Des gosses

Il est à peine onze heures lorsque je ressors mon bras du vagin de la vache.

"Torsion utérine, 3/4 tour, irréductible. On ouvre !"

Dans les minutes qui suivent, déboulent papys, voisins et autres curieux venus assister au grand show : la césarienne. La scène est avantageuse : lumière claire, paille fraîche, petite brise. Quelques meuglements et pépiements en guise de musique, plus le parfum des bovins mêlés à l'odeur indéfinissable de l'herbe humide qui sèche au frais soleil de septembre...

Nettoyage, désinfection, incision, je demande au papy qui vient d'arriver de m'attraper la boîte métallique contenant mes instruments de chirurgie.

"Sans mettre les doigts dedans, s'il vous plaît."

Gagné, il a mis ses gros doigts dedans, mais sans rien toucher.

Boaf.

Grand, raide, la peau cuivrée par le soleil sous sa casquette, pantalon brun et chemise d'un bleu indéfinissable, il commence à chahuter avec l'éleveur qui s'appuie contre la génisse, juste à côté de moi.

Et lorsque je me retourne... Sourire en coin, yeux plissés, le papy de 85 ans est occupé à mimer un coup de bistouri dans le ventre de l'éleveur.

Mignon...

Un bruit métallique. Je me retourne brusquement, le papy tient mon scalpel dans sa main droite, et mime encore une fois le coup de bistouri.

J'explose.

"Mais bordel, ça va pas bien non ?"

Incrédule, voix fautive : "Mais je n'allais pas le faire !"

Je n'y crois pas. Il se justifie comme un gamin. Là, je gueule franchement.

"Mais rien à foutre que vous lui ouvriez le ventre !"

Je détache bien les syllabes.

"Mais..."

Un gosse...

"Mes instruments sont stériles, et vos mains sont dégueulasses ! Ca va pas bien non ? Putaaaaaiiiin ça va dans le ventre de la vache ça !"

Et blam, il repose très vite mon scalpel dans la boîte.

Génial.

N'empêche qu'après, j'ai eu l'assistant le plus zélé de ma carrière. Il n'a plus moufté, plus rien dit, il devançait chaque fois mes gestes lorsque je me retournais pour saisir une aiguille ou un clamp.

Des gosses !

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