Sans éprouver, la moindre hésitation

Auto-piégé comme un débutant.

Un vendredi matin glacé, à 30 bornes de la clinique, sur une crête glaciale. Je dois aller retirer des dispositifs de synchronisation de chaleurs à trois vaches. Imaginez un genre de spirale en plastique, que l'on pose dans le vagin de la bête, qui diffuse des hormones. Avec quelques injections bien choisies, elles permettent de déclencher/synchroniser les cycles de vaches pour, par exemple, des insémination artificielles. Et pour ceux qui se posent la question, c'est de la progestérone, des prostaglandines et de la PMSG. Pas des anabolisants.

La plupart du temps, nous allons dans les troupeaux, examinons (ie : palpation transrectale de l'utérus et des ovaires, examen au spéculum du vagin et du col) des vaches, et posons ces dispositifs quand tout semble aller bien mais que "rien ne se passe".

Selon la "technicité" des éleveurs, nous leur laissons gérer la suite, ou nous venons les aider. Là, c'est le second cas de figure.

Il est donc 8h30, il ne gèle pas mais le vent est glacial, il a plu pendant des jours et les prés sont boueux et glissants. J'interviens sur un troupeau qui a été vu par un de mes confrères, chez un éleveur qui ne nous appelle presque jamais. Je découvre. Depuis l'église du village, j'ai suivi la terne Lada rouge de l'éleveur jusqu'à l'entrée d'un chemin, sur le bord d'une route. Malgré mon pull en polaire et mon épaisse blouse en coton, je sens le vent me pincer à travers mes vêtements.

Le bâtiment est juste là, derrière une haie d'arbre, à 20 mètres. J'enfile mes bottes, je prends mes doses de PMSG. J'ai juste à retirer ces spirales et à filer. Il y en a pour deux minutes.

Alors j'emboîte le pas à l'éleveur, profitant du paysage désolé, de l'ambiance uniformément grise et glaciale, le genre de chose impossible à saisir en photo. Et puis la randonnée se prolonge. Le bâtiment à 20 mètres, ce n'était pas le bon. Celui où m'attendent mes "patientes" se trouve 500 ou 600 mètres plus loin. Je marche entre les profondes ornières, choisissant mes touffes d'herbe, en me demandant si l'éleveur ose encore emprunter ce chemin avec son tracteur... Des ronces, un saule, des ormeaux et tout un tas de buissons dont je ne connais pas le nom. Pas un chant d'oiseau, quelques rapaces, et les Pyrénées enfin enneigées en toile de fond.

Elles sont dans un genre de couloir deux fois trop large. Trois blondes énormes, beaucoup trop grasses. Tu m'étonnes qu'elles ne soient pas cyclées. Pas attachées, mais placides. Elles se calent vite contre le fond du couloir, et je soulève la queue de la première, confiant.

Pas de ficelle. Le système de spirale a été raisonnablement bien pensé. Pour enlever ce bazar du fond du vagin de la vache, qui doit bien mesurer ses 30-50 cm de long, il y a une ficelle qui pend. En théorie.

"Il les a coupées ?
- Heu, oui."

Mon confrère a toujours peur que les spirales tombent. Ça arrive. Du coup, pour réduire le risque, il coupe ladite ficelle. "Mes" spirales ne tombent pas plus que les siennes, alors que je ne coupe pas les ficelles, mais bon, il a gardé ses habitudes. Sauf que là, je suis au cul des vaches, à 500m de ma bagnole, je suis vraiment pressé, d'autres visites m'attendent et lui est en congé, et il faut que je vérifie si ces vaches ont encore leurs spirales, et que je les leur retire.

Et comme un con, je n'ai pas pris de gant de fouille, et j'ai déjà de la bouse plein les mains après avoir soulevé la queue de la blonde. Hors de question d'aller mettre une main pleine de merde dans un vagin. Du coup, je demande s'il y a de l'eau. Il y en a. A 100m, direction opposée à la voiture. Une vieille baignoire, avec feuilles mortes et bois flotté, sous un barbelé. Le froid de l'eau est saisissant.

Et me voilà à nouveau, la main rougie par l'eau glacée, mais à peu près propre, à regarder la vulve de cette bestiole, à me dire que la spirale est au fond, que j'ai vraiment pas le temps de me cogner un aller-retour à la voiture pour prendre des gants, je devrais déjà être loin. Alors j'enfonce ma main, puis mon avant-bras, en essayant de ne pas marquer d'hésitation, je sais ce qui m'attend au fond. Au moins, c'est chaud. La spirale est là, avec un genre d'enduit de vaginite blanchâtre autour, visqueux, gluant, comme d'hab. Mais d'habitude j'ai la ficelle pour tirer, et je n'ai qu'à esquiver ce caseum quand je retire la spirale. Une vache, deux vaches, trois vaches. L'éleveur me regarde d'un air étonné. Je râle, pour la forme. Qu'est-ce que j'ai été con de ne pas prendre de gant à la voiture !

Trois injections plus tard, je suis de retour à la baignoire pour me laver les mains à l'eau glacée, sans savon, entre les ronces, les barbelés et de vieux piquets d'acacia penchés, au milieu d'un troupeau de vaches blasées au pied des Pyrénées.

Et, curieusement, je n'échangerai ma place pour aucune autre au monde.

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