Fire
jeudi 28 juillet 2011, 11:28 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Je suis assis sur la table d'examen. Mes jambes battent dans le vide, un battement court et violent. J'ai les bras croisés, mains cachées, les sourcils froncés, je suis le langage corporel du contrarié en colère.
Fire a eu le plus grand mal du monde à venir de sa cage jusqu'ici. Il s'est couché contre le mur, sa perfusion, un peu dérisoire, posée au sol en attendant. Ses maîtres viennent d'arriver.
Il est 19h30 et je les ai appelés à peine un quart d'heure plus tôt. Il était entendu que si l'état de leur chien se dégradait, je l'euthanasierai. Ils ont apprécié, je l'ai bien senti, que je leur propose de venir le voir une dernière fois, malgré l'heure. Là, ils sont assis par terre, à côté de leur chien, dans cette salle de consultation immaculée où rien ne se passe comme je le voudrais. Pourtant, tout se passe comme nous l'avions prévu.
Lorsque Fire est arrivé lundi, le diagnostic était déjà posé - au téléphone. Son maître m'avait appelé la veille au soir, il ne pouvait pas venir tout de suite, il m'avait décrit une parvovirose, il l'avait d'ailleurs reconnue. J'avais exclu les autres possibilités lors de la consultation, confirmé sa suspicion, et nous aurions du être rassurés. Une parvo à cet âge, sur un chien de ce gabarit, ça se gère. Deux jours de perf', des analgésiques, et il rentre à la maison.
Le propriétaire du chien, je le connais un peu. J'ai déjà vu ses chiens en consultation. réglo, très sympa, inquiet et concerné par le bien-être de ses animaux. De tout petits moyens financiers, alors nous faisons toujours au moins cher, sans lésiner sur la qualité des soins. Disons qu'on rogne sur les options. Là, les options, c'était la numération-formule, et l'analyse viro pour identifier le parvovirus et son possible pote de co-infection, un coronavirus hautement pathogène. De toute façon, une entérite hémorragique comme ça, avec cette petite fièvre, cette douleur abdo, ce frottis sanguin très pauvre en globules blancs, c'est pour ainsi dire du billard diagnostique. Et les nuances virologiques ne changeront rien à la prise en charge, elles expliqueront simplement pourquoi un chien vacciné semble faire une parvo aussi grave.
Le souci, c'est qu'au soir du premier jour d'hospitalisation, Fire n'a pas du tout commencé à relever la tête.
Le lendemain matin, il faisait carrément la gueule dans sa cage. Vaguement inquiet malgré la confirmation olfactive du diagnostic (ceux qui connaissent l'odeur de la parvo me comprendront), je suis revenu l'examiner, le temps de finir de gérer un chat accidenté. Des muqueuses rouge brique, des difficultés respiratoires, de multiples petites hémorragies. Une sirène d'alarme diagnostique, et tant pis pour mes trois rendez-vous.
Une petite heure plus tard, j'avais ma confirmation, en explosant le devis prévu pour une bête entérite hémorragique. Fire a une complication qui, pour faire simple, lui interdit de coaguler. Et pour le soigner, il me faut stopper la cause de la complication (le ou les virus, donc, et peut-être un autre truc sous-jacent), le transfuser et lui filer divers médocs pour le moins risqués à utiliser. Et décider si la patate qu'il a du côté de la rate est une tumeur ou un hématome, pour l'opérer en urgence afin de l'enlever, ce qui est la pire connerie à faire quand son patient ne coagule pas.
Enfin pour faire court et plus simple au niveau prise en charge, regarder cet adorable malinois mourir, et annoncer l'inéluctable à son maître.
Chose que je n'ai pu me résoudre à faire qu'une fois tous les recours épuisés. Conseils pris auprès de vétos plus spécialisés que moi, derniers résultats d'analyses obtenus, venant, tous, un à un, confirmer mon diagnostic et mon pronostic. J'ai repoussé la morphine à Fire, et décroché mon téléphone.
Avec cette voix posée, désolée, factuelle. Annoncer que les choses ne vont pas bien du tout. Expliquer, simplement, une CIVD. Détailler la certitude sur la complication et le doute sur son origine, entre le virus et la rate. La prise en charge théorique, ses risques, sans parler de son prix et de sa faisabilité. L'amener, tout doucement, à ce qu'il sait déjà depuis qu'il a entendu ma voix : l'euthanasie.
Je me suis entendu lui proposer de venir le voir, pour la dernière fois.
Je ne l'avais pas prévu. Et dans ma salle de consultation, assis sur ma table d'examen, les bras croisés et les sourcils froncés, je regarde Fire, épuisé par les dix mètres parcourus, effondré contre le mur. Je sais que je veux l'opérer, je suppose, non, je sais que c'est pour ça que j'ai fait venir ses maîtres, et je ne sais pas si mes jambes battent la mesure de ma colère contre la maladie, contre moi-même ou contre l'infaisabilité de la chirurgie.
Enlever sa rate à un chien qui ne coagule pas ? Ou, si je me suis trompé, faire une entérectomie sur une portion d'intestins nécrosés ?
Alors je m'écoute parler, avec une distance irréelle, et j'ai l'impression d'être l'étudiant qui écoute l'interne expliquer un cas à l'école véto. Égrener à nouveau les points clefs du diagnostic, attaquant chaque hypothèse pour mieux la confirmer. L'entérite virale, la CIVD, l'échographie avec cette rate anormale et ces intestins trop inflammatoires, la radio sans corps étranger. Conclure sur la nécessité et l'impossibilité d'une chirurgie.
Et sur cette brillante démonstration, cette inéluctable conclusion, soupirer, et proposer la chirurgie.
Parce que j'ai pas le courage de ne pas espérer, et que je ne veux pas l'euthanasier. Parce que s'ils n'ont pas les moyens financiers, je ne compterai que le prix des produits anesthésiques et des consommables de chirurgie.
Parce que merde, bordel de cul et tout le reste.
J'ai besoin d'espoir.
Et j'ai un peu honte d'aimer le regard de cet homme à qui j'offre cet espoir désespéré. Ces yeux qui brillent.
Fire inspire comme si l'air était devenu de la boue.
Et ce soir, j'ai juste envie d'être un héros. De faire mieux que les bouquins, que les spécialistes et que la raison.
L'anesthésie s'est remarquablement bien passée. Il y avait bien un hémangiome, et a priori pas de métastases. Les intestins étaient aussi propres qu'ils peuvent l'être lorsqu'ils sont ravagés par des virus. J'ai réussi à ligaturer toutes ces foutues veines, à stopper toutes les hémorragies du mésentère. Moi qui n'aime pas la chirurgie, j'étais fier de mon boulot. Lorsque j'ai suturé la paroi de l'abdomen puis la peau, je me suis surpris à espérer un miracle.
J'ai laissé Fire dans sa cage, pour qu'il se réveille paisiblement. Puis je suis allé en salle de consultation, il était 22h30. les maîtres avaient attendu tout ce temps dans leur voiture, venant aux nouvelles de temps en temps. Ils ont vu les hémorragies, ils ont vu l'intensité de cette chirurgie. Ils étaient heureux lorsque je leur ai expliqué que l'hémangiome était sans doute un facteur de la complication, mais que rien n'était gagné. Que Fire n'avait presque aucune chance, malgré la réussite de l'opération.
Ils n'ont pas voulu me croire, puis ils m'ont remercié. Ils ont caressé Fire qui dormait. Je suis parti me coucher.
Puis, le lendemain matin, je les ai appelés.
Commentaires
Vous avez fait le maximum jusqu'au bout, ce qui est déjà plus "humain" que quelques vétérinaires de ma connaissance.
Tant que Fire ne souffre plus....
Ce que vous avez fait était le max que vous pouviez faire pour ce chien et pour ses maîtres. Il n'y a pas de questions existentielles à poser en plus de ces moments difficiles à gérer sur le coup.
J'aime à croire qu'ils sont au paradis des animaux et qu'ils y aillent dans les meilleures conditions possible sans acharnement.
Le problème avec vous, c'est toujours cette grosse boule dans la gorge qui reste longtemps après le lecture de vos textes.
je ne comprends pas ... appelés le lendemain matin pour dire quoi ? tellement envie de croire que le miracle a eu lieu
Fourrure :
Non. Enfin, je ne pensais pas laisser de cliffhanger, plutôt une suite inéluctable. Fire n'a pas passé la nuit. Il ne pouvait pas coaguler, et même si sur les zones opérées j'avais fait une excellente hémostase, il a fait une hémorragie pulmonaire. Il l'a faite là, il aurait pu la faire ailleurs.
Cela ne pouvait pas réussir. C'est évident, en tout cas pour moi, quand j'y repense maintenant. Le soir même, je ne voulais pas ce ça le soit.
:'(
C'est malin.
J'aurais pas dû passer te lire ce soir.
Bon été, Fourrure.
Vous êtes sans nul doute un trés bon véto, mais un compteur un tantinet sadique non ? à cause de vous, ma journée est foutue...
gloups (je partage l'avis de Régis !!)
... et scénariste de série?
Maintenant on attend de savoir la fin (ou pas), bravo :-)
Ouais, conteur, bon...
compteur, c'est mon banquier. :-D
vous aviez besoin d'espoir... eux aussi;l'empathie dans ce métier doit être dure à porter de temps en temps...
faut etre réaliste, la plupart de nos animaux de compagnies mourront de notre vivant, souvent de maladie et il faudra les euthanasier dans la plupart des cas
Vixi a déjà tout dit...
"Conseils pris auprès de vétos plus spécialisés que moi"
bien sûr, bien sûr...
Pas mal le cliffhanger, ça devrait rapporter des lectrices au bouquin putatif et des caresses à l'ego.
Fourrure :
CEAV de médecine interne, en fait.
et voilà vous avez réussi encore une fois à me faire pleurer .... :(
Bonjour,jai vue votre histoire sur votre blog et jai etait très touchée , moi même jai une chienne et je ne voudrais rien au monde quil lui arrive quelque chose .Ce que vous faites est très très beau est plus tard j'aimerais faire le même metiers que vous car j'"aime les animlaux et jai decider d'être vétérinaire pour pouvoir les aider, mais pour arriver a ce but jaimerais savoir conbient dannée vous avez étudier et si cela n'a pas était trop dur, et surtout vous aviez combient de moyenne en troisieme pour y arriver ? je vous remercie de votre attention, en attente de votre réponse .
titi > Sans vouloir te décourager, le problème au collège, c'est qu'on n'aborde pas encore réellement les sciences. Pas totalement non plus en seconde. Ce ne sera qu'à partir de la 1°S que tu pourras vraiment voir ce qu'il en est. Donc, ta moyenne en 3ème n'est absolument pas déterminante. Il te reste encore trop à découvrir.
Quoiqu'il en soit, il faut être globalement travailleur, sérieux et surtout motivée.
En attendant, les études (par la voie classique) se déroulent en 2 années de CPGE (Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles) BCPST (Biologie, Chimie, Physique, Science de la Terre) amenant au concours national (environ 380 places pour toute la France). Ensuite, il y a 4 ans de formation de base. La 7ème année permet d'approfondir un domaine particulier et ainsi amener sur la soutenance d'une thèse (pour les filières cliniques).
La formation de base est donc de 7 ans.
ou alors tu tentes ta chance en Belgique ( 6 ans )
Il me semble que mon très bon vétérinaire a 2 fois fait un miracle avec ma petite Julie de 17 ans ,( pancréatite et insuffisance rénale ) mais un jour il n'en fera plus et ce sera très triste pour lui et pour moi
c'est une histoire très triste.C'est une belle façon de lui rendre hommage.
Merci pour les maîtres, pour ce que vous faites.
Et aux trolls, proposez-donc une corde.
malheureusement les miracles... ils sont rares. J'en ai fait la douloureuse expérience avec mon chat la semaine dernière.
Mais vous avez fait le maximum, avec une générosité énorme pour les maîtres... leur donner cet espoir était un geste magnifique.
là où je vais être plus critique c'est qu'en sachant que les chances de réussite étaient nulles ou presque, est-ce que cela valait le coup de donner des souffrances en plus à ce chien (bien qu'il a du être sous analgesiques tout le long), ne valait-il pas mieux pour lui partir sous la caresse rassurante de son maître plutôt que seul dans son boxe ?
Je ne sais pas... je fais sans doute trop d'anthropomorphie sur ce coup là...
Fourrure :
C'est une question importante. Nous en avons discuté avant de nous lancer dans la chirurgie, et un moyen terme a été retenu : si la chirurgie était bien une splénectomie (peu douloureuse), on y allait. Si je m'étais trompé et que c'était autre chose, on l'euthanasiait pendant la chirurgie. Et bien entendu, l'analgésie a été la plus complète possible (morphiniques etc).
nan nan nan .... la fin de l'histoire c'est pas celle la !
"fire s'est endormi en sachant que ceux qui l'entourrait l'aimait et le respectait, Fire est parti en remerciant son véto d'avoir tout tenter (meme l'impossible) pour lui sauver la vie "
Surement par ce que vous etes quelqu'un de bien, tout simplement.
Comme d'habitude, je suis émue.Comme d'habitude, en lisant votre billet, je retiens mes larmes.
Comme d'habitude, je pense au véto de mes animaux, tellement plein d'empathie. Et comme d'habitude, je me dis que vous faites un bien beau métier.
Même si certains râlent contre cet article ou sont trop tristes de l'avoir lu, continuez de nous faire part de toutes les expériences que vous voulez partager.
@paradise "Vous avez fait le maximum jusqu'au bout, ce qui est déjà plus "humain" que quelques vétérinaires de ma connaissance."
Des tentatives de ce genre avec un bénévolat au niveau de l'acte ne peuvent se voir tous les jours, vétérinaire est aussi un métier, et il faut en vivre...
Docteur Fourrure je suis encore étudiant vétérinaire, et je voulais savoir si vous croyiez vraiment en la réussite ou si c'est la cas de trop ou on veut tenter l'impossible?
Fourrure :
Entièrement d'accord avec votre première remarque : le boulot de vétérinaire doit payer, et de préférence bien, vu le temps et l'implication nécessaires. C'est aussi ce qui nous permet parfois de concéder d'énormes remises à certains clients qui n'ont pas les moyens de payer.
Pour ce cas précis, j'avais la certitude objective que cela ne marcherait pas. Il aurait fallu que la CIVD soit correctement gérée pour que le risque hémorragique soit tolérable. De plus, je n'étais pas sûr que la rate soit réellement malade. Le double espoir (peu réaliste, soyons clairs) était que cela soit un hémangiome splénique, qu'il soit, avec la parvo, responsable de la CIVD, et que la chirurgie suffise à résoudre cette complication (quitte à donner un coup de pouce transfusionnel si les choses se passaient vraiment bien). Pour la première hypothèse, j'avais raison. Mais la parvo/corona n'était pas terminée, et même si le chien n'était pas anémié, il ne coagulait pas. Une héparinothérapie était hors de propos, l'AT III pas réaliste financièrement, la transfusion... il ne nous en a pas laissé le temps.
Ceci étant, les chiens et les microbes ne lisent pas toujours les livres, et on a vu des cas plus improbables se résoudre sur des tentatives tout aussi désespérées. En conclusion : on a tenté, sans faire souffrir le chien inutilement, et sans alourdir la facture du propriétaire de façon stupide. Alors si cela n'en valait peut-être pas la peine d'un point de vue médical, cela la valait absolument d'un point de vue humain : pour le maître de Fire, et pour moi. Pour ne pas baisser les bras.
Quel beau métier vous faites Docteur Fourrure ! Même si en vous lisant je comprends votre tristesse et votre sentiment de colère. Moi qui ne sait que trop ce que ça fait de perdre un patient, tout ce que je peux dire c'est que vous avez fait votre maximum et ce que vous pensiez être bien pour Fire et ça c'est déjà beaucoup... Vos textes sont très beaux, merci.
Pfou,
première fois que je laisse un com ici,
mais première fois aussi que je ravale un sanglot...
Pfff....
Merci pour eux tous...
wooow, like your things from united place to another Fire - Boules de Fourrure
wooow, like your things about Fire - Boules de Fourrure
Bon, vous êtes chiant, moi aussi j'aurais bien aimé que vous soyez un héro avec une fin Walt Disney dans un film genre "clerc" le mauvais esprit en moins, qui compresserait vos meilleures anecdotes professionnelles sur une journée !
Vraiment vous n'y mettez pas du vôtre...
Très bon blog que j ai découvert lors de mes recherches sur le net. J ai trois petites minettes qui ont la chance d avoir un super veto. Merci a tous les vétérinaires qui prennent le temps de soigner nos petits compagnons et de prendre le temps de nous écouter. Bonne continuation
Ouch, Espoir vite brisé!
Dur, dur votre métier tout de même. Cela ne doit pas toujours être simple.
Mais, même si au final, ce chien n'avait aucune chance, redonner un peu d'espoir à des maitres qui devaient déjà être anéanti, c'est un beau cadeau.
Je crois que dans tous les métiers, où on est confronté à la mort, on a besoin de temps en temps, de se battre même si on sait que c'est foutu d'avance. Vous avez gardé l'espoir, vous vous êtes battu ...c'est le principal !
Bonjour,
J'ai enfin fini de lire votre blog, très passionant. Je commence mes études de vétérinaire en sept. 2012 si je passe le Numerus Clausus (en Suisse). Le cas de Fire me trottait dans la tête depuis 2-3 jours, la nuit en me réveillant j y pensais. Les questions que je voulais poser ont été devancées par Gaut. Il m'en restait une. Si la décision opérer/euthanasier aurait été prise un matin ensoleillé où on avait toute la journée pour s'habituer à une nouvelle et que le jour ne faisait que commencer... auriez-vous eu (vous et le maître) la même décision? où était-ce aussi mu par l'envie de finir la journée par de l'espoir, pour mieux passer la nuit, ne pas avoir essayé le miracle en fin de journée?
Merci pour vos articles intéressants,
Emma
Fourrure :
Je ne sais pas...
Bravo, on aimerait en voir plus des vetos comme vous ...
les larmes aux yeux moi aussi ! je ne connaissais pas ce site ! je n'ai jamais rencontré un vétérinaire tel que vous ! ça fait chaud au coeur ! merci !!!!