Pas avant des années
mercredi 19 décembre 2012, 22:25 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Nous ne l'avions pas vue depuis quelques années : son chien était mort sur notre table de chirurgie, en pleine nuit, d'une torsion d'estomac sur hémangiosarcome splénique. A douze ans, pour un rottweiler, pas de miracle.
Je n'aime pas trop ce genre de situation. On se sent toujours un peu merdeux quand on revoit le propriétaire d'un animal décédé. Surtout quand on ne l'a pas vu pendant si longtemps. Pas que j'ai quoi que ce soit à me reprocher : la prise en charge avait été rapide et efficace, mais on ne gagne pas à tous les coups. Et on n'aime pas que cela nous soit rappelé.
J'ai reçu cette dame en consultation, qui m'a raconté, au fil d'un exposé fleuve, la maladie de son chien. Les consultations successives, sur plusieurs mois. Les examens, les mots des différents vétérinaires d'une autre clinique, ses propres réactions, l'évolution des symptômes de son chien. Triant méthodiquement les images, les résultats, les ordonnances, classant les faits et les interprétations. Listant avec rigueur les approximations : celles des confrères, et les siennes propres. N'accusant pas, mais expliquant son exaspération croissante.
Les choses étaient étrangement claires, et posées. J'aurais pu être inquiet, mais ses mots étaient apaisants de lucidité. J'écoutais, je posais des questions. Moi aussi, je triais. Pas comme elle, mais pas loin. Les confrères avaient fait du bon boulot, à défaut d'être excellents. Ils avaient un peu perdu de temps, peut-être. C'est tellement facile de le remarquer, après. Et je me disais que, moi aussi, sans doute, des clients et des confrères devaient parfois me disséquer ainsi.
J'étais donc le véto du second avis. Avec le "passif" évoqué plus tôt. Le mien, et celui de mes confrères. Une vue d'ensemble, trop d'informations, d'autres qui manquaient. De quoi bien travailler.
J'avais, sans doute, un autre avantage. La demande était très claire : la dame voulait de l'action, et immédiate. Elle le leur avait dit, ils avaient refusé d'opérer. Elle ne voulait plus attendre, pas alors que son chien se dégradait. Elle voulait bien prendre des risques. Son consentement fut éclairé. Bénéfices, risques, immédiats et au long terme, hypothèses et scénarios, optimistes et pessimistes.
Une discussion fatigante, mais passionnante. De la vraie médecine, avec une cliente exigeante. Une cliente comme on ne les aime pas trop, à cause de la pression. Une cliente comme on les adore, parce qu'elle nous demande de faire notre boulot. Avec ses limites, aussi, notamment financières. Avec ses attentes, et ses contradictions. Avec son envie de comprendre, et sa demande de traductions extensives de la logique médicale en logique humaine.
Avec sa sincérité, aussi, ces mots glissés entre de longues explications : "je ne suis jamais revenue, ici, à cause des souvenirs, à cause de mon chien. Je ne vous reproche rien, mais ce n'est pas facile. Je viens parce que vous allez faire autrement, même s'ils n'ont pas fait mal. Et parce que moi, je le sais, que ça peut mal finir, et brutalement, avec cette chirurgie. Mais on aura tenté quelque chose, et puis, si ça finit mal, les mauvais souvenirs, ils resteront ici."
J'imagine que je ne reverrai pas cette dame.
En tout cas pas avant des années.
Commentaires
Je ne suis pas certaine d'avoir compris.
Est ce à dire que le chien n'a pas survécu ?
Fourrure :
Yep.
Merci à vous.
Mais vous êtes aussi les vétos des bons souvenirs.
Le véto qui a euthanasié ma chienne est aussi celui qui a fait naitre son chiot qui vit toujours avec mes parents.
Vous faites des choses désagréables, donner la mort, annoncer que non, Médor ne guérira pas ne doit pas être facile. Mais à coté, il y a toutes ces petites ou grandes victoires qui font que les bestioles que nous aimons vivent dans de bonnes conditions.
Véto des mauvais souvenirs, mais vétos de tant de joies.
Avant d'opérer, pourquoi ne pas indiquer que le Dr Fourrure passera un petit coup de fil ou mieux enverra un courriel au précédent vétérinaire, juste pour lui exposer la situation et lui poser une question simple : qu'est qu'il souhaite pour ce chien ?
Bien sûr rien ne l'y oblige, mais cela éviterait les "oublis" dans le recueil des commémoratifs, montrerait qu'il lui importe d'avoir la version de son confrère, et laisserait à penser qu'il y a une continuité dans le parcours de soin et qu'il ne cherche pas à avoir raison contre son confrère ou pour satisfaire la demande de la propriétaire mais parce qu'il entrevoit un nouveau chemin à suivre qu'il a parfaitement balisé avant d'y engager sa cliente.
Fourrure ;
La dernière fois que j'ai fait ça (ce qui est théoriquement la meilleure chose à faire, médicalement et déontologiquement), le confrère a pris sa bagnole, a été au domicile du client, et l'a pourri. Depuis, j'hésite.
Un de vos confrères à fait ça? Parce que vous aviez pris la peine de le prévenir?
Je tombe de haut : les vétos ne sont donc pas des surhommes...
En tout cas merci pour cette dame, d'avoir pris le temps de l'écouter et de lui répondre. Véto des "mauvais souvenirs" ou pas, elle est revenue, et avec une demande claire; c'est déjà pas si mal...
Même les souvenirs douloureux, et j'en ai avec mon véto, peuvent créer des liens qui ne le sont pas (douloureux ).( Fourrure, ne nous laissez pas tomber si longtemps :( ( ... )
C'est étrangement semblable en médecin humaine, le 2éme avis plus facile parfois car on a tous les élements, plus de symptomes, d'examen ect, alors qu'auparavant on tatonnait, le diagnostic est alors si évident a postériori....
Et puis ces patients qui ne reviennent pas car cela leur rappelle un mauvais souvenir, ou alors vous êtes le praticien qui a fait le diagnostic d'une maladie sévére, c'est donc quelque part vous le responsable de la maladie
J'avoue moi aussi, je viens d'adopter un nouveau chien et je ne suis pas retourner chez votre confrère qui s'était occupé de notre chien précédent. Pourtant il n'est en rien coupable. Bon le courant ne passait pas plus que ça non plus. Il ne passe pas tellement mieux avec les 2 autres confrères du même cabinet que j'ai vu coup sur coup (primo vaccination oblige).
On se dit que ce n'est pas tellement important pour soigner son chien quand on pense ne devoir y aller qu'1 fois par an pour le rappel des vaccins. Mais ça le devient quand finalement il faut y revenir plus tôt et qu'on a besoin d'avoir confiance en son véto pour suivre sa ligne de conduite en matière de santé animale entre respect de la condition animale et du portefeuille de ses clients.
Tiens, je me reconnais dans cette client "exigente". Parfois, je mets peut-être la pression aussi, sans m'en rendre compte. Mon véto est génial, j'ai eu des moments tristes avec lui, et des moments joyeux. Je lui fais confiance, pour toute ma troupe, et je traverse la ville pour aller chez lui plutot que chez celui qui est à deux pas. J'apprécie ces relations d'estime, de compréhension et d'empathie, c'est libérateur, et c'est une relation humaine de valeur à mes yeux.
Ce sont les aléas du métiers mais comme le rappel Kitishin vous faites aussi partie des bons moments
Vous vous faites trop désirer, Fourrure! D'autant qu'on est en période d'exams! Pensez un peu a nous!
Au plaisir de vous lire :)
Fourrure :
J'ai de bonnes excuses mais promis je reviens.
j'ai perdu mon chat après une opération qui s'était très bien passée, il avait un soucis cardiaque, personne ne le savait et l'opération, le stress, la douleur, les traitements, ont eu raison de lui. C'était un coup dur, le veto a été extraordinaire, il a proposé de faire une autopsie car personne ne comprenait la raison du décès, il m'a appelé personelement pour me donner les résultats, et quand je l'ai revu quelques semaines plus tard pour le vaccin de mon chien, il a été extraordinaire de gentillesse. Vous n'êtes pas des dieux, pasplus que nous, mais vous essayez,qu'est-ce qu'on pourait honnetement demander de plus?
Bonjour, voilà j'ai lu votre blog en entier (commentaires compris :p) et franchement ... je demanderais bien a un geek de tracer votre ip pour vous prendre comme véto ! Entre votre réalisme, votre empathie qui déborde parfois en sympathie, votre tendresse, votre douceur, votre franchise et votre attrait pour le monde en général ... WAOUH ! . Quel bien ! Un véto qui ne regarde personne de haut, qui aime (pas) les chats comme les vaches ... Qui en plus fait de superbes photos et de la plongée... Merci de prendre le temps d'expliquer, de se mettre à la porter des profanes, merci de pas nous prendre pour des imbéciles même si ça ne nous servira sans doute jamais (oui je me vois mal un jour devoir gérer un retournement de matrice surtout en étant citadine)... A quand de vos nouvelles ? Continuez comme vous êtes, merci
good post. thanks.
Bonjour cher véto,
La description que vous faites de cette histoire est sensiblement la même que la mienne. Même si elle n'est pas complète, car il manque beaucoup d'infos sur les problèmes de rate chez les grands chiens (les beaucerons en étant souvent victimes alors que personne ne les mentionne).
La différence, c'est que mon véto attitré est l'inverse de vous (il ne l'est plus, pourtant le seul de mon village, je dois faire plusieurs dizaines de kilomètres ne serait-ce que pour la nourriture ou les antiparasitaires). Il a non seulement pris lui-même et d'autorité, l'initiative de l'euthanasie de la mère de mon louloup un an et demi avant, sans nous préparer (elle avait développé un cancer des mamelle et un oedeme des poumons, alors qu'un an auparavant, elle avait juste un souffle et une petite boule sur un des mamelles qui auraient pu être traités facilement. A 12 ans, il était logique qu'elle soit suivie de près,non?). Mais de plus a complètement loupé l'allergie que mon mâle a développé un mois après. Ce vétérinaire, comme tous ceux de ma région, est incapable de concevoir qu'un animal peut souffrir de la mort d'un compagnon et développer des fragilités au niveau de son système immunitaire.
Mon mâle a fini par perdre l'équilibre un soir et a disparu pendant 4 jours. Je l'ai retrouvé dans un enclôt après moult recherches, en plein centre du village. En trois mois de galère totale, à cause d'une simple dermatite atopique (dont les beaucerons sont aussi très sujets), j'ai tout entendu. Je suis allée voir 4 vétos successifs. Aucun d'entre eux n'a vu qu'il avait juste perdu l'équilibre à cause d'une vieille otite mal soignée (et pour cause, même avec les otites ils ont du mal par chez moi) qui s'était enflammée et devenue interne à cause de l'allergie. On m'a tout dit : AVC, lymphôme, tumeur au cerveau avec atteinte du SNC. J'ai même finit par faire un scanner pour qu'ils cessent de délirer, à 250km de chez moi. Scanner dont il a failli ne pas se réveiller, j'ai dû le porter jusqu'à la voiture et lui faire passer la nuit sous perf pour lui faire évacuer le produit par un véto de garde). Alors j'ai eu la bonne idée d'appeller Maison Alfort n'en pouvant plus un soir de déprime, et le diagnostic de dermatite a été fait en quelques secondes. Mon véto attitré avait pourtant eu le chien en consultation quelques temps avant le déclenchement de son otite interne pour cette dermatite qui était devenue purulente. Mais il n'a pas jugé utile de lui donner des remèdes. Ses bains de mer et du Boudigau étaient largement suffisants. Il n'avait pas réalisé qu'il était allergique à tout, et surtout aux puces. Même un anti-parasitaire est un soin trop compliqué pour lui. Mais ce n'est pas le pire. Son assistante lui a administré en urgence de la cortisone et un antibiotique en intraveineuse le soir où je l'ai retrouvé. Et il s'est rétabli après trois jours du même traitement. Mais il a trouvé ça "trop beau pour être honnête", et a arrêté l'antibiotique et diminué la cortisone de façon conséquente. Pour lui, selon les résultats de la prise de sang, où le taux de protéines était élevé, il avait fait un AVC. Dommage qu'il ait jeté les analyses le soir-même, sous prétexte qu'il ne voulait pas "s'asseoir dessus". Comme si je ne l'avais pas payé comptant chaque fois. J'ai donc mis 1 an à le sortir de là. Après plusieurs rechutes, dont il ne s'est jamais vraiment remis. Son cerveau a compensé jusqu'à sa mort. J'ai évité les biopsies recommandées par le 5ème véto qui n'a pas vu que se ganglions étaient redevenus normaux avec les antiobiotiques. Il a eu un an de traitement lourd, alors qu'une seule nuit de perf l'aurait rétabli définitivement si l'assistante avait pris sur elle de le garder. Bref. Un an et demi après la mort de sa mère, il meurt d'une hémorragie interne dûe à l'éclatement de la rate. Le véto qui a tenté de le réanimer sur la table d'opération en cherchant confusément ses veines vides était celle qui l'avait réanimé le soir de son scanner. C'était elle qui s'occupait de mes chiens avant. Mais comme elle n'avait pas vu le souffle de ma chienne, ni daigné s'occuper de sa petite tumeur, j'avais changé. J'avais appelé une semaine avant mais comme je n'avais pas de voiture, j'ai dû attendre le lundi qu'on m' y amène. Elle lui a prescrit de la cortisone et des antibio, comme d'hab. Elle avait trouvé inutile de le peser alors qu'il avait perdu 4kg depuis quelques mois. Elle n'avait pas tiqué non plus sur le fait qu'il marchait sur ses avant-bras. Son anémie était devenue pourtant plus que visible. Mais il était vieux, vous comprenez. C'était normal. C'était à moi de comprendre ce qu'avait mon chien, d'exiger des radio, des prises de sang et des échographies passé l'âge de 10 ans. Et surtout de lui hurler qu'il était en train de mourir plutôt que de le voir agoniser en détresse respiratoire devant moi, pendant qu'elle trifouillait ses veines plates pour lui injecter de l'anticoagulant et du sérum contre la mort-aux-rats, on ne sait jamais. Les pupilles de la taille de ses yeux. Je ne m'en remettrai JAMAIS. Alors merci de compenser, cher Véto, je vois que vous êtes non seulement scientifiquement curieux mais aussi sensible, mais avouez quand même que ce n'est pas le cas de beaucoup, beaucoup, d'autres. La nouvelle clinique de mon véto attitré qui mériterait un signalement au Conseil de l'Ordre est rutilante de modernisme à force d'être le seul sur place, dans cette station balnéaire peuplée de retraités. C'est bien, mais nous sommes plus d'une dizaine à nous être donné notre numéro pour que ce soit plus efficace. Celle qui a rattrapé comme elle a pu ses conneries, mais qui n'est pas une franche lumière, je ne lui en veux pas mais je n'y retournerai pas non plus. Une nouvelle clinique vient de s'ouvrir dans le village voisin. Il était temps. Mais avant de prendre un nouveau chien, je vais causer 2 minutes avec eux. Histoire de savoir s'ils sont au moins capables de parler d'autre chose que de pognon. Car je ne vous l'ai pas dit, je suis au RSA. Je travaille depuis 10 ans en tant que bénévole dans une ONG qui réclame le "revenu universel" pour pouvoir travailler tranquillement à l'élaboration de logiciels libres. Donc j'ai mérité de payer 1 an et demi de soins intensifs à mon chien pour le voir mourir en souffrant parce que je n'ai pas les moyens. Ca ne le ramènera pas, mais ça évitera le massacre des suivants.
Son histoire est ici :
http://www.flickr.com/photos/352629...
C'est sur Fabien, je suis vraiment d'accord avec vous. J'ai moi même vu ça dans une vidéo explicative donc bon