Prophylaxie
vendredi 3 octobre 2008, 21:40 Quelques bases Lien permanent
Prophylaxie, c'est un mot qui signifie, en gros, "méthode de prévention".
La prophylaxie dont je vais vous parler, la plupart des acteurs du monde rural la nomment "pique" ou "prophylo".
Je pense que c'est surtout un aspect du métier de vétérinaire que peu de gens connaissent.
Pour les vaches, les moutons et les chèvres, ce terme désigne en général les prises de sang qui sont réalisées annuellement sur une partie du cheptel français. Ainsi, tous les ans, je vais chez tous mes clients éleveurs de bovins pour réaliser une prise de sang sur chaque vache de plus de deux ans. Je vais également chez chaque éleveur de moutons pour faire une prise de sang sur tous ses reproducteurs, ou sur une partie s'il a vraiment un très gros cheptel. Les règles de cette lutte organisée par l'État sont édictées dans chaque département en fonction de leur situation sanitaire. Selon les maladies, le rythme peut être annuel, ou bisannuel, voire moins souvent. Quand une maladie est éradiquée, on arrête...
La prophylaxie est presque intégralement prise en charge par l'Etat : frais vétérinaires, analyses de laboratoire, gestion globale, ce qui a permis l'élimination de nombreuses maladies dangereuses pour le cheptel comme pour l'homme.
C'est une organisation titanesque qui mobilise :
- Les éleveurs, qui doivent assurer la contention de leurs animaux.
- Les vétérinaires sanitaires (des vétérinaires qui agissent sur mandat de l'État dans ce genre de situation), qui réalisent les prises de sang, ou toute autre opération, comme la vaccination contre la fièvre catarrhale ovine, ou (mais c'est terminé pour l'instant), contre la fièvre aphteuse...
- Les laboratoires départementaux vétérinaires, qui réalisent les analyses.
- Les groupements de défense sanitaire, qui organisent.
- Les directions des services vétérinaires, qui supervisent le tout.
Par exemple, pour les bovins, la prophylaxie concerne, ou a concerné :
- La brucellose, une maladie qui a presque disparu (grâce à la prophylaxie). Chez l'homme, on parle de fièvre de Malte, vous avez peut-être un grand-père qui l'a attrapée et qui en a gardé des séquelles ?
- La leucose bovine enzootique (LBE), une maladie très grave pour les bovins, elle a pratiquement disparu (grâce à la prophylaxie).
- La tuberculose, que je ne vous présente pas, et qui elle aussi pratiquement disparu des élevages (devinez grâce à quoi ?).
- La fièvre aphteuse, très grave pour les ruminants, qui a disparu en France (grâce, a la prophylaxie, aussi).
- La rhinotrachéite infectieuse bovine (IBR), qui elle n'est pas grave mais est prise en compte dans les échanges commerciaux (elle elle n'a vraiment pas disparu mais la lutte commence seulement).
- Le varron, un parasite qui finit sa vie larvaire dans le cuir des ruminants et en déprécie fortement la valeur.
- La fièvre catarrhale ovine, qui s'installe par chez nous depuis quelques années, et sans doute pour un bout de temps.
Mais la prophylaxie concerne aussi les ovins (pour la brucellose et la fièvre catarrhale) et les porcins (maladie d'Aujeszky, SDRP).
Dans tous les cas, soit l'État décide qu'il faut supprimer la maladie (prophylaxie obligatoire), soit ce sont les éleveurs (prophylaxie facultative, mais que l'État rend obligatoire si au moins 60% des éleveurs s'y mettent de leur propre chef, ça a été le cas de l'IBR).
Je parlais d'organisation titanesque. Ce n'est vraiment pas un vain mot, même en réduisant la prophylaxie à mon niveau de vétérinaire sanitaire libéral, ce qui est injuste pour ces techniciens des services vétérinaires et ces vétérinaires sanitaires qui interviennent à l'abattoir. L'inspection de la carcasse de l'animal permet de rechercher certains agents pathogènes dangereux pour l'homme et/ou l'animal. La plupart des (rares) cas de tuberculose sont aujourd'hui découverts par cette voie, on recherche des parasites dans les carcasses d'équidés ou de porcins... Je ne devrais pas non plus oublier la recherche de l'ESB dans la moelle épinière des bovins.
La prophylaxie mobilise chaque année tous les troupeaux bovins et ovins, ainsi que les élevages porcins. Tous les ans, il faut attraper ces bestioles pour leur faire des prises de sang, quand une épizootie de fièvre catarrhale ne vient pas compliquer les choses en obligeant à les coincer deux, voire quatre fois de plus. En plus, curieusement, la plupart des ces bêtes n'apprécient pas de subir :
- une prise de sang (recherche de brucellose, de LBE, d'IBR et de varron).
- une injection intradermique de tuberculine, qui permet de dépister la tuberculose.
- deux injections intra-musculaires de vaccins contre la FCO.
Et là, il faut aimer les coups de pieds et ne pas tenir à sa propreté, parce que les prises de sang se font sous la queue. Âmes sensibles s'abstenir, il y a de la violence (dirigée contre le véto, je tiens à rassurer les amis des bêtes), de la merde et du sang. Que la vache vive dans une belle stabulation bien paillée ou dans un pré en altitude (allez les choper les limousines qui ne voit un homme qu'une fois par an, pour se faire perforer par un maniaque).
Chaque tube est identifié par le numéro du bovin ou de l'ovin, étiqueté, puis envoyer au laboratoire départemental. je vous laisse imaginer la complexité du bazar et la rigueur nécessaire. Quand je pense qu'on nous prédisait la mort du papier grâce à l'informatique !
De plus en plus, la prophylaxie est aussi l'occasion d'assurer un suivi sanitaire, un genre de mini audit de l'élevage sur les points-clefs (enfin, il paraît) : contrôle de la pharmacie de l'éleveur, de la tenue des registres, des précautions sanitaires de bases, de l'état général des animaux, de l'hygiène de la traite (enfin, ça, franchement, c'est théorique...). Cet aspect de la prophylaxie, avec l'éradication de ces maladies, vient peu à peu remplacer la "pique" d'antan. On y verra la marche du progrès, ou l'expression de la paranoïa attribuée au consommateur et l'invasion des tracasseries administratives et de la paperasse...
Commentaires
Prem's!!!!
Donc la prophylaxie, c'est le temps où les vétos enfourchent leurs montures, acceptant résignés leur destin maudit, ils seront blessés, meurtris, il y aura du sang, ce sera la merde; qu'importe, les bêtes auront leur dose.
Fourrure :
Dis comme ça, ça a plus d'allure.
Savez-vous quel est le tarif final de tous ces examens ?
Il me semblait (mais cela a peut-être changé) qu'en dessous d'un certain nombre d'ovins la prophylaxie était moins rigoureuse. Tous les ans mon véto. me dit que cette fois il y aura les moutons et chaque fois pas de consigne-papiers donc pas de prophylaxie ovine. N'étant pas du genre à faire de l'excès de zèle…
Sinon franchement je préfère être l'éleveur plutôt que l'élevé, tout comme je préfère être la piqueuse plutôt que la piquée. o_o
Pour faire une analogie avec le technique, on peut dire :
C'est bien la maintenance préventive, ça évite plein de problèmes qui apparaissent en curatif (et ça augmente le taux de disponibilité de l'installation, mais bon, je ne suis pas sur que dans le cas des animaux on puisse parler comme ça)
Enfin comme en technique c'est plus galère à mettre en place, et impose de la rigueur. Comme quoi vous n'êtes pas loin du meccano :D
C'est l'avantage des médecins, ils ne reçoivent pas de coups de pied, juste des récriminations ( parfois) ... Soigner préventivement n'est pas toujours simple !
Fourrure : Et qu'en pense l'éleveur, de cette grand messe annuelle ?
Un mal indispensable, cette prophylaxie ! Par contre, je vis très très mal le contrôle de la pharmacie ou du livre , les questions style " Vos animaux sont ils au contact des animaux sauvages ?" et autres jugements...
Fourrure :
Faut dire que la question sur la faune sauvage, pour une question con, c'est une question con... Un jugement, par contre ?
Pour la pharmacie (et le reste), les vétérinaires ont refusé de servir de contrôleurs-sanctionneurs, et, la plupart de ceux que je connais se contentent de constater et d'expliquer ce qu'il faut faire pour améliorer, sans marquer de mauvaise "note", sauf abus flagrant, ce qui est rarissime. Notre boulot, c'est de soigner et de conseiller, pas de contrôler...
Ce qui est épatant dans le contrôle du style de vie des animaux c'est la répétition. Nos chers administratifs pensent-ils sincèrement que d'une année sur l'autre le mode d'élevage change ?! Comme nous l'explique très bien PH dans son blog, l'élevage se fait plutôt sur la durée. Si l'on est en extensif, paturage etc en 2005, en général c'est pareil en 2006, 2007 etc
Bah non tous les ans mêmes questions. Perte de temps et gaspillage de paperasse car je ne pense pas que ces données soient utilisées pour améliorer quoique ce soit.
Fourrure :
Oui, mais bon.. les visites sanitaires en sont réalisées que depuis deux ans... Je ne dis pas qu'elle servent à quelque chose pour autant, quoique certaines m'aient permis d'ouvrir des discussions avec des éleveurs sur des sujets essentiels, que nous n'aurions sans doute pas aborder autrement.
Quant au dépistage en lui-même, bof mais bon c'est obligatoire et j'ai des animaux très coopérants prélevable en plein champs. Je plains très sincèrement les éleveurs qui doivent courir après leurs lots de génisses ou de mouton…
Fourrure :
N'oublions pas que c'est grâce à ces prélèvements que la brucellose, la tuberculose et la leucose ont disparu. A cette occasion que la vaccination contre la fièvre aphteuse était réalisée. Avec d'autres politiques (comme la PAC), la prophylaxie a fait passer l'élevage français d'une agriculture ruinée à celle que nous connaissons aujourd'hui... avec ses bons et ses mauvais côtés, mais ne crachons pas dans la soupe. Rest eà l'adapter au monde actuel, et c'est ce qui semble être en passe de se faire, même si je reste circonspect.
Tout à fait d'accord avec vous concernant l'utilité mais au quotidien… ce n'est pas toujours facile de voir l'aspect positif d'où l'intérêt d'avoir d'autres avis.
Erratum : "moutonS"
L'agriculture d'aujourd'hui est aussi une agriculture ruinée