Pétasse
lundi 7 mars 2011, 22:20 Animalecdotes Lien permanent
Une stabulation à l'ancienne, bien au chaud alors que la pluie glacée bat les lourdes portes de chêne. Il y a une dizaine, peut-être une douzaine de vaches de chaque côté du couloir central. Nullement perturbées par mon intrusion, elles s'affairent avec le foin odorant que le vieux bonhomme à casquette leur a dispensé "afin de les occuper".
Avec ses bottes, son bleu, sa moustache et sa casquette, il fait la conversation tout seul, parle de la pluie, de la neige, de l'hiver qu'est parti trop tôt mais qui va r'venir en traqu'nard, des jeunes qu'on pu l'courage d'faire des veaux sous la mère mais ils ont bien raison c'est un boulot de con, du voisin qu'a des vaches qui sont tellement maig' que l'vent les fait vaciller, de trucs et de riens. Il meuble mon silence appliqué de véto méfiant, habitué aux réactions de peur des vaches qui n'ont pas l'habitude d'entendre des voix étrangères. Dans mes mains et dans mes poches, il y a l'arsenal du parfait piqueur : tubes sous vides, aiguilles, pistolet à tuberculiner, injecteur automatique pour la microdose. Un vrai soldat, prêt à traumatiser les phobiques des aiguilles.
J'apprécie le parfum de l'étable, sa propreté, son air à la fois immuable et désuet. Son charme ancien. Le papy a saisit une étrille, et entreprend la première des limousines. Qui lève la queue de plaisir sous les coups de brosses. Je n'ai qu'à tendre le bras pour planter mon aiguille, vite et en douceur, de ce mouvement décidé mais patient qui évite l'essentiel de la douleur.
Puis j'avise l'ardoise au dessus de la vache. Un papy brosseur, une étable comme avant, un foin odorant. Et même des ardoises. Presque trop beau pour être vrai. Mâchouillant le capuchon de mon aiguille, de ce mouvement qui me valut à l'époque de m'arracher l'émail d'une incisive, j'abandonne l'ancien et sa vache pour déambuler sur le couloir central. Celle que je viens de piquer s'appelle Soleil. Sa voisine : Tulipe. Puis viennent Pilule, Bastille ou Clémentine. Calice. Tendrette. La Rousse. Pétasse.
"Pétasse ?"
J'ai parlé à haute voix.
"Mais pourquoi Pétasse ?"
Je me suis retourné vers le papy, hilare.
Une douleur fulgurante. Je suis projeté entre deux vaches de l'autre côté du couloir, allongé au sol entre leurs postérieurs que je fuis dans une panique instinctive, cherchant le refuge du passage central pour m'y tordre de douleur.
Pétasse, oui.
J'ai compris pourquoi.
Lorsque je me suis relevé, quelques minutes plus tard, pour finir cette prophylaxie en claudiquant, , je me suis méfié comme de la peste de la dernière vache du bâtiment.
Celle qu'il avait baptisée "Salope".
Cette fois-ci, je ne me suis pas laissé surprendre.
Commentaires
Le prénom fait le moine chez les vaches! La prochaine fois vous vous méfierez, comme quoi y'a encore de l'expérience à prendre ;-)
J'espère que le bleu passera vite!
Par contre, pas de souci avec Tendrette j'imagine :-)
Fais attention quand même, mon oncle a passé trois mois entre la vie et la mort à cause d'un coup de pied de cheval qui lui a éclaté le foie.
Une Soleil, un de mes patrons en a fait tuer une ; il en reste une dizaine de kg, peut-être plus, dans notre congélateur ;)
Clémentine, j'en ai une, cette semaine. Elle est adorable.
Tulipe, j'en connais, ai connu.... au moins une dizaine. La première était très rouge, montbéliarde, gentille comme tout ; celle de Mieussy est petite ; etc...
Bastille, elle est montée à Paris, sa mère était pleine d'elle ;)
Eh oui, le nom fait la vache souvent, je me méfie des Teigne, et autres baraka, Valseuse, Vigueur... ;)
Merci pour le rire nerveux, le nombre de fois où j'ai traversé l'étable en vol plané...
L'autre jour, j'ai perfusé une Vicieuse...
Une fois, chez un même éleveur, il y avait la Tordue et la Rave. Elles portaient bien leur nom aussi celles-là!
(sinon pour le coup de pied, contusyl et traumasédyl font des merveilles ;-)
Au siècle précédent, dans les années 50, j'en ai connu une que l'on nommait juste "LA VACHE !".. y compris le point d'exclamation dans le ton.
Elle attendait patiemment que le seau de traite soit plein, puis elle y filait un grand coup de sabot. Les jours où elle réussissait particulièrement son coup , elle virait aussi le trépied de traite et la fermière.
Pas mal!
De mon coté, c'était un poil moins coloré. Mon père avait une règle pour les nommer : l'initiale était associée à l'année, et le nom devait finir comme la maman.
Bon, on avait des Jordanie, Jessica, Florette... ;o)
Bonjour Fourrure
Je dois avouer que j'ai pouffé en lisant votre billet :-)
Moi qui ai la phobie des vaches (oui, ça existe les photographes animaliers qui ont peur des bovins... mais qui vivent à la campagne !) cela ne risque pas de m'arriver.
Pour les coups, huile essentielle d'Arnica en massage, ça fonctionne très bien ^_^
(quelques années de pratique des sports de combat, ça aide pour trouver les remèdes les plus efficaces contre les ecchymoses !)
Cédric
Une de mes dernières césariennes s'appellait "Aubaine"... Ben c'en était pas vraiment une, Pétasse lui aurait mieux été...
C'était écrit dessus, comme le Port-Salut !
Peut être qu'on devrait souffler cette règle aux éleveurs de chevaux ma foi...:-).
Bonjour,
Je viens de finir le blog (oui touuut le blog) qui m'a faire tantot pleurer tantot rire. Bref j'aime votre plume definitivement.
Ce blog m'a aidé à mieux comprendre les reactions de mon véto surtout que je suis pas tres simple ainsi qu'a rassurer mon copain sur la future castration de notre chien (il y va demain, jour de ses six mois, et quand on est un garcon de 21 ans on est encore attaché aux choses qui pendent...)
Bref je vous souhaite bon courage surtout pour les gardes aux appels inutiles (que je cotois quelque peu, mon beau-père est medecin pompier et pour l'instant je vis chez lui et l'aide quand je peux). Bon courage pour les rencontres avec des clientes comme moi qui ramènent des animaux bizarre. Mon axololtl a eu un petit coup de stress et une intoxication alimentaire (histoire ridicule) dont il a eu pas mal de mal à se remettre, quand je l'ai amener chez mon veto il m'a regarder du genre "c'est quoi encore ce cas merdique".
En tous cas bonne continuation !!Vous ne pouvez pas savoir a quel point j'ai du respect pour vous.
Humainement,
Huma
Ah, la "pique"...
Souvenirs estudiantins maintenant de plus en plus lointains...
Je dois être maso, mais des fois ça me manque et j'aimerais bien y retourner une journée, pour le fun, entre 2 consults de chiens...
Merci pour ce blog.
Joie, Fête, Dr Fourrure est de retour !
[Rien à voir avec les bovidés pervers polymorphes, mais j'ai trouvé ça à propos des vétérinaires qui est assez drôle :) (c'est en english) :
http://www.youtube.com/watch?v=I7Gd...
bonsoir, cette note m'a fait penser à une vidéo intéressante
http://www.youtube.com/watch?v=FavU...
j'aime beaucoup vos tranches de vie/récits. Merci de nous les faire partager.
le lien ne fonctionne pas? la référence sur youtube :cows & cows & cows
Bonjour,
c'est un vrai plaisir de vous lire. votre post m'a rappelé un souvenir d'un copain qui avait raté son bac - le veau qui est né à la ferme de ses parents ce jour là s'est appelé "arfaire"....
Alors celle la faudrait la mettre en BD ou en court metrage...
- ç'ty là qu'est amon l'mu, elle est maussade
- ?!?
*ouch*
Fourrure :
J'ai bossé dans un coin où les gens disaient :
- Alle est volage.
- ?
- Ben oui elle lève vite les jambes.
Ah la salope !
La pétasse !
Mon cousin me disait que ces vaches étaient gentilles. j'ai tout eu, pied écrabouillé, coup de queue dans les yeux, et assommé d'un coup de boule.
pas facile votre boulot !
a part ça, elles sont gentilles.
et parfois elles tuent :
http://www.ladepeche.fr/article/201...
10 ou 12 ?
Saleté de pique... Je me suis toujours dite qu'un de ces 4, il y aura le coup de pied de trop... et en plus, c'est à refaire tous les ans, et avec pas d'chance, Pétasse et Salope seront toujours là parceque "c'est des bonnes celles-là, elles font d'bons veaux!"
Ceci dit, l'autre jour j'ai bien manqué me faire ramasser au ventre par Sagesse !
Comme quoi...
http://www.cavadeos.com/Archives/Pi...
C'est tout bien comme dans mon souvenir, les ardoises au dessus des bêtes (on avait des fiches cartonnées avec les noms des bêtes, qui ne correspondaient pas toujours aux numéros d'identification. il fallait lire ces numéros emboutis dans des petites plaques de métal bouclées dans les oreilles... tout ça dans de basses étables sans lumière, les bottes jusqu'au ras du fumier, j'avais quoi, 10, 12 ans, je me pelais pendant toutes les vacances à faire l'assistante prophylaxie)...et l'étrille, le geste pour piquer, le capuchon entre les dents...
La "chute m'a "cueillie et zéro compassion, désolée, j'ai éclaté de rire.... j'espère qu'il n'y a pas eu trop de mal... comme le laisse supposer le ton "humour vache" de votre billet.
merci pour ce moment !
Un plaisir à lire, tant de souvenirs et de vécus...Même le coup, pour les souvenirs mais sans plaisir, bien sûr ...
Il paraît que les noms qu'on donne à nos animaux et même à nos enfants ne sont jamais anodins et ont souvent une signification ... visiblement ça se vérifie avec les vaches :D
Merci pour ce moment de pur bonheur !! :)
Toujours aussi sympa, distrayant à lire....tu es doué
Ca fait mal, hein, un putain de coup de pied.
Et encore, la vache, elle n'est pas ferrée...
Excellent ! Sais-tu combien j'aurais aimé voir cette scène ... ?! Mais ou sont les journalistes ? :p
merci pour ce bon moment de rire !
J'espère toutefois qu'il n'y a pas eu trop de mal !
Bonjour, dans la zone de montagne où je travaille, l'attache est la règle et les stabulations libres une exception (faute de cultures céréalières et donc de paille). Chez nous les éleveurs sont pour la plupart des amoureux de leur race (il faut avouer qu'elles sont belles nos aubracs). De ce fait, toutes les vaches ont un nom qui est couramment affiché au dessus de leurs jolies cornes (et oui, les vaches à cornes ça existe encore ;-)). J'avoue que c'est bien pratique en prophylo : on se méfie de la Diable, fille de Vipère et petite fille de Tornade... C'est bien pratique aussi pour demander des nouvelles d'un cas : je mémorise mieux les noms que es numéros de travaille. Autre avantage, on connait l'âge de la bête grace à la lettre sans avoir besoin d'aller voir son passeport. Enfin, et c'est là le plus grand des avantages, ça montre l'attachement des éleveurs (même les "gros" qui ont 100 mères) à leurs animaux et à l'élevage traditionnel. Ce sont ces petits panneaux qui m'ont permis d'apprendre les rudiments du patois et c'est essentiel pour s'intégrer : la taisse (blaireau), la baisse (cornes en bas)...
Bonjour, dans la zone de montagne où je travaille, l'attache est la règle et les stabulations libres une exception (faute de cultures céréalières et donc de paille). Chez nous les éleveurs sont pour la plupart des amoureux de leur race (il faut avouer qu'elles sont belles nos aubracs). De ce fait, toutes les vaches ont un nom qui est couramment affiché au dessus de leurs jolies cornes (et oui, les vaches à cornes ça existe encore ;-)). J'avoue que c'est bien pratique en prophylo : on se méfie de la Diable, fille de Vipère et petite fille de Tornade... C'est bien pratique aussi pour demander des nouvelles d'un cas : je mémorise mieux les noms que es numéros de travaille. Autre avantage, on connait l'âge de la bête grace à la lettre sans avoir besoin d'aller voir son passeport. Enfin, et c'est là le plus grand des avantages, ça montre l'attachement des éleveurs (même les "gros" qui ont 100 mères) à leurs animaux et à l'élevage traditionnel. Ce sont ces petits panneaux qui m'ont permis d'apprendre les rudiments du patois et c'est essentiel pour s'intégrer : la taisse (blaireau), la baisse (cornes en bas)...
Mouahahahahah