Le cas de merde
mercredi 1 décembre 2010, 23:44 Un peu de recul Lien permanent
Le cas de merde frappe sans prévenir.
Le cas de merde arrive en urgence, au détour d'une consultation banale, voire d'une simple visite vaccinale.
Le cas de merde est un compagnon familier, je le surnomme affectueusement le CDM. Mes collègues, au boulot, parlent plutôt de CPF : le Cas Pour Fourrure. Ils me les balancent tous dans les jambes, car je passe pour le House maison. Je me trouve pourtant plus d'affinités avec Cameron. En moins sexy sans doute.
Le cas de merde est complexe. Son diagnostic différentiel est large, il offre de nombreuses hypothèses, à hiérarchiser puis à explorer. Dans un bon cas de merde, les délais de réponse de certaines analyses sont longs, ou les examens sont chers, voire les deux. Et dans un bon cas de merde, quand on a les premiers résultats, ils restent équivoques, et demandent plus d'investigations. Encore mieux : ils offrent une première réponse, on s'engouffre dans l'hypothèse ainsi privilégiée, pour l'abandonner à la lumière d'un autre examen qui révèle les interprétations alternatives possibles pour le premier.
Quand on essaye de vulgariser, d'expliquer simplement un cas de merde au propriétaire du chien, on se retrouve vite à user de comparaisons et de métaphores tellement tarabiscotées qu'on embrouille tout le monde, y compris soi-même.
Le cas de merde idéal est grave, mais parfois, la maladie peut juste être pénible et difficile à prendre en charge (dédicace à la dermatologie), et même pas grave. Du coup, dans ce dernier cas, cela en devient démotivant. Perte d'enjeu, en quelque sorte.
Les cas de merde peuvent s'illustrer sur des grands tableaux blancs plein de flèches et d'hypothèses rayées ou rajoutées. Mes confrères les regardent toujours d'un air effrayé.
Le cas de merde est meilleur s'il est cher : il le sera toujours s'il demande de nombreux examens et une hospitalisation (le temps de comprendre, ou de protéger l'animal avec un perfusion par exemple en attendant de savoir). C'est encore pire s'il se termine par une chirurgie, surtout si c'est une laparotomie exploratrice (quand on ouvre le ventre juste pour voir ce qui se passe dedans). Parfois, le cas de merde coûte une fortune, prend du temps et s'achève par un diagnostic de trouble bénin. Tant mieux pour le chien, mais le propriétaire voit souvent ce genre de conclusion d'un mauvais œil.
Quand un cas passe du statut de simple cas à celui de cas de merde, il faut l'expliquer au maître de l'animal, et là, les choses se gâtent. Les gens admettent bien que la maladie de leur animal puisse être compliquée, mais pas que l'on ne trouve pas ce qu'il a, surtout si on l'a gardé hospitalisé 24 heures, le temps de l'observer et de mettre les choses à plat.
Il est horrible d'expliquer un diagnostic différentiel à un client. D'abord, c'est long et fastidieux, et la démarche n'est pas intuitive pour ceux qui ne pratiquent pas le raisonnement diagnostique. En général, les gens s'arrêtent sur un point, et bloquent dessus. Ils finissent par admettre la hiérarchisation des examens et des déductions, mais ont du mal à saisir l'interpénétration des choix liés à la pure logique médicale, de ceux liés à la faisabilité des examens, et de ceux liés à leur coût ; nous aussi, parfois, parce que les gens sont rarement clairs dans l'expression de ce qu'ils désirent pour leur animal (en dehors du fait "qu'il ne souffre pas, docteur").
Le propriétaire du cas de merde peut être extrêmement pénible, désagréable, voire franchement con. Il peut aussi être adorable, ne me faite pas dire ce que je n'ai pas dit. Dans cette dernière éventualité, les cas de merde sont beaucoup moins stressants. Parfois, c'est l'animal lui-même qui compliqué sérieusement le cas de merde : allez passer des heures à soigner un chien qui essaye de vous mordre, un chat sauvage, ou un animal qui déverse en permanence des fluides fétides, purulents, répugnants. Un vrai sacerdoce.
Pour que le cas de merde devienne encore pire, il est idéal que les propriétaires aillent se mêler de la démarche en farfouillant sur le net, en contactant un deuxième véto voire en embarquant l'animal chez un confrère, de préférence avec des résultats partiels et aucun élément de la démarche diagnostique en cours.
Une variante de ce dernier point me désespère : quand on commence à me parler d'homéopathie, de fleurs de Bach ou d'autres "médecines alternatives". Ne me mettez pas ces choses au milieu de mon œuvre. Ou démerdez-vous sans moi. Those damned bastards put midichlorians into the pure sanctity of the Force. Ou un truc comme ça.
Le top, c'est quand un médecin pour humains se mêle de mon cas de merde. En me prenant de haut, en balançant un diagnostic ou un commentaire lapidaire, et en mettant la vie de l'animal en danger. Dédicace aux endocrinologues (ou apprentis endocrinos) qui confondent diabète sucré du chien et diabète sucré de l'humain.
Le cas de merde se déplace parfois en bande. Pour moi, un cas de merde par semaine est une fréquence bien suffisante. C'est l'enfer quand j'en ai trois ou quatre en même temps. J'en perd le sommeil.
Le cas de merde est la quintessence du cas complexe, lourd, nuancé, difficile à expliquer, cher et de mauvais pronostic.
Quand le cas de merde s'en sort, je suis un héros. Au moins pour moi-même. Parfois, ou souvent, les propriétaires des animaux ne réalisent pas. Pas grave.
Quand le cas de merde meurt, je suis parfois un héros, parfois un incapable qui se permet de sortir une grosse facture en plus. Moi, en général, je suis fracassé.
En fait, un cas de merde, c'est comme un cas intéressant, mais avec l'empathie et l'investissement émotionnel en plus.
Commentaires
C'est comme les dossiers de merde .........la vie en moins.
Pareil qu'Arkadia !
A cela j'ajouterai, c'est bientôt Noel, à quelle adresse doit on vous envoyer la canne ??
:D
Pour Cameron, on vous laisse choisir parmi la foule de candidatures (appuyées ou pas => http://www.boulesdefourrure.fr/inde...)que vous recevez ;)
Q'un médecin aille emmerder un véto sur un CDM, ou pas CDM d'ailleurs! Y'a vraiment des cons certainement amnésiques et suffisants partout.
Merci d'expliquer votre boulot !
En fait c'est tout simplement comme la médecine humaine :
Tu as tels symptômes donc le protocole c'est ça...!
Vous revenez si ça ne marche pas.CQFD !
Donc ça devient un CDM ???
Fourrure :
Non. C'est beaucoup plus compliqué que ça, la médecine, humaine ou pas !
c'est tellement vrai
J'aime les CDM. Ceux qui nous font sortir de notre routine, ceux qui nous font réfléchir. C'est un défi, trouver le diagnostic ou dumoins s'en approcher le plus possible en faisait le moins d'examens complémentaires. Evidemment on ne dort plus très bien, on ressace en boucle les symptômes, le diagnostic différentiel, cette prise de sang qui nous dit que tout va bien. Et malheureusement parfois on a pas le temps de trouver, d'investiguer plus loin, ça j'aime moins. Et ce sentiment qui survient parfois d'impuissance, d'inutilité parce qu'on pas pas trouvé, j'aime moins... Et puis voilà qu'arrive un nouveau CDM!
Vous avez oublié le pire des CDM : celui où le propriétaire est prêt à tout, fait confiance à son vétérinaire, ne lésine ni sur les examens ni sur la chirurgie, gère au mieux l'animal qui est finalement euthanasié.
Une fidèle lectrice qui apprécie beaucoup votre blog et votre approche des animaux et de la médecine vétérinaire.
Un excellent billet, une fois de plus ! C'est vraiment agréable de vous lire, et voir que vous décrivez si fidèlement les nuances de notre métier.
Juste une petite curiosité : vous pourrez expliquer votre point de vue sur les médecines "altérnatives" ? Il me semble d'avoir aperçu un chouilla d'aversion envers ces pratiques. . .
Fourrure :
Ce sujet est un vrai problème pour moi : pour en parler au mieux, il faut savoir de quoi on parle. Or si j'ai des bases en homéopathie, en ostéopathie, en phyto ou en acupuncture, au moins sur les principes, c'est un peu léger pour faire un vrai billet qui tienne la route. Disons, pour faire simple, que ce que je n'aime pas, c'est que certaines personnes s'y fient plus qu'à la médecine, sans savoir pourquoi.
Au moins depuis House, le commun des mortels a pu vaguement se rendre compte de ce qu'est un diagnostic différentiel. On voit bien que la médecine pour humains ne trouve pas toujours la cause du problème(alors que l'humain peut s'exprimer) et donc il est très compéhensible que dans le cas animal ce soit parfois impossible ! Mais quand on a un Kiki qui ne va pas bien, c'est difficile aussi d'être ouvert...
Semaine 48, CDM : Leptospirose.
CDM ou CC?
Un patient abusif consulte clandestinement la fiche que son médecin rédige sur lui. Elle est longue. Dans le coin, en haut à droite, ya marqué "CC". Pas gêné du tout de son indélicatesse, le patient demande à son toubib l'explication de ces deux initiales. Après un instant de sidération (quel culot!) le toubib explique que ça veut dire "Cas Complexe". Et s'essuie le front après le départ du client: heureusement qu'il a trouvé la parade, ils se voyait mal lui révéler qu'en fait ça voulait dire "Casse Couilles"
Je crois que je fais parti de ces gens qui vont se renseigner sur internet, ce qui énerve beaucoup mon vétérinaire quand je commence une phrase par "mais sur internet j'ai lu que".
Mais j'aimerais faire appel à toi néanmoins, pour que tu m'aides sur le cas de notre vieux chien de 12 ans.
Il ne mange plus, a de la fièvre, notre véto a fait une échographie et a décelé des nodules dans le foie et un kyste purulent à coté du foie. C'est une supposition, pour confirmer il faut aller dans la grande ville pour faire une nouvelle échographie avec un appareil plus performant, et une biopsie.
Quand j'ai expliqué au vétérinaire que depuis quelques jours, en promenades, il se mettait en position de faire caca mais rien ne sortait et il pouvait y rester 1/4 d'heure, j'ai senti que ça lui rappelait des cas de maladie possible, mais il n'a rien dit et a continuait l'échographie.
Donc toi qui est véto, pourrais-tu me dire si être en position de déféquer sans y parvenir est un symptôme d'une ou plusieurs maladies et lesquelles ?
Fourrure :
Je dois vraiment faire la liste des dix ou vingt possibilités ? Je veux dire, c'est un signe non-spécifique de tant de choses que sans que ce soit inintéressant, ce le sera toujours moins que l'échographie qui montrera non seulement ce qu'il y a sur le foie, mais ce qu'il y a aussi dans le reste de la cavité abdominale. Bref : pris tout seul, sans tout le reste de la démarche diagnostique autour, ça n'avance pas à grand chose... Un diagnostic ne s'établit pas sur internet, pourquoi est-ce si difficile de l'admettre ?!
Bonjour,
je ne suis actuellement qu'étudiante véto mais je connais malheureusement déjà les CDM ... avec mon chien : cas simple à la base => dogue argentin que j'ai eu à 5 mois avec problème de croissance donc quand il devient raide de l'arrière à seulement 8 mois tout le monde se dit que c'est une dysplasie donc consultation et radio : dysplasie des deux hanche (laxité ligamentaire) je ressort de l'école véto et reviens une semaine plus tard car depuis le dernier rdv mon chien s'est mis à boiter des pattes avant donc examen puis radio : arthrose au niveau des deux coudes (toujours à 10 mois !!!) et les vétos m'expliquent qu'il a une incongruence radio-ulnaire et qu'il va falloir opérer ... mais avant on doit faire un scanner pour avoir des images plus nettes. On fait donc le scanner : finalement radius et ulna de même taille, pas d'autres problèmes en vu sauf qu'il y a bien de l'arthrose aux deux coudes et que mon chien boite maintenant des 2 pattes avant (suivant les jours)et est toujours raide de l'arrière. Après avoir fait passer les images du scanner devant plusieurs spécialistes : possibilité de fragmentation des processus anconés médiaux donc nous voila parti pour une double arthroscopie (arrivé là j'ai passé la moitié de mes économies entre les radio/scanner/médoc ...). C'était bien une fragmentation des deux cotés ... ouf enfin sauvé ... et bien non car dès l'arret des anti-inflammatoires énorme inflammation des deux coudes ... et des deux grassets ! Je commence à desespérer et les vétos aussi. Mon chien a 15 mois, il est sourd (ce pourquoi je l'ai adopté), a des problèmes digestifs, des problèmes de peau et toutes les pattes en vrac.
Comment fait-on dans ces cas là pour rester motivé ? C'est déprimant, dès qu'on pense avoir réglé le problème quelque chose d'autre apparait. Pour le coup je ne sais même pas qui est le plus démotivé : les vétos ou moi ...
Fourrure :
On fait comme on peut... Et c'est très dur.
dans ce billet vous parlez de problèmes dermato comme de CDM
alors ma chère Shipee est un vrai CDM !
à tel point que mon véto, au bout de six mois de gratte intensive, de peau rouge fluo, et d'un chien à la limite de clignoter la nuit, m'a envoyée à l'école vétérinaire de Lyon, en dermato, parce qu'il en avait marre (et surtout reconnaissait enfin son manque de spécialisation, après avoir essayé les plantes, l'acupuncture, etc...) :-))
du coup un diagnostique a enfin été posé, un traitement efficace trouvé
ça c'est calmé trois mois...
et ça repart...
donc mon véto reprend le traitement de l'école vétérinaire... et ça ne marche pas !!
alors je vais devoir retourner à l’école vétérinaire et rebelote...
alors ma Shipee, non contente d'avoir un caractère de cochon très souvent, tu es un CDM ma poulette, mais peut-être est-ce aussi pour ça que je t'aime ? ;-)
"""Those damned bastards put midichlorians into the pure sanctity of the Force."""
puté merciiiiiii pour le délire du soir !!! alors là, je ne m'y attendais pas du tout dans un billet vétérinaire O_o !!
excellente continuation !!!
Un clin d'oeil à Star Wars dans un billet sur les CDM : trop fort^^