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mercredi 25 novembre 2015

Prophylaxie

Trente. Je pose le trentième tube dans la boîte en carton déformée par l'humidité, au bout de la rangée. Plus qu'une rangée et la boîte sera complète, plus que trois rangées et un tube de plus, et ce supplice sera terminé. J'essaye de mettre le moins de bouse possible dans la boîte, alors j'essuie le tube, et ma main, contre ma blouse. Il faut que je réinscrive le numéro de la vache, l'encre du stylo a bavé.
Pendant ce temps, les quatre blondes précédentes ont jailli du couloir et couru vers le pré, tandis que M. Arize et son fils poussaient les suivantes vers le piège. Le père, pantalon de toile bleue, veste indéfinissable, casquette. Râblé, et silencieux, sauf pour râler.
J'ai remis des tubes dans ma poche droite, des aiguilles dans la gauche, cherché mon porte-tube. Les deux pistolets à tuberculiner sont encore chargés. L'aiguille du second est un peu tordue. Le rasoir fera encore quelques vaches. Le cutimètre est couvert de sang.
J'ai froid. Il fait presque doux, aujourd'hui. Neuf degrés. Hier, à la même heure, nous étions plutôt dans les moins un. Mais il faisait beau. Aujourd'hui, il pleut, il bruine, il crachine, les nappes de brouillards se sont enfin levées, mais elles ont été remplacées par des rafales de vents qui aident la pluie à nous transpercer.
Je piétine, pour me réchauffer. A mes côtés, Mme Arize cache l'inventaire des bovins dans un grand calendrier du Crédit Agricole presque neuf. 2014. Au moins, ses feuilles sont propres.

Ça y est. Les quatre vaches sont dans le couloir. La porte est refermée. Je visse l'aiguille sur le porte-tube du vacutainer, pré-insère le tube sous vide, saisis la queue avec ma main gauche, glisse la droite en dessous. Je plante, enfonce le tube. Le sang vient, vite. Je retire l'ensemble, ôte le tube, essuie le sang et la merde avec ma blouse, écris le numéro. 0740. La trente-et-unième. Les vaches se sont mal alignées dans le couloir de tubes de métal, je fais le tour, ce sera plus pratique par l'autre côté. J'ai les yeux presque fermés pour les protéger des rafales de bruine. Je retire l'aiguille du porte-tube, la recapuchonne, visse la nouvelle, pré-insère le tube sous vide, saisis la queue avec ma main gauche, glisse la droite en dessous. Je plante, elle sursaute. Raté. J'ai aspiré du vide. Je l'insulte mollement, change le tube, et recommence. Cette fois, j'anticipe sa fuite, le tube se remplit très vite d'un chaud liquide écarlate. Je retire l'ensemble, ôte le tube, essuie le sang et la merde avec ma blouse, écris le numéro. 4587. La trente-deuxième. Les vaches ont bougé, je refais le tour du couloir.
Pendant ce temps, le fils de M et Mme Arize, brun, silencieux, et même : taciturne, a pris le rasoir et commencé à raser les vaches. Quelques centimètres carrés sur le tiers supérieur et sur le tiers inférieur de l'encolure. Je ne lui ai rien montré, il a regardé. Je lui explique comment changer la lame, les quelques astuces pour ne pas les couper. Je le remercie, il n'y a rien à ajouter.
Je finis les prises de sang sur les deux dernières vaches. Trente-quatre.
Je pose mon porte-tube, je prends les pistolets à tuberculiner. Le A, dans la main gauche, pour l'aviaire. Le B, pour la bovine, dans ma main droite. Le A pour le tiers supérieur, le B pour le tiers inférieur. Je vise le bas de la zone rasée, en évitant de faire l'intra-dermo sur une coupure, s'il y en a une. Une fois, deux fois, trois fois, quatre fois. Je pose mes pistolets, et prends le cutimètre. Mme Arize ouvre son grand calendrier.

« Je commence par la dernière. 105, 90. 110, 85. 120, 100. Merde arrêt de bouger, cocotte ! Bordeeeel, ça ne fait pas mal ! 110, non, 100. Et 80. »

Toujours dans le même ordre, toujours, je mesure le pli de peau sur la zone rasée, sur mon point de piqûre. Dans trois jours, nous referons passer les 71 vaches dans le couloir, et je re-mesurerai les plis de peau. Pourvu qu'ils ne s'épaississent pas, pourvu que les plis de la tuberculine bovine ne soient jamais supérieurs aux plis de l'aviaire. Si ça grossit beaucoup, c'est peut-être parce qu'il y a de la tuberculose. Si ça ne grossit que sur le A, c'est sans doute de l'aviaire, on s'en fout. Si ça ne grossit que sur le B, c'est la merde.

La grosse merde.

« C'est bon pour moi ! »

Une prise de sang par vache, pour rechercher la brucellose et l'IBR. Une intra-dermo comparative pour chaque, pour la tuberculose. Le grand cirque annuel de la prophylaxie.

Le fils Arize ouvre le couloir tandis que son père calme les vaches trop serrées dans le parc en amont du couloir de contention. Il gueule, elles la ferment. Les quatre vaches s'échappent, il referme le couloir, j'ouvre la porte d'entrée, les vaches s'engouffrent, vite, pour une fois. Je claque la porte derrière la quatrième.

Je visse l'aiguille sur le porte-tube, pré-insère le tube, je saisis la queue avec ma main gauche, glisse la droite en dessous. Je plante, enfonce le tube. Elle tressaille mais je suis. Le sang ne vient pas, je bouge un peu, tourne l'ensemble, ça vient, ça vient vite. Je retire mes mains, ôte le tube, essuie le sang et la merde avec ma blouse, écris le numéro. 3338. La trente-cinquième. M. Arize en profite pour reposer une boucle d'identification.

Il pleut, et j'en ai marre. Le lot est fini et après ces quatre là, il faudra bouger le couloir. Il faudra l'apporter un peu plus loin, devant la vieille étable, pour y faire dix-sept vaches. Cinq passages, en gardant une ou deux vaches dedans à l'avant-dernier, pour que la dernière soit calée, et pas seul sur la longueur du couloir. Et puis il faudra re-bouger tout ça pour aller à deux kilomètres de là, pour le solde, les… combien ? Trente-huit ici, vingt-sept là-haut, donc seize vaches. Quatre couloirs. Une rangée pleine dans la boîte, et six de plus.

Je me tourne, instinctivement, dos au vent. Comme les chevaux, dans le pré à quelques mètres, qui nous regardent d'un œil morne lorsque la pluie et le vent nous donnent un répit, et se tournent lorsque reviennent les rafales. Quatre comtoise, aux culs d'armoires normandes.
Il fait gris, tout est gris, même l'herbe rase dans les champs et les chênes et les châtaigners et les autres arbres que je ne sais pas reconnaître, qui s'entêtent à garder leurs feuilles dont les ors proverbiaux se sont depuis longtemps accordés à la bouse qui macule mes bottes, ma blouse, mon visage et mes mains. J'ai froid.
La cloche de la salers qui mène le troupeau sonne dans le pré. Elle avait eu bien du mal à passer dans le couloir avec ses antennes en forme de lyre. Meuglements, coups de gueule, le métal du couloir qui frotte sur le béton de la cour, la cloche, le vent.
Nous travaillons, méthodiques, silencieux, maussades, unis dans notre détestation de ce travail mais résignés à être efficaces pour y passer le moins de temps possible.

J'ai reposé mon cutimètre, Mme Arize a replié son calendrier. J'observe le fils Arize qui manœuvre en virtuose le couloir attelé avec une chaîne à la fourche du tracteur. La machine promène l'immense structure de tubes d'acier comme s'il s'agissait d'un panier en osier.
Je range mon bordel, je suis le tracteur, je suis le couloir, je suis M et Mme Arize en les aidant à refermer le pré du premier lot de vaches. Le fils, d'un seul mouvement de son tracteur, a posé le couloir là où il devait être. Il le soulève, son père libère l'essieu du couloir qui bascule et se pose au sol. Ils n'échangent pas un mot, pas un geste. Le fils bascule sa fourche, le père détache la chaîne, le fils recule et gare le tracteur, son père est déjà en train de fixer les barrières qui feront un entonnoir canalisant les vaches de l'étable vers le couloir.
Nous sommes contre le bâtiment. Il pleut, un crachin si dense qu'on dirait du brouillard. La cloche de la salers, le meuglement des vaches, en bas. Le cliquetis de la chaîne de la première vache libérée par M. Arize, dans l'étable.

Je visse l'aiguille sur le porte-tube, pré-insère le tube, je vais saisir la queue avec ma main gauche…

J'ai faim.

J'ai froid.

lundi 7 mars 2011

Pétasse

Une stabulation à l'ancienne, bien au chaud alors que la pluie glacée bat les lourdes portes de chêne. Il y a une dizaine, peut-être une douzaine de vaches de chaque côté du couloir central. Nullement perturbées par mon intrusion, elles s'affairent avec le foin odorant que le vieux bonhomme à casquette leur a dispensé "afin de les occuper".

Avec ses bottes, son bleu, sa moustache et sa casquette, il fait la conversation tout seul, parle de la pluie, de la neige, de l'hiver qu'est parti trop tôt mais qui va r'venir en traqu'nard, des jeunes qu'on pu l'courage d'faire des veaux sous la mère mais ils ont bien raison c'est un boulot de con, du voisin qu'a des vaches qui sont tellement maig' que l'vent les fait vaciller, de trucs et de riens. Il meuble mon silence appliqué de véto méfiant, habitué aux réactions de peur des vaches qui n'ont pas l'habitude d'entendre des voix étrangères. Dans mes mains et dans mes poches, il y a l'arsenal du parfait piqueur : tubes sous vides, aiguilles, pistolet à tuberculiner, injecteur automatique pour la microdose. Un vrai soldat, prêt à traumatiser les phobiques des aiguilles.

J'apprécie le parfum de l'étable, sa propreté, son air à la fois immuable et désuet. Son charme ancien. Le papy a saisit une étrille, et entreprend la première des limousines. Qui lève la queue de plaisir sous les coups de brosses. Je n'ai qu'à tendre le bras pour planter mon aiguille, vite et en douceur, de ce mouvement décidé mais patient qui évite l'essentiel de la douleur.

Puis j'avise l'ardoise au dessus de la vache. Un papy brosseur, une étable comme avant, un foin odorant. Et même des ardoises. Presque trop beau pour être vrai. Mâchouillant le capuchon de mon aiguille, de ce mouvement qui me valut à l'époque de m'arracher l'émail d'une incisive, j'abandonne l'ancien et sa vache pour déambuler sur le couloir central. Celle que je viens de piquer s'appelle Soleil. Sa voisine : Tulipe. Puis viennent Pilule, Bastille ou Clémentine. Calice. Tendrette. La Rousse. Pétasse.

"Pétasse ?"

J'ai parlé à haute voix.

"Mais pourquoi Pétasse ?"

Je me suis retourné vers le papy, hilare.

Une douleur fulgurante. Je suis projeté entre deux vaches de l'autre côté du couloir, allongé au sol entre leurs postérieurs que je fuis dans une panique instinctive, cherchant le refuge du passage central pour m'y tordre de douleur.

Pétasse, oui.

J'ai compris pourquoi.

Lorsque je me suis relevé, quelques minutes plus tard, pour finir cette prophylaxie en claudiquant, , je me suis méfié comme de la peste de la dernière vache du bâtiment.

Celle qu'il avait baptisée "Salope".

Cette fois-ci, je ne me suis pas laissé surprendre.

samedi 18 décembre 2010

Au fil de l'eau...

... au fil des mots...

Les journées et les nuits s'enchaînent avec une fluide et trompeuse facilité, mais elles me laissent une étrange sensation de temps enfui. Pour la première fois, des ébauches de billets s'accumulent sur dotclear. Pas la tête à écrire. Pas la tête à réfléchir, je me laisse juste porter, balloté de cas tout bête en cas de merde, de petites joies en belles réussites ou en échecs.
Un chat qui sert de corde à nœuds à deux chiens. Hémorragie thoracique, décès en deux jours.
Une chienne de chasse qui se fait juste disséquer un muscle intercostal par une défense de sanglier, sans pneumothorax. Petit chantier là où je craignais un gros boulot.
Une anémie hémolytique des familles, qui vient tester mon dernier protocole immunomodulateur.
Un stagiaire de troisième qui n'imaginait pas qu'il y aurait des choses aussi tristes que des agneaux morts-nés ou l'euthanasie d'une vieille jument. Qui ne pensait pas non plus qu'un "grand" pouvait s'arrêter sur la route pour ramasser une grive en état de choc. Des fois que ça compenserait ?
Il n'imaginait d'ailleurs pas non plus le nombre de papiers que je peux remplir en une semaine. Surtout une semaine avec deux après-midi à faire des visites sanitaires bovines, un genre de questionnaire assez con, surtout chez les éleveurs à deux-trois vaches (pour les "vrais", encore, ça peut ouvrir des pistes de discussion).
J'apprécie beaucoup les conversations avec lui. Il a quoi, 14-15 ans ? Il est un peu en retrait, mais attentif. Branché. Je dois faire bien attention à ne pas oublier son âge, à préparer et débriefer. On ne sort pas indemne d'une première rencontre avec la mort toute nue, d'avec la douleur des gens.
De la prophylaxie, tranquille pépère, cerveau débranché, éviter les coups de pieds - prise de sang, tuberculine, puis vaccin. Routine, routine, confortable routine.
Une césarienne, un p'tit veau dans sa stabu, une perfusion ou deux, un cheval boiteux.
De la compta.
Du givre, de la flotte. Ne jamais oublier mon bonnet.
Ne pas oublier non plus que c'est une mauvaise idée d'aller râper des dents de chevaux quand il fait -2°C. Les entailles sur les mains et l'eau glacée, dur dur.
Tiens, une belle tentative d'arnaque. Je lui offrirai un billet. Des fois que ça puisse servir, ou faire sourire.
Le flot des consultations ne s'interrompt pas, des clients râlent : "oui, mais c'est vous que je veux voir." Je ne peux pas être partout.
Une bête consultation vaccinale, je détecte une masse abdominale, à explorer. Inquiétant. Je parie un hémangiome, une tumeur de la rate. Prise à temps, ce n'est pas méchant, comme le dit la pub.
Piro, piro et piro. Pour changer.
Ah et sinon, monsieur, oui, contre la leptospirose, votre chien aurait pu être vacciné. Il s'en serait très probablement sorti.
Pas comme cette IRC. Fin de règne. Fin de vie.
Belle polyarthrite auto-immune, je suis tout fier, j'ai trouvé une cellule de Hargrave. Beau diagnostic, docteur. J'en parle à tout le monde à la clinique, je suis tout content, et en plus, le chien va super bien. Auto-congratulation.
Je suis tout aussi content d'avoir sorti un pseudo-pit' de sa catégorie. Hop, plus de muselière ! J't'en foutrais du chien méchant.
Touiller du caca d'un effectif de chiens, diarrhée mucoïde un peu étonnante. La coproscopie : un art, un sacerdoce.
Brasser de la pisse, de la merde et du vomi. Pas étonnant que ma femme me demande de virer toutes les saloperies non identifiables et bizarrement macérées qui s'accumulent sur la bonde de l'évier. J'ai l'habitude, je suis vétérinaire.
Belle radio d'un thorax de chat avec de très moches métastases de tumeurs mammaires. Elle n'en a sans doute plus pour très longtemps. Sa propriétaire va s'enfoncer un peu plus dans sa déprime. Les curieux en apprendront plus ici et , et la verront .
Un couple d'anglais m'amène un chat à castrer. Ils aiment la sonorité du mot "châtrer". Étonnante conversation.
Et puis il y a ces souvenirs qui n'arrivent pas à devenir des billets, douleurs à mûrir, à accoucher avant de publier.
L'oreiller, le réveil.
Heureusement, il y a la splendeur des collines givrées, des couchers et levers de soleil d'hiver, toutes les boules de poils et les sourires, des clients, des ASV, des simples passants.

jeudi 13 novembre 2008

Journal de campagne - Fièvre Catarrhale Ovine : coup de blues post-epizooticum

Les choses se tassent sérieusement. Nous avons bouclé le gros de notre vaccination en 6 semaines de folie, et, aujourd'hui, il ne reste plus à vacciner que quelques bêtes éparpillées dans les prés d'éleveurs pas stressés. Il y a aussi quelques veaux par ci, par là, qui atteignent les deux mois et demi, âge minimum de la première injection vaccinale.

Nous avons attaqué les prises de sang sur les veaux vaccinés destinés au marché italien : ils doivent être viro-négatif pour passer la frontière, et ces analyses nous ont réservé de belles surprises. Un tiers des veaux vaccinés environ sont actuellement porteurs du virus. Entendons-nous bien : ils ne sont absolument pas malades, ils sont simplement porteurs du virus, pour quelques semaines. Un moustique les a piqué, leur a transmis le virus, comme ils sont vaccinés ils ne sont pas malades, mais cela interdit leur vente à l'étranger, ce qui n'arrange pas la trésorerie des éleveurs, déjà pris à la gorge.

Il marche d'ailleurs drôlement bien, ce vaccin : je n'ai pas vu une vache malade depuis presque deux mois. Ah si, une : elle avait une autre maladie, et son affaiblissement a permis au virus de se développer.

La plupart des éleveurs attendent donc les 60 jours après la seconde injection pour envoyer leurs veaux en Italie, car ce délai permet d'éviter la fatidique virologie. Ce qui, en soit, est complètement stupide : ce n'est pas parce que ces veaux seront bien vaccinés qu'ils ne seront pas porteurs. Tout au plus peut-on espérer qu'ils ne risquent pas trop de transmettre le virus grâce à leurs défenses immunitaires et leur faible taux viral sanguin.

A côté de ça, la machine à rumeurs fonctionne toujours aussi bien, il ne se passe pas deux jours sans qu'un éleveurs viennent me parler du sérotype 52 qui serait apparu dans un élevage du Boukhistan, et qu'il va falloir rattraper toutes les bêtes, docteur.

Nan.

Pas d'autre sérotype pour le moment, s'il se passe quelque chose, on vous préviendra.

Bref, l'activité vétérinaire à proprement parler, s'est considérablement ralentie. Nous en avons profité pour prendre quelques jours voire semaine (au singulier, quand même), de congé.

Surtout, nous nous sommes lancé dans la délirante montagne de paperasses engendrée par cette crise sanitaire.

Pour chaque visite de suspicion, une fiche de police sanitaire : quatre pages.

Pour chaque élevage vacciné, un inventaire relevant chaque bête ayant reçu l'injection, avec date et type de vaccin évidemment. Quand on n'est passé que deux fois dans un élevage, c'est facile. Quand on est venu pour huit lots différents, c'est le drame. Dis comme ça, ça a l'air facile, mais nous avons vraiment vacciné très vite, et pas relevé grand chose. Funeste erreur lorsqu'il faut faire les comptes... Pour chaque élevage, je compte, je coche, je vérifie et je recoupe, je contrôle les âges des veaux et les intervalles entre injections.

Pour chaque élevage, date, nom du vaccin, signature et tampon sur chaque passeport de veau destiné à l'export. Une fois pour chaque injection, ça en fait des lignes ! Encore une fois, attention aux âges minimaux !

Pour chaque élevage, une facture spéciale sur une fiche spéciale, avec déduction de l'aide directe de l'état. Un exemplaire pour l'éleveur, un exemplaire pour l'organisme qui nous versera (un jour) cette aide, et la retranscription de cette facture dans notre propre logiciel. Evidemment, les tarifs sont par visite et par bête, mais varient selon la taille des cheptels.

Pour chaque éleveur, des dizaines de minutes d'explications.
C'est l'Etat qui paye une partie, ne vous inquiétez pas, c'est marqué là. Cette facture, une fois acquittée - oui, il faut la payer avant d'être remboursé, sans blague - vous l'amenez au conseiller agricole du conseil général, pas celui de la chambre, il va vous monter le dossier. Pour les vaccinations faites avant le passage de notre département en zone infectée, c'est le conseil régional. Non, je ne sais pas qui s'occupe de ça. Pour les médicaments administrés aux animaux soignés pour la FCO, vous amenez la copie de notre facture (oui, je vais vous faire un double), de notre ordonnance, et une déclaration sur l'honneur au conseiller agricole de la chambre d'agriculture. Non, pas à celui du conseil général, vous rigolez ? Pour les bêtes euthanasiées, je vais vous faire un certificat d'euthanasie. Non, pas besoin de certificat pour celles qui sont mortes "naturellement". Elles, vous fournirez le bon d'équarrissage. Vous ne l'avez plus ? Ben demandez un double à l'équarrissage. Ah, vous avez filé le cadavre de la brebis à vos chiens ? Super, c'est une excellente idée. Non, ils ne risquaient pas grand chose, c'est vrai. Mais pour le bon d'équarrissage, oubliez, et l'aide aussi du coup. Oui, monsieur, c'est illégal, je suis désolé. L'inscription UPRA ? Ah ça ce sont des documents qui sont en votre possession, là je ne peux rien faire. Ah oui, il y a une franchise de 3% du cheptel et un plafond à 25%. 3% de 20 brebis ? Ben 0.6 brebis, je suppose. Non, je ne sais pas si vous serez indemnisé avec une seule bête morte. Vous verrez avec le conseiller. Celui de la chambre, hein, pas celui du conseil général. Il a une permanence le jeudi matin à la mairie. mais pas cette semaine, il est en vacances. Pour deux semaines, paraît-il. Sa collègue de Framboisy devrait pouvoir vous aider si vous êtes pressé. Ah, oui, Framboisy, c'est à 30km est vous avez 80 ans.

Soyons sérieux : la vaccination à proprement parler, ce n'était que le tiers du boulot. Le premier tiers, c'était la logistique, l'organisation, bref toute la préparation de la vaccination. Le dernier tiers, cette folie de paperasses de la maison qui rend fou.

Avec ça, il faut ajouter ce curieux syndrome de relâchement qui nous envahit tous, à la clinique. Moi plus que les autres, cela dit. A ma décharge, c'est moi qui ai organisé toute la vaccination et qui fait toutes les factures : trop complexe pour s'y mettre à plusieurs si on voulait aller vite.
Au mois de septembre, j'ai travaillé 280 heures. Un joli score, je trouve. Octobre n'était pas mal non plus, en tout cas au début du mois. Et là, les quelques jours de repos que j'ai pris m'ont complètement cassé.

En septembre, j'avais redécouvert cet étrange rush d'adrénaline permanent qui m'avait permis de traverser la classe préparatoire vétérinaire. Drôle de sensation, drôle de plongée dans mes souvenirs.

Maintenant, je me sens... sans objet. Sans direction. Un peu perdu, étonné au milieu de mes papiers, presque désorienté sans l'objectif précis qui m'avait permis de tenir.

Pour la suite ?

On verra bien...

vendredi 3 octobre 2008

Prophylaxie

Prophylaxie, c'est un mot qui signifie, en gros, "méthode de prévention".
La prophylaxie dont je vais vous parler, la plupart des acteurs du monde rural la nomment "pique" ou "prophylo".
Je pense que c'est surtout un aspect du métier de vétérinaire que peu de gens connaissent.

Pour les vaches, les moutons et les chèvres, ce terme désigne en général les prises de sang qui sont réalisées annuellement sur une partie du cheptel français. Ainsi, tous les ans, je vais chez tous mes clients éleveurs de bovins pour réaliser une prise de sang sur chaque vache de plus de deux ans. Je vais également chez chaque éleveur de moutons pour faire une prise de sang sur tous ses reproducteurs, ou sur une partie s'il a vraiment un très gros cheptel. Les règles de cette lutte organisée par l'État sont édictées dans chaque département en fonction de leur situation sanitaire. Selon les maladies, le rythme peut être annuel, ou bisannuel, voire moins souvent. Quand une maladie est éradiquée, on arrête...

La prophylaxie est presque intégralement prise en charge par l'Etat : frais vétérinaires, analyses de laboratoire, gestion globale, ce qui a permis l'élimination de nombreuses maladies dangereuses pour le cheptel comme pour l'homme.

C'est une organisation titanesque qui mobilise :

  • Les éleveurs, qui doivent assurer la contention de leurs animaux.
  • Les vétérinaires sanitaires (des vétérinaires qui agissent sur mandat de l'État dans ce genre de situation), qui réalisent les prises de sang, ou toute autre opération, comme la vaccination contre la fièvre catarrhale ovine, ou (mais c'est terminé pour l'instant), contre la fièvre aphteuse...
  • Les laboratoires départementaux vétérinaires, qui réalisent les analyses.
  • Les groupements de défense sanitaire, qui organisent.
  • Les directions des services vétérinaires, qui supervisent le tout.

Par exemple, pour les bovins, la prophylaxie concerne, ou a concerné :

  • La brucellose, une maladie qui a presque disparu (grâce à la prophylaxie). Chez l'homme, on parle de fièvre de Malte, vous avez peut-être un grand-père qui l'a attrapée et qui en a gardé des séquelles ?
  • La leucose bovine enzootique (LBE), une maladie très grave pour les bovins, elle a pratiquement disparu (grâce à la prophylaxie).
  • La tuberculose, que je ne vous présente pas, et qui elle aussi pratiquement disparu des élevages (devinez grâce à quoi ?).
  • La fièvre aphteuse, très grave pour les ruminants, qui a disparu en France (grâce, a la prophylaxie, aussi).
  • La rhinotrachéite infectieuse bovine (IBR), qui elle n'est pas grave mais est prise en compte dans les échanges commerciaux (elle elle n'a vraiment pas disparu mais la lutte commence seulement).
  • Le varron, un parasite qui finit sa vie larvaire dans le cuir des ruminants et en déprécie fortement la valeur.
  • La fièvre catarrhale ovine, qui s'installe par chez nous depuis quelques années, et sans doute pour un bout de temps.

Mais la prophylaxie concerne aussi les ovins (pour la brucellose et la fièvre catarrhale) et les porcins (maladie d'Aujeszky, SDRP).

Dans tous les cas, soit l'État décide qu'il faut supprimer la maladie (prophylaxie obligatoire), soit ce sont les éleveurs (prophylaxie facultative, mais que l'État rend obligatoire si au moins 60% des éleveurs s'y mettent de leur propre chef, ça a été le cas de l'IBR).

Je parlais d'organisation titanesque. Ce n'est vraiment pas un vain mot, même en réduisant la prophylaxie à mon niveau de vétérinaire sanitaire libéral, ce qui est injuste pour ces techniciens des services vétérinaires et ces vétérinaires sanitaires qui interviennent à l'abattoir. L'inspection de la carcasse de l'animal permet de rechercher certains agents pathogènes dangereux pour l'homme et/ou l'animal. La plupart des (rares) cas de tuberculose sont aujourd'hui découverts par cette voie, on recherche des parasites dans les carcasses d'équidés ou de porcins... Je ne devrais pas non plus oublier la recherche de l'ESB dans la moelle épinière des bovins.

La prophylaxie mobilise chaque année tous les troupeaux bovins et ovins, ainsi que les élevages porcins. Tous les ans, il faut attraper ces bestioles pour leur faire des prises de sang, quand une épizootie de fièvre catarrhale ne vient pas compliquer les choses en obligeant à les coincer deux, voire quatre fois de plus. En plus, curieusement, la plupart des ces bêtes n'apprécient pas de subir :

  • une prise de sang (recherche de brucellose, de LBE, d'IBR et de varron).
  • une injection intradermique de tuberculine, qui permet de dépister la tuberculose.
  • deux injections intra-musculaires de vaccins contre la FCO.

Et là, il faut aimer les coups de pieds et ne pas tenir à sa propreté, parce que les prises de sang se font sous la queue. Âmes sensibles s'abstenir, il y a de la violence (dirigée contre le véto, je tiens à rassurer les amis des bêtes), de la merde et du sang. Que la vache vive dans une belle stabulation bien paillée ou dans un pré en altitude (allez les choper les limousines qui ne voit un homme qu'une fois par an, pour se faire perforer par un maniaque).

Chaque tube est identifié par le numéro du bovin ou de l'ovin, étiqueté, puis envoyer au laboratoire départemental. je vous laisse imaginer la complexité du bazar et la rigueur nécessaire. Quand je pense qu'on nous prédisait la mort du papier grâce à l'informatique !

De plus en plus, la prophylaxie est aussi l'occasion d'assurer un suivi sanitaire, un genre de mini audit de l'élevage sur les points-clefs (enfin, il paraît) : contrôle de la pharmacie de l'éleveur, de la tenue des registres, des précautions sanitaires de bases, de l'état général des animaux, de l'hygiène de la traite (enfin, ça, franchement, c'est théorique...). Cet aspect de la prophylaxie, avec l'éradication de ces maladies, vient peu à peu remplacer la "pique" d'antan. On y verra la marche du progrès, ou l'expression de la paranoïa attribuée au consommateur et l'invasion des tracasseries administratives et de la paperasse...

lundi 22 septembre 2008

Journal de campagne - Fièvre Catarrhale Ovine : Usure

Pour suivre ces billets publiés au gré des moustiques :

Ca y est, le premier cycle de trois semaines est bouclé, nous avons attaqué les rappels de vaccination. La panique est totalement oubliée, au point que certains n'ont même plus envie de vacciner... Quand je leur explique que le sérotype 1, c'était l'apéritif avant le 8, en général, ils prennent rendez-vous. Certains veulent attendre quand même, mais aurais-je des doses pour eux ?

A priori, cette galère des doses est derrière nous : aller piquer des flacons au cabinet voisin pour tenir jusqu'à la livraison du lendemain, en prêter à un autre, en faire envoyer à un troisième qui va vacciner certains de "nos" moutons en estives. Cette crise aura au moins permis de resserrer les liens entre les vétérinaires de la région.

Les nouveaux foyers deviennent plus rares. Logique, tout le monde a la pécole ! Par contre, nous découvrons plusieurs fois par semaines de petits cheptels non déclarés, qu'ils faut régulariser avant de vacciner. Maintenant, la procédure est bien rodée : coup de fil à la chambre d'agriculture, attribution d'un numéro EDE, prises de sang de création de cheptel, prises de sang pour virologie FCO, traitement des malades, et vaccination des brebis par encore atteintes. A la fin de la crise, le département aura "gagné" un certain nombre de têtes ! Paradoxal quand les pertes peuvent s'élever jusqu'à 30% dans certains cheptels. Les gens n'ont clairement aucune idée des obligations qu'implique la détention de ruminants, même pour tondre la pelouse.

Si les foyers deviennent plus rares, je ne sais pas trop pour le nombre d'animaux malades, c'est assez difficile à suivre : nous ne visitons que les nouveaux foyers ou les cas très graves, les éleveurs soignant eux-mêmes la plupart de leurs bêtes. Au vu du nombre de flacons d'antibiotiques et d'anti-inflammatoires vendus, en tout cas, il y a encore pas mal de nouveaux cas. Ou d'anciens qui traînent.

Je suis assez surpris par le nombre de vaches que nous avons perdu. Oh, pas des dizaines, mais peut-être 0.5-1% du cheptel ? Des vaches qui bricolent et s'affaiblissent malgré tous les traitements, avec des myosites majeures, des syndromes hémorragiques digestifs voire nasaux. D'autres ne supportent pas une co-morbidité avec une pathologie grave, telle une mammite aiguë ou une broncho-pneumonie. A côté des mortes, il y a beaucoup d'animaux sérieusement touchés, qui mettront des semaines, voire des mois, à se remettre. De plus, certains taureaux seront peut-être infertiles. Un dommage moins spectaculaire mais sans doute plus important que la mortalité. Un peu comme les "blessés graves" des accidents de la route, oubliés par rapports aux morts.
Du côté des brebis, la mortalité est par contre moindre qu'escomptée : soignées à temps (c'est à dire dès le premier jour de la maladie), la plupart s'en sortent bien avec une semaine de traitement.

Vaccins FCO : avant - aprèsDe notre côté, c'est l'usure. Nous avons vacciné plus de dix milles bêtes en moins de trois semaines, et il faut recommencer. Certains jours, les coups de pieds sont plus difficiles à éviter... Normal avec 6 à 7 jours de travail par semaine, dix à douze heures par jour, et ce depuis plus d'un mois. Sans parler des (heureusement rares) urgences nocturnes.

Nous risquons trop souvent l'erreur en devant penser à trop de choses simultanément. Préparer les plannings de vaccination, n'oublier personne, gérer les animaux malades et surtout continuer à faire tourner la clinique, car la vie ne s'est pas arrêtée pour un moustique : bobos, vaccins, vrais malades, chiens à sangliers éventrés, vêlages, etc. Nous en avons déjà commises quelques une, des erreurs, qui ne seraient pas survenues en temps normal. Rien de grave, heureusement : nous sommes conscients de nos limites, mais vivement dans trois semaines ! Plus que 8000 bêtes !

lundi 9 juin 2008

Paysan heureux, fièvre catarrhale et humeurs...

J'ai failli poster un commentaire hier en découvrant l'avalanche de visiteurs venus de ce blog que je suis régulièrement depuis quelques mois. Voir dans mon agrégateur un billet intitulé "Boules de fourrure" est assez surprenant ! Et puis j'ai décidé de laisser quelques heures passer, ne pas poster à chaud. Le très gentil courrier de paysan heureux pour me signaler son billet m'a décidé à franchir le pas, et à transformer le commentaire en billet.

Il y a quelques mois, j'ai écris un court billet pour signaler l'existence de ce blog, que je suis avec plaisir. Le quotidien d'un éleveur, entre ses vaches, ses prés et ses cultures, ses humeurs et ses réflexions. Puis la fièvre catarrhale et ses tensions sont passées par là. J'ai alors découvert avec beaucoup de tristesse l'état de colère et de stress dans lequel se trouve une partie du monde paysan. Ca m'a réellement.. touché. J'ai ressenti un sentiment d'injustice. Et j'ai continué à lire, car ce blog m'offrait une fenêtre directe sur les mots d'un éleveur durement frappé par les conséquences réglementaires et financières de la maladie, très différente de mes sources d'informations habituelles, c'est à dire la presse professionnelle vétérinaire et la communication des grands organismes tels que le Ministère de l'Agriculture, l'AFSSA, l'Ordre, etc.

A ce stade, j'ai préféré ne pas réagir, ou peu. Qu'aurais-je pu dire à quelqu'un qui, très légitimement, se sent dépossédé de sa responsabilité sur son élevage par le biais de tracasseries administratives et d'interventions diverses de personnes extérieures, qui est obligé de payer encore et toujours quand son revenu ne fait que diminuer, et que la moitié de la population française soupçonne de vouloir empoisonner ses bêtes qu'il maltraite et envoie, sans coeur, à l'abattoir ? Qui se permettrait de se plaindre d'être injustement traité en lisant les mots d'un éleveur tel que paysan heureux ?

Moi ?

Oui.

Sans grand état d'âme, car je connais ses difficultés quotidiennes, et parce que j'ai les miennes, du même ordre, ou d'autres. Nous avons, éleveurs comme vétérinaires, tout à perdre et rien à gagner dans cette crise sanitaire.

Et donc ?

Pas grand chose... j'en veux beaucoup à notre ministère de tutelle qui a géré cette histoire de vaccination avec ses pieds, qui a laissé les vétérinaires et les éleveurs se déchirer en n'imposant pas son autorité quand il aurait du le faire.
La vaccination contre la fièvre catarrhale (sérotype 1) dans le sud ouest a été obligatoire et prise en charge par l'Etat, afin d'éradiquer cette souche de la maladie de notre territoire. Très bien.
La vaccination contre la fièvre catarrhale (sérotype 8) sur notre territoire sera obligatoire et prise en charge par l'Etat à partir de la campagne de prophylaxie de cet automne. Comme il en a toujours été au cours de diverses crises sanitaires que nous avons traversé. Très bien.
Mais dans l'intervalle, entre avril et novembre 2008, la vaccination contre la FCO8 sur notre territoire est facultative, et corollaire, en partie à la charge de l'éleveur, qui en a déjà par-dessus la tête. Cerise sur le gâteau, l'Etat n'a pas tranché et n'a pas dit clairement qui devrait vacciner. Les vétérinaires, habitués aux crises précédentes, n'ont pas imaginé un seul instant qu'ils ne seraient pas ceux qui vaccineraient ! Jusqu'à ce que la FGDSA mette les pieds dans le plat en s'engouffrant dans la brèche créée et entretenue par le Ministère de l'Agriculture.
Pour beaucoup de vétérinaires, ça a été un choc. Je ne m'attendais absolument pas à voir des représentants des éleveurs être aussi vindicatifs, et, surtout, aussi déconnectés de ce que je voyais et entendait sur le terrain ! Ici, la plupart de mes clients ont exigé que les vétérinaires vaccinent, histoire d'être sûrs qu'il n'y aurait pas de magouilles.
Aujourd'hui, les vétérinaires entendent bien vacciner, comme l'exige la réglementation actuelle. Les éleveurs ne sont pas tous d'accord, et les discussions ressemblent généralement à des échanges d'insultes quand on me les transcrit. Sauf chez paysan heureux, où j'ai lu sa colère, mais surtout ses arguments, ses aspirations, ses doutes, sa détresse aussi. De quoi nuancer ma réflexion quand trop se contentent d'écouter ce que raconte leur "camp". Un terme révélateur : certains, représentants des éleveurs comme vétérinaire, semblent prendre cela pour une guerre dont j'ai peur de saisir les réels enjeux.

Bizarre, non ? Tous les vétos disent que ça se passe plutôt bien avec leurs clients, mais apparemment, chez les autres, ce n'est pas le cas. Parce que nous comprenons nos clients, qui nous connaissent, que nous écoutons, quand nous imaginons je ne sais quoi dans d'autres régions françaises ?

Je crois surtout qu'il y a un décalage entre l'ancienne génération de vétérinaires, à l'image de notables et de tout-sachant, et la nouvelle, plus technique et plus souple. Entre l'ancienne génération d'éleveurs, qui n'osait pas faire une simple piqûre à ses vaches, et la nouvelle, formée, technique, habituée aux interventions extérieures et qui exige, légitimement, une certaine forme de reconnaissance.
Vu de mon petit coin de France, c'est surtout ici que je situe les racines de la crise humaine que nous semblons vivre aujourd'hui.

Le vétérinaire ne veut pas être pris pour un technicien corvéable et sous-estimé, ni pour un notable privilégié qu'il n'est plus.
L'éleveur ne veut pas être pris pour un bouseux inculte, incapable de saisir un diagnostic ou les enjeux d'une lutte sanitaire.
Je crois ne pas faire cette erreur. Mais je connais des vétérinaires qui n'ont pas vu certaines évolutions et qui réagissent avec colère et incompréhension aux revendications de leurs clients... ou de leurs représentants.

Je crois par contre fermement que la dérégulation que l'absurdité de cette situation semble légitimer serait une erreur. On a vu l'effet de la "privatisation" des services vétérinaires sanitaires en Grande-Bretagne au travers des crises qui ont secoué ce pays. Est-ce un exemple à suivre ? Oh, je ne veux pas agiter le spectre du désastre que nous encourrions si les éleveurs vaccinaient, ce serait idiot, mais une certaine réflexion s'impose sur l'avenir du mandat sanitaire qui confère cette "autorité" et cette responsabilité aux vétérinaires.
Faut-il pour autant se braquer et envoyer paître des éleveurs acculés ?
Non, certainement non. Une négociation intelligente sur les tarifs, par exemple, aurait sans doute désamorcé la crise. Une position claire sur "qui fait quoi" aussi. C'était le rôle du Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, comme pour toute prophylaxie d'ampleur. Et le ministère s'est désengagé.

Amertume, et colère, chez les vétérinaires comme chez les éleveurs, pour quel bénéfice ?

Paysan heureux m'a blessé, mon ton lors de ce billet le montre sans doute. Pas lors de son dernier billet, au contraire, mais en dévoilant son amertume et en pointant du doigt les points qui lui, le mettaient hors de lui, au cours des derniers mois. Je me suis senti injustement mis en cause. J'ai eu envie de me défendre, mais comment, et pour quoi ?
Et en lisant son dernier billet, par contre, je retrouve cette alliance presque naturelle, cette compréhension entre deux partenaires professionnels plongés dans les mêmes galères. Des partenaires qui ont oublié de travailler intelligemment, ensemble, sur cette crise.

En attendant, je continue à soigner les vaches et à écouter ceux avec qui je partage mon quotidien : les éleveurs.

Mais je crains les cicatrices.

mercredi 23 avril 2008

Fièvre Catarrhale Ovine

Ca y est. la lumière est éteinte. Il aura fallu trois semaines de préparation pour en arriver là : aller moi-même à une formation sur le sujet, fabriquer le diaporama, trouver un vidéoprojecteur et la salle, et surtout, surtout, faire venir ces quarante personnes. Je passe sur l'écran qui manquait malgré le gars de la mairie vu dans l'après-midi, j'en ai déniché un dans un placard au rez-de-chaussée. Ou sur la journée de fou qui a précédé cette réunion, pour changer.

J'ai une conscience aiguë de tous ces gens assis dans l'ombre, de tous ces visages connus, appréciés ou non. Ils sont tous éleveurs. Presque tous de bovins allaitants. Ils ont entre 25 et 80 ans. Il y a quelques femmes. Pas nombreuses. Je n'ai pas vraiment le trac, je maîtrise mon sujet et j'ai envie de leur faire passer ce message, ce soir.

Sur l'écran, il est écrit : Fièvre Catarrhale Ovine, alias Maladie de la langue bleue.

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