Journal de campagne - Fièvre Catarrhale Ovine : du plan aux premiers cas

Je vais essayer de tenir un journal un peu décalé de cette invraisemblable épizootie. Quand j'y pense... trois ans que la maladie touche le nord de l'Europe ou l'Espagne, deux ans qu'elle est en France, et je n'ai lu presqu'aucun article sur la façon dont les vétérinaires (et encore moins les autres acteurs de la filière) ont vécu la crise. Ni même d'actualisation des listes de symptômes ou de l'épidémiologie de la maladie. Encore moins de papier du genre "ça s'est passé comme ça, c'est ça, ou ça, qui nous a mis la puce à l'oreille".

Le rappel des faits

La fièvre catarrhale ovine est une maladie connue depuis très longtemps dans l'hémisphère sud. Elle s'introduit progressivement en France depuis plusieurs années. Plus connue sous le nom de maladie de la langue bleue ou blue tongue, elle affecte uniquement les ruminants. Il en existe de très nombreuses formes, mais deux surtout nous concerne en France métropolitaine :

  • Le sérotype 1, confiné jusqu'à il y a peu au pays basque et à ses environs, s'attaque aux ovins. Les bovins et caprins le subissent plutôt comme une mauvaise grippe, rien de très méchant.
  • Le sérotype 8, venu de Hollande (probablement via transport aérien depuis l'Afrique), qui est aussi mauvais que le 1 pour les moutons mais qui, en plus, rend les bovins très malades. Pour les chèvres, je ne connais pas assez la question pour en parler de façon constructive.

Le virus responsable de la FCO n'est pas contagieux d'animal à animal : il doit absolument passer par un petit moustique très particulier qui sert de vecteur. Du coup, la maladie peut frapper n'importe où et se déplace au gré des courants aériens... Les mesures classiques de gestion des épidémies ne fonctionnent pas (isolement/abattage des animaux malades par exemple).

J'ai assez longuement parlé de cette maladie dans ce billet, alors que, dans ma région, nous commencions à nous préparer pour l'épizootie.

Le plan

Pendant des mois, ce schéma de lutte a persisté : sérotype 8 dans le très grand quart nord-est, sérotype 1 dans le pays basque, tout petit bout de quart sud ouest.
Les décideurs ont choisi : on vaccinerait tout le pays contre le sérotype 8, le plus dangereux pour les bovins, en commençant par les régions historiquement touchées afin d'essayer de sauver la filière. Le reste du pays serait vacciné au rythme des chaînes de fabrication des vaccins.
Pour le sérotype 1, les départements autour du pays basque subiraient une vaccination massive et obligatoire contre le sérotype 1 afin de tenter d'étouffer le virus. L'idée était de l'empêcher de se "réfugier" dans des ruminants afin de le faire disparaître, ce qui revient à ôter son combustible à un feu pour l'empêcher de brûler.

A la mi-août, quasiment tous les animaux du nord est du pays étaient vaccinés contre le sérotype 8. Presque tous les troupeaux des départements des Pyrénées Atlantiques, des Hautes Pyrénées, du Gers, des Landes et de la Gironde étaient vaccinés contre le sérotype 1. Dans cette zone, les cas devenaient assez rares. Les choses semblaient à peu près sous contrôle.

Les premiers cas

Dans toute la France, une vaccination dérogataire était réalisée par les vétérinaires sur les broutards, ces jeunes bovins destinés à l'exportation en Espagne et en Italie, ces deux pays refusant l'entrée sur leur territoire d'animaux non-vaccinés.

C'est au cours de l'une de ces tournées de vaccination qu'un éleveur m'a présenté une vache, une blonde d'Aquitaine de 6 ans qu'il trouvait "un peu bizarre". Il ne me l'aurait probablement pas montrée si je n'étais pas passé par là pour une autre raison.
La bête avait 39.8°C de température, une bonne fièvre, donc. Les muqueuses congestionnées, ce qui est normal en cas de fièvre. Elle respirait vite, rien de bien étonnant avec cette hyperthermie et la chaleur estivale. Elle ne présentait par ailleurs aucun symptôme d'aucune sorte. J'ai suspecté une maladie parasitaire transmise par les tiques, et traité en fonction, notamment avec des anti-inflammatoires. La bête a été mieux pendant deux jours, puis a rechuté. Devant l'absence de nouveaux symptômes, une antibiothérapie de couverture a été mise en place, les anti-inflammatoires ont été arrêtés (plus de fièvre). La vache était simplement "raide". Nous nous sommes dits qu'elle devait avoir de l'arthrose.
Dans le même temps, un troupeau d'habitude sans histoire a compté dans ses rangs deux vaches boiteuses, ce qui ne serait pas forcément surprenant si ces boiteries n'avaient pas concerné tous les membres simultanément. L'une des deux bêtes avait un peu de fièvre (39.1°C). Encore une fois, aucun symptôme ! Le jour suivant, l'une des deux vaches a présenté un écoulement nasal séreux, très liquide. Toutes deux semblaient éprouver d'assez importantes douleurs dans les membres, et se déplaçaient comme des animaux âgés. Une autre vache du même troupeau a commencé à présenter le même tableau clinique.

A ce stade, nous n'avions fait aucun lien entre les deux élevages. Nous ne nous inquiétions pas trop puisque de toute façon, même si le problème n'était pas identifié, il ne se passait rien de bien méchant. Un virus respiratoire banal aurait pu provoquer de tels symptômes.

C'est le coup de fil d'un vétérinaire du canton voisin qui nous a amené à réaliser : lui avait déjà 6 troupeaux du même type et commençait sérieusement à suspecter la FCO. Nous n'y avions même pas pensé. C'est lorsqu'il a prononcé ces trois lettres que nous avons compris ce qui nous arrivait. Et nous avons confirmé ses soupçons en lui parlant de nos cas.

Les premières prises de sang de suspicion ont été réalisées. A ce moment là, nous ne savions pas du tout où nous allions. Nos tubes de sang sont partis au laboratoire départemental. La DSV nous a confirmé un très grand nombre de suspicions.

Nous ne savions pas du tout à quel sérotype nous faisions face, mais nous supposions le 8 en raison des nombreux cas sur les bovins. Nous ne savions pas encore comment ces animaux allaient évoluer, mais nous discutions quotidiennement avec les vétérinaires de la DSV pour les tenir au courant, et centraliser les informations.

Les déplacements de ruminants en dehors du département, et donc tout le négoce, ont été gelés.

Nous avons téléphoné à chacun de nos clients éleveurs d'ovins ou de bovins laitiers, afin de les prévenir au plus vite et de les encourager à reprendre immédiatement la désinsectisation que la plupart d'entre eux avaient abandonné. Nous avons compté sur le bouche à oreille pour que l'information circule ensuite à tous les éleveurs de la région, ce qui a été le cas.

Cette période a duré environ une semaine. Elle a pris fin avec les résultats du laboratoire vétérinaire départemental.

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