Lettre pour monsieur Ourbise
vendredi 15 novembre 2019, 15:39 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Cette lettre a été écrite et envoyée une dizaine de jours environ après l’euthanasie d’Ozone.
Chers madame et monsieur Ourbise,
Voici une petite lettre qui vous surprendra peut-être, mais j’avais envie de vous écrire, n’ayant pas eu la possibilité de vous parler vraiment lorsque nous nous sommes croisés à l’accueil, à la clinique.
Je tenais tout d’abord à vous dire à quel point je suis désolé par la mort d’Ozone. J’ai espéré pouvoir le sauver, me raccrochant aux éléments les meilleurs dans ses analyses, à cet espoir qu’ils offraient, sans insister assez sur les risques qu’il courait malgré tout. J’ai espéré que sa néphrite pourrait être contrôlée par les antibiotiques, que ses reins auraient assez de réserve pour repartir.
J’avais tort.
Je suis navré pour Ozone, et pour le faux espoir que cela vous a donné, surtout avec ce petit mieux qu’il a montré pendant les 24 premières heures, quand la perfusion l’a aidé.
Je suis navré aussi que vous ayez eu l’impression que ma collègue, la Dr Lucie Hers, se soit occupée de votre compagnon « à la va-vite ». J’avais passé la soirée de la mort d’Ozone avec elle et notre consœur Aurélie Tolzac pour chercher des solutions. Elle était désolée d’avoir pu donner ce sentiment. Je sais son implication et l’attention qu’elle consacre aux animaux que nous soignons, y compris et surtout dans ces moments difficiles.
Je suis complètement à votre disposition si vous souhaitez reparler de tout cela.
Très sincèrement,
Dr Sylvain Balteau
Les euthanasie sont des moments très compliqués, et la colère de M. Ourbise qui a appelé quelques jours après la mort d’Ozone pour dire que son euthanasie avait été bâclée, alors qu’elle s’était déroulée dans des conditions idéales, pouvait sans difficulté être expliquée par la violence de cette perte. J'avais débuté la prise en charge d'Ozone mais je ne pouvais être là lorsque la décision d'euthanasie a été prise (ce que je n'avais pas précisé à M. Ourbise, si ma mémoire est bonne, décuplant probablement son désarroi). Ma collègue Lucie avait été blessée par ses mots, d’autant qu’elle avait fait très attention à ce que tout se passe « pour le mieux ».
M. Ourbise a rappelé un mois environ après avoir reçu cette lettre pour présenter ses excuses à ma consœur, expliquant à quel point la mort de son chien avait été difficile, à quel point il avait voulu croire à ses chances, et à quel point il lui manquait.
Commentaires
Bjr Doc.
Un écrit, pour ce Monsieur, c'est une bonne chose, cela lui procure comme la reconnaissance de sa souffrance, et vous précisez être à sa disposition pour en reparler, c'est là le principal...on peut avoir tant de choses à dire à son véto après...tant besoin de démonter le mécanisme qui fait qu'on en est arrivé(s) à décider que...
Face à cela nos réactions sont diverses, ça passe par la colère envers le véto pour certains, pour d'autres par la peur de déranger, ou par sa propre culpabilité...trouver un équilibre entre tout ça sous l'emprise des émotions..pas simple...
Pour ma part, j'avais besoin d'en reparler, alors j'ai pris RV, en spécifiant que je voulais payer ma consult afin de ne pas empiéter sur la vie de l'homme derrière celle du pro. Et ce jour là, je n'ai pas tout exprimé, repérant certains indices corporels chez mon véto qui démontraient qu'il était en "mode protection".j'ai compris que c'était nécessaire pour lui car comment continuer ce métier si on ne se protège pas de la douleur des maîtres....et j'ai pensé qu'il ne fallait pas ajouter de la destruction à la destruction...que peut-être plus tard, dans quelques années, selon les lois du hasard, je lui poserai certaines questions...ou que peut-être jamais car on ne sait jamais tout de quelque chose, que la vie est ainsi.
Il m'est arrivé d'imaginer qu'il faudrait tarifer une euthanasie avec consult inclue derrière car perdre un animal peut être une épreuve majeure dans sa vie et que parfois personne n'est là pour entendre cela, encore moins quelqu'un de compétent..mais un véto n'est pas un réceptacle à émotions.
C'est un pan de la faillite sociétale que de refuser la vision de la mort en général, de la vieillesse, de la maladie et quant à celle des animaux, je n'en parle pas...
Sur le chemin de maître, alors, parfois on trouve un blog...un blog qui nous permet de dire qu'on a aimé un animal, qu'on n'a pas su être parfait, qu'on réfléchit sur soi, sur l'autre...et cela peut être le seul espace où on peut parler encore, le temps passant, de ce qui fait mal en soi et qu'on tait.
Donc, oui, il faut écrire, il faut lire l'autre, l'écriture est un engagement, une preuve, une trace.
Bonne journée Doc, et vous l'aurez deviné, mille mercis pour votre blog!
PS: très symbolique votre lettre sur "support ordonnance"....à plrs niveaux.
Nous sommes tous les mêmes, se raccrochant à tout espoir de pouvoir sauver nos amis, at anéantis quand on n'y arrive pas. C'est tellement facile de s'en prendre au vétérinaire. C'est peut être aussi humain. Mais il faut vraiment se battre contre cette tendance. Les vétérinaires ont un boulot tellement dur. En six mois, j'ai perdu mon chien adoré (très rapidement, un hémangiosarcome de la rate) et un chat adoré (lentement, dû à un blocage de système biliaire). Ma vétérinaire a fait tout ce qu'elle pouvait faire, et je lui en serai reconnaissante à jamais. Mais une "amie" ne s'est pas gênée pour me dire que la vétérinaire était en train te tuer mes animaux. Je ne fréquente plus cette personne. Je trouve votre blog très émouvant. Merci.
Je suis également très touché par cette lettre.
Non pas qu'elle fasse remonter le souvenir d'un animal dont la perte a été particulièrement douloureuse.
Mais plutôt le souvenir de quelques patients dont la perte a été très douloureuse (je suis également vétérinaire).
Qu'il est difficile de passer la soirée au chevet d'un chien pour s'entendre dire qu'on s'en est occupé "à la va-vite"...
Qu'il est difficile de vouloir y croire jusqu'au bout sans risquer de donner de "faux" espoirs aux propriétaires...
Qu'il est difficile de ne pas parvenir à sauver un animal après y avoir tant cru...
Qu'il est difficile de le vivre comme un échec alors qu'il n'y avait bien souvent rien de plus à faire...
Et qu'il est difficile, après avoir perdu un patient, de terminer sa journée en donnant également le maximum pour tous les autres ...