.

vendredi 6 septembre 2013

20 ans

J'ai beaucoup de chats de 20 ans dans ma clientèle.

La plupart d'entre eux me sont amenés pour la première fois à cet âge canonique, l'équivalent d'un plus que centenaire pour un humain. M. ou Mme tient son chat dans les bras, et...

"C'est la première fois qu'il voit le vétérinaire, il a toujours été en très bonne santé, il a vingt ans vous savez !"

Avec l'âge apparaissent les maladies que l'on imagine, bref.

J'ai souvent un sourire discret devant ces vieux, légers comme des papillons, tout secs et tout maigres. Il y a généralement un lien très touchant entre ces chats et leurs humains de compagnie.

Mais ils ont bien rarement 20 ans. La plupart du temps, je ne fais que m'en douter, et je ne dis rien. Après tout, je n'en sais rien, et cela n'a pas d'importance médicale. Pourquoi vexer les gens en remettant leur parole et leurs représentations en doute ?

Le temps passe, plus ou moins vite, et en l'absence de repère temporel, personne ne sait réellement l'âge du chat. Parfois, je les ai vu, quelques années plus tôt, pour un bobo ou une vraie maladie. Notre informatisation a une dizaine d'années, et le croisement de l'âge déclaré à l'époque et de celui du jour est incohérent. En général (mais c'est parfois l'inverse), le chat est moins âgé. Les gens sont souvent surpris.

C'est comme un seuil, 20 ans.

Avant, on ne notait pas ce genre de chose, ou mal. Alors tous les très vieux chats avaient 20 ans. Aujourd'hui, il y en a toujours, mais moins qu'il y a 20 ans ?

Il y en a eu un qui m'a fait sourire, il y a peu.

"Bonjour docteur, je vous amène ma vieille minette. Elle a 20 ans. Elle s'appelle Pikachu."

Pikachu est restée quelques jours avec nous. C'est une collaboratrice ophtalmo, passant devant sa cage, qui a levé le lièvre.

"Elle ne peut pas avoir 20 ans, elle n'a pas les yeux, elle n'a pas les iris d'un chat de 20 ans."

Il fallait sans doute être ophtalmo pour le voir.

Mais nous aussi nous aurions pu nous rendre compte que Pikachu n'est apparu sur les petits écrans français qu'en 1999. Il y a 14 ans.

Nous avions eu plus de facilité à estimer l'âge d'un Zizou, il y un an de cela.

Finalement, l'âge, c'est dans la tête ?

dimanche 9 juin 2013

Le nom

Un jeune couple, rasta et ponchos. Ils m'amènent un chiot de deux mois, qui a du avoir des ascendants de... multiples races. Un genre de labrador. De nuit, dans le brouillard. Ils l'ont trouvé sur le bord de la route, sans sa mère, sans personne, ils habitent un endroit paumé. Ils pensent qu'il a été abandonné.

Peut-être.

En tout cas, il n'est pas identifié.

Il a surtout une patte cassée. Une jolie fracture bien nette, juste la bonne forme pour que cela puisse cicatriser tout seul après réduction et immobilisation, ce que je m'applique à faire.

- Mais comme ce n'est pas notre chien, il faut qu'on paie ?
- Il faut bien que quelqu'un le fasse...
- Mais on peut le garder ?
- Si personne ne se manifeste... pas de collier, pas d'identification, si ses propriétaires l'ont perdu ils appelleront les vétos et les SPA, on va bien voir. Je vais mettre la facture en attente.
- Combien de temps ?
- S'ils n'appellent pas dans les trois jours, ça m'étonnerait qu'ils appellent jamais...
- Alors on pourra le garder ?
- Oui, mais du coup je compte sur vous pour prendre les soins en charge.

Ils sont revenus une semaine plus tard, pour changer le pansement. Personne n'avait appelé. Ils ont fait le tour des fermes, par chez eux. Personne ne connaissait le chiot.

- Alors on va le faire identifier à notre nom pour le retrouver, s'il se perd, d'accord ?
- Bien sûr ! Vous voulez l'appeler comment ?
- Heuuu...

Ils se regardent, un peu désemparés.

- On n'y a pas réfléchi, on l'appelle "le chien".
- Il n'y a pas d'urgence.
- Et... si on l'appelait Paf ?

dimanche 14 octobre 2012

Répondeur

Entre 12h et 14h, nous ne répondons pas au téléphone. le répondeur indique de rappeler aux horaires d'ouverture, ou de laisser un message en cas d'urgence. Évidemment, nous écoutons immédiatement tout message.

Celui de ce midi m'a été laissé par un client que je connais bien. Je ne résiste pas au plaisir de vous le retranscrire.

Du genre gaffeur.

Voix joyeuse : "Hé Jean tu vas rire, je t'appelle et je tombe sur le répondeur des vétérinaires ! Hahaha c'est idiot. Bon, tu me rappelle un peu plus tard ?"

Silence

Voix toujours rigolarde : "Ou alors, je me suis trompé de numéro ?"

Silence

Voix emmerdée : "Tiens je suis peut-être en train de faire une connerie."

samedi 15 septembre 2012

Télémédecine

A l'accueil, à la clinique, une dame.

- Bonjour, je voudrais un médicament pour mon chat. Sous forme liquide.
- Heu...
- Sous forme liquide parce que je ne peux pas l'attraper.
- Ah. Mais il a quoi votre chat ?
- Je ne sais pas, je ne peux pas l'attraper.
- Mais pourquoi voulez-vous un médicament ?
- Eh bien, parce qu'il est malade !
- Ah, mais il a quoi ?
- Je ne sais pas je vous dis, je ne peux pas l'attraper !
- Mais vous voulez quoi comme médicament ?
- Je ne sais pas moi, je ne peux pas l'attraper ! Mais liquide, hein.

La dame est repartie sans médicament, assez frustrée. Pas franchement en colère, mais... Pas satisfaite, quoi.

dimanche 5 août 2012

La ceinture

Il a la cinquantaine, une paire de rangers et un treillis. Je le vois souvent.

Il a une grosse meute.

C'est un chasseur de sanglier.

Il est assis, presque effondré, devant mon bureau. La tête dans ses mains, il ne me montre pas ses yeux.

Il mange ses mots. Il s'étouffe.

Son chien est sur ma table. Il est mort.

"Vous savez, vous savez, ce chien... Ce chien je l'avais recueilli, il avait juste débarqué chez moi. Et je l'ai gardé.
Et...
Et ce chien c'était...
Et vous savez, ce chien, un jour, j'ai enlevé ma ceinture.
J'ai enlevé ma ceinture, j'ai enlevé ma ceinture, comme ça, et vous savez, il me faisait toujours la fête, il était...
Et là il a hurlé, et il s'est caché sous la table.
Et vous savez...
...
Et putain vous savez, j'en chiale encore."

lundi 16 janvier 2012

Sans éprouver, la moindre hésitation

Auto-piégé comme un débutant.

Un vendredi matin glacé, à 30 bornes de la clinique, sur une crête glaciale. Je dois aller retirer des dispositifs de synchronisation de chaleurs à trois vaches. Imaginez un genre de spirale en plastique, que l'on pose dans le vagin de la bête, qui diffuse des hormones. Avec quelques injections bien choisies, elles permettent de déclencher/synchroniser les cycles de vaches pour, par exemple, des insémination artificielles. Et pour ceux qui se posent la question, c'est de la progestérone, des prostaglandines et de la PMSG. Pas des anabolisants.

La plupart du temps, nous allons dans les troupeaux, examinons (ie : palpation transrectale de l'utérus et des ovaires, examen au spéculum du vagin et du col) des vaches, et posons ces dispositifs quand tout semble aller bien mais que "rien ne se passe".

Selon la "technicité" des éleveurs, nous leur laissons gérer la suite, ou nous venons les aider. Là, c'est le second cas de figure.

Il est donc 8h30, il ne gèle pas mais le vent est glacial, il a plu pendant des jours et les prés sont boueux et glissants. J'interviens sur un troupeau qui a été vu par un de mes confrères, chez un éleveur qui ne nous appelle presque jamais. Je découvre. Depuis l'église du village, j'ai suivi la terne Lada rouge de l'éleveur jusqu'à l'entrée d'un chemin, sur le bord d'une route. Malgré mon pull en polaire et mon épaisse blouse en coton, je sens le vent me pincer à travers mes vêtements.

Le bâtiment est juste là, derrière une haie d'arbre, à 20 mètres. J'enfile mes bottes, je prends mes doses de PMSG. J'ai juste à retirer ces spirales et à filer. Il y en a pour deux minutes.

Alors j'emboîte le pas à l'éleveur, profitant du paysage désolé, de l'ambiance uniformément grise et glaciale, le genre de chose impossible à saisir en photo. Et puis la randonnée se prolonge. Le bâtiment à 20 mètres, ce n'était pas le bon. Celui où m'attendent mes "patientes" se trouve 500 ou 600 mètres plus loin. Je marche entre les profondes ornières, choisissant mes touffes d'herbe, en me demandant si l'éleveur ose encore emprunter ce chemin avec son tracteur... Des ronces, un saule, des ormeaux et tout un tas de buissons dont je ne connais pas le nom. Pas un chant d'oiseau, quelques rapaces, et les Pyrénées enfin enneigées en toile de fond.

Elles sont dans un genre de couloir deux fois trop large. Trois blondes énormes, beaucoup trop grasses. Tu m'étonnes qu'elles ne soient pas cyclées. Pas attachées, mais placides. Elles se calent vite contre le fond du couloir, et je soulève la queue de la première, confiant.

Pas de ficelle. Le système de spirale a été raisonnablement bien pensé. Pour enlever ce bazar du fond du vagin de la vache, qui doit bien mesurer ses 30-50 cm de long, il y a une ficelle qui pend. En théorie.

"Il les a coupées ?
- Heu, oui."

Mon confrère a toujours peur que les spirales tombent. Ça arrive. Du coup, pour réduire le risque, il coupe ladite ficelle. "Mes" spirales ne tombent pas plus que les siennes, alors que je ne coupe pas les ficelles, mais bon, il a gardé ses habitudes. Sauf que là, je suis au cul des vaches, à 500m de ma bagnole, je suis vraiment pressé, d'autres visites m'attendent et lui est en congé, et il faut que je vérifie si ces vaches ont encore leurs spirales, et que je les leur retire.

Et comme un con, je n'ai pas pris de gant de fouille, et j'ai déjà de la bouse plein les mains après avoir soulevé la queue de la blonde. Hors de question d'aller mettre une main pleine de merde dans un vagin. Du coup, je demande s'il y a de l'eau. Il y en a. A 100m, direction opposée à la voiture. Une vieille baignoire, avec feuilles mortes et bois flotté, sous un barbelé. Le froid de l'eau est saisissant.

Et me voilà à nouveau, la main rougie par l'eau glacée, mais à peu près propre, à regarder la vulve de cette bestiole, à me dire que la spirale est au fond, que j'ai vraiment pas le temps de me cogner un aller-retour à la voiture pour prendre des gants, je devrais déjà être loin. Alors j'enfonce ma main, puis mon avant-bras, en essayant de ne pas marquer d'hésitation, je sais ce qui m'attend au fond. Au moins, c'est chaud. La spirale est là, avec un genre d'enduit de vaginite blanchâtre autour, visqueux, gluant, comme d'hab. Mais d'habitude j'ai la ficelle pour tirer, et je n'ai qu'à esquiver ce caseum quand je retire la spirale. Une vache, deux vaches, trois vaches. L'éleveur me regarde d'un air étonné. Je râle, pour la forme. Qu'est-ce que j'ai été con de ne pas prendre de gant à la voiture !

Trois injections plus tard, je suis de retour à la baignoire pour me laver les mains à l'eau glacée, sans savon, entre les ronces, les barbelés et de vieux piquets d'acacia penchés, au milieu d'un troupeau de vaches blasées au pied des Pyrénées.

Et, curieusement, je n'échangerai ma place pour aucune autre au monde.

dimanche 21 août 2011

Pas de miracle

- Tiens, regardez au microscope, vous allez voir le coupable.
- Mais elle est horrible cette bestiole docteur !

Otodectes cynotis

- Et bien, c'est une simple gale d'oreille, ce n'est pas grave du tout ! Et cela se traite très simplement. Nous allons utiliser une pommade auriculaire à base d'ivermectine...
- Non, pas de truc chimique dans son oreille !
- Alors on peut utiliser un spot-on, on va lui mettre quelques gouttes sur la peau, et je vous conseille de renouveler le traitement...
- C'est chimique ?
- Heu, oui, c'est un médicament...
- Alors non, je veux pas de produit chimique.
- Dans ce cas laissez-moi vous déconseiller les huiles essentielles, qui sont souvent toxiques pour les chats.
- Je veux autre chose, de naturel.
- Il n'existe pas d'autre médicament que je puisse vous recommander...
- Et alors on fait comment ?
- Soit vous changez d'avis, soit vous allez à Lourdes.

Quelques jours plus tard, sur un post-it :

Mme Baïsole n'est pas contente du tout, elle a été à Lourdes et cela n'a servi à rien. Elle veut être rappelée.

dimanche 29 mai 2011

Vocabulaire médical

Une petite étable, un papy, une mamie, leur fille, et leur petite fille. Elle doit avoir 6 ans, curieuse et confiante.

Moi, j'attaque une césarienne. Le genre de chirurgie qui n'a lieu, ici, qu'une fois tous les dix ans. Une vache qu'ils viennent d'acheter, une génisse pseudo-parthenaise qui, vue la taille des canons du veau, doit avoir été croisée avec un charolais.

Je n'ai même pas essayé de tirer, j'ai tranquillement préparé ma chirurgie. Pas d'urgence, maxi-bébé est bien au chaud. Je n'aurais que le vieil homme pour m'aider à tirer, mais bon, pas de raison que cela soit un gros souci. Il benne du fumier et des boules de foin toute la journée, il a beau être vieux, il est sûrement plus costaud que moi.

La génisse est un peu froussarde, mais sans plus. Quelques cordes, une anesthésie locale, et on n'en parle plus. Je rase le flanc de la bête - une seule coupure.

Tout est prêt.

Un grand coup vertical, et le cuir, puis les muscles s'écartent pour laisser passer ma lame. Une artériole décide de me repeindre de rouge, l'étable est silence. Lorsque je perce la dernière membrane, le péritoine, l'air s'engouffre dans l'abdomen avec un bruit de chasse d'eau.

- Maman, elle a mal ?
- Non, tu vois, elle ne bouge même pas, elle ne pleure pas.

J'explore le ventre, trouve mes repères. Le veau est énorme, il me rappelle mes premières années de césariennes dans le charolais. Incision utérine, je saisis les onglons postérieurs et fais basculer la matrice, rapprochant mon ouverture utérine de mon incision abdominale. Les deux onglons, rouges de sang, pointent désormais dehors. Le papy fixe les cordes, et commence à tirer. Je l'aide et soulevant les jarrets, mais le cul ne passe pas. L'effort est délirant. Je saute sur mon bistouri, agrandit l'ouverture abdominale. Toujours pas. Un nouveau coup de lame, et cette fois, ça doit passer. Je vois les tendons sur le cou de l'éleveur, je tire de toute mes forces, je sue, j'ai presque envie de craquer et de tout lâcher tellement l'effort est violent, et putain de bordel, ce foutu veau ne sort pas, il reste là comme un con, le cordon tendu, à moitié sorti, la tête dans le liquide amniotique, et il va y passer si on ne se dépêche pas de le sortir, il va se noyer s'il inspire, il va inspirer, c'est obligé, le cordon est comprimé, ses côtes sont encore dedans, le papy ne peut pas en faire plus PUTAIN DE BORDEL DE MERDE DE BITE A CHIER DE MERDE DE PUTE DE VEAU !

Il est sorti.

Je crois que j'ai hurlé.

Je me suis déchiré les biceps.

Il est vivant, il respire, je tombe assis et expulse une grande bouffée d'air. Le seau plein de chlorhexidine est là, devant moi, et j'y plonge la tête, avant de descendre un demi litre d'eau.

Des bouts d'utérus et de placenta pendent du flanc de la vache.

Tout va bien.

- Maman ?
- Oui ma chérie ?
- Il a dit quoi le vétérinaire ?
- Des mots médicaux. Qui ne s'utilisent que pendant les césariennes.

vendredi 8 avril 2011

Machisme ordinaire

Elle a réceptionné le chien, gravement mordu lors d'une bagarre. Elle a accueilli les gens, nettoyé la plaie devant eux, a endormi le chien puis, en leur disant qu'elle les rappellerait le soir-même, elle a emmené le chien vers le bloc.

Je me suis contenté de passer et de ne presque rien dire, vu que je n'avais rien à faire, à part saluer ces deux dames, et les rassurer en leur disant que tout se passerait bien, et que ma consœur allait le rafistoler, leur petit bonhomme. Ce sont des inquiètes, je les connais...

Ma consœur les a appelées pour leur dire que la chirurgie s'était bien passée, que le chien se réveillait, et qu'elles pourraient venir le récupérer quelques heures plus tard.

Elles sont revenues chercher leur loulou, ravies, inquiètes, puis rassurées de le voir aussi en forme avec son gros pansement. J'étais en visite. Ma consœur leur a expliqué comment surveiller la plaie.

Lorsqu'elles sont parties, tellement contentes, elles n'ont pas oublié de remercier la vétérinaire et l'ASV.

"Merci mesdemoiselles, vraiment, merci de tout cœur. Vous n'oublierez pas de remercier le docteur, hein ? Il s'est tellement bien occupé de notre petit loulou !"

jeudi 31 mars 2011

Attente

Il y a une dame très âgée dans la salle d'attente. A côté d'elle, sur un siège, une panière à chat en osier. Elle semble attendre patiemment.

En réalité, elle avait rendez-vous il y a deux bonnes heures... Elle est arrivée il y a dix minutes. Entre temps, je suis passé à d'autres consultations. Curieux, j'observe l'ASV à travers le hublot de la porte de consultation, qui discute gaiement avec la vieille dame et semble se retenir d'exploser de rire. La dame, elle, n'a pas l'air gaie du tout. Elle serait plutôt sinistre avec son chapeau défraîchi et son vieux manteau.

Au détour d'une porte, j'ai l'explication de l'hilarité mal contenue : la vieille dame a patienté plus d'une heure dans la salle de consultation du cabinet médical voisin, avant que le médecin ne se rende compte de la confusion. Je me dis quand même, dans un sourire, que ce n'est pas très sympa de se foutre de la gueule d'une vieille dame un peu perdue...

Jusqu'à ce que j'entende la vieille dame, d'une voix acariâtre, se plaindre auprès de moi que le bon docteur qui m'a précédé, et qui est décédé depuis des années, savait, lui, prendre les gens à l'heure, et ne pas les faire attendre deux heures dans une salle d'attente.

Vexée, pressée et avec toute sa tête. Je me suis senti tout de suite moins compatissant.

Le bon docteur qui m'a précédé, et qui est décédé depuis des années, avait une formule pour ces clients : "ils sont retraités, il n'ont rien à foutre de leur journée, et ils sont toujours pressés, sauf pour trépasser."

Pour les supporter, j'ai trouvé ma technique : me rappeler de ce confrère, aujourd'hui idéalisé par ces patients (c'était forcément mieux avant !), chercher la formule juste et caustique adaptée à la situation...

Et puis au moins, ça aura fait marrer le médecin à côté...

lundi 7 mars 2011

Pétasse

Une stabulation à l'ancienne, bien au chaud alors que la pluie glacée bat les lourdes portes de chêne. Il y a une dizaine, peut-être une douzaine de vaches de chaque côté du couloir central. Nullement perturbées par mon intrusion, elles s'affairent avec le foin odorant que le vieux bonhomme à casquette leur a dispensé "afin de les occuper".

Avec ses bottes, son bleu, sa moustache et sa casquette, il fait la conversation tout seul, parle de la pluie, de la neige, de l'hiver qu'est parti trop tôt mais qui va r'venir en traqu'nard, des jeunes qu'on pu l'courage d'faire des veaux sous la mère mais ils ont bien raison c'est un boulot de con, du voisin qu'a des vaches qui sont tellement maig' que l'vent les fait vaciller, de trucs et de riens. Il meuble mon silence appliqué de véto méfiant, habitué aux réactions de peur des vaches qui n'ont pas l'habitude d'entendre des voix étrangères. Dans mes mains et dans mes poches, il y a l'arsenal du parfait piqueur : tubes sous vides, aiguilles, pistolet à tuberculiner, injecteur automatique pour la microdose. Un vrai soldat, prêt à traumatiser les phobiques des aiguilles.

J'apprécie le parfum de l'étable, sa propreté, son air à la fois immuable et désuet. Son charme ancien. Le papy a saisit une étrille, et entreprend la première des limousines. Qui lève la queue de plaisir sous les coups de brosses. Je n'ai qu'à tendre le bras pour planter mon aiguille, vite et en douceur, de ce mouvement décidé mais patient qui évite l'essentiel de la douleur.

Puis j'avise l'ardoise au dessus de la vache. Un papy brosseur, une étable comme avant, un foin odorant. Et même des ardoises. Presque trop beau pour être vrai. Mâchouillant le capuchon de mon aiguille, de ce mouvement qui me valut à l'époque de m'arracher l'émail d'une incisive, j'abandonne l'ancien et sa vache pour déambuler sur le couloir central. Celle que je viens de piquer s'appelle Soleil. Sa voisine : Tulipe. Puis viennent Pilule, Bastille ou Clémentine. Calice. Tendrette. La Rousse. Pétasse.

"Pétasse ?"

J'ai parlé à haute voix.

"Mais pourquoi Pétasse ?"

Je me suis retourné vers le papy, hilare.

Une douleur fulgurante. Je suis projeté entre deux vaches de l'autre côté du couloir, allongé au sol entre leurs postérieurs que je fuis dans une panique instinctive, cherchant le refuge du passage central pour m'y tordre de douleur.

Pétasse, oui.

J'ai compris pourquoi.

Lorsque je me suis relevé, quelques minutes plus tard, pour finir cette prophylaxie en claudiquant, , je me suis méfié comme de la peste de la dernière vache du bâtiment.

Celle qu'il avait baptisée "Salope".

Cette fois-ci, je ne me suis pas laissé surprendre.

mercredi 9 février 2011

Psychologie masculine

Conversation entre deux vétérinaires

- Mais t'as facturé quoi ?
- Ben rien. Enfin juste le frottis vaginal pour vérifier s'il y avait des spermatozoïdes, histoire de pas faire une insémination artificielle pour rien.
- Il n'y en avait pas ?
- Ben non.
- Et tu l'avais vue hier ?
- Oui pour le frottis vaginal, elle passait juste en œstrus. D'où l'IA aujourd'hui si ça marchait pas.
- Ouais, ok, donc juste le frottis en plus parce que c'est la suite de hier, mais bon, on y a passé du temps là quand même.
- Ben ouais, mais bon, je peux pas facturer ça !
- Y a pas d'acte "masturbation" dans l'ordinateur.
- T'es con, ben non.
- Ouais mais bon, à nous deux, on y a passé quoi, une demi-heure ?
- Ben ouais.
- Une demi-heure à le branler.
- Ben ouais.
- Pour rien.
- Ben... En tout cas on n'a rien récolté.
- On a à peine réussi à le faire bander.
- C'est vexant.
- Ouais.
- D'autant que elle elle en voulait.
- Clairement. Mais c'était pas une raison pour rien facturer.
- Ben je me suis senti con, comme en panne. Du coup je ne me voyais pas faire payer.
- Ben je sais pas moi, on a passé dix minutes à leur expliquer comment créer les conditions les plus propices à une saillie naturelle. T'aurais pu facturer un truc sur cette base.
- Ah ouais pas con.
- Mais quand même, c'est crétin de pas avoir facturé, ça sous-entend qu'on n'est pas bons en masturbation, non ?
- Tu crois qu'elle va le prendre comme ça ?
- Boh je pense pas non, elle n'est pas aussi tordue que nous, et puis elle nous fait confiance.
- Pour la masturbation ?
- Arrête tes conneries.
- N'empêche, le propriétaire du mâle a dit que si c'était pour ne pas faire de saillie, pas la peine d'avoir des couilles. Couic castration.
- Ohlala je vais me sentir responsable.
- Là c'est toi qu'est con.
- Ouais...

jeudi 3 février 2011

Les dossiers non-classés : l'affaire Louge

Le Dr Fourrure soupira. Se retrouver ici. Après tout ce temps. S'il avait été fumeur, il aurait expiré un nuage désabusé... mais les cigarettes ne sont plus les bienvenues dans les enquêtes modernes.

Le dossier Louge était passé du dessus de la pile au dessous de la même pile, puis il avait été transféré de service en service. L'affaire n'avait pas été classée, elle avait été oubliée. Comme la bouteille qui dormait sur l'étagère du chenil, avec ses cellules rondes à noyau rouge, ses paramécies et ses dépôts.

Et elle avait atterri ici. L'hurluberlu qui lui faisait face, avec son poster « I want to believe » épinglé au mur, parlait d'ovocytes prélevés par des ET sur des humaines. Allait-il essayer de lui faire croire que les petits gris les déversaient ensuite dans les abreuvoirs des vaches du coin pour empoisonner la vie des papys à casquette ?

Ridicule. La vérité était forcément ailleurs.

Si seulement le service scientifique du museum d'histoire naturelle de Paris avait répondu à ses sollicitations, il ne serait pas en train d'écouter un exposé sur la place de la vache dans la mythologie indienne, et sur leur lien avec de mystérieux sujets des bas-reliefs des temples aux noms exotiques.

Ce qu'il lui fallait, c'était un scientifique. Pas un détective de pacotille comme lui, qui s'était laissé séduire par cette histoire de semence rouge répandue dans les abreuvoirs de la région. Un type costaud qui lui confirmerait ce qui était devenu une conviction : ces cellules étaient bien des algues, comme on le lui avait suggéré. Des algues flagellées. Il y avait plusieurs rapports évoquant d'étranges affaires de lacs devenus rouges.

Certains faisaient remonter ces dossiers à l'affaire Moïse (dossier : Plaies d'Égypte). Une histoire bizarre. On en avait tiré un bouquin, puis plusieurs films. Pas une série à petit budget comme la sienne, bien sûr. En tout cas, ça plaisait au brun enfermé dans ce sous-sol obscur avec son poster.

On appelait ça un bloom. la fleur d'eau, ou l'efflorescence algale. L'illuminé évoquait maintenant le « sang des bourguignons » qui aurait coloré le lac de Morat suite à une bataille, et qui serait en réalité lié à une algue de ce type. Au moins, il ne lui parlait plus d'extra-terrestres et d'ovules. Certaines de ces algues produiraient des toxines.

Un lien avec la mort du bovin ?

Peu probable : les autres allaient très bien et avaient bu au même bassin. Pourtant, des bovins et des ovins étaient déjà mort après s'être abreuvé dans des réservoirs d'eau ainsi contaminés. Toxines neurologiques ou hépatiques. Un doute subsisterait en l'absence d'autopsie de la victime.

Le Dr Fourrure en avait assez entendu. Il allait reprendre l'enquête sans plus attendre d'aide de personne. Le type du sous-sol parlait de plus en plus fort alors qu'il s'éloignait, lui criant de s'intéresser aux algues de l'Antarctique, qui avaient été selon un rapport d'un moine de 1643...

Haematococcus lui ressemblait beaucoup.

PS : j'ai laissé un message sur le forum d'algae base, nous aurons peut-être d'autres informations ?

lundi 8 novembre 2010

Humour de merde

Bon. Plus qu'à fermer la boutique, la sauvegarde est faite, la compta aussi, le téléphone est transféré... Il fait nuit noire depuis un bout de temps, il est temps de rentrer. Autour du bureau et du dernier ordinateur allumé, les vétos et ASV sont assis, prêts à partir, discutant ou plaisantant.

Moi, j'ai oublié d'appeler un client dont le chien est hospitalisé pour lui donner des nouvelles. Je récupère son numéro de téléphone sur le PC, décroche. La chienne va très bien, de toute façon, ça lui fera plaisir d'avoir des nouvelles. Je demande à tout le monde de baisser le volume un instant.

- Bonjour, c'est le Dr Fourrure de la clinique vétérinaire.
- Ah oui ! Bonsoir !

Une voix jeune, plutôt enthousiaste. Ce n'est pas moi qui l'ai reçu ce matin, c'est un nouveau client qui vient d'emménager dans la région.

- Je vous appelle juste pour vous dire que Réglisse va très bien, elle pourra rentrer demain.
- Elle est encore en vie ?
- B...
- Oh ben merdeuuuuuhhhhh aloreuuuhhhh !

Silence halluciné autour de moi. Puis éclat de rire général.

- Nan mais j'déconne hein ! Je peux venir en milieu de matinée ?
- Ben heu... oui...

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