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mardi 29 octobre 2019

Deuxième avis

Je n’ai pas confiance. Et s’il se trompait ? Il y a peut-être une autre solution ? Je voudrais qu’il soit soigné autrement. J’ai confiance, mais je ne peux pas croire qu’on ne puisse pas faire plus ! Une autre chance ? Il m’a prise pour une conne ! Il est trop vieux. Il est trop jeune ! Elle est trop féminine !

Qui a raison ? Qui a tort ? Le premier qui a parlé ? Ou plutôt le dernier ? On prend un troisième avis pour trancher ?

Demander un second avis est une démarche normale. Naturelle. Pas pour tout et tout le temps, mais il y a bien des situations qui méritent, sans doute, un autre regard. Que la seconde réponse soit la même, ou pas. C’est un sujet, oh, pas tabou, mais gênant. Aussi bien chez les vétos que chez leurs clients. J’ai régulièrement en consultation des chiens, des chats, parfois des chevaux, qui ont déjà vu un confrère ou une consœur pour un même problème. Et il est évident que certains de mes clients sont allés chercher un autre diagnostic, une autre prise en charge. C’est naturel… mais personne n’aime en parler.

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dimanche 25 octobre 2015

Panique hors-bord

Comme à mon habitude, je me suis à moitié assis sur la table, calant sans forcer le petit ratier entre ma hanche et ma main gauches. De la droite, je le caresse et le palpe, nœuds lymphatiques, trachée, ma main glisse et recherche les masses, les irrégularités, appuie doucement sur une paupière pour voir la muqueuse oculaire. Il se dérobe, je le rassure. Je lui parle, tout le temps, doucement, lancinant. Des mots qui ne veulent pas dire grand-chose. Des mots pour occuper l'espace, pour faire un pont, pour accompagner mes gestes. Tout va bien.
Il s'est tendu. En douceur, en lenteur, je garde le contact pour ne pas le laisser s'échapper, sans le coincer, sans le braquer.
Tout va bien.
Près de moi, son maître et sa maîtresse, un couple souriant de personnes âgées ne cessent de me parler alors qu'avec mon stéthoscope sur les oreilles, je n'entends plus que le cœur – un peu rapide, mais parfaitement régulier – et la respiration – normale – du vieux ratier.
Je pose mon stéthoscope. Le monsieur a fini de parler. Je ne sais pas vraiment ce qu'il racontait, je ne sais pas s'il a compris que je ne l'entendais pas, je ne voulais pas le rabrouer. J'ai fait comme si je n'avais pas vu qu'il me parlait. De toute façon, tête penchée, je regardais le chien. Nous faisons comme si de rien n'était. Je ne suis pas malpoli, et il n'est pas ridicule.
Tout va bien.
Le chien tousse. Enfin, pas là, maintenant, en consultation. Non, parfois, à la maison, il tousse. Je palpe sa trachée entre deux caresses peu appuyées. Pas de sensibilité particulière. Reste à voir ses dents et le fond de sa gorge. Je passe ma main droite sous sa gueule, et, avec deux doigts, j'écarte doucement les babines. Je suis assis, je suis presque derrière lui, il découvre ses crocs, je me méfie. Je ne le tiens toujours pas vraiment, mais j'appuie un peu plus le contact. Il menace. J'insiste un peu. Et puis j'esquive le coup de dents dirigé sur ma main droite, tout en le saisissant, cette fois, de la main gauche. J'écarte mon visage. Il se retourne sur ma main gauche, ma prise est mauvaise, je lâche. Il saute de la table, et se réceptionne avec la grâce d'un étudiant vétérinaire qui, en fin de soirée au cercle des élèves, vise son lit et s'endort en se vautrant sur sa table basse.
Tout va b…
Bon, c'est le bordel.
Il se secoue la tête, un peu assommé. Il a vraiment fait un son creux en cognant son crâne sur le carrelage, à la fin de sa culbute. J'évite les plaisanteries sur le vide de sa boîte crânienne, je souris, je le prends à partie.
- Et bien bonhomme ? On panique ? Je ne t'ai pas fait mal, pourtant ?
- Ben oui, Libellule, il ne t'a pas fait mal, le docteur ! reprend sa maîtresse.
- Nous supposons qu'il a été battu, avant, nous l'avons récupéré il y a un an à la SPA, vous savez. Un vieux chien dont personne ne voulait…

Bon.
Je ne sais toujours pas pourquoi il tousse. En tout cas, du coup, j'ai bien vu ses dents, et ce n'est pas à cause du tartre. Le fond de gueule, par contre, je ne sais pas, et je ne saurais pas. Ses propriétaires préfèrent les certitudes. Je propose d'exclure une pathologie pulmonaire en faisant une radio, même si, comme je le leur précise, je n'y crois pas.
Ils sont partants. Le chien, non, clairement.

- Vous allez devoir le museler, docteur !

Oui.
Libellule montre les dents à tout le monde, maintenant. Je ne pourrais pas le reprendre sur la table ou dans les bras, pas aujourd'hui, et ses maîtres ne pourront pas faire grand-chose non plus. Il n'est pas encore en panique, mais il y va tout droit. Pour l'instant, il menace, il gronde, comme un trouillard qui sait qu'il ne peut pas avoir le dessus. Alors va pour un nœud sur le nez. Un lien, plus facile à poser et plus sûr qu'une muselière.

J'appelle une assistante, et nous le surprenons. Nous voyant approcher, il a mordu dans le vide, nous lui avons cloué le bec. Quelques gestes rapides, le tenir fermement, sans le brutaliser, il se tortille, je le suspends par la peau du cou, à deux mains pour l'empêcher de se retourner, mon assistante finit le nœud, il se chie dessus, vide ses glandes anales, urine, j'en ai plein mes godasses, il y en a sur le lien qui étale la merde sur mes mains. Je lâche la peau du cou, le soulève simplement par le thorax, une main de chaque côté, je le cale et le pose sur la table de radio. Tout au long du trajet, il s'est déchaîné, tentant tout à la fois de fuir et de me mordre, étalant à grand coups de queue ses excréments sur son pelage, sur mes bras, ma blouse, la porte, le couloir…

Derrière moi, une assistante a sorti le chariot du ménage.

Je continue à lui parler, fermement, doucement, j'essaie de reprendre un contact que nous avons perdu, je sais que c'est en vain mais la litanie m'aide à canaliser ma colère devant sa stupidité, devant mon échec, devant cette panique qui l'a fait replonger loin dans son passé, et ça pue, je pue, il pue, toute la clinique pue la merde, et en plus sur la radio, il n'y a rien.

La dame, dans le couloir :
- Si vous pouviez lui couper les griffes ? Nous, on ne peut pas ! Parce qu'il est comme ça dès qu'on le contrarie. Il accepte de plus ne plus de choses, mais ça, non !

Alors nous coupons, ses griffes sont si longues qu'elles tordent ses doigts : ce n'est vraiment pas du luxe, non. Mais Libellule panique complètement, il bouge tant et tant qu'évidemment, il saigne un peu d'un doigt. Ce n'est rien, mais lorsque je le repose au sol en faisant glisser le nœud, il constelle de sang le carrelage blanc conchié par sa diarrhée…

- Bon, et bien ses poumons sont nickels à la radio comme à l'auscultation, son cœur est impeccable, il n'a pas de sensibilité à la trachée, pas de tartre, je suppose qu'il a plus ou moins le fond de gueule enflammé, ou qu'il fait quelques reflux gastriques, mais je ne pourrai pas le prouver… et puisqu'il ne tousse pas trop, et bien… nous n'allons rien faire.

Je suis tellement déçu par cette consultation que je m'attends à ce qu'ils soient déçus, eux aussi.

Mais non.

Au milieu de ma salle de consult', de la merde, du sang et de la pisse, tendis que deux assistantes passent éponge et serpillière, ils sourient.

- Ah, ben on est bien contents alors !

jeudi 4 avril 2013

Niveaux de preuve

Il y a une petite quinzaine d'année, un prof de l'école vétérinaire de Nantes intervenait dans un quelconque congrès de médecine vétérinaire auquel je participais. Je ne me rappelle plus du sujet, mais je me souviens de son introduction, et de sa conclusion. Un gars plutôt dynamique, blagounettes à l'appui, sourire ultra-bright, qui m'a plutôt donné un fort a priori négatif. Son propos était de confronter je ne sais plus quelle entité pathologique à l'EBM.

Ouais, j'avais achevé mes études, et passé ma thèse depuis peu. Et je n'avais jamais entendu parler de ce truc. EBM, Evidence-Based Medecine. Certains préfèrent SBM (science-based medicine), ou médecine basée sur des preuves, en bon français. Cette logique allait devenir, petit à petit, l'étalon-or de la bonne pratique médicale. Mais à l'époque, je découvrais un concept. Ou plutôt, je m'énervais contre. Bien sûr que la médecine devait être basée sur des preuves. On n'allait quand même pas soigner les animaux ou les gens sur des simples avis de type variés, quelle que soit leur expérience, ou sur un fatras d'habitudes accumulées, quand même. Il y avait le sérieux des AMM des médicaments, les publis scientifiques qui fondaient toute la connaissance médicale, malgré leurs inhérentes limites, bref, je ne voyais pas ce qu'il y avait de nouveau là-dedans.

J'étais jeune, naïf et idéaliste. J'allais tomber de très haut. Pas au cours de cette conf', non, ma chute allait être plus lente, plus progressive. Il me fallait le temps de réaliser que non, définitivement, aussi pertinente qu'ait été ma formation, aussi motivés qu'aient été mes profs, tout ce que j'avais appris ne respectait pas, loin s'en faut, les standards de l'EBM. Il faut bien reconnaître deux limites à la formation d'un jeune vétérinaire de l'époque (pas si lointaine, gamins) : j'avais appris pléthores de choses sur la pathologie, la sémiologie, toutes les bases du vivant (anatomie, physio, etc), j''avais appris plein de trucs sur la pharmacie, mais je n'étais pas prêt à soigner des animaux. Alors j'ai copié les premiers vétos avec lesquels j'ai bossé. Ou je les ai choisis en anti-modèle, selon les cas.

Il m'a fallu du temps pour repasser tout cet apprentissage "sur le tas" au filtre de ma formation initiale puis continue.

Je suis devenu exigeant sur le niveau de preuve, et je viens de lire un article très intéressant sur ce concept a priori assez simple, écrit par le Dr Steven Novella sur le blog Science-based Medicine. Je vous en propose, avec son accord, une traduction, après vous avoir rappelé, suite au commentaire très pertinent de docdu16, que l'EBM ne se réduit pas au niveau de preuves (les meilleures données cliniques externes), mais qu'elle doit aboutir à une décision en y confrontant les préférences du patients et l'expertise propre au clinicien.


Les niveaux de preuve

Les défenseurs de la médecine basée sur la science sont souvent attaqués sur le mode : que vous faut-il pour vous convaincre de l'efficacité de la médecine au lait de vache sacrée ? Ce défi contient une accusation à peine voilée : quelles que soient les preuves que je vous offrirai, je ne réussirai pas à vous convaincre car vous êtes un foutu sceptique.

Pourtant, il y a un seuil, un niveau de preuve qui me convaincrait de n'importe quoi. En réalité, je suis convaincu que nombre d'affirmations scientifiques sont très probablement vraies - en tout cas suffisamment convaincu pour en conclure qu'elles sont vraies. Ce qui, en médecine, signifie que je suis assez convaincu pour les utiliser comme base de ma pratique médicale.

Il y a de nombreuses différences de fonctionnement entre les pratiquants de la médecine basée sur la science (EBM) et ceux qui acceptent les allégations et les pratiques que nous considérerions comme de la pseudoscience ou de la fraude, mais j'ai récemment été frappé par une différence bien particulière : le seuil auquel nous plaçons le niveau de preuve exigé avant d'accepter une allégation.

La semaine dernière, j'ai participé à un débat sur la légitimité de l'homéopathie (vous pouvez lire mon compte-rendu complet ici, et ici). Face à moi se trouvait Andre Saine, un naturopathe canadien, doyen de l'académie d'homéopathie canadienne. Il y avait, en résumé, une différence-clef entre la position de Saine et la mienne pendant ce débat : il accepte des preuves extrêmement faibles pour confirmer la réalité de l'homéopathie. Son degré d'exigence en termes de niveau de preuve est incroyablement bas.

IEt pourtant il était certain que les preuves qu'il apportait ne pourraient que convaincre les sceptiques. J'en suis arrivé à la conclusion que Saine n'avait aucune notion du niveau de preuve habituellement exigé en médecine, et en science de manière plus générale.

Que vous faudrait-il pour me convaincre ?

Nous avons beaucoup écrit sur ce à quoi ressemblent des preuves convaincantes. J'ai également écrit sur des sujets scientifiques en dehors de la médecine, et cela m'a aidé à avoir une perspective plus large. Ainsi, par exemple, les adeptes des perceptions extra-sensorielles acceptent également des preuves extrêmement faibles.

Que faut-il pour que la communauté scientifique accepte la réalité d'un phénomène ? Et pour qu'elle écarte les explications alternatives ?

Voici les quatre critères qui doivent être remplis simultanément pour qu'une preuve scientifique soit convaincante :

1- Des études à la méthodologie rigoureuse, conduite avec un insu adapté (explication ici en français), suffisamment puissantes, qui définissent et contrôlent de manière adéquate toutes les variables pertinentes (et confirmées en passant l'épreuve de la relecture par les pairs et l'analyse post-publication).

2- Des résultats positifs statistiquement significatifs.

3- Un ratio signal/bruit raisonnable (avec une pertinence clinique en ce qui concerne les publications médicales, pour que nous puissions distinguer le signal du bruit dans notre pratique)

4- L'expérience doit être reproductible de manière indépendante : quelle que soit la personne reproduisant l'expérience, l'effet doit être détecté sans équivoque.

Nous constatons souvent avec les approches médicales douteuses (comme l'homéopathie) que seul le critère numéro 2 est nécessaire : toute étude avec une signification statistique est considérée d'une fiabilité à toute épreuve.

Nous voyons également souvent un tour de passe-passe semblable à celui des vendeurs de voitures neuves. Ces derniers vont utiliser la méthode des quatre cases, divisant une feuille de papier en quatre carrés. Dans le premier, il y a le prix de la voiture, dans le second, le taux d'intérêt, dans le troisième, l'acompte, et dans le quatrième, la remise. Les mensualités seront calculées sur cette base.

L'astuce du vendeur de voiture consiste à exploiter cette méthode pour être sûr d'y gagner : si la remise est élevée, le prix de la voiture le sera aussi. Vous ne ferez jamais une bonne affaire sur les quatre case à la fois.

Les partisans des pseudo-sciences travaillent de la même façon. Ils proposent des études qui satisfont à un, parfois deux des critères cités plus haut, mais jamais aux quatre à la fois. Ils proposeront des études mal conçues avec des résultats positifs, ou des études bien menées avec des résultats positifs mais aucune pertinence clinique, ou impossibles à reproduire.

On n'obtient jamais les quatre critères à la fois pour une simple et bonne raison : le phénomène mis en avant n'est pas réel. Seul un effet réel sera obtenu de façon répétée dans des études rigoureuses.

Il faut bien comprendre que ces critères sont la base de la reconnaissance scientifique, sans même parler de plausibilité a priori. Pour chaque critère, il faut en apprécier la qualité : à quel point une étude est-elle rigoureuse, combien de fois l'expérience a-t-elle été reproduite, quelle est l'ampleur de l'effet ? Moins une allégation est plausible, plus le niveau de preuve devrait être élevé pour la démontrer.

Les homéopathes et les adeptes des sciences peu plausibles n'aiment pas ce raisonnement. Ils le raillent sous l’appellation de "biais de plausibilité". Les autres appellent cela "la science".

Il est cependant important de signaler que sans même parler de plausibilité ou de probabilité a priori, l'homéopathie n'arrive de toute façon pas à satisfaire aux critères scientifiques minimaux de recevabilité. Elle ne s'en approche même pas, même en lui concédant le bénéfice du doute.

Pour la défense du seuil de niveau de preuve

Si vous êtes convaincu par la réalité de quelque chose comme l’homéopathie, l'acupuncture, la médecine énergétique ou toute autre pratique aussi improbable, le seuil d'acceptabilité semble injuste. Il passe pour une astuce inventée par les sceptiques pour nier la réalité de vos fabuleuses pratiques médicales.

Ce niveau de preuve est, pourtant, le standard scientifique (bien sûr, ce standard peut être plus ou moins élevé, mais il s'agit là du seuil minimum).

L'EBM repose partiellement sur le principe qu'un standard aussi rigoureux est justifié et nécessaire, et qu'il devrait sans doute être même plus élevé qu'il n'est actuellement. Nous pourrions écrire un article sur chacune des raisons qui justifient cette position, mais on peut les résumer de la façon suivante :

  • La recherche médicale est un domaine complexe car les gens sont, de manière générale, une variable et un système "bruyant" qui rend difficile la conception des études et le contrôle des variables.
  • Les effets placebos sont variés et difficile à comprendre.
  • Le degré de liberté des chercheurs rend possible la fabrication de résultats positifs même à partir d'un phénomène qui n'existe pas. Ceci implique une rigueur toute particulière dans la conception et la réalisation des études, ainsi que la possibilité de reproduire les résultats de manière indépendante.
  • Il y a parfois des fraudes dans la recherche scientifique.
  • Il y a un biais financier considérable dans la recherche médicale, puisque c'est une science appliquée dont les bénéfices peuvent se compter en milliards.
  • Les humains sont, de manière générale, sujet à de nombreux biais cognitifs et heuristiques (explication en français ici, ce sont des notions très importantes pour comprendre l'importance de l'EBM), failles logiques, faux souvenirs, mauvaises perceptions, et autre mécanisme d'auto-persuasion. Il faut être conscient que l'on peut nous amener à croire à peu près n'importe quoi.

Conclusion

La science rigoureuse nous ancre à la réalité. Sans elle, nos croyances nous plongent dans un monde imaginaire qui satisfait à nos désirs et émotions mais qui n'a plus grand chose à voir avec la réalité. On peut nous amener à croire que l'eau pure peut se souvenir de "l'essence" d'une substance qui fut diluée en elle, et que cette essence peut soigner des gens en fonction de critères sans aucun lien avec leur maladie, tels que leur personnalité.

Sans cadre scientifique, nous croirons à la magie. C'est une tendance qui appartient à notre héritage, à notre évolution. Mais notre capacité à la logique et à la pensée critique également !

Depuis deux siècles, la médecine scientifique a mûri, nous avons appris à étudier les maladies et la médecine de plus en plus rigoureusement. Nous avons beaucoup appris sur notre capacité à nous mentir à nous même, et sur les moyens subtils de manipuler les données et la recherche.

Nous savons maintenant comment prouver qu'une chose est réellement réelle, pas qu'elle a juste l'air d'être réelle. Nous devrions résister avec vigueur à ceux qui tentent de rejeter cette sagesse durement acquise parce qu'elle menace les croyances qu'ils chérissent.


Voilà pour la traduction de l'article. Que puis-je ajouter ?

Que la médecine que nous pratiquons n'est que partiellement EBM. Tout ce que nous faisons n'a pas été prouvé. Beaucoup de choses sont faites "parce que ça marche", même si l'on n'a parfois qu'une idée assez médiocre des raisons pour lesquelles ça marche. La science progresse, de plus en plus de pratiques sont confirmées. D'autres sont écartées. Il faut continuer dans cette voie. Appliquer avec prudence ce qui marche, même si l'on ne sait pas vraiment pourquoi, et avoir conscience de ces limites ! Une pratique purement EBM est impossible, car les gens et les maladies ne sont pas des chiffres. Mais cet argument, qui est utilisé par les adversaires de l'EBM, ne justifie en aucun cas son abandon ni, à l'inverse, de se dire que tout est permis parce qu'après tout, c'est pas parce que quelque chose n'est pas prouvé que ça ne marche pas.

La critique et la rigueur ne concernent pas que les médecines alternatives : il faut appliquer ce niveau d'exigence à la médecine "normale". Il faut savoir remettre en question, rester vigilant, être prêt à revoir ses a priori. ce n'est pas facile. Être sceptique, c'est aussi être ouvert d'esprit : il ne faut pas non plus rejeter une idée parce qu'elle ne nous plait pas. Mais il est hors de question d'accepter une pratique potentiellement dangereuse pour le patient s'il en existe une autre dont les effets, les bénéfices et les limites sont connus et acceptables.

On a beaucoup parlé ces derniers temps du scandale du Mediator, de celui des pilules de troisième et quatrième génération, du dépistage du cancer de la prostate et de celui du sein (je parle de médecine humaine car c'est là qu'on a le plus de donnée, vous comprenez la logique). Je crois en la science pour sa capacité à se critiquer elle-même, tout le temps. C'est pour moi le plus important des points faibles de la plupart des pratiques alternatives. Et la différence entre la science et la croyance.


Un grand merci à @Drkalee, @La_Bzeille, @lenatrad, @Dr_Ezrine, @zeJeeP, @mildis, @jabial, @13Atg, @zecalvin, @Bidibulina, @monosynaptik, @CharlineDAVID et aux autres twittos qui m'ont aidé dans cette traduction. Remerciements tout particuliers à Borée.

Ce billet est dédié aux chaussettes de Jaddo.

jeudi 21 février 2013

Maladresse

C'est un jeune couple, un lundi matin. Ils sont venus sans rendez-vous, mais nous avons l'habitude : nous donnons peu de rendez-vous sur cette plage horaire, pour absorber les urgences plus ou moins urgentes qui ont attendu le week-end. Et nous prévenons ceux qui veulent malgré tout nous voir à ce moment là : les vraies urgences passeront toujours en premier, et elles peuvent être nombreuses. Comme les mercredis et les samedis après-midi avec les chiens de chasse au sanglier.

Personne ne râle jamais. Difficile de faire la gueule pour 30-60 minutes d'attente pour le vaccin du chien lorsqu'on voit passer un animal agonisant ou qui pisse le sang par tous les membres. Nos urgences sont quand même souvent de vraies urgences. Du genre qui auraient vraiment dues être vues avant.

Celle-ci fait partie du lot.

La chienne n'urine plus. Depuis deux jours. Le motif de consultation est peu crédible, à voir l'allure de la chienne dans la salle d'attente. Elle attend tristement, assise, l'abdomen gonflé, mais elle n'a pas l'air si mal, et une anurie de deux jours s'accompagne presque toujours d'insuffisance rénale avancée. J'ai très souvent des rendez-vous "n'urine plus depuis trois jours", "ne mange plus depuis cinq jours", "pas de selles depuis la semaine dernière". Dans l'immense majorité des cas, le "pas" ou le "plus" indiqué au téléphone lors de la prise de rendez-vous devient un "moins" ou un "pas comme avant" lors de la consultation. De quoi relativiser...

Pourtant, cette fois-ci, dès les premiers mots, les premiers regards, je comprends que, vraiment, il y a quelque chose de très sérieux. De définitif. Ce jeune couple a vraiment l'air d'être... comment dire. Précis. Pas qu'ils soient habillés tailleur et costard cravate, non. Pas du tout. Mais il y a un étrange mélange d'urgence, de crainte et de résignation dans leur attitude. Je regrette de ne pas en avoir tiré les conclusions logiques avant d'agir.

Je porte leur chienne sur la table d'examen. Elle manque sérieusement de muscles sur son dos voussé, ses membres sont de traviole, son ventre pendouille. Son poil est clairsemé, sa peau plus ou moins lichénifiée, pleine de comédons. Elle sent la malassezia. Elle est vraiment moche, elle est tout à fait vieille, elle est adorable. Pas le temps de gagatiser, mais bien assez pour une caresse, un mot gentil. La rassurer. Je palpe son abdomen gonflé, manifestement pas douloureux.

- Elle a gonflé depuis qu'elle n'urine pas.

Pas le temps, pas l'envie de discuter. C'est vraiment une urgence. Que j'aurais du voir samedi. Un spéculum, et je place une sonde urinaire en la priant de m'excuser, en lui parlant gentiment. Je ne cesse jamais de parler lorsque je place un spéculum. Un vrai ronronnement, à la limite de l'hypnose. Ça a l'air tellement désagréable... J'enlève environ un litre d'urine en pressant sur l'abdomen de l'épagneule. Ce n'est pas franchement douloureux non plus. Elle se laisse faire sans trop ronchonner pendant la bonne quinzaine de minutes nécessaire. Cette urine a l'air normale. Elle ne pue pas trop le vieux pipi macéré, il n'y a pas de flocon dégueulasse dedans, pas de sang non plus.

Je repose la louloute par terre. Elle semble soulagée et se promène dans la salle de consultation en remuant sa queue pelée. Son abdomen a repris un profil plus normal, même si je suis certain de ne pas avoir fini de vider sa vessie. Je verse le seau dans l'évier, le haricot métallique s'étant révélé largement insuffisant.

Je souris.

Elle a vraiment l'air mieux.

Le jeune couple sourit aussi, mais avec tristesse.

Je n'ai pas le dossier de cette chienne. Et je ne sais pas pourquoi elle n'urinait plus. Mais eux le savent.

- C'est rare, une vessie qui se distend autant. Il y a peut-être deux litres d'urine là-dedans. Cela fait longtemps qu'elle a du mal à uriner ?
- C'est de pire en pire, répond la jeune femme.
- Un an qu'on voit qu'elle force bizarrement, précise son compagnon.
- Elle n'a pas l'air franchement malade, de ses reins en tout cas. J'imagine que la distension de sa vessie a été très progressive, et qu'elle ne doit plus être capable de franchement la vider de façon normale, elle doit pousser avec le ventre, mais pourquoi ?
- On a trouvé une tumeur dans son bassin, il y a huit mois. Un truc pas opérable, mais qui ne lui faisait pas mal. On nous a dit que ça grossirait.

C'est la jeune femme qui a repris la parole. L'homme cache ses yeux derrière ses cheveux bouclés. Il se passe sans cesse la main sur son début de barbe, remonte et redescend ses manches.

- Au début, il lui fallait juste du temps. Et puis elle a forcé de plus en plus. Des fois, on avait l'impression qu'elle n'y arrivait pas, mais ça finissait par aller.

Il y a une putain de tumeur là-dedans. Une saloperie qui appuie plus ou moins sur sa vessie, la pousse vers le bas de l'abdomen, comprime sans doute l'urètre. Quand elle se met en position pour uriner, le poids de la vessie qui descend vers le bassin doit aggraver sa compression, voire plier l'urètre, l'empêchant d'uriner.

Ça, je l'ai dit à voix haute. Plus pour moi que pour eux. Eux le savent déjà, même s'ils ne maîtrisent pas forcément les détails.

Ils savent par contre, mieux que moi, que c'est foutu. Que suspendre la vessie ou autre chirurgie à visée "mécanistique" est ridicule vue la cause. Ils culpabilisent, parce qu'ils n'ont pas pu la faire soigner - il n'y avait de toute façon probablement aucun recours, même il y a un an. Mais ils culpabilisent quand même.

Ils viennent pour demander une euthanasie. Et moi, j'ai balancé un bon gros rayon de soleil bisounours sur la scène, redonnant un peu de joie et de confort à leur chienne, pour laquelle je n'ai aucun espoir à offrir. Shiny, happy bordel de merde. Quel con.

Mon assistante s'éclipse discrètement.

Je soupire.

- En fait... commence-t-elle
- On pensait venir pour une euthanasie, achève-t-il.

Je me passe la main dans la barbe. Rattrape le coup, super véto.

- Nous avons une politique assez... heu... simple, pour les euthanasies. Si nous estimons qu'il n'y a pas moyen de soigner ou d'offrir un confort à un animal dans des conditions raisonnables, nous acceptons l'euthanasie. Nous les refusons quand nous les jugeons injustifiées. Dans le cas de votre chienne...
- Vous ne refuserez pas ? demande-t-il, résigné.
- Je suis désolé, non, malheureusement, je ne refuserai pas, je n'ai rien à vous proposer. Les mêmes causes vont produire les mêmes effets, et des complications vont survenir même si on choisit de gagner du temps avec un système de sonde urinaire... Il n'y a pas d'alternative, et il ne sert à rien d'attendre, pour se revoir après deux jours de plus passés sans uriner. Vous avez raison, c'est le bon moment pour l'aider à partir.

Je suis écœuré, et triste comme une pierre tombale.

Je m’accroupis. La vieille épagneule vient me voir, comprenant l'invite aux caresses.

mercredi 19 décembre 2012

Pas avant des années

Nous ne l'avions pas vue depuis quelques années : son chien était mort sur notre table de chirurgie, en pleine nuit, d'une torsion d'estomac sur hémangiosarcome splénique. A douze ans, pour un rottweiler, pas de miracle.

Je n'aime pas trop ce genre de situation. On se sent toujours un peu merdeux quand on revoit le propriétaire d'un animal décédé. Surtout quand on ne l'a pas vu pendant si longtemps. Pas que j'ai quoi que ce soit à me reprocher : la prise en charge avait été rapide et efficace, mais on ne gagne pas à tous les coups. Et on n'aime pas que cela nous soit rappelé.

J'ai reçu cette dame en consultation, qui m'a raconté, au fil d'un exposé fleuve, la maladie de son chien. Les consultations successives, sur plusieurs mois. Les examens, les mots des différents vétérinaires d'une autre clinique, ses propres réactions, l'évolution des symptômes de son chien. Triant méthodiquement les images, les résultats, les ordonnances, classant les faits et les interprétations. Listant avec rigueur les approximations : celles des confrères, et les siennes propres. N'accusant pas, mais expliquant son exaspération croissante.

Les choses étaient étrangement claires, et posées. J'aurais pu être inquiet, mais ses mots étaient apaisants de lucidité. J'écoutais, je posais des questions. Moi aussi, je triais. Pas comme elle, mais pas loin. Les confrères avaient fait du bon boulot, à défaut d'être excellents. Ils avaient un peu perdu de temps, peut-être. C'est tellement facile de le remarquer, après. Et je me disais que, moi aussi, sans doute, des clients et des confrères devaient parfois me disséquer ainsi.

J'étais donc le véto du second avis. Avec le "passif" évoqué plus tôt. Le mien, et celui de mes confrères. Une vue d'ensemble, trop d'informations, d'autres qui manquaient. De quoi bien travailler.

J'avais, sans doute, un autre avantage. La demande était très claire : la dame voulait de l'action, et immédiate. Elle le leur avait dit, ils avaient refusé d'opérer. Elle ne voulait plus attendre, pas alors que son chien se dégradait. Elle voulait bien prendre des risques. Son consentement fut éclairé. Bénéfices, risques, immédiats et au long terme, hypothèses et scénarios, optimistes et pessimistes.

Une discussion fatigante, mais passionnante. De la vraie médecine, avec une cliente exigeante. Une cliente comme on ne les aime pas trop, à cause de la pression. Une cliente comme on les adore, parce qu'elle nous demande de faire notre boulot. Avec ses limites, aussi, notamment financières. Avec ses attentes, et ses contradictions. Avec son envie de comprendre, et sa demande de traductions extensives de la logique médicale en logique humaine.

Avec sa sincérité, aussi, ces mots glissés entre de longues explications : "je ne suis jamais revenue, ici, à cause des souvenirs, à cause de mon chien. Je ne vous reproche rien, mais ce n'est pas facile. Je viens parce que vous allez faire autrement, même s'ils n'ont pas fait mal. Et parce que moi, je le sais, que ça peut mal finir, et brutalement, avec cette chirurgie. Mais on aura tenté quelque chose, et puis, si ça finit mal, les mauvais souvenirs, ils resteront ici."

J'imagine que je ne reverrai pas cette dame.

En tout cas pas avant des années.

dimanche 2 septembre 2012

Dilemme

Elle n'a que trois ans, elle est couchée depuis deux jours, un mois après son vêlage. En réalité, elle a un défaut de contrôle de ses postérieurs. On aurait pu penser à une chute, à une compression nerveuse liée au chevauchement. Le genre de trauma pas évident à récupérer. Il veut la faire partir à l'abattoir, mais lors de l'examen obligatoire avant l'envoi d'animaux couchés, je lui découvre une fièvre à 41°, qui interdit l'abattage. J'ouvre mon panel d'hypothèses, il le referme et choisit. Euthanasie.

Elle s'est barrée au fin fond d'un vallon, dans les bois, pour s'isoler et vêler. Il l'a cherchée jusqu'à la nuit tombée, a du passer à côté d'elle une fois ou deux, elle n'a pas bougé. Il ne l'a retrouvée qu'au matin, l'utérus renversé et déchiré. État de choc modéré, bonnes réactions à la perf'. J'ai découvert les dégâts au fil de mon intervention, les ai géré les uns après les autres, malgré le pronostic qui se dégradait. On s'est posé la question de l'euthanasie, nous avons choisit d'essayer. Deux heures de boulot et les médicaments. Elle est morte trois heures plus tard.

Toutes considérations affectives évacuées, les choix en médecine vétérinaire "bovine" (mais c'est valable pour tous les animaux dits "de rente", c'est à dire élevés pour dégager un revenu à leur propriétaire) se heurtent rapidement à une barrière financière.

Poser un diagnostic pour traiter un animal, cela a un coût.

Coût du déplacement et de la visite, à peu près fixes.
Coût des éventuels examens complémentaires. Les analyses, ça revient vite cher.

La médecine rurale, en tout cas individuelle, repose souvent sur un diagnostic clinique simple. On examine l'animal, on en tire des conclusions, et on traite à partir de ça. Pour aller vite et réduire les coûts. Bien entendu, il existe des tas d'examens complémentaires simples ou complexes, bon marché ou très onéreux. Nous réalisons nous-même les coproscopies parasitaires. Les analyses biochimiques, les sérologies ou recherches virologiques ont un coût "raisonnable" et sont facilement réalisables. L'imagerie, oubliez. De toute façon, on se sert finalement assez peu de tout cela. Nous avons deux mains et cinq sens (on va dire quatre, parce que bon, le goût...). Des gants de fouille, un thermomètre, un stéthoscope, et pas mal d'astuces dans nos manches.

Et il y a évidemment le coût du traitement.

Les antibiotiques et les anti-inflammatoires, pour des animaux de 50kg (veaux) à 1200kg (les gros taureaux), avec une moyenne à 600kg, ça coûte cher. Une bête association pénicilline/streptomycine, ça revient à quelques euros par jour. Un anti-inflammatoire performant avec un antibiotique récent et de longue action, et le prix du traitement peut s'envoler à 100 euros par tête de pipe. Plus le traitement et long, plus il coûte cher.

Et il y a les coûts indirects : ils n'apparaissent pas sur la facture du véto, mais ils sont bien réels.

Pour tout traitement médicamenteux, il y a des temps d'attente : la durée pendant laquelle les produits issus des animaux ne peuvent être consommés. Jeter le lait pendant 4 traites après la dernière injection, ça peut vouloir dire une semaine de lait à la poubelle. Une injection de pénicilline longue action, c'est deux mois d'interdiction d'abattage de l'animal. Pour un veau qui devait partir, c'est difficilement acceptable. Si c'est une vache qui vit sa vie de vache allaitante, ça passe très bien. Il faut, en plus, tenir compte du risque d'échec.

Cette limousine qui s'est blessée un membre, blessure non infectée, pas de fièvre, on peut décider de l'envoyer à l'abattoir (moyennant un examen sanitaire renforcé avant et après abattage), ou de la soigner. Mais si je la soigne et que ça se passe mal, je n'aurais plus la possibilité de la faire partir puisqu'elle aura de la pénicilline plein les muscles.
Cette vache laitière qui s'est cassée la gueule en salle de traite juste après le vêlage à cause d'une hypocalcémie, je peux la soigner, c'est facile. Une perf' de minéraux, et puis des anti-inflammatoire, parce qu'elle s'est bien amochée. Même dilemme, si elle n'arrive pas à reprendre le dessus.
Et même sans molécules avec temps d'attente. mettons que je n'ai utilisé que des minéraux qui n'entraînent pas de temps d'attente. Que le gars décide de s'y mettre, soigner la vache à part, la traire couchée, la lever à la pince, quatre, cinq, huit fois par jour. Pendant, disons, 5 jours. Et que nous constations que, non, elle n'y arrive pas, que l'hypocalcémie, ok, c'est passé, mais qu'elle a mal, qu'elle est peu motivée à se lever. Une vache, ça s'ankylose et se démuscle à une vitesse hallucinante. Et maintenant, même sans temps d'attente, elle est si faible que c'est foutu. Elle n'est pas présentable pour l'abattoir... Ce sera une euthanasie. On aurait mieux fait de l'envoyer à l'abattoir dès le début, elle serait passée.

Il y a aussi le coût caché du temps passé, de la charge de travail : bichonner des veaux en diarrhée, leur faire prendre des lactoremplaceurs, les attraper, leur faire des injections, les isoler du troupeau avec leur mère. Lever une vache couchée, la retourner régulièrement pour qu'elle ne soit pas tout le temps couchée sur le même côté. Faire des injections à un lot de taurillons tousseurs mais peu coopératifs. C'est non seulement pénible, mais dangereux. Avec les années, les médicaments sont devenus plus pratiques, mais... n'empêche, s'il y a 10 veaux en diarrhée à gérer en plus de la traite bi-quotidienne, c'est l'enfer, tout simplement. Et quand on pense que ces veaux peuvent valoir moins de trente euros, il y a de quoi désespérer...

On peut philosopher à l'envie sur les choix de l'élevage, sur le coût de la viande et du lait, sur le prix que les consommateur sont prêts à investir dans ces produits. J'entends déjà les végétariens me sortir leur couplet habituel. Cela ne m'intéresse pas : face à moi, j'ai des éleveurs qui doivent raisonner leurs choix en fonction d'une balance coût/bénéfice qui devient, de plus en plus souvent, défavorable à l'animal. Et je dois les aider dans leurs choix, leur présenter le plus honnêtement possible les risques et les chances de succès.

Nous ne soignons pour ainsi dire plus les ovins, ou les veaux laitiers mâles. Leur valeur est si faible que le déplacement d'un vétérinaire la dépasse, sans même parler de traitement. Alors on nous les amène parfois à l'arrière du C15, parce que bon, merde. On pourrait me dire que je suis trop cher. C'est une critique que j'accepterai quand je gagnerai bien ma vie. J'en suis loin... et mes tarifs "rurale" n'ont quasiment pas évolué depuis 10 ans.

Alors on conseille au comptoir, on met en place des protocoles de soins, on essaie de réduire les coûts des traitements - la meilleur protection contre la survenue d'antibiorésistances liées à l'utilisation débridée de molécules de dernières générations repose dans leur prix.

On essaie de faire le boulot. Pas au mieux, mais au moins pire.

Et ça me casse les couilles.

Soyons honnête : j'aime les contraintes de la médecine rurale. Il faut faire le boulot au moins cher et au plus simple. Ça oblige à aller à l'essentiel, et à garder les pieds sur terre. Ma chance de vétérinaire mixte, c'est de garder les bottes dans le fumier tout en m'offrant le confort d'une médecine canine "de pointe". Les deux s'influencent mutuellement, pour le meilleur à mon avis. Mais ces contraintes sont acceptables tant qu'elles restent "équilibrées". Tant qu'on n'est pas obligé de baisser trop souvent les bras.

Dans ma région où l'agriculture périclite, où les éleveurs s'enfoncent dans la morosité, on ne nous appelle parfois plus du tout. Ou juste pour euthanasier une vache. Je n'ai pas fait vétérinaire pour euthanasier des animaux.

mercredi 31 août 2011

Inachevé

Samedi, 21h00. Je suis d'astreinte, et le téléphone sonne. Une voix, féminine, plutôt jeune.

- Je vous appelle pour ma chienne. Elle ne va pas bien, elle respire difficilement, et elle ne veut pas manger. Elle est vieille.
- Et elle ne mange pas depuis combien de temps ?
- Depuis deux jours, mais ça fait une semaine qu'elle ne mange pas comme avant.

Deux jours que ça ne va pas du tout. Une semaine que ça bricole. Et elle m'appelle un samedi soir. Et évidemment, maintenant, c'est une urgence, et il n'est pas question de la repousser. Pas la peine de l'engueuler au téléphone, non plus...

- Bon, et bien on se retrouve à la clinique dans quinze minutes, d'accord ?

Lorsque je me gare sur le parking, elle est déjà là. Une vingtaine d'année, jolie, bien habillée, avec un vieux fox tout pourri dans les bras, qui se laisse poser sur la table et caresser sans émettre la moindre protestation. La jeune femme a tiqué quand j'ai appelé sa chienne "ma jolie" en la rassurant, mais après tout...

- Voilà, elle est vieille, et elle ne mange plus, et elle sent très mauvais...

L'euthanasie du week-end, pour être tranquille ? Elle n'a pas l'air de cadrer, et d'habitude, ces "consultations" là ont plutôt lieu le samedi matin. La jeune femme ne semble pas du tout à l'aise, voire même perdue, et sincèrement inquiète. La fox a quinze ans, n'a jamais été malade, n'a jamais vu de véto. Sa gueule a tout le charme d'une fosse septique, les chicots en plus, elle est un peu déshydratée. Des nœuds lymphatiques rétro-mandibulaires énormes (pas une surprise, vues les dents). L'auscultation est normale, bien qu'elle respire assez difficilement, et le reste de l'examen clinique aussi. Elle est très calme, très gentille.

- Mais pourquoi est-ce que vous ne me l'amenez que maintenant ? Un samedi soir vers 22 heures ?

J'ai posé ma question doucement, sans agressivité. Je ne suis plus en colère, comme je l'étais lors de son appel. Je suis juste un peu sonné, et je sens venir le pire des diagnostics : une insuffisance rénale chronique, et une euthanasie.

- Je ne suis jamais venue chez le vétérinaire. Je pensais que vous alliez la piquer, comme elle est vieille.
- Mais être vieux n'est pas un motif d'euthanasie... je vais peut-être trouver une maladie qui justifie cette décision, mais ce n'est pas certain. Et puis, plus vous attendez, plus son problème risque d'empirer, et plus l'euthanasie devient un risque, non ?
- Ah oui, c'est vrai aussi.

Elle a à peine l'air penaud. Pas contrarié, pas sur la défensive, juste penaud, et un peu surpris. J'ai beaucoup de mal à déchiffrer son visage. Elle n'est définitivement pas venue pour une euthanasie du week-end.

- Je vais faire une prise de sang, et nous allons vérifier comment vont ses reins et son foie. Je ne vais pas faire de comptage de ses cellules sanguines, de toute façon l'infection dentaire va la rendre anormale.

Elle n'émet aucune objection. Je n'ai pas l'impression qu'elle va me planter en fin de consult' en refusant de payer "parce que c'est trop cher". Je suis mal à l'aise, comme je le suis souvent avec les clients que je ne connais pas, entre ceux qui me reprocheraient d'en faire trop et ceux qui m'en voudraient de n'en faire pas assez. Je met les pieds dans le plat. Comme souvent.

- Comme nous ne nous connaissons pas, je préfère vous le demander : est-ce que vous êtes d'accord pour ces analyses ? je veux dire, elle est vieille, d'accord, mais pas forcément condamnée, mais pour poser mon diagnostic, j'ai besoin de ces analyses.
- Oui. Oui, bien sûr.

Surprise, encore une fois. Parce que le docteur en blouse blanche lui demande son avis ?

- Le bilan coûte environ 40 euros.

Pas d'objection.

Lorsque je fais la prise de sang, elle détourne le regard. Coup de bol, cette fox est vraiment adorable et je n'ai pas besoin d'aide pour le prélèvement. En attendant les résultats, j'essaie de la faire parler un peu, dans le silence nocturne de la clinique, cette étrange bulle de lumière dans l'obscurité du bâtiment et du village, avec ses odeurs cliniques et son silence seulement rompu par le halètement de la vieille chienne, nos mots presque chuchotés, le ronronnement asthmatique du frigo et les bzip bzip mécaniques de l'analyseur.

- Elle est vieille.

Elle répète cette phrase hors contexte, avec une drôle d'intonation, comme si elle testait une saveur étrange, mais sans la moue de l’écœurement, ni l'acidité de la peur. Elle ne le répète pas pour me dire quelque chose. Répète-t-elle ce que lui ont dit ses proches, en lui disant de ne pas venir ? Essaie-t-elle de s'en convaincre ?

Elle a la chienne depuis qu'elle est toute petite, l'a gardée avec elle lorsqu'elle a quitté sa famille, et n'a jamais vu un vétérinaire. Elle pense que sa chienne est vaccinée, enfin sans doute avant qu'elle se rappelle, quand elle avait 5 ans, elle. En réalité, elle ne connaît rien de mon univers. Sa louloute est une compagne de toujours, mais elle est un acquis, comme ces copines ou ces femmes que l'on ne prend plus la peine de regarder, de séduire, ou d'écouter. Elle est là, elle a toujours été là, et si elle sait qu'elle ne sera pas toujours là, cette notion n'est qu'abstraite. Qu'elle l'aime, je n'en doute pas un instant. Ce n'est pas une euthanasie du week-end, cela ne l'a jamais été. Cet amour est inconditionnel, même si elle est vieille, même si elle est moche, même si elle pue. Il ne lui viendrait pas à l'idée de ne plus l'aimer à cause de ça. Il est plus de 22h et je me perds dans cette conversation d'où perce, en filigrane, ces éléments qui ne sont que mes mots, mes analyses. J'attends le fichu bzip final de mon fichu analyseur, pour lire un résultat d'insuffisance rénale, et lui expliquer que je ne vais sans doute rien pouvoir faire, ou rien de bien, et finir par lui donner raison.

Je n'ai pas envie de la culpabiliser, pas envie de grand chose en fait. Je me sens fatigué.

Et puis, les résultats sont excellents. Du genre scénario de série à l'eau de rose. Même pas crédibles. tellement pas que je refais un paramètre, en douce. Enfin une bonne nouvelle à annoncer ?

Oui.

- Les résultats sont excellents, vraiment. Son bilan est très bien, regardez-là, ses reins, l'urée, la créatinine, là le foie... On ne va pas la piquer, ça c'est sûr. Maintenant, je vais lui faire une radio, pour vérifier que sa respiration difficile n'est pas liée à une infection profonde. Et si elle est normale, on va simplement soigner ses dents et sa monstrueuse infection dentaire.

Elle ne dit pas grand chose, sourit à peine. J'essaie d'être simple, pédagogue, mais elle ne semble accrocher qu'à mes conclusions. Le reste ne l'intéresse manifestement pas. Je réausculte la cocotte, histoire d'être sûr de ne pas avoir manqué un râle ou une aire silencieuse, et direction la radio.

Lorsque je reviens, la jeune femme est assise par terre.

- Je suis désolée, je ne me sens pas bien...

J'ouvre la porte de sortie directe de la consultation, l'accompagne sur la terrasse de la clinique, lui offre un verre d'eau. Sa chienne campe à ses pieds. Rassuré, je retourne en salle de développement.

Il n'y a pas grand chose d'anormal, ce sont des poumons de vieux chien.

Elle a juste des dents pourries, des abcès dentaires, une plaque de 3mm d'épaisseur, et la douleur, la réaction lymphatique et tout le toutim. A priori pas de septicémie associée, elle me semble "trop bien". De toute façon, on va la bombarder d'antibiotiques, et d'anti-inflammatoires.

J'explique le traitement à la jeune femme, revenue en salle de consultation. Lui détaille le diagnostic, résumant les bons points et les mauvais, lis avec elle l'ordonnance. je lui explique également qu'il faudra faire un détartrage et enlever les dents pourries, d'ici une à deux semaines.

Je ne peux m'empêcher de répéter :

- Vous voyez que les vétérinaires ne piquent pas un chien juste parce qu'il est vieux.

Elle sourit. Son premier vrai sourire depuis qu'elle est entrée.

Et lorsque je lui présente la facture, elle ne peut retenir un : "Oh, mais ce n'est pas cher !"

Que répondre à cela ?

De toute façon, il n'est pas loin de 23h, avec toutes ces conneries.

Plusieurs semaines après, je reste toujours fasciné et surpris par les réactions de cette jeune femme, dont je n'ai d'ailleurs jamais eu de nouvelles. Je n'ai pas pensé à lui demander son numéro de téléphone, et elle n'a jamais rappelé. Je ne sais même pas si elle habite dans la région. Je ne sais pas si mon traitement a fonctionné, si elle a fait détartrer sa chienne.

Et cette consultation, ou cette conversation, me laisse un drôle de goût d'inachevé.

jeudi 28 juillet 2011

Fire

Je suis assis sur la table d'examen. Mes jambes battent dans le vide, un battement court et violent. J'ai les bras croisés, mains cachées, les sourcils froncés, je suis le langage corporel du contrarié en colère.
Fire a eu le plus grand mal du monde à venir de sa cage jusqu'ici. Il s'est couché contre le mur, sa perfusion, un peu dérisoire, posée au sol en attendant. Ses maîtres viennent d'arriver.

Il est 19h30 et je les ai appelés à peine un quart d'heure plus tôt. Il était entendu que si l'état de leur chien se dégradait, je l'euthanasierai. Ils ont apprécié, je l'ai bien senti, que je leur propose de venir le voir une dernière fois, malgré l'heure. Là, ils sont assis par terre, à côté de leur chien, dans cette salle de consultation immaculée où rien ne se passe comme je le voudrais. Pourtant, tout se passe comme nous l'avions prévu.

Lorsque Fire est arrivé lundi, le diagnostic était déjà posé - au téléphone. Son maître m'avait appelé la veille au soir, il ne pouvait pas venir tout de suite, il m'avait décrit une parvovirose, il l'avait d'ailleurs reconnue. J'avais exclu les autres possibilités lors de la consultation, confirmé sa suspicion, et nous aurions du être rassurés. Une parvo à cet âge, sur un chien de ce gabarit, ça se gère. Deux jours de perf', des analgésiques, et il rentre à la maison.

Le propriétaire du chien, je le connais un peu. J'ai déjà vu ses chiens en consultation. réglo, très sympa, inquiet et concerné par le bien-être de ses animaux. De tout petits moyens financiers, alors nous faisons toujours au moins cher, sans lésiner sur la qualité des soins. Disons qu'on rogne sur les options. Là, les options, c'était la numération-formule, et l'analyse viro pour identifier le parvovirus et son possible pote de co-infection, un coronavirus hautement pathogène. De toute façon, une entérite hémorragique comme ça, avec cette petite fièvre, cette douleur abdo, ce frottis sanguin très pauvre en globules blancs, c'est pour ainsi dire du billard diagnostique. Et les nuances virologiques ne changeront rien à la prise en charge, elles expliqueront simplement pourquoi un chien vacciné semble faire une parvo aussi grave.

Le souci, c'est qu'au soir du premier jour d'hospitalisation, Fire n'a pas du tout commencé à relever la tête.

Le lendemain matin, il faisait carrément la gueule dans sa cage. Vaguement inquiet malgré la confirmation olfactive du diagnostic (ceux qui connaissent l'odeur de la parvo me comprendront), je suis revenu l'examiner, le temps de finir de gérer un chat accidenté. Des muqueuses rouge brique, des difficultés respiratoires, de multiples petites hémorragies. Une sirène d'alarme diagnostique, et tant pis pour mes trois rendez-vous.

Une petite heure plus tard, j'avais ma confirmation, en explosant le devis prévu pour une bête entérite hémorragique. Fire a une complication qui, pour faire simple, lui interdit de coaguler. Et pour le soigner, il me faut stopper la cause de la complication (le ou les virus, donc, et peut-être un autre truc sous-jacent), le transfuser et lui filer divers médocs pour le moins risqués à utiliser. Et décider si la patate qu'il a du côté de la rate est une tumeur ou un hématome, pour l'opérer en urgence afin de l'enlever, ce qui est la pire connerie à faire quand son patient ne coagule pas.

Enfin pour faire court et plus simple au niveau prise en charge, regarder cet adorable malinois mourir, et annoncer l'inéluctable à son maître.

Chose que je n'ai pu me résoudre à faire qu'une fois tous les recours épuisés. Conseils pris auprès de vétos plus spécialisés que moi, derniers résultats d'analyses obtenus, venant, tous, un à un, confirmer mon diagnostic et mon pronostic. J'ai repoussé la morphine à Fire, et décroché mon téléphone.

Avec cette voix posée, désolée, factuelle. Annoncer que les choses ne vont pas bien du tout. Expliquer, simplement, une CIVD. Détailler la certitude sur la complication et le doute sur son origine, entre le virus et la rate. La prise en charge théorique, ses risques, sans parler de son prix et de sa faisabilité. L'amener, tout doucement, à ce qu'il sait déjà depuis qu'il a entendu ma voix : l'euthanasie.

Je me suis entendu lui proposer de venir le voir, pour la dernière fois.

Je ne l'avais pas prévu. Et dans ma salle de consultation, assis sur ma table d'examen, les bras croisés et les sourcils froncés, je regarde Fire, épuisé par les dix mètres parcourus, effondré contre le mur. Je sais que je veux l'opérer, je suppose, non, je sais que c'est pour ça que j'ai fait venir ses maîtres, et je ne sais pas si mes jambes battent la mesure de ma colère contre la maladie, contre moi-même ou contre l'infaisabilité de la chirurgie.

Enlever sa rate à un chien qui ne coagule pas ? Ou, si je me suis trompé, faire une entérectomie sur une portion d'intestins nécrosés ?

Alors je m'écoute parler, avec une distance irréelle, et j'ai l'impression d'être l'étudiant qui écoute l'interne expliquer un cas à l'école véto. Égrener à nouveau les points clefs du diagnostic, attaquant chaque hypothèse pour mieux la confirmer. L'entérite virale, la CIVD, l'échographie avec cette rate anormale et ces intestins trop inflammatoires, la radio sans corps étranger. Conclure sur la nécessité et l'impossibilité d'une chirurgie.

Et sur cette brillante démonstration, cette inéluctable conclusion, soupirer, et proposer la chirurgie.

Parce que j'ai pas le courage de ne pas espérer, et que je ne veux pas l'euthanasier. Parce que s'ils n'ont pas les moyens financiers, je ne compterai que le prix des produits anesthésiques et des consommables de chirurgie.

Parce que merde, bordel de cul et tout le reste.

J'ai besoin d'espoir.

Et j'ai un peu honte d'aimer le regard de cet homme à qui j'offre cet espoir désespéré. Ces yeux qui brillent.

Fire inspire comme si l'air était devenu de la boue.

Et ce soir, j'ai juste envie d'être un héros. De faire mieux que les bouquins, que les spécialistes et que la raison.

L'anesthésie s'est remarquablement bien passée. Il y avait bien un hémangiome, et a priori pas de métastases. Les intestins étaient aussi propres qu'ils peuvent l'être lorsqu'ils sont ravagés par des virus. J'ai réussi à ligaturer toutes ces foutues veines, à stopper toutes les hémorragies du mésentère. Moi qui n'aime pas la chirurgie, j'étais fier de mon boulot. Lorsque j'ai suturé la paroi de l'abdomen puis la peau, je me suis surpris à espérer un miracle.

J'ai laissé Fire dans sa cage, pour qu'il se réveille paisiblement. Puis je suis allé en salle de consultation, il était 22h30. les maîtres avaient attendu tout ce temps dans leur voiture, venant aux nouvelles de temps en temps. Ils ont vu les hémorragies, ils ont vu l'intensité de cette chirurgie. Ils étaient heureux lorsque je leur ai expliqué que l'hémangiome était sans doute un facteur de la complication, mais que rien n'était gagné. Que Fire n'avait presque aucune chance, malgré la réussite de l'opération.

Ils n'ont pas voulu me croire, puis ils m'ont remercié. Ils ont caressé Fire qui dormait. Je suis parti me coucher.

Puis, le lendemain matin, je les ai appelés.

samedi 18 décembre 2010

Au fil de l'eau...

... au fil des mots...

Les journées et les nuits s'enchaînent avec une fluide et trompeuse facilité, mais elles me laissent une étrange sensation de temps enfui. Pour la première fois, des ébauches de billets s'accumulent sur dotclear. Pas la tête à écrire. Pas la tête à réfléchir, je me laisse juste porter, balloté de cas tout bête en cas de merde, de petites joies en belles réussites ou en échecs.
Un chat qui sert de corde à nœuds à deux chiens. Hémorragie thoracique, décès en deux jours.
Une chienne de chasse qui se fait juste disséquer un muscle intercostal par une défense de sanglier, sans pneumothorax. Petit chantier là où je craignais un gros boulot.
Une anémie hémolytique des familles, qui vient tester mon dernier protocole immunomodulateur.
Un stagiaire de troisième qui n'imaginait pas qu'il y aurait des choses aussi tristes que des agneaux morts-nés ou l'euthanasie d'une vieille jument. Qui ne pensait pas non plus qu'un "grand" pouvait s'arrêter sur la route pour ramasser une grive en état de choc. Des fois que ça compenserait ?
Il n'imaginait d'ailleurs pas non plus le nombre de papiers que je peux remplir en une semaine. Surtout une semaine avec deux après-midi à faire des visites sanitaires bovines, un genre de questionnaire assez con, surtout chez les éleveurs à deux-trois vaches (pour les "vrais", encore, ça peut ouvrir des pistes de discussion).
J'apprécie beaucoup les conversations avec lui. Il a quoi, 14-15 ans ? Il est un peu en retrait, mais attentif. Branché. Je dois faire bien attention à ne pas oublier son âge, à préparer et débriefer. On ne sort pas indemne d'une première rencontre avec la mort toute nue, d'avec la douleur des gens.
De la prophylaxie, tranquille pépère, cerveau débranché, éviter les coups de pieds - prise de sang, tuberculine, puis vaccin. Routine, routine, confortable routine.
Une césarienne, un p'tit veau dans sa stabu, une perfusion ou deux, un cheval boiteux.
De la compta.
Du givre, de la flotte. Ne jamais oublier mon bonnet.
Ne pas oublier non plus que c'est une mauvaise idée d'aller râper des dents de chevaux quand il fait -2°C. Les entailles sur les mains et l'eau glacée, dur dur.
Tiens, une belle tentative d'arnaque. Je lui offrirai un billet. Des fois que ça puisse servir, ou faire sourire.
Le flot des consultations ne s'interrompt pas, des clients râlent : "oui, mais c'est vous que je veux voir." Je ne peux pas être partout.
Une bête consultation vaccinale, je détecte une masse abdominale, à explorer. Inquiétant. Je parie un hémangiome, une tumeur de la rate. Prise à temps, ce n'est pas méchant, comme le dit la pub.
Piro, piro et piro. Pour changer.
Ah et sinon, monsieur, oui, contre la leptospirose, votre chien aurait pu être vacciné. Il s'en serait très probablement sorti.
Pas comme cette IRC. Fin de règne. Fin de vie.
Belle polyarthrite auto-immune, je suis tout fier, j'ai trouvé une cellule de Hargrave. Beau diagnostic, docteur. J'en parle à tout le monde à la clinique, je suis tout content, et en plus, le chien va super bien. Auto-congratulation.
Je suis tout aussi content d'avoir sorti un pseudo-pit' de sa catégorie. Hop, plus de muselière ! J't'en foutrais du chien méchant.
Touiller du caca d'un effectif de chiens, diarrhée mucoïde un peu étonnante. La coproscopie : un art, un sacerdoce.
Brasser de la pisse, de la merde et du vomi. Pas étonnant que ma femme me demande de virer toutes les saloperies non identifiables et bizarrement macérées qui s'accumulent sur la bonde de l'évier. J'ai l'habitude, je suis vétérinaire.
Belle radio d'un thorax de chat avec de très moches métastases de tumeurs mammaires. Elle n'en a sans doute plus pour très longtemps. Sa propriétaire va s'enfoncer un peu plus dans sa déprime. Les curieux en apprendront plus ici et , et la verront .
Un couple d'anglais m'amène un chat à castrer. Ils aiment la sonorité du mot "châtrer". Étonnante conversation.
Et puis il y a ces souvenirs qui n'arrivent pas à devenir des billets, douleurs à mûrir, à accoucher avant de publier.
L'oreiller, le réveil.
Heureusement, il y a la splendeur des collines givrées, des couchers et levers de soleil d'hiver, toutes les boules de poils et les sourires, des clients, des ASV, des simples passants.

mercredi 1 décembre 2010

Le cas de merde

Le cas de merde frappe sans prévenir.

Le cas de merde arrive en urgence, au détour d'une consultation banale, voire d'une simple visite vaccinale.

Le cas de merde est un compagnon familier, je le surnomme affectueusement le CDM. Mes collègues, au boulot, parlent plutôt de CPF : le Cas Pour Fourrure. Ils me les balancent tous dans les jambes, car je passe pour le House maison. Je me trouve pourtant plus d'affinités avec Cameron. En moins sexy sans doute.

Le cas de merde est complexe. Son diagnostic différentiel est large, il offre de nombreuses hypothèses, à hiérarchiser puis à explorer. Dans un bon cas de merde, les délais de réponse de certaines analyses sont longs, ou les examens sont chers, voire les deux. Et dans un bon cas de merde, quand on a les premiers résultats, ils restent équivoques, et demandent plus d'investigations. Encore mieux : ils offrent une première réponse, on s'engouffre dans l'hypothèse ainsi privilégiée, pour l'abandonner à la lumière d'un autre examen qui révèle les interprétations alternatives possibles pour le premier.

Quand on essaye de vulgariser, d'expliquer simplement un cas de merde au propriétaire du chien, on se retrouve vite à user de comparaisons et de métaphores tellement tarabiscotées qu'on embrouille tout le monde, y compris soi-même.

Le cas de merde idéal est grave, mais parfois, la maladie peut juste être pénible et difficile à prendre en charge (dédicace à la dermatologie), et même pas grave. Du coup, dans ce dernier cas, cela en devient démotivant. Perte d'enjeu, en quelque sorte.

Les cas de merde peuvent s'illustrer sur des grands tableaux blancs plein de flèches et d'hypothèses rayées ou rajoutées. Mes confrères les regardent toujours d'un air effrayé.

Le cas de merde est meilleur s'il est cher : il le sera toujours s'il demande de nombreux examens et une hospitalisation (le temps de comprendre, ou de protéger l'animal avec un perfusion par exemple en attendant de savoir). C'est encore pire s'il se termine par une chirurgie, surtout si c'est une laparotomie exploratrice (quand on ouvre le ventre juste pour voir ce qui se passe dedans). Parfois, le cas de merde coûte une fortune, prend du temps et s'achève par un diagnostic de trouble bénin. Tant mieux pour le chien, mais le propriétaire voit souvent ce genre de conclusion d'un mauvais œil.

Quand un cas passe du statut de simple cas à celui de cas de merde, il faut l'expliquer au maître de l'animal, et là, les choses se gâtent. Les gens admettent bien que la maladie de leur animal puisse être compliquée, mais pas que l'on ne trouve pas ce qu'il a, surtout si on l'a gardé hospitalisé 24 heures, le temps de l'observer et de mettre les choses à plat.

Il est horrible d'expliquer un diagnostic différentiel à un client. D'abord, c'est long et fastidieux, et la démarche n'est pas intuitive pour ceux qui ne pratiquent pas le raisonnement diagnostique. En général, les gens s'arrêtent sur un point, et bloquent dessus. Ils finissent par admettre la hiérarchisation des examens et des déductions, mais ont du mal à saisir l'interpénétration des choix liés à la pure logique médicale, de ceux liés à la faisabilité des examens, et de ceux liés à leur coût ; nous aussi, parfois, parce que les gens sont rarement clairs dans l'expression de ce qu'ils désirent pour leur animal (en dehors du fait "qu'il ne souffre pas, docteur").

Le propriétaire du cas de merde peut être extrêmement pénible, désagréable, voire franchement con. Il peut aussi être adorable, ne me faite pas dire ce que je n'ai pas dit. Dans cette dernière éventualité, les cas de merde sont beaucoup moins stressants. Parfois, c'est l'animal lui-même qui compliqué sérieusement le cas de merde : allez passer des heures à soigner un chien qui essaye de vous mordre, un chat sauvage, ou un animal qui déverse en permanence des fluides fétides, purulents, répugnants. Un vrai sacerdoce.

Pour que le cas de merde devienne encore pire, il est idéal que les propriétaires aillent se mêler de la démarche en farfouillant sur le net, en contactant un deuxième véto voire en embarquant l'animal chez un confrère, de préférence avec des résultats partiels et aucun élément de la démarche diagnostique en cours.

Une variante de ce dernier point me désespère : quand on commence à me parler d'homéopathie, de fleurs de Bach ou d'autres "médecines alternatives". Ne me mettez pas ces choses au milieu de mon œuvre. Ou démerdez-vous sans moi. Those damned bastards put midichlorians into the pure sanctity of the Force. Ou un truc comme ça.

Le top, c'est quand un médecin pour humains se mêle de mon cas de merde. En me prenant de haut, en balançant un diagnostic ou un commentaire lapidaire, et en mettant la vie de l'animal en danger. Dédicace aux endocrinologues (ou apprentis endocrinos) qui confondent diabète sucré du chien et diabète sucré de l'humain.

Le cas de merde se déplace parfois en bande. Pour moi, un cas de merde par semaine est une fréquence bien suffisante. C'est l'enfer quand j'en ai trois ou quatre en même temps. J'en perd le sommeil.

Le cas de merde est la quintessence du cas complexe, lourd, nuancé, difficile à expliquer, cher et de mauvais pronostic.

Quand le cas de merde s'en sort, je suis un héros. Au moins pour moi-même. Parfois, ou souvent, les propriétaires des animaux ne réalisent pas. Pas grave.

Quand le cas de merde meurt, je suis parfois un héros, parfois un incapable qui se permet de sortir une grosse facture en plus. Moi, en général, je suis fracassé.

En fait, un cas de merde, c'est comme un cas intéressant, mais avec l'empathie et l'investissement émotionnel en plus.

mercredi 21 juillet 2010

Radiographie

Voir dans son patient : le pied ! L'idéal diagnostique ! T'as mal où Kiki ? Là ? OK, attendez madame, j'ouvre, on va voir ce qui se passe.

Ou pas : madame n'étant presque jamais d'accord (Kiki non plus), et les profs nous bassinant avec des histoires d'examens les moins invasifs possibles. C'est à dire causant le moins de tort possible à l'animal.

Présente dans la totalité des cliniques vétérinaires et dans la plupart des cabinets, la radiographie est le moyen d'imagerie médicale le plus courant et le plus utilisé, juste avant l'échographie et loin devant les scanners et IRM. Pour ces trois derniers examens, on verra une autre fois : aujourd'hui, on discute radio.

Une radio, comment ça marche ?

Le principe est simple, et on ne va pas rentrer dans les détails. La radiographie consiste à envoyer des rayons (les fameux rayons X, du coup en anglais on ne dit pas a wédhio (avec l'accent) mais a x-ray), lesquels rayons vont plus ou moins traverser ce qui se trouve entre le foyer et le film radiographique. Entre le foyer et le film, hormis des accessoires pratiques, on pose Kiki. Minou. Ou qui vous voulez. Et les tissus de l'animal vont plus ou moins empêcher les rayons X d'atteindre le film radio, ce qui va dessiner des ombres : là où les rayons X frappent sans problème le film (genre, à côté du chien, ou bien là où il y a plein de gaz (comme dans les poumons !)), ce sera noir. Si Pluto a avalé les gants de Mickey avec leurs boutons en métal, l'ombre des boutons, qui empêchent complètement les rayons X de passer, sera blanche. De plus, il aura probablement mal au ventre. Dans l'intervalle entre le gaz et le minéral/métallique, il y a tout le reste, qui absorbe plus ou moins les rayons X : les os absorbent beaucoup (ils sont donc très blancs), les muscles moins, etc, et tout ceci nous donne un dégradé d'ombres qui permettent de voir les organes et les tissus.

Sur la radio ci-dessous, celle du thorax d'un chat, de profil, on voit des points blancs très blancs : c'est métallique, ce sont des plombs de chasse.
Ensuite, on voit des structures très blanches, mais moins : les vertèbres, le sternum, les côtes, etc : les os.
Ensuite, il y a des masses assez blanches, presque autant que l'os (le "presque autant" vient notamment du fait que la radio n'est pas d'excellente qualité) : ce sont des tissus assez denses et épais : le cœur, le foie.
Enfin, il y a des structures presque noires : ce sont les zones pleines de gaz : les poumons, la trachée, et l'air autour du chat.

Chat plombéChat plombé, radiographie légendée

Comme la radioscopie est un examen des ombres, l'image est bi-dimensionnelle : le chien peut bien faire 20 centimètres d'épaisseur, sur un profil, on voit tout sur le même plan. Pour bien localiser une lésion ou vérifier qu'il n'y ait rien de caché derrière un os ou un organe très dense, on a donc tout intérêt à faire au moins deux clichés d'incidences différentes, par exemple une face et un profil.

Les films radiographiques, une fois le cliché pris, sont développés, comme des pellicules photographiques d'avant les appareils qui ont un écran derrière (j'ai pris un coup de vieux avec une jeune cousine en sortant un vieil argentique, l'autre jour : "quoi, on peut pas voir la photo ?"). On peut le faire à la main, ou avec une machine.

En radiographie humaine, toutes les radiographies sont aujourd'hui numériques : il n'y a plus de film mais un capteur qui reçoit les rayons non absorbés par le corps. On le fait aussi en médecine vétérinaire, car c'est exactement la même chose, en vachement mieux et en vachement plus cher. Toutes les photographies de radio que vous verrez sur ce blog sont celles de radiographies classique. Vous pouvez voir de magnifiques radios numériques sur le site de Kikivet, par exemple. Âmes sensibles s'abstenir, mon confrère développant des cas cliniques avec forces photographies, parfois assez... spectaculaires.
Oui, j'espère un jour posséder ce matériel, mais on discutera coût un peu plus loin.

Une radio, à quoi ça sert ?

Examen complémentaire

Une radio, c'est ce qu'on appelle un examen complémentaire. J'ai évoqué les différents types d'examens ici, je n'y reviens pas. Le but est donc de compléter un examen clinique en visualisant certaines structures internes de l'organisme.

On peut faire des radios de tout, mais, en pratique, les appareils des vétérinaires pour animaux de compagnie permettent de radiographier les chiens, les chats et la plupart des nouveaux animaux de compagnie. Un véto équin aura tout ce qu'il faut pour ses patients. Un pur rural n'aura pas de radio, car il n'y a pour ainsi dire pas d'indication économiquement viable de cet examen pour les bovins (mais techniquement, pas de problème, on radiographie pas mal de vaches dans les écoles vétérinaires). La seule limite est l'épaisseur : plus on radiographie épais, moins l'image est bonne. Les radios thoraciques et abdominales de grands animaux sont donc peu pratiquées, et j'ai personnellement beaucoup de problèmes à radiographier des épaisseurs supérieures à 25-30 cm avec ma machine.

Parmi les indications de la radiographie, citons :

  • les fractures, luxations et autres anomalies osseuses et/ou cartilagineuses

Radio : fracture tibia + fibulaRadio : fracture réduite

Ici, un tibia et une fibula fracturés, avec une grosse esquille, avant et après réduction. La réparation a été faite avec un pansement de Robert-Jones, qui a grosso-modo les mêmes indications qu'une résine. Une chirurgie aurait été plus indiquée mais les gens n'en avaient pas les moyens.

  • les affections cardiaques (on peut apprécier sur une radio la taille, la forme et la position du cœur)
  • les affections pulmonaires (un poumon, c'est censé être plein de gaz.

Radio thoracique de chienne : carcinome mammaire métastatique

Je vous avais déjà parlé de cette louloute ici, avec son carcinome mammaire métastasé.

  • les pathologies digestives (je vous ferai un billet sur les trucs idiots qu'on trouve dans les estomacs et intestins de nos compagnons)
  • et tout plein d'autres trucs que j'oublie, comme par exemple les épanchements, la recherche de corps étrangers...

Radio : hémothorax

Ici, on voit que le poumon est soulevé, on ne distingue plus le cœur : la cavité pleurale, entre les côtes et les poumons, était pleine de sang suite à une intoxication aux anti-coagulants.

la radiographie est donc utile au diagnostic, mais également au pronostic, ainsi qu'au suivi : les radios peuvent être répétées pour constater l'évolution d'une maladie.

Dépistage

La radiographie peut aussi être employée dans le dépistage de certaines anomalies : la différence avec ce dont je viens de parler, ce que l'on fait la radio a priori, sans constater de symptômes, pour savoir si l'animal est atteint d'une anomalie qui n'a pas, au jour de la radio, de conséquence sur sa santé.

Je pense par exemple à la maladie naviculaire chez les équidés, mais le plus important de ces dépistages, à mon niveau, est celui de la dysplasie de la hanche chez le chien. Je ne vais pas m'attarder sur ce sujet qui pourrait nous occuper un bout de temps, promis, je ferai un billet.

Un truc sympa aussi, c'est le comptage de bébés, ce n'est ni du dépistage ni du diagnostic. Combien de chiots sur la radio ci-dessous ?

Radio de Gestation

Les limites

On ne peut pas tout faire avec une radiographie - d'ailleurs, si c'était le cas, on n'aurait pas inventé l'échographe ou le scanner. Les limites techniques sont évidentes, vous les avez devinées en lisant la première partie, ci-dessus :

  • on ne voit un organe ou un tissu que s'il y a une différence de contraste dans les ombres qui impressionnent le film : on ne voit donc quasiment pas les différents muscles, par exemple
  • on ne voit pas un organe caché par l'os : le cerveau par exemple.
  • c'est une photo : on ne voit donc pas les organes en mouvement (contrairement à l'échographie)
  • la résolution est limitée (quoique ce soit bien meilleur en radio numérique) : on ne voit pas les tout petits détails.

Voici également une photo et une radio que j'utilise beaucoup en consultation, pour expliquer aux gens pourquoi on ne peut pas voir si leur chien a mangé du plastique, du verre ou une éponge, pas plus que je ne peux repérer l'épillet qui s'est enfoncé entre ses doigts.

Objets diversObjets divers radiographiés

Ça se passe de commentaire, non ? Imaginez en plus que l'on superpose à ça le foutoir interne d'un animal !

Et puis il y a des limites pratiques : s'il l'animal bouge, le cliché sera raté, il faut donc l'immobiliser ou l'anesthésier.

Une radio, combien ça coûte ?

Quand vous payez une radio, que payez-vous ?

  • Les locaux : murs et porte à l'épreuve des rayons X, avec des normes assez contraignantes (mais qui se sont assouplies assez récemment).
  • La machine à radiographier est très onéreuse. 5000€ en occasion pour une radio classique retapée, robuste mais à la résolution limitée, 15-20000€ pour une radio numérique neuve, et les prix peuvent évidemment être très supérieurs selon la puissance du foyer, la possibilité de déplacer l'appareil, et, pour les radios numériques, la résolution, les possibilités logicielles etc.
  • Une développeuse coûte entre 1000€ (occasion) et 2-5000€.
  • Le "petit" matériel nécessaire coûte quelques centaines d'euros (cassettes, grilles de renforcement, tabliers en plombs...) mais il a une très longue durée de vie.
  • Les consommables : les films de radiographie classique ne coûtent pas très cher, par contre les produits chimiques (révélateur, fixateur) sont plus onéreux, mais par radio cela revient à quelques euros.
  • La réglementation : chaque appareil de radiographie doit être manipulé sous le contrôle d'une personne compétente en radioprotection (formation obligatoire, à renouveler tous les 5 ans, qui prend du temps en plus de coûter cher), l'appareil doit être aux normes ou contrôlé régulièrement si c'est un vieux bousin, des dosimètres d'ambiance et personnels qui mesurent la quantité de rayons X doivent être installés et renouvelés récemment, chaque radiographie doit être identifiée, stockée et enregistrée (avec les paramètres utilisés).
  • Et le radiologue ! Voire les manipulateurs, si il y a besoin de plusieurs personnes pour faire un cliché.

Au final, selon le type de radio et le nombre de cliché, une radio est en général facturée entre 20 et 50 euros.

Au sujet de la réglementation : l'idée est que les rayons X ne sont pas anodins. Une exposition répétée à ces rayonnements est un important facteur de risques de cancers, ou autres anomalies de la multiplication cellulaire (les rayons X peuvent abîmer l'ADN des cellules, ce qui est d'autant plus préjudiciable si elles sont en train de se multiplier). C'est pour cela que nos salles de radio sont interdites aux femmes enceintes, et à celles susceptibles de l'être (mesdames, mesdemoiselles, ne vous vexez pas si votre véto vous fout à la porte de la salle radio, il y a des risques que l'on ne prend pas). Quelques clichés, ce n'est pas dangereux, ne surestimons pas non plus le risque. Nos dosimètres nous indiquent d'ailleurs que les doses reçues dans notre pratique quotidienne sont très largement inférieures aux doses dangereuses (elles sont même nulles dans notre clinique).
Pour votre animal, ce n'est pas dangereux non plus : quelques clichés ne feront pas un cancer. C'est la répétition qui est dangereuse (mais vous n'amenez pas votre chien faire des radios tous les trois jours chez votre véto, non ?).

N'hésitez pas à poser des questions. Maintenant que j'ai eu le courage de rédiger ce billet, je vais pouvoir vous noyer de radiographies.

Notez que de nombreuses radiographies sont disponibles en ligne sur mon compte Flickr. Elles sont toutes sous licence paternité - partage selon les conditions initiales Creative Commons. Vous devez en citer la source (du genre : par Fourrure, http://www.boulesdefourrure.fr ) et vous ne pouvez les distribuer, même modifiées, que sous la même licence. Alors si ces photos peuvent vous servir à illustrer un article, un cours, ou je ne sais quoi d'autre, n'hésitez pas.

lundi 5 avril 2010

Entraînement radiographique

Il va falloir que je me passe cette habitude de me passer la main sur le crâne ou sur le menton quand il y a un truc que je ne comprends pas. En plus, je finis par poser ma main devant ma bouche et devenir inintelligible.

Le chien est allongé sur la table de radio, anesthésié. Un caniche plutôt sympa, carrément pas dérangeant dans son état actuel, que l'on m'a confié pour des radiographies du genou. Je dois dire que je n'ai pas beaucoup approfondi l'examen clinique : mon confrère l'a vu la semaine dernière pour une boiterie du postérieur gauche, intermittente, sans douleur à la palpation/pression/mobilisation du membre. Sans luxation de rotule. Il a supposé une dégénérescence puis rupture du ligament croisé, a mis le chien 5 jours sous anti-inflammatoires pour vérifier s'il y avait une amélioration avant de passer sur la table de radio, sous anesthésie générale, pour une recherche de signes radiologiques de rupture du ligament.

Je ne suis pas un grand orthopédiste, c'est le moins que l'on puisse dire, mon confrère n'est pas là, lorsque je manipule les deux genoux j'ai la même impression de laxité modérée, mais normale, ou pas ?

Il y a quelques années, un emmerdeur m'avait confié son berger allemand pour les mêmes radios. Cette fois-là, il était resté parce que le chien était un peu plus difficile à manier que ce petit bout, et comme il avait été manipulateur radio, il ne voulait pas manquer ça. Je le sentais puant, je le sentais mal. Ça n'avait pas loupé. Très doctement, il m'avait expliqué que mon idée de rechercher une rupture d'un ligament sur une radio était idiote, puisque les ligaments ne se voient pas à la radiographie. Depuis longtemps je prépare un gros billet "de bases" sur la radiographie, avec plein d'images, promis, je le ferai. (EDIT : Je l'ai fait !).
Il avait raison, bien sûr : cette méthode d'imagerie permet de voir les os, les articulations, les formes d'un certains nombres d'organes et, en fait, beaucoup de choses, mais pas les ligaments, qui sont invisibles sur ces images.
Certes.
Mais le ligament croisé antérieur, situé dans l'articulation du genou, permet d'empêcher que le tibia ne bascule en avant par rapport au fémur. Pliez le genou à angle droit, si votre LCA est rompu, on peut faire avancer le tibia vers l'avant. On appelle ça le signe du tiroir, mais il est facile de l'empêcher en contractant les muscles de la cuisse. Un médecin peut demander à son patient de se décontracter, mais il est rare que les chiens ne résistent pas un brin. Donc on fait la même chose, mais sous anesthésie générale et sur une radio de profil du genou, ce qui permet de voir très précisément l'importance du tiroir, et de constater les éventuels dégâts annexes, de l'arthrose par exemple.

Ce matin, j'avais décidé de faire une belle radio de tiroir, dans l'idée, d'ailleurs, de vous la présenter sur ce blog. Pour le billet dont je parlais plus haut. Et puis, je voulais me prouver que j'en étais capable.

Genou gauche, premier cliché, mauvais angle. Deuxième essai, à peine mieux. Troisième, impeccable. Mais pas de tiroir. Et le fémur en légère rotation, je reprends.

Rien.

Je fais une radio de bassin de face, histoire de voir toutes les articulations des membres et les deux genoux.

Impeccable. Rien à signaler.

Pourtant ce caniche a forcément une rupture de LCA. Je lui remanipule les articulations, mais je ne suis pas sûr de moi. Ce genou droit est aussi peu mobile que le gauche. Et mon confrère qui est en train de piquer des vaches ! Je reconsulte ça fiche, tout colle. C'est obligatoirement un LCA.

Je fais une radio de face du genou, pour voir. Rien à dire.

Enfin, Olivier pousse la porte de la clinique. Je lui montre les radios, lui explique tous mes essais, je lui dis que je ne trouve pas de tiroir, mes clichés sont, techniquement, parfaits. J'espère qu'il aura une idée.

- Fourrure.
- Oui ?

Il faut que je me vire cette main de devant la bouche.

- C'est l'autre genou.

OK.

Il a raison.

Le gauche.

J'ai fait cinq superbes radios du droit (enfin, dont deux pas trop superbes, mais bon).

Il ne me faudra qu'un seul essai pour réussir mon cliché du genou gauche. Je m'entraînais, c'est pour ça, bien sûr. Je me vois déjà à ce soir, quand je rendrais ce loulou.

- Alors, comme vous le voyez sur cette radio du genou gauche, le tibia s'avance beaucoup par rapport au bord du fémur, on voir bien la différence avec cette radio du genou droit, qui, lui, est vraiment nickel...

Ahem.

Bon, je vous rassure, je n'ai facturé que deux radios, pas 6 ou 7...

jeudi 17 décembre 2009

Douche froide

- J'ai un chien qui a 40°C, je peux vous l'amener ?

21h00. Je suis rentré depuis une demi-heure à peine de la clinique, mais... nous sommes en pleine saison de piroplasmose, mieux vaut ne pas laisser traîner une fièvre...

- Ça marche. je vous attends dans un bon quart d'heure à la clinique.

Finalement, j'aurais été un peu avance. De quoi faire un peu de paperasse, j'ai un ou deux signalement de chevaux à compléter et des factures à préparer.

Juste avant l'arrivée d'Uno.

Ce bonhomme a l'air en bonne forme. Un grand bleu de Gascogne, le genre de chien "AHOU AHOU" à courir des heures derrière les sangliers puis à arriver ici en remuant la queue, les boyaux dans une couverture tenue par le chasseur. Des rudes. Passage sur la balance, et direction la table de consultation. Son propriétaire est un grand gaillard, pas de première jeunesse, que je ne vois qu'une ou deux fois par an. Pas souvent de casse dans sa meute, et ses chiens sont bien soignés. Celui-ci est magnifique, d'ailleurs. Cinq ans, gentil comme tout, bien nourri, je n'ai pas de fiche sur lui.

- Il n'a jamais eu de souci de santé ?
- Non, pas lui.
- Jamais de piro, pas touché sérieusement par un sanglier ?

Le visage rougi par le contraste entre le froid extérieur et la chaleur accueillante de la clinique, M. Pantel réfléchit. Puis secoue la tête de droite à gauche. Lentement. Non.

- Ça a chassé fort ces derniers jours ?
- Pas plus que d'habitude.

La saison de chasse s'avance, ce chien semble en très bonne condition physique. Il a 39.4 de fièvre, des muqueuses un poil congestionnées, une respiration courte et rapide, une discrète discordance et parfois un souffle de respiration buccale. Je vais quand même commencer par un frottis piro, on ne sait jamais. J'aimerais bien que ce soit une piro. Je serais vite de retour chez moi.

Une goutte de sang étalée sur une lame, et je pars en exploration sur mon microscope. Le frottis est de bonne qualité. Les rouges sont normaux, il y a pas mal de blancs, sans plus, et pas de Babesia canis à l'horizon. Faire le tour de la lame pour en être certain me prend presque cinq minutes, pendant lesquelles je continue la discussion avec M. Pantel. On parle de son chien, "le plus vaillant, toujours devant !", du froid, de la piro, de son chien encore "il n'a pas voulu manger ce soir". Moi, j'annonce que je ne trouve pas de piro. Il me fait remarquer que son chien respire vite. Les yeux toujours rivés sur mon microscope, lui confirme son impression. Je lui parle de la discordance, cette désynchronisation respiratoire indicatrice de difficultés thoraciques, et de la respiration buccale, mauvais signe en général.

De retour près de Uno, je pose à nouveau mon stéthoscope sur son thorax, pour une auscultation approfondie. Cette fois, le silence est religieux. J'écoute et décompose, j'isole les sons, joue sur la tension de la membrane de mon sthéto pour entendre diverses fréquences, continuant à dérouler en esprit les possibilités qui déjà m'assaillaient alors que j'étais encore sur mon microscope. Une pneumonie, le plus probable. Une hernie diaphragmatique, pourquoi pas, un vieux coup sous-estimé aurait pu la provoquer. Épanchement pleural, bof, le son est trop clair. Atteinte bronchique, certainement pas, le son est propre. Le cœur a l'air correct, mais méfiance, tout ne s'entend pas. Cancer ? Et pourquoi pas ? Peu probable cependant.

Il n'y a pas de bruits surajoutés, l'air d'auscultation pulmonaire est normale, le son est juste un peu renforcé, la respiration trop rapide, trop courte, avec prolongement buccal. Une radio est indispensable.

M. Pantel m'accompagne au fond de la clinique. Je porte Uno, extrêmement calme, dans mes bras, pour le basculer sur la cassette radio. Son thorax se découpe dans l'aire lumineuse de mon vieux générateur à rayons X, tandis que je pousse doucement le chasseur vers l'extérieur.

- Il est gentil comme tout, il ne bougera pas, ne vous inquiétez pas. Sortez, il est inutile que vous receviez des rayons. Moi, j'ai mon tablier de plomb.
- Ah bon, ça fait des rayons ?
- Oui, des rayons X, c'est ce qui permet de voir à travers le corps.

Effectivement, Uno ne bouge pas. Le patient idéal, celui qui confère au terme "patience" toutes ses significations. Je sais que mon client, lui, commence à réaliser que les choses pourraient bien être sérieuse. Il vient de me répéter, comme pour nous en convaincre, que Uno est "le plus vaillant, toujours devant".

- Il a très bien chassé dimanche dernier.

Le cliché est pris en un instant. Je repose le chien au sol, qui s'avance calmement vers son maître en passant par la porte entrouverte. Moi, j'attends que la développeuse finisse de chauffer en remplissant le registre des radios, en reposant le dosimètre sur son support et en préparant l'étiquette d'identification du cliché, ainsi que son enveloppe. Il y a encore au moins cinq minutes à tuer. De quoi compléter la fiche d'Uno, récapituler et affiner. Il n'y aura que quelques lignes, finalement. M. Pantel regarde mes doigts voler sur le clavier.

Venu pour abattement, n'a pas mangé ce soir, était bien hier, a chassé dimanche comme d'hab.
39.4, muqueuses un peu congestionnées, respiration rapide, discordance, respiration buccale, auscultation normale sauf renforcement des bruits bronchiques. pas de toux.
Palpation abdo et clinique RAS
Frottis RAS
Urines du 1.050, heller -, bandelette RAS

Je pourrais faire une numération-formule, mais j'abandonne rapidement l'idée. De toute façon, je sais déjà que c'est une infection, et la radio me dira tout ce que j'ai besoin de savoir. D'ailleurs, la développeuse vient de bipper. Dans deux minutes, j'aurais mes réponses. M. Pantel attend. Il regarde son chien. Uno, lui, renifle les sacs de croquettes. Il n'a pas l'air malade. Ça va mal finir.

La radio est sur le négatoscope. Elle est de bonne qualité même si le chien n'est pas parfaitement de profil. Il y a une vilaine densification de toutes les aires pulmonaires. Pneumonie. Mais ce n'est pas le pire. Le cœur est énorme, difforme, une grosse outre molle évoquant irrésistiblement une cardio-myopathie dilatée. Je ne crois pas que ce soit le péricarde qui soit remplit de saloperies, ça ne cadrerait pas avec l'auscultation. Maintenant, il va falloir expliquer ça.

Alors je déroule. La pneumonie, infection discrète et progressive, facile à manquer. Peu de symptômes. Le cœur, très probablement une maladie du muscle nommée cardio-myopathie dilatée, asymptômatique pendant très longtemps. Oui, le chien peut être "très vaillant, toujours devant", même si c'est ancien.

Le visage de M. Pantel est rouge. Cette fois, ce n'est pas le contraste de températures. Il ne dit rien. Il m'écoute, et regarde son chien, suit mes doigts sur la radio, observe le bouquin dans lequel je lui montre des clichés normaux, pour comparer. J'explique la pathogénie, puis propose le traitement. Des antibiotiques, pour la pneumonie. Pour le cœur, je pense savoir quelle molécule serait la meilleure, mais c'est un traitement très cher pour un chien de ce poids. Alors pour l'instant je n'insiste pas, je sais que les gens adhèrent difficilement à ce genre de diagnostic, justement parce que le chien est "vaillant, toujours devant". Comment croire que son chien est gravement cardiaque quand on le voit chasser comme un athlète ?

Ma mission ce soir est de donner un diagnostic, de préciser un pronostic. Pour la pneumonie, et pour le cœur. Le traitement antibiotique. Je lui parle d'échocardiographie, je lui précise le prix, la nécessité de faire appel à un spécialiste pour ce diagnostic, pour affiner, pour choisir le meilleur traitement. Parce que c'est cher, parce que ce n'est pas anodin. Parce que c'est à vie. Mais très efficace. Je sais qu'il ne faut pas insister ce soir. M. Pantel est très raide, il regarde son chien... à quoi pense-t-il ? Je pense qu'il me croit, là n'est pas le problème. Mais il ne réalise pas. Je sens qu'il a accusé le coup sur "traitement à vie". Que la mention de la nécessité d'un spécialiste aussi a fait son effet. Il va lui falloir un peu de temps. Mais son regard sur son chien. On dirait presque qu'il se sent trahi. Il ne me pose qu'une seule question :

- Mais le cœur, c'est pas d'hier quand même ?

Non, le cœur, c'est ancien. La pneumonie a peut-être été facilitée par une mauvaise vascularisation pulmonaire, et c'est la pneumonie qui m'a permis de voir la cardio-myopathie dilatée. C'est une chance qui est donnée à Uno, quand il aurait pu se retrouver mort au court d'un grand debout, au détour d'un taillis, un jour où le cœur n'aurait pas supporté d'être "le plus vaillant, toujours devant".

De toute façon, en mon for intérieur, je sais qu'il n'y a pas urgence pour Uno, pas pour son cœur. Je donne un rendez-vous pour dans trois semaines, pour une radio de contrôle. S'il ne m'a pas recontacté d'ici-là, le nouveau cliché me donnera une nouvelle chance de le faire adhérer. De l'amener à l'échocardiographie, puis au traitement.

Parfois, il faut savoir donner du temps.

mardi 6 octobre 2009

Echec

L'échec est un vieux compagnon de route, qui sait à chaque détour me surprendre par une nouvelle et sinistre facétie. Il me hante lorsque j'examine, lorsque je diagnostique, lorsque je traite, lorsque je dissèque ou que je ligature. Il guette mes absences, mes faux-pas, nourrit mes angoisses et alimente mes doutes.

Il me fait avancer, aussi. Me pousse dans mes recherches, lorsque je feuillette mes bouquins ou explore les recoins de la toile. L'échec me fait revoir mes copies, reconsidérer mes positions, apprendre, tout simplement.

L'échec est quotidien. Je tente de le maîtriser, je contrôle et observe, téléphone et préviens. Méfiez-vous monsieur, s'il se passe ceci, ou s'il ne se passe pas cela, téléphonez-moi, prenez un rendez-vous, ramenez moi votre compagnon. Appelez-moi aussi si tout se passe bien. Désormais, pour nombre de chirurgie, mes forfaits opératoires comprennent une consultation de contrôle, bien avant le retrait des points. Lorsque je traite une otite ou un ulcère cornéen, il y a toujours plusieurs consultations de contrôle. A moindre coût, voire presque gratuites si elles se multiplient.

Dès que quelque chose ne se passe pas comme prévu, je reprends mon diagnostic, cherche la faille dans le traitement - ai-je mal choisi, ou bien ne l'applique-t-il pas correctement ? Le produit est-il bien instillé au fond de l'oreille, ou le maître le dépose-t-il à l'extérieur, de peur de faire mal ? Une démonstration, une discussion à bâton rompus, un comptage des quantités restantes sont autant d'axes d'exploration. Un examen complémentaire, repoussé en première intention, peut être réalisé. Une bactériologie et un antibiogramme, par exemple. Des radios, que sais-je ?

Souvent, l'échec ne prête pas à conséquence. Au pire, il retarde la guérison.

Mais parfois, l'échec tue.

Parfois, l'échec naît de mes erreurs. Manque de connaissances, mauvaise compréhension d'un signe, ou d'un symptôme, le diagnostic peut être faux, ou incomplet. Je peux avoir vu l'arbre, et manqué la forêt. Trouvé la conséquence, l'avoir confondue avec la cause. L'échec est rarement surprenant : plus le temps passe, et plus je vois venir ses coups fourrés, ses trahisons. Plus je me prépare, donc à le recevoir. Et plus je prépare le propriétaire de l'animal à le reconnaître, et, avec moi, à le transformer en étape diagnostique ou thérapeutique. Si je continue à nourrir mes doutes - et mes angoisses - cet échec là mourra.

Parfois, l'échec est celui du propriétaire. Celui qui refuse d'admettre une maladie, ou un traitement, à cause de ses convictions, ou de ses peurs. Il me faut alors expliquer, décortiquer, justifier, manipuler parfois. L'amener à comprendre les conséquences de ses choix, ou de ses maladresses. Redresser la barre, si c'est possible. Plus le temps passe, et plus cet échec devient mon échec. Je me l'approprie, jalousement, le refuse au maître, cet irresponsable, je m'accuse et me juge, sans témoin, sans juré. Je suis mon procureur, et mon avocat. J'aurais du le voir venir, j'aurais du deviner, j'ai oublié de préciser. Il ne pouvait pas savoir, il a mal compris, c'est ma faute. Cet échec là m'use, car il m'entraîne dans de longues explications, tours et détours, précautions, justifications. Je dois susciter l'adhésion, l'enthousiasme, nourrir et entretenir la motivation du maître, de sa famille, savoir que telle personne recevra tel message quand telle autre nécessitera celui-ci. Au risque de me noyer, de me perdre, et de perdre, aussi, celui que je tente de protéger. Trop d'explications tuent l'explication, et, lors des plus longues démonstrations, je conclus toujours par un "je sais, je vous ai noyé d'informations, et tout n'est pas simple. N'hésitez pas à me téléphoner si vous souhaitez des précisions, si vous avez des questions."

Et parfois, l'échec n'est ni le mien, ni celui du maître.
C'est celui d'un système : l'argent limite toujours nos possibilités, et là réside l'une des différences fondamentales avec la médecine humaine telle qu'elle est pratiquée dans notre pays. Combien vaut un diagnostic, celui d'une affection simple, celui d'une grave maladie ? Celui qui condamne à une mort certaine, ou à une lente agonie ? Celui qui n'amène même pas un traitement, éventuellement superflu ? Quelle est la valeur de la vie ? Cet échec là est forcément injuste. Il peut être logique, justifié, mais il reste révoltant, à moins de se blaser, de se blinder. Il faut alors l'accepter, et le négocier. Quand je peux, je propose un étalement des paiements, une remise, une solution alternative. Parfois, même, des soins gratuits. Mais un animal reste un animal. Se révolter ne doit pas le faire oublier.
L'échec peut aussi être celui d'une société. De sa stupidité. De celui-ci, nous sommes tous responsables. Comme l'euthanasie d'une chienne qui ne l'a jamais méritée. Alors, j'essaie de le contourner, de le contenir, mais au prix de quelles responsabilités ? A mon petit niveau, j'essaie d'aider, et je frémis lorsque je lis, et vis, ces échecs, qui, eux, ne concerne pas "simplement" des animaux.

L'échec, enfin, peut être le signe de notre impuissance face à la maladie, face à la mort. Inéluctable et naturel, cet échec est, sans doute, le plus facile à admettre. Ce qui ne le rends pas, forcément, moins douloureux.
Pas de dialyse ou de greffe de rein pour une IRC. Mais la souffrance, la solitude.
Plus d'antalgique pour l'arthrose terminale, la douleur, et la paralysie. Plus de jeu, plus de pirouette.
Plus d'antibiotique, non plus, contre la bactérie, celle qui a gagné, la résistante, l'immortelle.

Avec le temps, ces échecs deviennent plus durs, plus violents. Parce qu'autrefois, j'étais remplaçant, ou assistant. J'étais une ombre, une petite main. J'avais ces piliers derrières lesquels me dissimuler, ou me défausser, quelqu'un sur qui m'appuyer. Les animaux étaient des cas, des nouveautés, leurs maîtres, des inconnus.

Mais le temps passe.

Je ne suis pas seul, mais on compte sur moi, on s'appuie sur moi. Mais je ne suis pas prêt, pas encore ! Je ne peux plus écouter le sage et m'y fier aveuglément. Le doute infiltre les avis de mes pairs, ce doute nécessaire à tout diagnostic, à toute décision. J'ai perdu cette confiance naïve, au plus grand bénéfice de mes patients, sans doute.

Mes patients vieillissent et meurent, quand je les ai vu naître et grandir. Mes clients souffrent et pleurent, et leur douleur me touche d'autant plus durement que j'ai fait son premier vaccin à leur boule de poils. Empathie, et sympathie.

Un médecin généraliste proche de la retraite me disait que sa patientèle vieillissait avec lui. Et que, désormais, ses patients mouraient.

Ce bien triste billet est une pensée, une pensée pour Corneille, âgé de trois ans, qui meurt ce soir.
J'ai observé ses premiers pas de bébé, j'ai pansé sa patte cassée dans une chute d'escalier, je l'ai confié aux bons soins de mes confrères plus spécialisés pour sa fracture, pour ses problèmes oculaires, pour sa peau infectée. Je l'ai accompagné, avec ses maîtres, dans leurs projets fous de portées et de bébés, ces rêves jamais réalisés. J'ai vécu l'arrivée de sa promise, qui restera sa "chaste fiancée", j'ai rassuré sa maîtresse, encouragé son maître. Corneille n'a jamais été en bonne santé, et, au fil du temps, est née une vraie complicité. Ses bobos et ses blessures, son foutu voile du palais, son bout de langue rose toujours promptement retiré lorsque j'essayais de l'attraper : terminé. Parce qu'une bactérie a décidé de résister. Une "bête" infection cutanée.
Ce soir, pour ne pas pleurer, je me suis concentré, j'ai écouté son cœur faiblir, son cœur se battre, puis fibriller, et s'arrêter.

Un échec, assumé, justifié, sans que personne ne puisse rien se reprocher. Ce qui ne le rend pas moins violent, ni moins douloureux.

dimanche 27 septembre 2009

Etablir un diagnostic

Comment fonctionne le cerveau de votre vétérinaire ? Quels sont les rouages, les méthodes, les étapes qui lui permettent d'affirmer que votre animal a ceci ou cela ? Pourquoi va-t-il avoir besoin de faire une prise de sang, ou comment peut-il s'en passer ? Fait-on vraiment de grands schémas sur des tableaux blancs ? Pourquoi est-ce que votre vétérinaire ne vous écoute pas ? Ou pourquoi vous pose-t-il toutes ces questions sans rapports avec le problème de votre compagnon ? Est-il sûr de lui ? Le diagnostic est-il certain ? Ou s'il ne l'est pas, est-ce que c'est grave ? C'est quoi cette bouteille de lait ? Pourquoi une radio et pas une écho ? Pourquoi est-ce si cher ? Pourquoi est-ce que ce test n'est pas sûr à 100 % ? Pourquoi préfère-t-il récupérer des urines et non du sang ? Dr House est-il un fumiste ? Ce type est-il vraiment obligé d'enfoncer son bras dans le rectum de cette vache ? Touiller du caca, c'est diagnostique ? Peut-on faire confiance à un type qui porte une blouse blanche ? Un débutant est-il forcément moins bon en diagnostic qu'un vieux véto ? Jusqu'où peut-on aller dans un diagnostic, pourquoi, comment ? D'ailleurs, c'est quoi, un diagnostic ? Mon véto, avant, il n'avait pas besoin de tous ces examens, et c'était moins cher. Ce billet peut-il répondre à toutes ces questions, et aux autres ?

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mardi 12 mai 2009

Un peu de parasitologie...

... juste pour le plaisir.

Je vous avais déjà parlé des coproscopies. Pour ceux qui n'ont pas suivi, ou pour les flemmards, c'est un examen qui permet de détecter et d'observer les œufs des vers dans les selles. Les identifier et les compter permet de réaliser des vermifugation raisonnées, ainsi que des diagnostics de parasitisme pathologique.

L'autre jour, j'ai oublié l'une de ces coproscopies sur la paillasse de mon petit labo, et n'ai pensé à la regarder que le lendemain... pour observer que les œufs avaient évolué, passant du stade d'œuf à proprement parlé à celui de larve. La maman de ce charmant parasite est un strongle, du genre Cooperia (curtecei ?), Haemonchus (Haemoncus contortus dans ce cas) voire Teladorsagia (circumcicta ?). Ce sont tous des nématodes, c'est à dire des vers ronds du même type que les spaghettis parfois vomis par les chiots et chatons très parasités.

La bestiole est une larve qui est restée dans son œuf, ce qui serait la tendance évolutive de ces nématodes parasites. Ce phénomène de mue avant éclosion s'appelle la séclusion, et le stade suivant est l'éclosion (comme les poussins !) : la séclusion protège la larve, très fragile. L'évolution est extrêmement rapide, puisque la coproscopie avait moins de 15 heures, ce qui vous démontre pourquoi il faut des selles très fraîches pour réaliser une coproscopie interprétable : je serais arrivé quelques heures plus tard, il n'y aurait plus rien eu à voir que des coques vides, non identifiables.

Je ne sais pas par contre de quel stade larvaire il s'agit (Larve 1, 2 ou 3, oui, les noms des stades sont très originaux).

En cycle normal, le ruminant ingère des larves trois dispersées dans les prés, ces L3 muent en adultes dans sa caillette, ou son intestin, et se mettent à pondre des œufs, qui sont éliminés avec les selles. Les œufs deviennent dans le milieu extérieur des L1, puis des L2, et enfin des L3, etc. Les adultes ne sortent jamais, c'est pourquoi vous n'en trouverez pas dans les matières fécales !

Il existe d'autres cycles, plus complexes, mettant en œuvre des hôtes intermédiaires. Celui que je vous décris est l'un des plus simple qui existe.

Voilà, juste un petit billet vous montrer un univers qui me fascine. Mon microscope est réellement l'outil que je préfère dans ma clinique, et la parasitologie, un univers loufoque et foutraque où le but du jeu est de débusquer des bestioles qui ont passé des millions d'années à parfaire des cycles tous plus complexes les uns que les autres, au plus grand déplaisir de nos amis familiers (et sauvages !).

PS : je rassure tout le monde, je me suis un peu replongé dans mes bouquins avant d'étaler ma science !

jeudi 26 février 2009

Rien

"Mme Latour, c'est à vous."

Je m'efface de la porte de la salle de consultation pour laisser entrer une femme d'une quarantaine d'année et son... chien. Sa chienne sans doute. Croisée husky et berger allemand peut-être, vue sa taille j'estime qu'elle devrait peser... peut-être 22, allez, 25 kg ?

"Bonjour docteur, je vous amène Noisette, que vous n'avez jamais vue auparavant."

Mon ASV a rempli le dossier : 5 ans, croisée husky, stérilisée depuis 4 ans, vaccins à jour, pas d'antécédents particuliers. Motif de consultation : pas en forme, malade, grosse.

Super.

Je me penche vers la chienne, et, au fil des premières caresses, je commence mon examen clinique. En quelques minutes, j'aurais fait le tour de cette bestiole, et, l'air de rien, je commence l'interrogatoire.

"Et donc, qu'arrive-t-il à cette louloute ?
- Et bien, ma mère a décrété qu'elle était malade."

Vu le ton et la façon de poser son sac à main sur la chaise, la précision qui suit est superflue.

"Moi, je la trouve très bien, mais après tout, c'est sa chienne, et ça fait quatre jours qu'elle me tanne pour que je l'amène.
- Mais elle n'est pas venue ?
- Non, dix minutes avant, elle a décrété qu'elle était fatiguée !
- Bon, et elle lui trouve quoi, à Noisette ?
- Elle dit qu'elle est malade, et que ça doit être une cystite."

OK. Je sens que ça ne va pas être triste.

La chienne ahane comme un phoque, mais semble plutôt gentille, un poil stressée, et...

"Et, vous l'avez pesée avant de rentrer ?
- Oui, 35kg.
- Ouaip, je pressens que la précision est inutile, mais vous savez que cette chienne est obèse ? Voire pire qu'obèse ?
- Oui...
- Et laissez-moi deviner : elle a grossi depuis qu'elle est stérilisée, elle a à manger à volonté, elle vit sur le canapé ?
- Précisément."

Elle sourit. J'enchaîne.

"Elle mange des aliments allégés ?
- Oui, du light.
- Mais à volonté, donc ça ne sert à rien. Et, au hasard, comme le light ce n'est pas très bon...
- Elle sert de poubelle de table, et elle rajoute de la sauce dans les croquettes, oui.
- Et je n'ai pas besoin de vous dire que c'est pas bien, tout ça tout ça, on va gagner du temps. C'est à votre mère qu'il faudrait que je le dise, dommage qu'elle ne soit pas venue.
- Bah, elle aurait dit amen à chacune de vos explications et lui aurait donné un gâteau en rentrant parce qu'elle aura été sage chez le vétérinaire."

La dame est souriante, semble penser qu'elle va perdre une demi-heure ici, mais après tout, je parie qu'elle se dit que ce n'est pas un lourd tribut à payer pour que sa mère lui fiche la paix. Je précise quand même les dangers de cette obésité pour sa santé : arthrose, diabète, etc. Elle sait déjà, elle hausse les épaules avec un regard fataliste.

L'examen clinique ne révèle rien. L'auscultation non plus. Elle déborde de graisses, on pourrait poser les verres sur son dos pour l'apéritif vue sa largeur, mais le poil est correct et reste agréable à caresser.

"Bon, elle a parlé de cystite, je ne peux pas vous laisser partir sans vérifier ça. Pour l'instant, tout est normal."

J'attrape le spéculum, la sonde urinaire et le miroir de Clark, tentative de sondage, en avant ! Comme elle a été stérilisée jeune, je risque d'avoir du mal à ouvrir le spéculum, mais essayons. De toute façon, je ne prélèverai pas d'urine par voie trans-abdominale sur une chienne dont la couche de gras ferait rougir un morse.

Cela dit, je ne m'attendais pas à cette difficulté-là : je n'arrive pas à trouver sa vulve.

"Heu, je ne trouve pas sa vulve. Trop de gras. Trop de plis.
- Elle est grasse même de là ?
- Ben... oui. Mais je vais trouver, ça devrait se trouver entre les pattes arrières ! Par contre, il faudrait la maintenir debout, elle cherche à s'assoir !"

Finalement, il aura fallu bien cinq minutes pour récupérer ces urines. Et trois personnes pour la tenir debout.

Trois.

Je file vers notre petit laboratoire sans grande inquiétude quant à ce que je vais trouver - ou plutôt ne pas trouver - dans ces urines. Quoique je les trouve bien claires. Un doute...

Bingo.

Densité urinaire 1.014, c'est un peu bas... traces de sang, mais c'est un sondage, la réaction de Heller est négative, pas de protéines. Pas de sucre non plus.

1.014, ce n'est pas normal. Enfin ça pourrait l'être si elle avait de la fièvre, mais... ou... je n'ai pas pris sa température, à raconter mes conneries !

39.3°

Mais elle suffoque avec sa graisse et la chaleur de cette salle de consultation. Alors, fièvre ou hyperthermie sans signification ? Avec la dilution des urines, ça pourrait être de la fièvre !

"Elle pourrait même avoir raison, votre mère."

La dame soupire.

"Enfin, ce n'est pas une cystite, de toute façon."

La chienne n'a apparemment rien, sa propriétaire pense qu'elle est malade alors que son comportement et son appétit sont normaux, elle a une légère hyperthermie et des urines un peu diluées. Je ne vais pas pouvoir la laisser repartir comme ça, je ne peux pas offrir un tel "je vous l'avais bien dit" à sa mère !

"OK, prise de sang. On va vérifier s'il s'agit bien de fièvre grâce à la numération formule, et vérifier le fonctionnement des reins grâce à une biochimie. En même temps, on va contrôler la glycémie pour un éventuel diabète, même si je n'y crois pas, et les enzymes hépatiques, des fois que." Dans ma tête se déploie l'arbre diagnostique. Je pousse mon stagiaire à le construire tandis que je prépare le prélèvement, commentant chaque hypothèse brièvement, c'est plutôt ludique en la circonstance : la dame est souriante, la chienne va bien, beau cas d'école !

Jusqu'à la difficulté suivante : trouver une jugulaire dans un tonneau de saindoux. C'est dans ces cas là que je suis content de ne plus être un étudiant de cinquième année ! Là, l'occasion est trop belle, je laisse faire le stagiaire. La prise de sang aura été un peu laborieuse, mais mes tubes sont remplis. Je retourne dans notre petit labo pour lancer les analyses.

"Dans quinze minutes, j'aurai les résultats. Vous pouvez aller promener la chienne si vous voulez ?"

Apparemment, elle veut bien, il faut dire qu'il fait très chaud derrière nos grandes baies vitrées. La vue sur les Pyrénées, c'est un luxe dont on ne se lasse pas... mais il se paie.

Pendant, ce temps, je fais un frottis sanguin : RAS. Puis je reçois un autre chien pour un vaccin, avant de revenir vers mes machines qui bippent du bip du devoir accompli.

Numération-formule : des blancs limite haute. Elle a décidé de me chatouiller, celle-là.

Biochimie sanguine, RAS. Enfin, une erreur d'analyse sur les PAL, mais la valeur annoncée "sans garantie" est normale, et la cause est évidente : hyperlipémie. Elle est même grasse du sang. Ce qui m'ennuie un peu plus, c'est que mon analyseur m'annonce une hémolyse, or il n'y a aucune raison pour qu'elle ait une hémolyse, c'est à dire des globules rouges détruits dans le sang.

Je vais retrouver la dame dans la salle d'attente, à l'ombre, au frais, un thermomètre à la main. La chienne ne m'a pas vu venir, elle dort paisiblement, cela doit bien faire 20 minutes qu'elle est sortie de ma salle de consultation. Elle a juste un regard indigné lorsque je reprends sa température. 38.6°. Hyperthermie de stress.

J'explique les résultats des analyses à la dame. Nouvel arbre diagnostique en déploiement. Rien ne colle. Même pas un peu. La dame m'écoute énumérer et réfuter méthodiquement toutes les hypothèses avec notre stagiaire. Très scolaire.
Tout est normal, sauf l'hémolyse probablement due à un problème technique lors de la réalisation de la prise de sang. Je lui présente le tube hépariné pour lui expliquer ce qui ne va pas. En bas, les globules rouges, masse sombre et compacte. En haut, le plasma, qui devrait être limpide. Il est légèrement rosé. Et puis il y a la crème, qui surnage.

"Mais elle est même grasse du sang !"

Je hoche la tête en soupirant.

Il me faudra deux essais pour être parfaitement satisfait de ma prise de sang.

Et cette fois-ci, le plasma sera limpide.

"La chienne de votre mère n'a rien. Enfin, si, elle est obèse, mais pour l'instant, c'est tout. je vais vous imprimer les résultats des prises de sang et autres analyses...
- Ah oui, il ne faut pas que je revienne les mains vides, mais je vous préviens : de toute façon, vous ne serez pas un bon vétérinaire !
- Vous croyez qu'elle serait plus contente si je lui prescrivais des vitamines ?
- Bah, non, pas besoin de trucs qui ne servent à rien, elle mange trop pour être carencée...
- Ça..."

Un silence.

"C'est elle qui paie, au moins ?
- Bien sûr !
- Vous voulez une écho, des radios et une fibroscopie ?
- Ca ira, merci : c'est un peu cher l'épisode de Dr House, quand même. C'est ma mère qui aurait du venir, elle est fan !"

Des fois, j'adore mes clients.

dimanche 12 octobre 2008

Tests génétiques et autres boules de cristal

A l'origine de ce billet, une demande de Véro suite à une discussion sur le blog Aube Nature, au sujet d'une maladie cardiaque chez les chats de races Maine Coon dont le dépistage est désormais possible grâce à un test génétique.

Plutôt que de me lancer sur une discussion pointue au sujet de ce test, je pense plutôt reprendre quelques fondamentaux... ce qui me permettra sans doute de répondre aux questions soulevées par cette maladie et ce test.

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