Sans éprouver, la moindre hésitation
lundi 16 janvier 2012, 20:31 Animalecdotes Lien permanent
Auto-piégé comme un débutant.
Un vendredi matin glacé, à 30 bornes de la clinique, sur une crête glaciale. Je dois aller retirer des dispositifs de synchronisation de chaleurs à trois vaches. Imaginez un genre de spirale en plastique, que l'on pose dans le vagin de la bête, qui diffuse des hormones. Avec quelques injections bien choisies, elles permettent de déclencher/synchroniser les cycles de vaches pour, par exemple, des insémination artificielles. Et pour ceux qui se posent la question, c'est de la progestérone, des prostaglandines et de la PMSG. Pas des anabolisants.
La plupart du temps, nous allons dans les troupeaux, examinons (ie : palpation transrectale de l'utérus et des ovaires, examen au spéculum du vagin et du col) des vaches, et posons ces dispositifs quand tout semble aller bien mais que "rien ne se passe".
Selon la "technicité" des éleveurs, nous leur laissons gérer la suite, ou nous venons les aider. Là, c'est le second cas de figure.
Il est donc 8h30, il ne gèle pas mais le vent est glacial, il a plu pendant des jours et les prés sont boueux et glissants. J'interviens sur un troupeau qui a été vu par un de mes confrères, chez un éleveur qui ne nous appelle presque jamais. Je découvre. Depuis l'église du village, j'ai suivi la terne Lada rouge de l'éleveur jusqu'à l'entrée d'un chemin, sur le bord d'une route. Malgré mon pull en polaire et mon épaisse blouse en coton, je sens le vent me pincer à travers mes vêtements.
Le bâtiment est juste là, derrière une haie d'arbre, à 20 mètres. J'enfile mes bottes, je prends mes doses de PMSG. J'ai juste à retirer ces spirales et à filer. Il y en a pour deux minutes.
Alors j'emboîte le pas à l'éleveur, profitant du paysage désolé, de l'ambiance uniformément grise et glaciale, le genre de chose impossible à saisir en photo. Et puis la randonnée se prolonge. Le bâtiment à 20 mètres, ce n'était pas le bon. Celui où m'attendent mes "patientes" se trouve 500 ou 600 mètres plus loin. Je marche entre les profondes ornières, choisissant mes touffes d'herbe, en me demandant si l'éleveur ose encore emprunter ce chemin avec son tracteur... Des ronces, un saule, des ormeaux et tout un tas de buissons dont je ne connais pas le nom. Pas un chant d'oiseau, quelques rapaces, et les Pyrénées enfin enneigées en toile de fond.
Elles sont dans un genre de couloir deux fois trop large. Trois blondes énormes, beaucoup trop grasses. Tu m'étonnes qu'elles ne soient pas cyclées. Pas attachées, mais placides. Elles se calent vite contre le fond du couloir, et je soulève la queue de la première, confiant.
Pas de ficelle. Le système de spirale a été raisonnablement bien pensé. Pour enlever ce bazar du fond du vagin de la vache, qui doit bien mesurer ses 30-50 cm de long, il y a une ficelle qui pend. En théorie.
"Il les a coupées ?
- Heu, oui."
Mon confrère a toujours peur que les spirales tombent. Ça arrive. Du coup, pour réduire le risque, il coupe ladite ficelle. "Mes" spirales ne tombent pas plus que les siennes, alors que je ne coupe pas les ficelles, mais bon, il a gardé ses habitudes. Sauf que là, je suis au cul des vaches, à 500m de ma bagnole, je suis vraiment pressé, d'autres visites m'attendent et lui est en congé, et il faut que je vérifie si ces vaches ont encore leurs spirales, et que je les leur retire.
Et comme un con, je n'ai pas pris de gant de fouille, et j'ai déjà de la bouse plein les mains après avoir soulevé la queue de la blonde. Hors de question d'aller mettre une main pleine de merde dans un vagin. Du coup, je demande s'il y a de l'eau. Il y en a. A 100m, direction opposée à la voiture. Une vieille baignoire, avec feuilles mortes et bois flotté, sous un barbelé. Le froid de l'eau est saisissant.
Et me voilà à nouveau, la main rougie par l'eau glacée, mais à peu près propre, à regarder la vulve de cette bestiole, à me dire que la spirale est au fond, que j'ai vraiment pas le temps de me cogner un aller-retour à la voiture pour prendre des gants, je devrais déjà être loin. Alors j'enfonce ma main, puis mon avant-bras, en essayant de ne pas marquer d'hésitation, je sais ce qui m'attend au fond. Au moins, c'est chaud. La spirale est là, avec un genre d'enduit de vaginite blanchâtre autour, visqueux, gluant, comme d'hab. Mais d'habitude j'ai la ficelle pour tirer, et je n'ai qu'à esquiver ce caseum quand je retire la spirale. Une vache, deux vaches, trois vaches. L'éleveur me regarde d'un air étonné. Je râle, pour la forme. Qu'est-ce que j'ai été con de ne pas prendre de gant à la voiture !
Trois injections plus tard, je suis de retour à la baignoire pour me laver les mains à l'eau glacée, sans savon, entre les ronces, les barbelés et de vieux piquets d'acacia penchés, au milieu d'un troupeau de vaches blasées au pied des Pyrénées.
Et, curieusement, je n'échangerai ma place pour aucune autre au monde.
Commentaires
La fouille d'une vache, c'est toujours dans le vagin ou ça peut être aussi dans l'anus ? (la question trop glamour)
Fourrure :
Attention, réponse glamour. On passe rarement par voie vaginale, parce qu'il n'y a rien, ou presque, à palper là. La voie rectale permet de palper l'utérus, les ovaires, une partie de la masse intestinale, un bout des reins, les nœuds lymphatiques iliaques, un bout d'aorte, un bout de panse, un bout de reins...
Je n'ai qu'une chose à dire : c'est beau. Bravo et merci.
Il faut que je l'avoue, cela fait maintenant une bonne année que je suis votre blog. C'est la première fois que je me décide à laisser un commentaire. Etudiante en 5ème année de vétérinaire, votre blog est un véritable encouragement. A chaque session d'examen, il arrive un moment où je me sens un peu découragée. Et puis je fais un tour par ici, et ça ne loupe pas: je repars avec un nouveau souffle en sachant exactement pourquoi je fais ces études. Alors encore une fois: merci!
Moi aussi, je trouve cela beau, et j'en suis tout étonnée. C'est l'art de raconter. Vous arrivez à rendre cela presque poétique. Le froid, la boue, l'hiver... et le reste!
Je me souviens de ma première fouille : mon voisin, chez qui j'allais traire bénévolement, avait un lot de génisses (montbéliardes) qui avaient des spirales ; le jour où il les a retirées (elles étaient dans une petite stabu en liberté, tranquilles), j'étais là. Il a pu toutes les retirer, sauf une, sur Tulipe, une jolie bien rouge, la ficelle a cassé.
C'est là qu'il m'a dit "toi t'as des petites mains, vas la chercher".
Ca m'a fait tout drôle, j'ai mis un gant de fouille, trouvé le bout de plastique tout gluant, et tiré doucement. J'ai même réussi à me couper sur la pointe !
Mais j'étais toute fière de moi, et de ma petite Tulipe qui n'avait pas bronché malgré ma maladresse...
Joli billet, une fois de plus.
Merci pour le titre, maintenant je chante seule chez moi au lieu de me concentrer sur mes révisions...
Fourrure :
Haha !
charmant tout plein !
en tout cas c'est pas avec mon hyper sensibilité au froid que j'aurais pu me laver les mains comme vous !!
chapeau bas !
coucou,
j'aimerai bien voir une photo de cet étrange dispositif !!!
Fourrure :
Le système que j'évoque est ici, il en existe d'autres équivalents (d'ailleurs la spirale est replacée par un genre de triangle à l'heure actuelle, mais il me reste du stock alors...).
bonjour, quel plaisir de vous retrouver.
je peux constater que cette nouvelle année n'est pas plus différente que celle qui vient de passer.
Dans ce billet, votre passion est toujours présente, vos sens de l'humour aussi (et il en faut ...)
C'est agréable de vous lire, cela me détends après une rude journée.
Je vous souhaite pour cette nouvelle année de billets, de belles rencontres, d'autres plus insolites, d'autres cocasses, d'autres gaie. Et surtout des histoires à nous faire partager votre (passion) métier.
ne tardez pas trop pour rédiger votre prochain billet.
bon courage pour les jours à venir il annonce encore plus froid, il me semble, enfin chez nous, en Franche-Comté c'est ce qu'ils prédisent. cordialement, Radarounet.
Et encore, ça aurait pu être pire : elles auraient pu avoir le pied leste...
Magnifique conclusion ! Je dis pareil à propos de mon métier, qui est loin d'être parfait aux yeux de certains.
Mais aux miens, il l'est.
Bonne continuation !
Je suis content de voir que je ne suis pas le seul à oublier des choses dans la voiture... et à compromettre la douce odeur de mes mains rugueuses. D'ailleurs, comme je n'interviens jamais sur un animal sans gants d'examen (je n'aime pas me laver à l'eau froide), j'aurais eu seule la partie distale des poils de mes avants bras joliment collés par la glaire vaginale blanchâtre. Beurk.
En tout cas, je te félicite pour ton abnégation !
Quel beau métier vous faites docteur..!
Rien qu'à lire ce billet, j'en ai les mains et le sang glacé :D
J'adore lire les articles ici, mon frère est vétérinaire et j'ai l'impression de le retrouver dans votre vécu !
J'aime la conclusion :)
Joli billet, comme si souvent :)
Une question cependant :
"Trois blondes énormes, beaucoup trop grasses. Tu m'étonnes qu'elles ne soient pas cyclées."
Bah... si une vache est trop grosse, elle n'ovule pas??
Pourquoi donc?
(et c'est pareil chez tous les mammifères? o.O)
Fourrure :
Je n'ai plus du tout les mécanismes en tête, mais oui, il y a une baisse de fertilité chez les bovins trop gras. Pour les autres mammifères, aucune idée.
Je tombe avec bonheur sur ce vieil article un peu par hasard. Vous exercez le métier dont j'ai toujours rêvé.
@labonnefée:
je réponds très tardivement mais chez les humains ça existe aussi! "Syndrome des ovaires polykystiques" par exemple.
Une docteur pour humains ;)