Journal de campagne - Fièvre Catarrhale Ovine : du plan aux premiers cas
dimanche 31 août 2008, 17:25 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Je vais essayer de tenir un journal un peu décalé de cette invraisemblable épizootie. Quand j'y pense... trois ans que la maladie touche le nord de l'Europe ou l'Espagne, deux ans qu'elle est en France, et je n'ai lu presqu'aucun article sur la façon dont les vétérinaires (et encore moins les autres acteurs de la filière) ont vécu la crise. Ni même d'actualisation des listes de symptômes ou de l'épidémiologie de la maladie. Encore moins de papier du genre "ça s'est passé comme ça, c'est ça, ou ça, qui nous a mis la puce à l'oreille".
Le rappel des faits
La fièvre catarrhale ovine est une maladie connue depuis très longtemps dans l'hémisphère sud. Elle s'introduit progressivement en France depuis plusieurs années. Plus connue sous le nom de maladie de la langue bleue ou blue tongue, elle affecte uniquement les ruminants. Il en existe de très nombreuses formes, mais deux surtout nous concerne en France métropolitaine :
- Le sérotype 1, confiné jusqu'à il y a peu au pays basque et à ses environs, s'attaque aux ovins. Les bovins et caprins le subissent plutôt comme une mauvaise grippe, rien de très méchant.
- Le sérotype 8, venu de Hollande (probablement via transport aérien depuis l'Afrique), qui est aussi mauvais que le 1 pour les moutons mais qui, en plus, rend les bovins très malades. Pour les chèvres, je ne connais pas assez la question pour en parler de façon constructive.
Le virus responsable de la FCO n'est pas contagieux d'animal à animal : il doit absolument passer par un petit moustique très particulier qui sert de vecteur. Du coup, la maladie peut frapper n'importe où et se déplace au gré des courants aériens... Les mesures classiques de gestion des épidémies ne fonctionnent pas (isolement/abattage des animaux malades par exemple).
J'ai assez longuement parlé de cette maladie dans ce billet, alors que, dans ma région, nous commencions à nous préparer pour l'épizootie.
Le plan
Pendant des mois, ce schéma de lutte a persisté : sérotype 8 dans le très grand quart nord-est, sérotype 1 dans le pays basque, tout petit bout de quart sud ouest.
Les décideurs ont choisi : on vaccinerait tout le pays contre le sérotype 8, le plus dangereux pour les bovins, en commençant par les régions historiquement touchées afin d'essayer de sauver la filière. Le reste du pays serait vacciné au rythme des chaînes de fabrication des vaccins.
Pour le sérotype 1, les départements autour du pays basque subiraient une vaccination massive et obligatoire contre le sérotype 1 afin de tenter d'étouffer le virus. L'idée était de l'empêcher de se "réfugier" dans des ruminants afin de le faire disparaître, ce qui revient à ôter son combustible à un feu pour l'empêcher de brûler.
A la mi-août, quasiment tous les animaux du nord est du pays étaient vaccinés contre le sérotype 8. Presque tous les troupeaux des départements des Pyrénées Atlantiques, des Hautes Pyrénées, du Gers, des Landes et de la Gironde étaient vaccinés contre le sérotype 1. Dans cette zone, les cas devenaient assez rares. Les choses semblaient à peu près sous contrôle.
Les premiers cas
Dans toute la France, une vaccination dérogataire était réalisée par les vétérinaires sur les broutards, ces jeunes bovins destinés à l'exportation en Espagne et en Italie, ces deux pays refusant l'entrée sur leur territoire d'animaux non-vaccinés.
C'est au cours de l'une de ces tournées de vaccination qu'un éleveur m'a présenté une vache, une blonde d'Aquitaine de 6 ans qu'il trouvait "un peu bizarre". Il ne me l'aurait probablement pas montrée si je n'étais pas passé par là pour une autre raison.
La bête avait 39.8°C de température, une bonne fièvre, donc. Les muqueuses congestionnées, ce qui est normal en cas de fièvre. Elle respirait vite, rien de bien étonnant avec cette hyperthermie et la chaleur estivale. Elle ne présentait par ailleurs aucun symptôme d'aucune sorte. J'ai suspecté une maladie parasitaire transmise par les tiques, et traité en fonction, notamment avec des anti-inflammatoires. La bête a été mieux pendant deux jours, puis a rechuté. Devant l'absence de nouveaux symptômes, une antibiothérapie de couverture a été mise en place, les anti-inflammatoires ont été arrêtés (plus de fièvre). La vache était simplement "raide". Nous nous sommes dits qu'elle devait avoir de l'arthrose.
Dans le même temps, un troupeau d'habitude sans histoire a compté dans ses rangs deux vaches boiteuses, ce qui ne serait pas forcément surprenant si ces boiteries n'avaient pas concerné tous les membres simultanément. L'une des deux bêtes avait un peu de fièvre (39.1°C). Encore une fois, aucun symptôme ! Le jour suivant, l'une des deux vaches a présenté un écoulement nasal séreux, très liquide. Toutes deux semblaient éprouver d'assez importantes douleurs dans les membres, et se déplaçaient comme des animaux âgés. Une autre vache du même troupeau a commencé à présenter le même tableau clinique.
A ce stade, nous n'avions fait aucun lien entre les deux élevages. Nous ne nous inquiétions pas trop puisque de toute façon, même si le problème n'était pas identifié, il ne se passait rien de bien méchant. Un virus respiratoire banal aurait pu provoquer de tels symptômes.
C'est le coup de fil d'un vétérinaire du canton voisin qui nous a amené à réaliser : lui avait déjà 6 troupeaux du même type et commençait sérieusement à suspecter la FCO. Nous n'y avions même pas pensé. C'est lorsqu'il a prononcé ces trois lettres que nous avons compris ce qui nous arrivait. Et nous avons confirmé ses soupçons en lui parlant de nos cas.
Les premières prises de sang de suspicion ont été réalisées. A ce moment là, nous ne savions pas du tout où nous allions. Nos tubes de sang sont partis au laboratoire départemental. La DSV nous a confirmé un très grand nombre de suspicions.
Nous ne savions pas du tout à quel sérotype nous faisions face, mais nous supposions le 8 en raison des nombreux cas sur les bovins. Nous ne savions pas encore comment ces animaux allaient évoluer, mais nous discutions quotidiennement avec les vétérinaires de la DSV pour les tenir au courant, et centraliser les informations.
Les déplacements de ruminants en dehors du département, et donc tout le négoce, ont été gelés.
Nous avons téléphoné à chacun de nos clients éleveurs d'ovins ou de bovins laitiers, afin de les prévenir au plus vite et de les encourager à reprendre immédiatement la désinsectisation que la plupart d'entre eux avaient abandonné. Nous avons compté sur le bouche à oreille pour que l'information circule ensuite à tous les éleveurs de la région, ce qui a été le cas.
Cette période a duré environ une semaine. Elle a pris fin avec les résultats du laboratoire vétérinaire départemental.
Commentaires
Je tâcherai d'en savoir plus pour le rappel des génisses... Globalement, la vaccination des vaches semble bien marcher puisque pour le moment mais il est plus prudent d'attendre de fouiller pour connaître le taux de pleines... Je me suis posé la question pour une vache prête à partir que je n'avais pas vacciné, elle a eu un gros mal blanc mais n'a jamais perdu l'appétit , donc pas de grosse fièvre, mon véto a été formel ! Dans tous les cas qu'il a vu, les bêtes sont abattues. Mais , il y a beaucoup de cas où ce sont les zéro de vente qui ont mis en, évidence la maladie...Par contre, il a eu un cas positif sur une vache vaccinée, mais l'écart entre rappel et prise de sang était de moins de 15 jours ce qui laisse penser que l'animal était atteint avant...
Donc, la prudence est de mise et je répète avec Toi que nous manquons d'informations précises !Il serait interessant de connaître rapidement le taux d'échec du vaccin par exemple ! Le seul point de divergence concernera le choix de vacciner les régions historiques. Si toute cette crise a été gérée en dépit du bon sens, cette décision est la seule bonne ! Je vais paraître égoïste ! Mais nous exportons plus de 120 000 animaux dans mon département( 71 ) , nous avons 220 000 vaches allaitantes, alors imagine en regardant la carte actuelle des cas et la densité d'animaux ce qui ce serait passé si... Les éleveurs l'ont compris, puisque les 400 000 doses allouées ont été faites en 2 mois !
Fourrure : Mais je n'ai jamais dit que c'était une mauvaise décision, moi.
Il fallait faire un choix : soit la logique épidémiologique, soit la logique économique. La seconde a été préférée par les politiques, et, personnellement, je pense que c'est bien. Ce sont mes clients qui ont plus de mal :
"Mais pourquoi on attends d'avoir la fièvre pour vacciner ?
- On n'attends pas d'avoir la fièvre, nous avons simplement les doses en dernier parce que, là-haut dans le nord, ça fait 2-3 ans qu'ils se battent avec cette saleté !
Ce qui m'étonne, c'est que cette épizootie semble s'étende comme un feu de broussailles, mais que nulle mention n'en est faite dans les journaux... La situation semble problématique, même si elle n'et pas encore critique (en ne le deviendra pas, j'espère!)... Et cependant, rien...
Fourrure : Apparemment il y a eu des reportages à la télé et la presse locale y consacre régulièrement des articles.
Dans un tout autre registre, au sujet de votre article sur la farfouillectomie... Pourquoi les carcasses de poulet sont si dangereuses pour les chiens? Je veux dire, les loups et les chiens sauvages, ils mangent des proies, donc des carcasses... Les chiens domestiques sont ils si fragilisés comparativement à leurs cousins et leurs frères sauvages?
Fourrure :
J'ai déjà répondu à cette question : donner des carcasses à un carnivore domestique, c'est s'exposer à un risque. Évidemment, le risque est le même pour un animal sauvage ! C'est comme un président des Etats-Unis avec un bretzel : la plupart du temps, tout va bien... mais il arrive aussi que les animaux sauvages meurent bêtement d'une perforation intestinale, d'une indigestion de graines, ou je ne sais quoi.
Encore une fois : nous avons la possibilité d'éviter ce risque à nos animaux domestiques, c'est un choix à faire.
Et pourquoi ce genre d'alimentation "naturelle" est il porté aux nues par certains sil c'est si dangereux?
Fourrure : C'est le syndrome "la-nature-est-bien-faite". Naturel ne veut pas dire meilleur. Naturel, ça veut dire "naturel". Avec les bons... et les mauvais côtés. Si nous, humains, vivons de plus en plus vieux et sommes de moins en moins malades, ce n'est pas parce que la nature est bien faite... (ne me faites pas dire qu'elle est mal faite, je vous vois venir !).
En attendant, je continue à espérer que malgré le stress et le travail harassant, vous vous ménagez du mieux possible.
Bien amicalement, Adeline
@ Fourrure : le "de moins en moins malade" reste à prouver, car plus nous vivons vieux plus nous augmentons notre risque d'être malade, grâce à certaines techniques nous sauvons des personnes certe mais cela limite la "sélection par la résistance" (je ne critique pas, je constate) et fragilise donc l'espèce. Un individu qui grandit dans un pays industrialisé aura besoin pour se soigner d'une maladie d'un traitement bien plus important qu'un individu vivant dans des conditions que nous considérons plus précaires.
Fourrure : Le débat est un peu trop large, et hors sujet, je passe.
@ Adeline : pour les carcasses, il me semble (mais je me trompe pê) qu'un canidé sauvage d'une part mange la carcasse de la volaille mais aussi ce qu'il y a autour (qqs plumes et viande) qui doit faire une protection et ce n'est pas son alimentation principale, et d'autre part si cela fait dix générations que le goupil se nourrit de poules, ses intestins doivent être plus résistants.
Fourrure : Non ! D'une part le goupil se nourrit plus d'escargots et de souris que de poules, quant à la protection... regardez un chien manger une carcasse, vous verrez ce qu'il en fait, de la protection. Ensuite ce n'est pas parce qu'on mange des poules depuis plus de dix générations qu'on a les intestins plus résistants. Après tout, c'est aussi le cas de la plupart des chiens de chasse dont fait partie le chien que j'ai opéré !
Heureusement que le virus se transmet par le moustique, je crois que j'aurais mal digéré l'abattage de la totalité de mon cheptel. Cette technique me semble assez abjecte.
Fourrure : C'est malheureusement la seule chose raisonnable à faire dans certains cas (qui a dit : fièvre aphteuse ?). Abject ou pas...
Pour que le vaccin permette d'éradiquer la maladie, il eusse aussi fallu vacciner les ruminants sauvages… J'imagine nos chers véto. courant après chevreuil et autre cervidé…
Fourrure : Pas évident, les données sont très fragmentaires. Si les ruminants sauvages sont aussi résistants à la maladie qu'on le suppose, leur rôle de réservoir pourrait être limité dans les années à venir.
Tranche d'humour noir : un FCO1 et un FCO8 se rencontre dans une vache, que se disent-il ?
Fourrure : Vu comme c'est parti, vous le saurez bientôt, et cela risque de ne pas être beau à voir...
PS : Êtes vous sûr que la FCO est d'apparition aussi récente en France ?
Fourrure : En France métropolitaine (j'exclus donc la Corse), le sérotype 8 est arrivé en 2006. La maladie est suffisamment peu discrète pour que nous en soyons sûrs...
Chez nous, les symptômes sont assez différents: nous avons plutôt confondu les premiers cas avec des coups de soleil, avec naseaux et trayons rouge brique, et une poussée de fievre de courte durée, et vu beaucoup de petites bronchites inexpliquées. C'est quand les "coups de soleil" ont commencé à se faire très fréquents, et que la congestion a laissé la place à des croutes douloureuses qu'on a réalisé ce qui se passait. Je n'ai vu mes premières boiteuses qu'aujourd'hui, soit trois semaines après l'arrivée de la maladie dans la région.
la corse fait partie de la France métropolitaine, ne n'est ni un DOM ni un TOM :-)
sinon bon courage pour le gestion de cette crise qui va beaucoup vous occuper ces temps-ci...
Fourrure
Je l'attendais celle-là ! Bon, ok, mais pas pour les épidémies !
Et pour nous les humains omnivores qui mangeont de l'agneau du boeuf du poulet ou du fromage de brebis : qu'est-ce qui va nous arriver avoir la langue bleue ou quoi ?
Fourrure : Non ! Cette maladie ne touche que les ruminants ! Les produits laitiers comme la viande ne sont pas affectés (en sachant que de toute façon on n'abat pas un animal malade). Il n'y a aucun danger pour l'homme. Même vieux, malade, et enceint !
Pour avoir la langue bleue, mangez des myrtilles.