dimanche 8 janvier 2017

Glissement

Je glisse.
Je glisse de village en hameau, de lampadaire en guirlande. Il n'y a pas un son, pas un mouvement, ou plutôt, il y a cette impression que ma voiture est immobile tandis que défilent les nappes de brouillard ? Je passe d'un havre à un autre en empruntant ces étranges et pourtant quotidiens corridors d'obscurité cotonneuse. Cela fait dix jours que le brouillard ne se lève plus sur les collines et les vallées. Parfois, du haut d'une crête, on aperçoit quelques chênes sur la colline suivante, une tour médiévale ou, plus loin, les Pyrénées. Pour replonger aussitôt dans un bassin de brume glacée. Minuit est passée depuis plus d'une heure, et il me reste quelques kilomètres avant d'atteindre cette ferme isolée où vit - par force ? - un reclus. M. Pirou est sourd, et muet. Je ne sais pas vraiment s'il a quarante, cinquante ou soixante ans. Il vit seul dans son silence, avec une meute de chiens hurlant à longueur de journée. Les voisins m'avaient même contacté pour se plaindre.
Je ne suis pas sûr d'être réveillé. J'ai bien tenté d'allumer la radio, mais je me suis senti agressé par la voix mielleuse d'un expert au nom improbable. Je lui ai aussitôt coupé le son. Je préfère tenter de ne pas réfléchir aux différents scénarios. Une torsion, et donc, à la clef, une césarienne ? Deux agneaux emmêlés qui sortent en même temps ? Une simple patte tordue ? J'avale les kilomètres en tentant de m'échapper du sommeil. Le réveil a été brutal, pourtant : la sonnerie du téléphone. Une voix inconnue ; un nom connu. Celui d'un éleveur de limousines à la retraite. Pas un client, mais je l'ai croisé à l'occasion, quand il venait "donner la main" pour la prophylaxie, chez ses voisins. Qui sont aussi à la retraite, d'ailleurs. Pourquoi m'appelle-t-il ? "M. Pirou, dans la cour de la ferme. Je crois qu'il essaye de me dire qu'il a une brebis qui n'arrive pas à mettre bas."
A une heure du matin ? C'est bien l'heure...
Je crois que j'ai pensé à haute voix. Je le remercie en grommelant, m'échappe de mon lit, enfile mes vêtements, et démarre ma voiture. Chauffage à fond. Je roule sans voir à plus de quelques mètres, presque au pas. Presque vingt bornes m'attendent, entre "grosses" départementales et petits chemins communaux. Je glisse.
J'entre dans la cour de la ferme. Enfin. M. Pirou est là, sous la chiche lumière du pas de sa porte. Il s'approche tandis que j'enfile mes bottes. Je lui tends la main. Pas de vœux, pas de bonjour. Devrions-nous faire semblant ? J'entre derrière lui dans la bergerie. Quelques tôles, une lampe, une brebis couchée, une patte qui dépasse. Donc pas de césarienne. Voit-il mon soupir de soulagement ? Je le regarde en articulant "combien d'agneaux ?" Il ouvre la main en tentant : "Drois"
Pas de césarienne, mais de la vraie manip' obstétricale. Les brebis et leurs agneaux s'écartent devant moi, deux d'entre elles parviennent à s'échapper. Elles rentreront bien vite, vu le froid.
M. Piou m'aide à écarter la parturiente du mur, j'enfile un gant, le tartine de lubrifiant, et explore. Un agneau. Mort ? Il ne réagit pas. Une patte dans le passage, la tête aussi, moins avancée, l'autre antérieur, introuvable. Je tourne et mobilise, cherche à comprendre, palpe l'épaule, glisse ma main. Les cris de la brebis déchirent le silence. Je lui parle, des mots idiots, des mots dénués de sens et même de pertinence. Juste un son doux, je sais que personne ne m'écoute. Je ronronne pour nous : pour la brebis et sa douleur, pour l'agneau qui est probablement mort, pour M. Pirou qui ne peut m'entendre mais qui a réussit à me faire venir, et pour moi, finalement. Je trouve les onglons, les ramène en le faisant passer de phalange en phalange, puis de doigt en doigt : je n'ai pas la place de bouger ma main, là-dedans. Je ramène le membre entier, réaligne la tête, et tire. Un long glissement, ferme et solide, et l'agneau se retrouve au sol dans un dernier cri maternel. Il inspire. Mal. Je me relève, le suspendant par les postérieurs. Je cherche de l'eau. Jette un œil sur le seau, vide. M. Pirou m'ouvre la porte et m'amène au seau qu'il avait préparé pour que je me lave les mains, à la fin. Tiède. Je le regarde : "Froid". Il secoue la tête. Je mime en me frottant les bras comme si je me gelais, tenant toujours mon agneau à la respiration erratique. Je le pose au sol, vide sa bouche, masse un peu. Il a compris, et ouvre un jet d'eau planqué sous un tas de paille. Première douche par moins trois. Bienvenue, bébé.
Je le ramène à la bergerie, et continue mes manœuvres. Massage, vidage de glaires. Il démarre gentiment. Je l'amène à sa mère, elle le lèche aussitôt. Il me reste à vérifier que tout va bien. Je remets un gant, explore l'utérus. Tout est en place. Je rentre chez moi.

Agnelage

dimanche 8 janvier 2012

Agneau de nuit

Autant vous prévenir, le billet qui suit est gore. Choquant. Un épisode classique d'une vie de véto, cru et répugnant. Il y a un animal qui souffre, et d'autres trucs moches.

Parce que véto, c'est aussi des trucs comme ça.

Vous êtes prévenus.

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mercredi 6 octobre 2010

Regard : agneau nouveau-né

Agneau nouveau-né

Eloigné du net pour quelques temps, je reste par contre envers et contre tout les mains dans le sang (à défaut de cambouis). Voici un agneau né par césarienne il y a quelques jours, chez un papy qui ne pensait pas que l'on puisse survivre à cette opération...

jeudi 15 octobre 2009

Le retour des largages de moustiques en tongs bleues

Morceaux choisis...

- Ouais, mais n'empêche, l'autre jour, il y avait de drôles de nuages de moustiques partout au-dessus des marronniers et dans le ciel, j't'avais jamais vu ça, moi à mon avis s'parce qu'il n'y a pas eu assez de cas alors ils ont largué des moustiques.
- Un coup d'pluie, un coup d'chaud et un vent pas habituel venu du sud, non ?

- Je comprends pas pourquoi on appelle ça la blou tong les brebis c'est la gueule qu'elles ont bleue.
- ...

- Tu vois bien qu'le vaccin il sert à rien il n'y a pas eu de cas sur nos bêtes s't'année, pourquoi on revaccinerait ?
- Parce que c'est le fait d'avoir vacciné l'an dernier qui les a protégées ?

- J'vois pas pourquoi on vaccine les bêtes qu'on exporte vu qu'elles restent pas chez nous ?
- Parce qu'ils ne veulent pas de notre virus là-bas ?

- Tu vois s't'année ils nous ont inventé la grippe du cochon parce qu'on n'a pas cru à la langue bleue l'an dernier

- La FCO il y a 26 sérotypes pourquoi c'est des numéros alors que la grippe y en a plus que 26 et c'est des lettres ?
- Question existentielle, il est vrai. Et puis il y a 24 sérotypes de FCO.

- Moi cette année je vaccine pas et elles sont pas malades, alors que l'an dernier j'ai vacciné et elles ont été malades, alors c'est le vaccin qui rend malade.
- Mon pote, tes brebis ont été malades avant qu'on les vaccine, tu as la mémoire courte.

Oui, c'est véridique. Le second plaisantait, cependant, mais un instant, j'ai eu un doute...

Pour ceux qui n'ont pas suivi, là, on parle de la fièvre catarrhale ovine, ou FCO, qui a ravagé l'élevage français ces dernières années.

jeudi 13 novembre 2008

Journal de campagne - Fièvre Catarrhale Ovine : coup de blues post-epizooticum

Les choses se tassent sérieusement. Nous avons bouclé le gros de notre vaccination en 6 semaines de folie, et, aujourd'hui, il ne reste plus à vacciner que quelques bêtes éparpillées dans les prés d'éleveurs pas stressés. Il y a aussi quelques veaux par ci, par là, qui atteignent les deux mois et demi, âge minimum de la première injection vaccinale.

Nous avons attaqué les prises de sang sur les veaux vaccinés destinés au marché italien : ils doivent être viro-négatif pour passer la frontière, et ces analyses nous ont réservé de belles surprises. Un tiers des veaux vaccinés environ sont actuellement porteurs du virus. Entendons-nous bien : ils ne sont absolument pas malades, ils sont simplement porteurs du virus, pour quelques semaines. Un moustique les a piqué, leur a transmis le virus, comme ils sont vaccinés ils ne sont pas malades, mais cela interdit leur vente à l'étranger, ce qui n'arrange pas la trésorerie des éleveurs, déjà pris à la gorge.

Il marche d'ailleurs drôlement bien, ce vaccin : je n'ai pas vu une vache malade depuis presque deux mois. Ah si, une : elle avait une autre maladie, et son affaiblissement a permis au virus de se développer.

La plupart des éleveurs attendent donc les 60 jours après la seconde injection pour envoyer leurs veaux en Italie, car ce délai permet d'éviter la fatidique virologie. Ce qui, en soit, est complètement stupide : ce n'est pas parce que ces veaux seront bien vaccinés qu'ils ne seront pas porteurs. Tout au plus peut-on espérer qu'ils ne risquent pas trop de transmettre le virus grâce à leurs défenses immunitaires et leur faible taux viral sanguin.

A côté de ça, la machine à rumeurs fonctionne toujours aussi bien, il ne se passe pas deux jours sans qu'un éleveurs viennent me parler du sérotype 52 qui serait apparu dans un élevage du Boukhistan, et qu'il va falloir rattraper toutes les bêtes, docteur.

Nan.

Pas d'autre sérotype pour le moment, s'il se passe quelque chose, on vous préviendra.

Bref, l'activité vétérinaire à proprement parler, s'est considérablement ralentie. Nous en avons profité pour prendre quelques jours voire semaine (au singulier, quand même), de congé.

Surtout, nous nous sommes lancé dans la délirante montagne de paperasses engendrée par cette crise sanitaire.

Pour chaque visite de suspicion, une fiche de police sanitaire : quatre pages.

Pour chaque élevage vacciné, un inventaire relevant chaque bête ayant reçu l'injection, avec date et type de vaccin évidemment. Quand on n'est passé que deux fois dans un élevage, c'est facile. Quand on est venu pour huit lots différents, c'est le drame. Dis comme ça, ça a l'air facile, mais nous avons vraiment vacciné très vite, et pas relevé grand chose. Funeste erreur lorsqu'il faut faire les comptes... Pour chaque élevage, je compte, je coche, je vérifie et je recoupe, je contrôle les âges des veaux et les intervalles entre injections.

Pour chaque élevage, date, nom du vaccin, signature et tampon sur chaque passeport de veau destiné à l'export. Une fois pour chaque injection, ça en fait des lignes ! Encore une fois, attention aux âges minimaux !

Pour chaque élevage, une facture spéciale sur une fiche spéciale, avec déduction de l'aide directe de l'état. Un exemplaire pour l'éleveur, un exemplaire pour l'organisme qui nous versera (un jour) cette aide, et la retranscription de cette facture dans notre propre logiciel. Evidemment, les tarifs sont par visite et par bête, mais varient selon la taille des cheptels.

Pour chaque éleveur, des dizaines de minutes d'explications.
C'est l'Etat qui paye une partie, ne vous inquiétez pas, c'est marqué là. Cette facture, une fois acquittée - oui, il faut la payer avant d'être remboursé, sans blague - vous l'amenez au conseiller agricole du conseil général, pas celui de la chambre, il va vous monter le dossier. Pour les vaccinations faites avant le passage de notre département en zone infectée, c'est le conseil régional. Non, je ne sais pas qui s'occupe de ça. Pour les médicaments administrés aux animaux soignés pour la FCO, vous amenez la copie de notre facture (oui, je vais vous faire un double), de notre ordonnance, et une déclaration sur l'honneur au conseiller agricole de la chambre d'agriculture. Non, pas à celui du conseil général, vous rigolez ? Pour les bêtes euthanasiées, je vais vous faire un certificat d'euthanasie. Non, pas besoin de certificat pour celles qui sont mortes "naturellement". Elles, vous fournirez le bon d'équarrissage. Vous ne l'avez plus ? Ben demandez un double à l'équarrissage. Ah, vous avez filé le cadavre de la brebis à vos chiens ? Super, c'est une excellente idée. Non, ils ne risquaient pas grand chose, c'est vrai. Mais pour le bon d'équarrissage, oubliez, et l'aide aussi du coup. Oui, monsieur, c'est illégal, je suis désolé. L'inscription UPRA ? Ah ça ce sont des documents qui sont en votre possession, là je ne peux rien faire. Ah oui, il y a une franchise de 3% du cheptel et un plafond à 25%. 3% de 20 brebis ? Ben 0.6 brebis, je suppose. Non, je ne sais pas si vous serez indemnisé avec une seule bête morte. Vous verrez avec le conseiller. Celui de la chambre, hein, pas celui du conseil général. Il a une permanence le jeudi matin à la mairie. mais pas cette semaine, il est en vacances. Pour deux semaines, paraît-il. Sa collègue de Framboisy devrait pouvoir vous aider si vous êtes pressé. Ah, oui, Framboisy, c'est à 30km est vous avez 80 ans.

Soyons sérieux : la vaccination à proprement parler, ce n'était que le tiers du boulot. Le premier tiers, c'était la logistique, l'organisation, bref toute la préparation de la vaccination. Le dernier tiers, cette folie de paperasses de la maison qui rend fou.

Avec ça, il faut ajouter ce curieux syndrome de relâchement qui nous envahit tous, à la clinique. Moi plus que les autres, cela dit. A ma décharge, c'est moi qui ai organisé toute la vaccination et qui fait toutes les factures : trop complexe pour s'y mettre à plusieurs si on voulait aller vite.
Au mois de septembre, j'ai travaillé 280 heures. Un joli score, je trouve. Octobre n'était pas mal non plus, en tout cas au début du mois. Et là, les quelques jours de repos que j'ai pris m'ont complètement cassé.

En septembre, j'avais redécouvert cet étrange rush d'adrénaline permanent qui m'avait permis de traverser la classe préparatoire vétérinaire. Drôle de sensation, drôle de plongée dans mes souvenirs.

Maintenant, je me sens... sans objet. Sans direction. Un peu perdu, étonné au milieu de mes papiers, presque désorienté sans l'objectif précis qui m'avait permis de tenir.

Pour la suite ?

On verra bien...

vendredi 3 octobre 2008

Prophylaxie

Prophylaxie, c'est un mot qui signifie, en gros, "méthode de prévention".
La prophylaxie dont je vais vous parler, la plupart des acteurs du monde rural la nomment "pique" ou "prophylo".
Je pense que c'est surtout un aspect du métier de vétérinaire que peu de gens connaissent.

Pour les vaches, les moutons et les chèvres, ce terme désigne en général les prises de sang qui sont réalisées annuellement sur une partie du cheptel français. Ainsi, tous les ans, je vais chez tous mes clients éleveurs de bovins pour réaliser une prise de sang sur chaque vache de plus de deux ans. Je vais également chez chaque éleveur de moutons pour faire une prise de sang sur tous ses reproducteurs, ou sur une partie s'il a vraiment un très gros cheptel. Les règles de cette lutte organisée par l'État sont édictées dans chaque département en fonction de leur situation sanitaire. Selon les maladies, le rythme peut être annuel, ou bisannuel, voire moins souvent. Quand une maladie est éradiquée, on arrête...

La prophylaxie est presque intégralement prise en charge par l'Etat : frais vétérinaires, analyses de laboratoire, gestion globale, ce qui a permis l'élimination de nombreuses maladies dangereuses pour le cheptel comme pour l'homme.

C'est une organisation titanesque qui mobilise :

  • Les éleveurs, qui doivent assurer la contention de leurs animaux.
  • Les vétérinaires sanitaires (des vétérinaires qui agissent sur mandat de l'État dans ce genre de situation), qui réalisent les prises de sang, ou toute autre opération, comme la vaccination contre la fièvre catarrhale ovine, ou (mais c'est terminé pour l'instant), contre la fièvre aphteuse...
  • Les laboratoires départementaux vétérinaires, qui réalisent les analyses.
  • Les groupements de défense sanitaire, qui organisent.
  • Les directions des services vétérinaires, qui supervisent le tout.

Par exemple, pour les bovins, la prophylaxie concerne, ou a concerné :

  • La brucellose, une maladie qui a presque disparu (grâce à la prophylaxie). Chez l'homme, on parle de fièvre de Malte, vous avez peut-être un grand-père qui l'a attrapée et qui en a gardé des séquelles ?
  • La leucose bovine enzootique (LBE), une maladie très grave pour les bovins, elle a pratiquement disparu (grâce à la prophylaxie).
  • La tuberculose, que je ne vous présente pas, et qui elle aussi pratiquement disparu des élevages (devinez grâce à quoi ?).
  • La fièvre aphteuse, très grave pour les ruminants, qui a disparu en France (grâce, a la prophylaxie, aussi).
  • La rhinotrachéite infectieuse bovine (IBR), qui elle n'est pas grave mais est prise en compte dans les échanges commerciaux (elle elle n'a vraiment pas disparu mais la lutte commence seulement).
  • Le varron, un parasite qui finit sa vie larvaire dans le cuir des ruminants et en déprécie fortement la valeur.
  • La fièvre catarrhale ovine, qui s'installe par chez nous depuis quelques années, et sans doute pour un bout de temps.

Mais la prophylaxie concerne aussi les ovins (pour la brucellose et la fièvre catarrhale) et les porcins (maladie d'Aujeszky, SDRP).

Dans tous les cas, soit l'État décide qu'il faut supprimer la maladie (prophylaxie obligatoire), soit ce sont les éleveurs (prophylaxie facultative, mais que l'État rend obligatoire si au moins 60% des éleveurs s'y mettent de leur propre chef, ça a été le cas de l'IBR).

Je parlais d'organisation titanesque. Ce n'est vraiment pas un vain mot, même en réduisant la prophylaxie à mon niveau de vétérinaire sanitaire libéral, ce qui est injuste pour ces techniciens des services vétérinaires et ces vétérinaires sanitaires qui interviennent à l'abattoir. L'inspection de la carcasse de l'animal permet de rechercher certains agents pathogènes dangereux pour l'homme et/ou l'animal. La plupart des (rares) cas de tuberculose sont aujourd'hui découverts par cette voie, on recherche des parasites dans les carcasses d'équidés ou de porcins... Je ne devrais pas non plus oublier la recherche de l'ESB dans la moelle épinière des bovins.

La prophylaxie mobilise chaque année tous les troupeaux bovins et ovins, ainsi que les élevages porcins. Tous les ans, il faut attraper ces bestioles pour leur faire des prises de sang, quand une épizootie de fièvre catarrhale ne vient pas compliquer les choses en obligeant à les coincer deux, voire quatre fois de plus. En plus, curieusement, la plupart des ces bêtes n'apprécient pas de subir :

  • une prise de sang (recherche de brucellose, de LBE, d'IBR et de varron).
  • une injection intradermique de tuberculine, qui permet de dépister la tuberculose.
  • deux injections intra-musculaires de vaccins contre la FCO.

Et là, il faut aimer les coups de pieds et ne pas tenir à sa propreté, parce que les prises de sang se font sous la queue. Âmes sensibles s'abstenir, il y a de la violence (dirigée contre le véto, je tiens à rassurer les amis des bêtes), de la merde et du sang. Que la vache vive dans une belle stabulation bien paillée ou dans un pré en altitude (allez les choper les limousines qui ne voit un homme qu'une fois par an, pour se faire perforer par un maniaque).

Chaque tube est identifié par le numéro du bovin ou de l'ovin, étiqueté, puis envoyer au laboratoire départemental. je vous laisse imaginer la complexité du bazar et la rigueur nécessaire. Quand je pense qu'on nous prédisait la mort du papier grâce à l'informatique !

De plus en plus, la prophylaxie est aussi l'occasion d'assurer un suivi sanitaire, un genre de mini audit de l'élevage sur les points-clefs (enfin, il paraît) : contrôle de la pharmacie de l'éleveur, de la tenue des registres, des précautions sanitaires de bases, de l'état général des animaux, de l'hygiène de la traite (enfin, ça, franchement, c'est théorique...). Cet aspect de la prophylaxie, avec l'éradication de ces maladies, vient peu à peu remplacer la "pique" d'antan. On y verra la marche du progrès, ou l'expression de la paranoïa attribuée au consommateur et l'invasion des tracasseries administratives et de la paperasse...

lundi 22 septembre 2008

Journal de campagne - Fièvre Catarrhale Ovine : Usure

Pour suivre ces billets publiés au gré des moustiques :

Ca y est, le premier cycle de trois semaines est bouclé, nous avons attaqué les rappels de vaccination. La panique est totalement oubliée, au point que certains n'ont même plus envie de vacciner... Quand je leur explique que le sérotype 1, c'était l'apéritif avant le 8, en général, ils prennent rendez-vous. Certains veulent attendre quand même, mais aurais-je des doses pour eux ?

A priori, cette galère des doses est derrière nous : aller piquer des flacons au cabinet voisin pour tenir jusqu'à la livraison du lendemain, en prêter à un autre, en faire envoyer à un troisième qui va vacciner certains de "nos" moutons en estives. Cette crise aura au moins permis de resserrer les liens entre les vétérinaires de la région.

Les nouveaux foyers deviennent plus rares. Logique, tout le monde a la pécole ! Par contre, nous découvrons plusieurs fois par semaines de petits cheptels non déclarés, qu'ils faut régulariser avant de vacciner. Maintenant, la procédure est bien rodée : coup de fil à la chambre d'agriculture, attribution d'un numéro EDE, prises de sang de création de cheptel, prises de sang pour virologie FCO, traitement des malades, et vaccination des brebis par encore atteintes. A la fin de la crise, le département aura "gagné" un certain nombre de têtes ! Paradoxal quand les pertes peuvent s'élever jusqu'à 30% dans certains cheptels. Les gens n'ont clairement aucune idée des obligations qu'implique la détention de ruminants, même pour tondre la pelouse.

Si les foyers deviennent plus rares, je ne sais pas trop pour le nombre d'animaux malades, c'est assez difficile à suivre : nous ne visitons que les nouveaux foyers ou les cas très graves, les éleveurs soignant eux-mêmes la plupart de leurs bêtes. Au vu du nombre de flacons d'antibiotiques et d'anti-inflammatoires vendus, en tout cas, il y a encore pas mal de nouveaux cas. Ou d'anciens qui traînent.

Je suis assez surpris par le nombre de vaches que nous avons perdu. Oh, pas des dizaines, mais peut-être 0.5-1% du cheptel ? Des vaches qui bricolent et s'affaiblissent malgré tous les traitements, avec des myosites majeures, des syndromes hémorragiques digestifs voire nasaux. D'autres ne supportent pas une co-morbidité avec une pathologie grave, telle une mammite aiguë ou une broncho-pneumonie. A côté des mortes, il y a beaucoup d'animaux sérieusement touchés, qui mettront des semaines, voire des mois, à se remettre. De plus, certains taureaux seront peut-être infertiles. Un dommage moins spectaculaire mais sans doute plus important que la mortalité. Un peu comme les "blessés graves" des accidents de la route, oubliés par rapports aux morts.
Du côté des brebis, la mortalité est par contre moindre qu'escomptée : soignées à temps (c'est à dire dès le premier jour de la maladie), la plupart s'en sortent bien avec une semaine de traitement.

Vaccins FCO : avant - aprèsDe notre côté, c'est l'usure. Nous avons vacciné plus de dix milles bêtes en moins de trois semaines, et il faut recommencer. Certains jours, les coups de pieds sont plus difficiles à éviter... Normal avec 6 à 7 jours de travail par semaine, dix à douze heures par jour, et ce depuis plus d'un mois. Sans parler des (heureusement rares) urgences nocturnes.

Nous risquons trop souvent l'erreur en devant penser à trop de choses simultanément. Préparer les plannings de vaccination, n'oublier personne, gérer les animaux malades et surtout continuer à faire tourner la clinique, car la vie ne s'est pas arrêtée pour un moustique : bobos, vaccins, vrais malades, chiens à sangliers éventrés, vêlages, etc. Nous en avons déjà commises quelques une, des erreurs, qui ne seraient pas survenues en temps normal. Rien de grave, heureusement : nous sommes conscients de nos limites, mais vivement dans trois semaines ! Plus que 8000 bêtes !

mardi 9 septembre 2008

Journal de campagne - Fièvre Catarrhale Ovine : La flambée

Pour suivre ces billets publiés au gré des moustiques :

Lorsque le sérotype 1 fut confirmé, cela faisait déjà une bonne huitaine de jours que nous gérions l'épizootie sur le terrain. De deux ou trois foyers les premiers jours, nous sommes rapidement passés à une dizaine, puis une quarantaine. En 10 jours, j'estimais à 80% le nombre de foyers déclarés. Curieusement, la plupart des cas concernaient des élevages bovins, et restaient assez bénins. Il y avait bien quelques troupeaux ovins atteints, mais très peu.
Le fait que nous les ayons appelés dès la première suspicion pour leur faire traiter leurs troupeaux aux insecticides y était sans doute pour quelque chose ?

Alors que la panique gagnait la région, nous roulions d'élevage en élevage. Les résultats tombaient dix jours plus tard, mais ils ne servaient finalement qu'à permettre à l'élevage de devenir "officiellement infecté" ce qui lui permettait de prétendre aux aides. Nous savions déjà que le virus était chez eux, nous avions appris très rapidement à repérer les animaux atteints, même quand il n'y avait presque rien - souvent, en passant, nous avons prélevé des bêtes dont les propriétaires ne pensaient pas qu'elles puissent être contaminées.
D'ailleurs, au début, nous avons fait des prises de sang sur presque chaque bête vue en visite, que son problème soit manifestement la FCO ou pas - histoire de voir et de comprendre. Nous avons eu de sacrées surprises : la plupart étaient positives alors que les symptômes n'étaient pas du tout évocateurs.

Le tableau clinique s'est affiné :

FCO - brebisChez les ovins, une forte inflammation des lèvres, de la bouche, de la langue, entraînent le plus souvent une tête gonflée. Les muqueuses virent au rouge vineux puis éventuellement au bleu violet (d'où le nom de la maladie). Le nez coule énormément (c'est ce que veut dire « catarrhale »), de grosses croûtes se forment sur les narines. Les animaux sont très raides, abattus, ils ont une forte fièvre. En général, ils arrêtent de manger. Pas d'avortements pour le moment, mais nous ne nous faisons pas d'illusions.
Le traitement est illusoire sur les animaux qui déclenchent une forme très brutale de la maladie. Ceux qui résistent ont une chance de s'en sortir avec des antibiotiques et des anti-inflammatoires, deux à cinq jours de traitement. Apparemment, les béliers en sortiront stériles. A vérifier.

FCO - bovin - sérotype 1Pour les bovins : Il est clair que la plupart des animaux cliniquement ateints ne sont pas réellement malades : des courbatures, très nettes (l'éleveur appelle en disant que sa vache boîte de tous les pieds, ou qu'elle a du mal à se lever), et une petite fièvre, pas systématique. Je suppose qu'en réalité, il y a énormément d'animaux infectés qui ne présentent aucun symptôme.
Chez les plus sensibles, les symptômes les plus fréquemment observés sont de petits ulcérations qui deviennent croûteuses sur le mufle et dans les narines, parfois un peu d'écoulement nasal. Le mufle vire alors au gris-violet. Il peut y avoir un œdème inflammatoire de la tête, des ulcérations buccales (dans ce cas en général la vache bave et mange moins, ou difficilement, voire rejette son bol ruminal). Les plus atteintes se lèvent peu et mangent moins, leur production laitière diminue. Aucun avortement n'a été observé ici (les avortements sont provoqués par une forte fièvre, or il n'y en a pas avec le sérotype 1).
En général, tout ça passe en deux jours, au plus cinq. Certains animaux (notamment les plus âgés) ont mis une dizaine de jours à s'en remettre.
Nous comptons quelques morts, essentiellement dans des cas de co-morbidité avec des pathologies lourdes (mammites aiguës) ou un parasitisme délirant. Aucun animal par ailleurs en bonne santé et en bon état d'entretien n'a été sérieusement malade.

La maladie est donc clairement plus grave pour les animaux âgés, déjà malades, ou très forts producteurs : les plus fragiles. En général, j'explique à l'éleveur que c'est comme la grippe pour les humains : ce sont les plus vieux et les plus fragiles qui sont les plus malades.

Après 10 jours de flambée, alors que nous nous apprêtions à vacciner les ovins, puis les bovins, l'épizootie nous laissait un sentiment mitigé, fruit notamment de cette panique délirante sans rapport avec la gravité de la maladie. Journaux locaux, téléphone arabe, la machine à rumeurs fonctionnait à plein et, pendant quelques jours, cela a confiné à l'hystérie. Puis, comme le nombre de nouveaux foyers, cette panique s'est effondrée. Il ne restait plus beaucoup d'élevages indemnes, et, si les cas se multipliaient, nous ne les comptabilisions plus dans une exploitation déjà déclarée infectée. Au vu du nombre de médicaments vendus, cependant, il était clair que nous étions encore dans le pic de l'épizootie.
En tout cas, apparemment, le message était passé. Maintenant, nous allions pouvoir arrêter de "perdre" du temps à calmer les gens pour nous consacrer à la vaccination.

vendredi 5 septembre 2008

Journal de campagne - Fièvre Catarrhale Ovine : Panique

Si vous débarquez par ici, commencez par l'épisode précédent : Journal de campagne - Fièvre Catarrhale Ovine : du plan aux premiers cas.

Panique

La flambée... après nos deux premiers foyers, les coups de fil ont commencé à pleuvoir. Ils étaient de deux types :

  • Les appels pour suspicions : des éleveurs qui trouvaient leur vache bizarre et qui, paniqués, voulaient nous voir au plus vite pour savoir si ça en était.
  • Et les demandes de renseignements...

Nous, nous avons appelé les éleveurs laitiers et ovins afin qu'ils mettent au plus vite des insecticides sur leurs troupeaux afin de limiter la casse. Pour les autres...

C'est du 8 hein ?
Je le savais toutes mes vaches vont avorter
On vaccine demain ?
Pourquoi on va vacciner alors que la grippe est déjà là, fallait le faire avant !
Bande de connards !
La DSV m'a dit que vous aviez les doses ?
J'ai une portée de chiots qui est morte de FCO, je peux être indemnisé ? Heu, oui, une diarrhée hémorragique. Vaccinés ? Pas contre la FCO ! Non, contre le reste non plus.
Encore un coup du gouvernement qui veut supprimer les éleveurs.
Ma vache a un pis rouge c'est la FCO ?
J'ai deux vaches à vacciner je veux être le premier ! Comment ça pas prioritaire ? J'ai 80 ans, on n'a jamais osé me dire ça !
Pff on nous invente encore une nouvelle maladie hein ?
J'ai pas de FCO, mais si j'avais deux vaches qui boitent et qui bavent, ça pourrait en être ? Vous passez ? Ah bon.
Non j'ai pas de FCO, vous n'abattrez pas mon troupeau !
L'huile essentielle de lavande elle marche contre le moustique ?
J'ai une vache qui a le chickungunya !
J'avais demandé qu'on me vaccine mon troupeau le mois dernier !

Grâce soit rendue à nos ASV, qui ont géré ces coups de fils incessants avec beaucoup de calme, malgré quelques crises de fou rires plus ou moins nerveux en raccrochant. En général, quand nous entendions distinctement la personne à deux mètres, nous leur prenions le téléphone. Bizarre, ils ne gueulaient plus avec nous... "Ah, bonjour docteur..."

Oui, je peux être vacciné en premier si je paye plus ?

Imaginez qu'à ce moment là, nous ne savions pas si c'était du 8 ou du 1. Nous ne savions pas quand nous aurions les vaccins. Je rassurais les gens ne leur disant que nous les aurions dans les dix jours. Nous avons briffé les ASV pour leur faire tenir un discours homogène, noté des tonnes d'élevages qui voulaient être les premiers à vacciner, tout en continuant à gérer l'activité quotidienne de la clinique !

Mon cheval tousse, il a la fièvre !? Non ? Ah bon. Pas grave alors ? Si, peut-être ? Ah ben oui si vous pouviez venir...

Des foyers se déclaraient un peu partout. En une semaine, j'ai fait autant de kilomètres que dans un mois... A chaque fois, la même procédure : noter un maximum de renseignements sur les bêtes atteintes, faire une prise de sang, téléphoner ou envoyer un e-mail à la DSV et attendre. Nous avons commandé des stocks énormes d'insecticides, d'antibiotiques et d'anti-inflammatoires... tout en sachant que nous serions payés trois mois plus tard puisque les éleveurs ne pouvaient pas vendre leurs broutards ! Il allait aussi falloir gérer la trésorerie.

Le Butox vous le faites à combien vous ? Ah ben vous êtes cher, c'est dix euros de moins chez les vétos d'à côté ! J'ai qu'à aller chez eux ? Ouais mais bon c'est à 30 bornes...

Les journées commençaient à s'allonger. 10 à 11 heures en général. Jusqu'à 15.

Ca ça va vous faire du beurre hein ?

Et puis, le résultat : sérotype 1. Plus de 200 foyers en l'espace de 10 jours. Les vaccins étaient en train d'être débloqués. Réunion des vétérinaires la semaine prochaine.

Faites quelque chose docteur !

Le DSV, le directeur du LVD et le préfet, ainsi que divers représentants des professions, allaient se réunir demain.

Elles vont toutes mourir !

Avec cette information, nous allions pouvoir calmer les gens, et, d'ailleurs, nous le faisions déjà, car nous en étions déjà presque sûr : presque aucun cas sérieux, des bêtes raidouillardes un peu partout, pas de morts, peu de vrais malades. Inlassablement, nous faisions passer le mot. A chaque visite, nous avons, dans la cour d'une ferme, expliqué les choses aux éleveurs, à leurs femmes, à leurs mères, à l'inséminateur, au peseur, à tous ceux qui allaient relayer le message pour calmer la panique. Parler, expliquer, convaincre, communiquer, encore et encore...

Si je les vermifuge, elles résisteront mieux ?

Sérotype 1.

Et mes broutard qui allaient partir, ils restent ?

Pas un cadeau, mais pas non plus la catastrophe... sauf pour la trésorerie des éleveurs, et nos quelques troupeaux de mouton.

dimanche 31 août 2008

Journal de campagne - Fièvre Catarrhale Ovine : du plan aux premiers cas

Je vais essayer de tenir un journal un peu décalé de cette invraisemblable épizootie. Quand j'y pense... trois ans que la maladie touche le nord de l'Europe ou l'Espagne, deux ans qu'elle est en France, et je n'ai lu presqu'aucun article sur la façon dont les vétérinaires (et encore moins les autres acteurs de la filière) ont vécu la crise. Ni même d'actualisation des listes de symptômes ou de l'épidémiologie de la maladie. Encore moins de papier du genre "ça s'est passé comme ça, c'est ça, ou ça, qui nous a mis la puce à l'oreille".

Le rappel des faits

La fièvre catarrhale ovine est une maladie connue depuis très longtemps dans l'hémisphère sud. Elle s'introduit progressivement en France depuis plusieurs années. Plus connue sous le nom de maladie de la langue bleue ou blue tongue, elle affecte uniquement les ruminants. Il en existe de très nombreuses formes, mais deux surtout nous concerne en France métropolitaine :

  • Le sérotype 1, confiné jusqu'à il y a peu au pays basque et à ses environs, s'attaque aux ovins. Les bovins et caprins le subissent plutôt comme une mauvaise grippe, rien de très méchant.
  • Le sérotype 8, venu de Hollande (probablement via transport aérien depuis l'Afrique), qui est aussi mauvais que le 1 pour les moutons mais qui, en plus, rend les bovins très malades. Pour les chèvres, je ne connais pas assez la question pour en parler de façon constructive.

Le virus responsable de la FCO n'est pas contagieux d'animal à animal : il doit absolument passer par un petit moustique très particulier qui sert de vecteur. Du coup, la maladie peut frapper n'importe où et se déplace au gré des courants aériens... Les mesures classiques de gestion des épidémies ne fonctionnent pas (isolement/abattage des animaux malades par exemple).

J'ai assez longuement parlé de cette maladie dans ce billet, alors que, dans ma région, nous commencions à nous préparer pour l'épizootie.

Le plan

Pendant des mois, ce schéma de lutte a persisté : sérotype 8 dans le très grand quart nord-est, sérotype 1 dans le pays basque, tout petit bout de quart sud ouest.
Les décideurs ont choisi : on vaccinerait tout le pays contre le sérotype 8, le plus dangereux pour les bovins, en commençant par les régions historiquement touchées afin d'essayer de sauver la filière. Le reste du pays serait vacciné au rythme des chaînes de fabrication des vaccins.
Pour le sérotype 1, les départements autour du pays basque subiraient une vaccination massive et obligatoire contre le sérotype 1 afin de tenter d'étouffer le virus. L'idée était de l'empêcher de se "réfugier" dans des ruminants afin de le faire disparaître, ce qui revient à ôter son combustible à un feu pour l'empêcher de brûler.

A la mi-août, quasiment tous les animaux du nord est du pays étaient vaccinés contre le sérotype 8. Presque tous les troupeaux des départements des Pyrénées Atlantiques, des Hautes Pyrénées, du Gers, des Landes et de la Gironde étaient vaccinés contre le sérotype 1. Dans cette zone, les cas devenaient assez rares. Les choses semblaient à peu près sous contrôle.

Les premiers cas

Dans toute la France, une vaccination dérogataire était réalisée par les vétérinaires sur les broutards, ces jeunes bovins destinés à l'exportation en Espagne et en Italie, ces deux pays refusant l'entrée sur leur territoire d'animaux non-vaccinés.

C'est au cours de l'une de ces tournées de vaccination qu'un éleveur m'a présenté une vache, une blonde d'Aquitaine de 6 ans qu'il trouvait "un peu bizarre". Il ne me l'aurait probablement pas montrée si je n'étais pas passé par là pour une autre raison.
La bête avait 39.8°C de température, une bonne fièvre, donc. Les muqueuses congestionnées, ce qui est normal en cas de fièvre. Elle respirait vite, rien de bien étonnant avec cette hyperthermie et la chaleur estivale. Elle ne présentait par ailleurs aucun symptôme d'aucune sorte. J'ai suspecté une maladie parasitaire transmise par les tiques, et traité en fonction, notamment avec des anti-inflammatoires. La bête a été mieux pendant deux jours, puis a rechuté. Devant l'absence de nouveaux symptômes, une antibiothérapie de couverture a été mise en place, les anti-inflammatoires ont été arrêtés (plus de fièvre). La vache était simplement "raide". Nous nous sommes dits qu'elle devait avoir de l'arthrose.
Dans le même temps, un troupeau d'habitude sans histoire a compté dans ses rangs deux vaches boiteuses, ce qui ne serait pas forcément surprenant si ces boiteries n'avaient pas concerné tous les membres simultanément. L'une des deux bêtes avait un peu de fièvre (39.1°C). Encore une fois, aucun symptôme ! Le jour suivant, l'une des deux vaches a présenté un écoulement nasal séreux, très liquide. Toutes deux semblaient éprouver d'assez importantes douleurs dans les membres, et se déplaçaient comme des animaux âgés. Une autre vache du même troupeau a commencé à présenter le même tableau clinique.

A ce stade, nous n'avions fait aucun lien entre les deux élevages. Nous ne nous inquiétions pas trop puisque de toute façon, même si le problème n'était pas identifié, il ne se passait rien de bien méchant. Un virus respiratoire banal aurait pu provoquer de tels symptômes.

C'est le coup de fil d'un vétérinaire du canton voisin qui nous a amené à réaliser : lui avait déjà 6 troupeaux du même type et commençait sérieusement à suspecter la FCO. Nous n'y avions même pas pensé. C'est lorsqu'il a prononcé ces trois lettres que nous avons compris ce qui nous arrivait. Et nous avons confirmé ses soupçons en lui parlant de nos cas.

Les premières prises de sang de suspicion ont été réalisées. A ce moment là, nous ne savions pas du tout où nous allions. Nos tubes de sang sont partis au laboratoire départemental. La DSV nous a confirmé un très grand nombre de suspicions.

Nous ne savions pas du tout à quel sérotype nous faisions face, mais nous supposions le 8 en raison des nombreux cas sur les bovins. Nous ne savions pas encore comment ces animaux allaient évoluer, mais nous discutions quotidiennement avec les vétérinaires de la DSV pour les tenir au courant, et centraliser les informations.

Les déplacements de ruminants en dehors du département, et donc tout le négoce, ont été gelés.

Nous avons téléphoné à chacun de nos clients éleveurs d'ovins ou de bovins laitiers, afin de les prévenir au plus vite et de les encourager à reprendre immédiatement la désinsectisation que la plupart d'entre eux avaient abandonné. Nous avons compté sur le bouche à oreille pour que l'information circule ensuite à tous les éleveurs de la région, ce qui a été le cas.

Cette période a duré environ une semaine. Elle a pris fin avec les résultats du laboratoire vétérinaire départemental.

dimanche 24 août 2008

Fouille-merde

Vétérinaire, c'est un métier de merde. Au sens propre du terme. Si l'on peut dire...
La réalité peut être assez éloignée de l'image d'Epinal du docteur dans sa blouse blanche, au coeur d'une clinique immaculée.

Il existe un examen très intéressant que l'on nomme coproscopie. Littéralement, regarder dans la merde. L'intérêt est essentiellement de rechercher les oeufs des parasites que notre système digestif peut abriter. Notre système digestif, mais surtout, en ce qui me concerne, celui des animaux. Chiens, chats, chevaux, moutons, vaches, chevaux, poules, dindons, tout ce qui a un tube digestif un poil évolué abrite des parasites plus scientifiquement connus sous le nom d'helminthes (les vers) et d'hématozoaires (les protozoaires). Les vétérinaires de zoos et de parcs naturels y consacrent une bonne partie de leur temps (métier de rêve, hein ?).

Pour les chiens ou les chats domestiques, par exemple, on recommande deux vermifugations annuelles, voire plus dans certains cas (chiots, chiennes gravides, vieux chiens, présence d'enfants en jeune âge dans l'entourage). Ce sont des traitements préventifs destinés à détruire les parasites qui, immanquablement, se logent dans l'intestin. J'insiste sur le "immanquablement". Ce n'est pas parce que vous ne voyez pas de vers dans les selles de votre chien qu'il n'y en a pas. Ils ne sont pas fous, les vers : ils restent bien au chaud dans l'intestin, avec la nourriture qui arrive tous les jours à heure fixe. Quand on les voit dehors, c'est qu'il y a vraiment surpopulation : cela peut arriver avec les jeunes animaux, ou dans certains cas pathologiques. Seule exception : un tout petit taenia assez courant, dipilydium de son petit nom, qui sort parfois se balader autour de l'anus. Il a la taille d'un grain de riz, en plus plat, et il rampe.

Bon appétit.

Les parasites internes, en général, ça ne rend pas malade. Les deux exceptions, c'est quand il y en a vraiment trop, ou certaines espèces agressives. Prenons par exemple le cas des trichures des chiens, qui mordent la paroi de l'intestin à pleines "dents" et causent d'importantes pertes de sang cumulées.
La plupart du temps, ils se contentent de ponctionner un peu de sang, un peu de chyme (le contenu de l'intestin, mélanges de sucs digestifs et de nourriture partiellement digérée), et parfois certaines vitamines. Ils sont donc gênant surtout pour les animaux qui ont d'importants besoins : jeunes en croissances, mères gravides ou allaitantes. S'ils sont nombreux, ils peuvent aussi causer des coliques (douleurs digestives), voire des bouchons. Cela arrive assez fréquemment avec les taenias des chevaux (depuis combien de temps n'avez-vous pas vermifugé votre cheval avec un produit polyvalent, capable de détruire les taenias ?).

Comment lutter avant d'en arriver là ? Il suffit simplement de vermifuger... Il existe des méthodes un peu plus sophistiquées pour les troupeaux, mais, pour un animal domestique, l'essentiel, ce sont les vermifuges.

Flottation au sulfate de zincParfois, nous avons besoin de savoir si les parasites sont bien là, si oui, lesquels, et en quelle quantité. Dans ce cas, une seule solution : prélever des selles et regarder dedans : réaliser une coproscopie. On ne cherche pas les parasites, mais leurs oeufs. L'autre technique, c'est l'autopsie, mais c'est réservé aux volailles, en général...
Bref : on prend un petit centimètre cube de selles, on met ça dans un pot avec un produit spécial qui sépare les selles des oeufs et on regarde au microscope. Il existe des méthodes un brin plus sophistiquées, mais le principe de base reste le même.

StronglesLa plupart des vers pondent comme des mitraillettes, ils sont donc faciles à repérer. D'autres sont plus pénibles et exigent des coproscopies à répétition car ils pondent par intermittence.

Voilà le résultat au microscope. Ici, il s'agit d'une coproscopie réalisée à partir de selles de moutons (franchement malades) où l'on voit énormément d'oeufs. Les vétos ou autres biologistes qui traînent par là sauront sans doute nous dire lesquels (et s'il n'y a pas de volontaires, je mettrai quand même la réponse...).

Et les vétos touillent...

Strongles et coccidiesVous l'aurez compris, on ne réalise pas souvent de coproscopies pour les chiens et les chats, mais cela peut se révéler utile. Je dois en faire une ou deux par semaine. J'en fais bien plus souvent pour des bovins et des ovins, sur des cas pathologiques ou pour déterminer s'il est nécessaire ou non de traiter : pas la peine de vermifuger un troupeau entier si le parasitisme est faible. Pareil pour les chevaux, mais comme il y en a de toute façon assez peu ici, j'en fais très rarement sur ces animaux. J'en fais aussi assez souvent sur des volailles au cours d'autopsies, lorsqu'il y a de la mortalité sur un lot.

Bref, la coproscopie est un examen simple, peu onéreux, facile à réaliser, que ce soit pour un diagnostic, un suivi ou la mise en place d'un plan de prévention. Que des avantages ?
Heu... non. Enfin, ça dépend si on aime fouiller la merde ou pas (et aller la chercher ou elle se trouve : sèche, posée dans l'herbe, elle devient sans intérêt).

mercredi 23 avril 2008

Fièvre Catarrhale Ovine

Ca y est. la lumière est éteinte. Il aura fallu trois semaines de préparation pour en arriver là : aller moi-même à une formation sur le sujet, fabriquer le diaporama, trouver un vidéoprojecteur et la salle, et surtout, surtout, faire venir ces quarante personnes. Je passe sur l'écran qui manquait malgré le gars de la mairie vu dans l'après-midi, j'en ai déniché un dans un placard au rez-de-chaussée. Ou sur la journée de fou qui a précédé cette réunion, pour changer.

J'ai une conscience aiguë de tous ces gens assis dans l'ombre, de tous ces visages connus, appréciés ou non. Ils sont tous éleveurs. Presque tous de bovins allaitants. Ils ont entre 25 et 80 ans. Il y a quelques femmes. Pas nombreuses. Je n'ai pas vraiment le trac, je maîtrise mon sujet et j'ai envie de leur faire passer ce message, ce soir.

Sur l'écran, il est écrit : Fièvre Catarrhale Ovine, alias Maladie de la langue bleue.

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