Journal de campagne - Fièvre Catarrhale Ovine : coup de blues post-epizooticum
jeudi 13 novembre 2008, 20:20 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
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Les choses se tassent sérieusement. Nous avons bouclé le gros de notre vaccination en 6 semaines de folie, et, aujourd'hui, il ne reste plus à vacciner que quelques bêtes éparpillées dans les prés d'éleveurs pas stressés. Il y a aussi quelques veaux par ci, par là, qui atteignent les deux mois et demi, âge minimum de la première injection vaccinale.
Nous avons attaqué les prises de sang sur les veaux vaccinés destinés au marché italien : ils doivent être viro-négatif pour passer la frontière, et ces analyses nous ont réservé de belles surprises. Un tiers des veaux vaccinés environ sont actuellement porteurs du virus. Entendons-nous bien : ils ne sont absolument pas malades, ils sont simplement porteurs du virus, pour quelques semaines. Un moustique les a piqué, leur a transmis le virus, comme ils sont vaccinés ils ne sont pas malades, mais cela interdit leur vente à l'étranger, ce qui n'arrange pas la trésorerie des éleveurs, déjà pris à la gorge.
Il marche d'ailleurs drôlement bien, ce vaccin : je n'ai pas vu une vache malade depuis presque deux mois. Ah si, une : elle avait une autre maladie, et son affaiblissement a permis au virus de se développer.
La plupart des éleveurs attendent donc les 60 jours après la seconde injection pour envoyer leurs veaux en Italie, car ce délai permet d'éviter la fatidique virologie. Ce qui, en soit, est complètement stupide : ce n'est pas parce que ces veaux seront bien vaccinés qu'ils ne seront pas porteurs. Tout au plus peut-on espérer qu'ils ne risquent pas trop de transmettre le virus grâce à leurs défenses immunitaires et leur faible taux viral sanguin.
A côté de ça, la machine à rumeurs fonctionne toujours aussi bien, il ne se passe pas deux jours sans qu'un éleveurs viennent me parler du sérotype 52 qui serait apparu dans un élevage du Boukhistan, et qu'il va falloir rattraper toutes les bêtes, docteur.
Nan.
Pas d'autre sérotype pour le moment, s'il se passe quelque chose, on vous préviendra.
Bref, l'activité vétérinaire à proprement parler, s'est considérablement ralentie. Nous en avons profité pour prendre quelques jours voire semaine (au singulier, quand même), de congé.
Surtout, nous nous sommes lancé dans la délirante montagne de paperasses engendrée par cette crise sanitaire.
Pour chaque visite de suspicion, une fiche de police sanitaire : quatre pages.
Pour chaque élevage vacciné, un inventaire relevant chaque bête ayant reçu l'injection, avec date et type de vaccin évidemment. Quand on n'est passé que deux fois dans un élevage, c'est facile. Quand on est venu pour huit lots différents, c'est le drame. Dis comme ça, ça a l'air facile, mais nous avons vraiment vacciné très vite, et pas relevé grand chose. Funeste erreur lorsqu'il faut faire les comptes... Pour chaque élevage, je compte, je coche, je vérifie et je recoupe, je contrôle les âges des veaux et les intervalles entre injections.
Pour chaque élevage, date, nom du vaccin, signature et tampon sur chaque passeport de veau destiné à l'export. Une fois pour chaque injection, ça en fait des lignes ! Encore une fois, attention aux âges minimaux !
Pour chaque élevage, une facture spéciale sur une fiche spéciale, avec déduction de l'aide directe de l'état. Un exemplaire pour l'éleveur, un exemplaire pour l'organisme qui nous versera (un jour) cette aide, et la retranscription de cette facture dans notre propre logiciel. Evidemment, les tarifs sont par visite et par bête, mais varient selon la taille des cheptels.
Pour chaque éleveur, des dizaines de minutes d'explications.
C'est l'Etat qui paye une partie, ne vous inquiétez pas, c'est marqué là. Cette facture, une fois acquittée - oui, il faut la payer avant d'être remboursé, sans blague - vous l'amenez au conseiller agricole du conseil général, pas celui de la chambre, il va vous monter le dossier. Pour les vaccinations faites avant le passage de notre département en zone infectée, c'est le conseil régional. Non, je ne sais pas qui s'occupe de ça. Pour les médicaments administrés aux animaux soignés pour la FCO, vous amenez la copie de notre facture (oui, je vais vous faire un double), de notre ordonnance, et une déclaration sur l'honneur au conseiller agricole de la chambre d'agriculture. Non, pas à celui du conseil général, vous rigolez ? Pour les bêtes euthanasiées, je vais vous faire un certificat d'euthanasie. Non, pas besoin de certificat pour celles qui sont mortes "naturellement". Elles, vous fournirez le bon d'équarrissage. Vous ne l'avez plus ? Ben demandez un double à l'équarrissage. Ah, vous avez filé le cadavre de la brebis à vos chiens ? Super, c'est une excellente idée. Non, ils ne risquaient pas grand chose, c'est vrai. Mais pour le bon d'équarrissage, oubliez, et l'aide aussi du coup. Oui, monsieur, c'est illégal, je suis désolé. L'inscription UPRA ? Ah ça ce sont des documents qui sont en votre possession, là je ne peux rien faire. Ah oui, il y a une franchise de 3% du cheptel et un plafond à 25%. 3% de 20 brebis ? Ben 0.6 brebis, je suppose. Non, je ne sais pas si vous serez indemnisé avec une seule bête morte. Vous verrez avec le conseiller. Celui de la chambre, hein, pas celui du conseil général. Il a une permanence le jeudi matin à la mairie. mais pas cette semaine, il est en vacances. Pour deux semaines, paraît-il. Sa collègue de Framboisy devrait pouvoir vous aider si vous êtes pressé. Ah, oui, Framboisy, c'est à 30km est vous avez 80 ans.
Soyons sérieux : la vaccination à proprement parler, ce n'était que le tiers du boulot. Le premier tiers, c'était la logistique, l'organisation, bref toute la préparation de la vaccination. Le dernier tiers, cette folie de paperasses de la maison qui rend fou.
Avec ça, il faut ajouter ce curieux syndrome de relâchement qui nous envahit tous, à la clinique. Moi plus que les autres, cela dit. A ma décharge, c'est moi qui ai organisé toute la vaccination et qui fait toutes les factures : trop complexe pour s'y mettre à plusieurs si on voulait aller vite.
Au mois de septembre, j'ai travaillé 280 heures. Un joli score, je trouve. Octobre n'était pas mal non plus, en tout cas au début du mois. Et là, les quelques jours de repos que j'ai pris m'ont complètement cassé.
En septembre, j'avais redécouvert cet étrange rush d'adrénaline permanent qui m'avait permis de traverser la classe préparatoire vétérinaire. Drôle de sensation, drôle de plongée dans mes souvenirs.
Maintenant, je me sens... sans objet. Sans direction. Un peu perdu, étonné au milieu de mes papiers, presque désorienté sans l'objectif précis qui m'avait permis de tenir.
Pour la suite ?
On verra bien...
Commentaires
Ah... la paperasse... brrrrr !!!
Quand au vide sidéral qui suit... je connais bien ça aussi : après un gros colloque, j'ai l'impression d'être dépossédée de moi-même... bizarre sentiment. La nature a horreur du vide, c'est bien connu !!!
Bonne journée, Docteur !
Fourrure :
C'était le millième commentaire sur ce blog ! Champagne !
Et merci à tous !
Le tiers confirme que nous avons toujours un temps de retard sur la maladie...
Fourrure :
Je ne l'interprète pas ainsi en fait. Vue la durée de la virémie et le délai entre immunisation théorique et analyse positive, il est plutôt probable que ces veaux ont été contaminés alors qu'ils étaient vaccinés, et immunisés. C'est logique : le moustique passe, transmet le virus, le corps se défend - très bien - puisqu'il est vacciné, mais le virus reste quand même dans le sang quelques temps. Ce n'est pas que nous avons un temps de retard sur la maladie, c'est juste... normal.
On ne pouvait pas faire autrement mais on a vacciné des animaux déjà contaminés ! Il n'y a qu'une vaccination cet hiver de tout le troupeau français qui puisse nous préserver mais il faudrait que le délai des 60 jours saute ! De toute façon, il ne sert à rien, tu l'expliques très bien !
Fourrure :
En fait, le plus logique, si les autorités sanitaires italiennes voulaient se protéger efficacement, serait d'imposer un délai court, correspondant à la période d'immunité acquise indiquée par le fabricant du vaccin (soit 2-3 semaines), et une virologie systématique. Là, on est entre les deux.
Un petit commentaire (technique) d'un gars qui fait son malin car il vient d'assister à une conf. sur le sujet (mais qui aurait bien pensé de la même façon que toi avant la conf.) à propos de tous les positifs:
1. Les virémies positives en PCR sont positives jusqu'à 150 j après infection. Pour pouvoir préciser si les animaux ont été infectés après vaccination, il faudrait connaitre le Ct de la PCR (ct élevé= nombre de cycles élevés=infection ancienne, précédent la vaccination). Autrement dit, tous ces positifs sont surement des malades d'avant vaccination, voir pour certains des virémiques infectés transplacentaires
2. Les tests in-vivo montés par le laboratoire M..... (Biiiiip) montre des PCR négatives sur les veaux vaccinés après épreuve virulente; une raison de plus de penser que ces veaux positifs sont positifs car infectés avant vaccination
Sinon, très bien fait ce blog !
Fourrure :
Merci pour les précisions. Une normalisation des nombres de cycles est-elle prévue ? Ou bien cela restera-t-il simplement un indicateur ?
Bilan de la FCO en notre Berry, rien de plus que cet été, les pertes sont toujours équivalentes dans les troupeaux vaccinés et les non vaccinés. Plusieurs "inconscients" n'ont rien eu et… n'ont pas fait vacciné leur cheptel… je suppose que c'est une question de rusticité qui prévaut dans notre sélection par rapport au rendement. A priori les petits cheptels semblent aussi plus épargnés que les grands troupeaux. Attendons la fin des agnelages et des vêlages.
Fourrure :
Der mon côté, je n'ai pas noté de différence entre petit et grand cheptel, et je trouve la répartition des cas clinique curieuse, je ne vois pas de logique. Il n'y en a peut-être pas, ou avec trop de facteurs. Entre vaccinés et non vaccinés, pas grand chose non plus : de toute façon, chez nous, le sérotype 1 est passé et a fait les dégâts avant la vaccination...
Je ne sais pas si la déiminution des cas cliniques est plus due à la vaccination ou au fait que tout le monde l'a déjà attrapée. Un peu des deux sans doute !
Nous avons encore de temps en temps des animaux "bizarres" pendant qqs jours puis tout rentre dans l'ordre.
Je suppose que toutes nos petites bêtes sont porteuses mais pour l'instant le bilan est moins catastrophique que ce que prévoyait nos vétérinaires…
Fourrure : Et tant mieux !
Complètement cassé tes jours de repos? Tu m'étonnes, tu n'as pas arrêté!
Enfin BONNE CHANCE avec tous tes papiers!!!
Je travail par pics, avec de grand moment de stress sur 3 semaines le plus souvent avec, au bout, 1 ou 2 jours de vide, de déprime sans tristesse, une sorte d'activité franchement léthargique, une petite mort.
La dopamine, l'adrénaline ne peuvent pas couler à flot continuellement ;)