Deuxième avis

Je n’ai pas confiance. Et s’il se trompait ? Il y a peut-être une autre solution ? Je voudrais qu’il soit soigné autrement. J’ai confiance, mais je ne peux pas croire qu’on ne puisse pas faire plus ! Une autre chance ? Il m’a prise pour une conne ! Il est trop vieux. Il est trop jeune ! Elle est trop féminine !

Qui a raison ? Qui a tort ? Le premier qui a parlé ? Ou plutôt le dernier ? On prend un troisième avis pour trancher ?

Demander un second avis est une démarche normale. Naturelle. Pas pour tout et tout le temps, mais il y a bien des situations qui méritent, sans doute, un autre regard. Que la seconde réponse soit la même, ou pas. C’est un sujet, oh, pas tabou, mais gênant. Aussi bien chez les vétos que chez leurs clients. J’ai régulièrement en consultation des chiens, des chats, parfois des chevaux, qui ont déjà vu un confrère ou une consœur pour un même problème. Et il est évident que certains de mes clients sont allés chercher un autre diagnostic, une autre prise en charge. C’est naturel… mais personne n’aime en parler.

Pas à l’aise, le premier vétérinaire ?

Personne n’aime parler de ces consultations de second avis : pas le véto du premier avis (moi, vous, nous) : parce que nous avons peur d’être pris pour des incompétents, parce que nous voulons qu’on nous fasse confiance. Parce que nous croyons en notre compétence, mais… pas tant que ça. Nous savons, bien entendu, que nous nous trompons régulièrement. Alors si c’est nous qui revoyons l’animal : a priori, pas de problème, on gérera. Mais si c’est un confrère ou une consœur ? Et s’il ou elle en profite pour nous casser du sucre sur le dos, pour nous « voler » nos clients, pour nous faire passer pour des cons ? Et même si ce n’est pas le cas, que va-t-il, ou elle, penser de nous ? Surtout si nous savons que nous avons raté un truc. Même si nous savons qu’il ou elle saura que nous avions de bonnes raisons de le rater, le truc ? Ou si le client retransmet très mal notre premier avis ?
L’établissement d’un diagnostic est un exercice complexe. J’en parle plus longuement par ici, mais pour résumer : nous avons des informations données par le propriétaire, des symptômes, parfois peu nombreux. Souvent vraiment pas spécifiques. Des résultats d’analyses, mais pas toujours (il n’est souvent pas justifié de faire des examens complémentaires sur des symptômes a priori courants et explicables). Et une solide base de données dans la tête, hiérarchisées par rang de probabilité. Les anglo-saxons parlent d’educated guess. « Devinette savante ». Quand on joue aux devinettes, on se plante. C’est le jeu : nous n’avons presque jamais de certitude. Je préviens systématiquement les propriétaires des animaux que je reçois : si ça n’évolue pas comme ci, ou comme ça, c’est que je me suis planté quelque part. On verra les nouveaux symptômes, on fera des analyses. Et ça passe très bien. La confiance n’est pas entamée parce que je dis que je risque de me planter. Au contraire, tant que le plantage potentiel est encadré.

Pas à l’aise, le deuxième vétérinaire ?

Parfois, je reçois en consultation des personnes qui veulent une autre consultation, parce que le diagnostic du confrère ou de la consœur ne leur paraît pas crédible. Je reprends les commémoratifs, l’examen clinique, les résultats d’analyses précédents s’il y en a, la réponse au traitement proposé par l’autre véto, et je confirme ou informe le diagnostic et la prise en charge. Quand je suis totalement d’accord avec l’autre vétérinaire (ce n’est pas si rare), j’essaie de comprendre pourquoi on ne l’a pas cru. Si je ne suis pas d’accord, je cherche aussi pourquoi le confrère ou la consœur est arrivée à cette erreur. Et qu’elle soit légitime ou pas, mon problème n’est pas de l’enfoncer, mais de soigner l’animal. Même si parfois les clients voudraient plus de sang sur les murs… Nous avons tous droits à l’erreur, même si elle se paie parfois cher, pour le client ou l’animal. Nous avons nettement moins droit à l’incompétence ou au je m’en foutisme, par contre… Et ça me va très bien comme ça.

Parfois, je vois un animal parce que c’est la prise en charge proposée qui ne passe pas. Un conseil d’aller voir un spécialiste très cher, un médicament à vie, ou onéreux, ou aux nombreux effets secondaire. Ou pas de traitement du tout : « on ne peut rien faire pour votre chat ». Ou une proposition d’euthanasie. J’explore les alternatives. Souvent, je comprends la résistance qui a fait refuser le traitement, et je trouve une autre solution. Meilleure ? Pas forcément. Mais différente. Parfois, je n’ai pas mieux à offrir.

Je disais que tout vétérinaire est plus ou moins mal à l’aise avec cette notion de consultation de second avis, même le second praticien. Parce que si on sait qu’on est le second, on sait aussi qu’on est sur le grill, en général avec un client qu’on ne connaît pas. Parce que nous ne savons franchement pas si nous sommes meilleurs que l’autre. Parce que nous nous demandons si la consultation pourrait se retourner contre nous, soit parce que le confrère nous en voudrait si on le contredit, soit parce que le client est particulièrement exigeant, peut-être procédurier… j’y reviendrai.

Pas à l’aise, le client ?

Faut qu’j’vous l’dise franchement, docteur…
Bon, je vais être honnête, j’ai vu un autre véto !
Alors, vous allez trouver ça bizarre, mais mon véto de toujours, cette fois, ça ne passe pas...
Vous allez me prendre pour un idiot...

Clairement, beaucoup de clients ne sont pas à l’aise à l’orée d’une consultation de second avis. Nous en avons conscience. Déjà, beaucoup de clients ne sont pas à l’aise en entrant dans la salle de consultation, alors si c’est avec un vétérinaire inconnu, dans une clinique inconnue, pour un problème suffisamment important pour justifier un second avis… !
Je le sens bien, que la plupart se demandent ce que je vais penser d’eux. Honnêtement : rien de particulier, à moins qu’ils n’expriment une agressivité malvenue, envers moi ou le premier vétérinaire.

C’est souvent mon premier objectif au cours de ces consultations : mettre le client à l’aise.
Je l’ai déjà dit en introduction : je trouve normale la démarche de demander un second avis, quelles que soient les motivations du client. Je me vois très bien à leur place chez mon médecin, avec toute la confiance que je voue à ses qualités humaines et professionnelles : s’il m’annonce un truc qui ne me convient pas, je chercherai un second avis. Alors pourquoi pas mes clients, y compris les plus anciens, les plus fidèles ? J’offre un service, j’ai mes qualités, j’ai mes limites. Je peux me planter, je le sais. Comme tous les autres. J’ai mieux à faire que perdre du temps et de l’énergie à juger mes clients : cela ne sert à rien. Je suis là pour soigner des animaux. Pour le faire bien, je dois comprendre les humains qui les accompagnent, et donc, entre autres, comprendre pourquoi ils sont venus en consultation de second avis. Mais il y a une différence entre comprendre les motivations de quelqu’un et en penser du bien ou du mal… je le dis à mes clients, quitte à mettre les pieds dans le plat : « j’ai besoin de comprendre pourquoi vous venez me voir après cette consultation ». Surtout si le diagnostic du confrère ou de la consœur me semble exact !

Et lorsque la consultation avance, je décortique aussi le diagnostic et le traitement de l’autre vétérinaire. Pourquoi il a été proposé, pourquoi il est justifié, pourquoi il ne l’est pas, pourquoi il aurait pu l’être. Et ce qu’on va faire. Si je ne juge pas mes clients, je ne juge pas non plus mes consœurs et confrères. Je ne suis pas meilleur qu’eux, et je suis là pour soigner un animal.

Pourquoi et comment demander un second avis

Alors, faisons simple.
Vous avez un doute. Vous n’avez pas confiance. Que ce soit en le vétérinaire lui-même, ou en cette consultation plus particulièrement. Et vous estimez que la maladie est suffisamment grave pour que vous ne puissiez pas vous contenter de son diagnostic et de la prise en charge proposée. Dans ce cas, allez voir un autre vétérinaire. Même si vous vous demandez ce qu’il ou elle pourrait bien apporter. Avez-vous les connaissances, les compétences pour juger le travail du premier vétérinaire ? Probablement pas. Mais si vous n’avez pas confiance, il vous faut, si vous jugez que l’état de votre animal le justifie, confirmer ou infirmer ce doute. Vous vous en voudrez de ne pas l’avoir fait si cela tourne mal (que ce soit ou pas la faute du premier vétérinaire). Ne doutez pas trop de vos propres doutes.

Et si vous voulez que cette consultation se passe bien :

Apportez le dossier complet de votre animal. Tous ses résultats d’analyses. Je sais que vous ne les avez peut-être pas, et que vous n’êtes peut-être pas très à l’aise à l’idée de les demander à votre vétérinaire traitant habituel. Demandez-les. Même les radiographies : à l’ère du numérique, c’est facile. Par contre les images d’échographie, oubliez-les, elles ne servent presque à rien si on ne tient pas la sonde (mais le compte-rendu, oui!). Prenez son ordonnance, ses médicaments. Essayez de savoir ce qui lui a été injecté. Trop souvent j’ai entendu « il a fait deux piqûres et j’lui donne 1/2 comprimé blanc matin et soir (et ça marche pas). »
Soyez clair(e) sur votre démarche : expliquez-nous pourquoi vous venez, ce que vous attendez de nous. Ce qui ne vous convient pas dans la prise en charge ou le diagnostic initial. Nous allons nous demander ce que vous voulez exactement (rappelez-vous que nous ne sommes pas à l’aise dans ce rôle de second vétérinaire) : allons-nous ouvrir le parapluie des examens complémentaires juste pour nous couvrir ? Devons-nous nous demander si vous nous dites bien tout ? Allez-vous nous pourrir comme vous êtes peut-être en train de le faire de ce vétérinaire ?
Indiquez-nous quelles sont vos limites : financières, éthiques, humaines. Cela nous aidera aussi à vous proposer une prise en charge qui vous conviendra. N’essayez surtout pas de nous piéger en ne nous disant rien du tout, comme si vous veniez pour une consultation initiale : nous serons moins efficaces et nous n’apprécions pas d’être pris pour des cons (comme vous).
Si vous avez cherché des infos sur tous les forums voire sur pubmed, si vous avez demandé l’avis d’un cousin véto au téléphone, ou qu’une personne compétente (à votre avis) vous a répondu sur Twitter : nous ne vous en voudrons pas. Nous lèverons peut-être les yeux au ciel dans notre tête, mais nous sommes comme vous. Que croyez-vous que nous fassions quand nous sommes malades ou qu’un technicien informatique nous explique un truc incompréhensible au sujet de notre réseau ? Cela prouvera juste que vous avez cherché à vous informer, à de bonnes ou de mauvaises sources, et nous savons que juger les infos que vous avez obtenues ne relève pas de votre compétence. Nous les trierons pour vous si c’est important.

Ce billet est dédié à Baruch, puisse sa fluffyness nous réjouir encore longtemps

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