Mot-clé - reproduction

Fil des billets Fil des commentaires

lundi 1 juin 2015

A sec

- Elle est super gonflée derrière, elle se couche et pousse de grands soupirs de douleur, surtout pour faire ses crottins, et ça dure depuis que je vous ai appelé !

Elle s'est levée quand je me suis approché. La jument est mal apprivoisée : très jeune, et Mme Hers vient de la récupérer. Pas sauvage, mais de là à l'examiner paisiblement, non. J'arrive à la caresser, elle baisse les oreilles, retrousse ses lèvres, roule des yeux mauvais.
Du cinéma. Ça va.
Je lui parle doucement, elle tolère bien que je lui caresse l'arrière-main. Pas l'encolure. On ne lui mettra pas de licol, il faudra faire dans ce champs, en liberté. Mes doigts glissent sur son dos, sa croupe. Je parle, je touche, doucement, mais fermement, je m'appuie contre elle. Ne pas rompre le contact, et tout faire en douceur, avec tact. Elle garde un œil mauvais, pour la forme, mais elle me laisse faire. J'écoute son ventre. Elle gargouille, peut-être pas tout à fait autant qu'il faudrait, mais cela me rassure. Je continue à la caresser, je tourne autour d'elle, je ne cesse pas de parler. Elle me tolère. Elle me laisse faire.
Je lui soulève la queue, doucement. Je glisse mes doigts, le thermomètre, elle n'apprécie pas, évidemment. Elle s'éloigne de moi, mais le thermomètre est bien en place. Je le récupère une minute plus tard, je m'approche d'elle comme je m'approchais des poulains au débourrage, à demi-sauvage, à l'époque où j'avais l'énergie et l'inconscience de monter des animaux peu domestiqués. Ils me font marrer, les chuchoteurs, à nous faire croire qu'ils réinventent le lien avec le cheval.
40.1°C
Elle me fuit à nouveau. Mollement, mais en prenant son air méchant.
Elle n'a pas encore fait mine de me taper. Je me glisse contre elle, je la caresse, toujours, ne pas rompre le contact. Mme Hers ne dit rien, elle nous regarde nous tourner autour, il faut que j'arrive à l'examiner. Elle n'a jamais eu de licol, je ne pourrais pas la sédater. Je soulève sa queue, à nouveau.
J'avais bien vu.

- Mme Hers, l'étalon, je suppose qu'il est là pour la saillir ? Depuis combien de temps ?
- Ah oui, heu, une quinzaine. Et puis, il n'arrête pas. Il l'a mordue, c'est lui, c'est ça ?
- Heu... pas de trace de morsure, hein. Par contre. Il est du style à la grimper même quand elle ne veut pas ?
- Oui...
- Manifestement. Et puis là, il a visé l'autre trou. Parce qu'en fait... elle a l'anus défoncé. Et je suis bien infoutu de vous dire si elle a le rectum lacéré, parce que bon, elle me laisse faire pas mal de chose, mais elle ne me laissera pas y toucher. Mais c'est un risque à ne pas négliger.

Alors antibios. Et anti-inflammatoires.
A injecter en liberté.

Et puis... on va voir.

dimanche 22 mars 2015

Jambe en l'air

- Il ne se lève pas. Ce matin, quand j'ai servi la gamelle, il n'est pas sorti de la niche.

Je regarde le vieux, très vieux golden, dans le coffre du break de M. Hers. Le poil blanc a mangé le sable doré, la fonte de ses muscles masticateurs souligne cruellement ses arcades sourcilières. Darwin sent l'urine, Darwin sent le vieux chien. Je soulève ce poids plume sans encombre et l'emmène vers la clinique, ignorant les protestations de son maître qui craint que je me salisse.

Couché sur la table, sa maigreur est évidente. C'est la maigreur du vieux chien qui fond, qui sèche, qui s'étiole et s'en va. Il s'est plaint lorsque je l'ai déposé sur la table d'examen, ses postérieurs sont vraiment tombés n'importe comment. Je réarrange ses membres. Il remue la queue. Prudemment. Quête ma main, que je lui concède immédiatement. Il a mal, c'est évident.

- Depuis quelques semaines, il a terriblement maigri. Et c'était pire ces derniers jours, avec les chaleurs de la jeune ! Il était comme fou, je crois même qu'il lui a fait son affaire ! - A 15 ans, il aurait mieux fait de s'abstenir...

On voit souvent des chiens rendus complètement marteaux par le rut. Ils ne mangent plus, ne boivent plus, ils hurlent, ils trépignent et s'épuisent à répondre à un appel irrésistible. S'il a sailli, il a pu se faire mal au dos. Un faux mouvement, une hernie discale qui saute... Idiot, mais crédible.

Je force doucement Darwin à se coucher sur le côté. Il ne résiste pas. Il place bizarrement son postérieur droit. Raide et de travers. Je n'ose y croire, place mes doigts, à la recherche de l'aile de l'ilium, du grand trochanter et de la pointe de l'ischion. Alignés ! Non ? Je redresse le chien, compare avec l'autre côté. Aucun doute : le fémur est déplacé. Luxation, ou fracture du col ?

Je ne dis rien, j'annonce juste que je vais faire une radio.

Mais je sais déjà que tout cela sent bien plus mauvais que l'urine qui souille le poil terni de ses cuisses.

Alors je montre la radio à M. Hers. La tête du fémur gauche, bien ronde et bien en place dans son logement, et puis la tête du fémur droit, complètement luxée. Il m'écoute attentivement. Une hanche luxée, c'est grave, mais ça se réduit, ou, plus souvent, ça s'opère. Il y a plusieurs techniques, elles fonctionnent bien.

Quand le chien n'est pas pourri d'arthrose.

Quand le chien a encore des muscles pour supporter son poids.

Quand le chien est capable de supporter une anesthésie et une chirurgie lourde, et de s'en remettre.

Quand la douleur et la lourdeur de ces interventions peut se justifier par le confort que l'on va lui apporter.

Mais que puis-je apporter à Darwin ?

Ce con de chien s'est luxé la hanche en sautant une chienne.

- Il n'avait jamais sailli, avant !

Papy s'est démis la hanche en comptant fleurette à une jeunette. Le maître, le véto, l'assistante : nous avons tous envie de trouver ça mignon, de trouver ça romantique, de trouver ça héroïque. C'est grotesque, et c'est drôle. C'est horrible. Jamais Darwin ne pourra s'en remettre, et il a mal, il a très mal, il ne peut plus se lever, il ne pourra jamais plus se lever. C'est tellement absurde.

J'ai envie de rire, j'ai envie de pleurer.

Je pleure, je ris.

J'euthanasie.

dimanche 2 juin 2013

Pourriture

Avis préliminaire : ce post est gore. Vous êtes prévenus.

Jeudi matin. Une stabulation.
C'est pour un vêlage. Ouais. Un vêlage. Une blonde de 600kg qui aurait du vêler seule. Elle en a vu d'autres. Je vois les onglons et le bout du nez à la vulve. Noir, le bout du nez. Ça pue. Mais à ce moment là, je ne sais pas encore à quel point.
Il flotte, mais je suis à l'abri. Ma voiture est garée dans le couloir central de la stabulation. L'air sent l'ensilage, le fumier, la vache. J'ai ma chasuble en plastique vert et mes gants de fouille orange.

Jeudi après-midi. En salle de consultation.
La chienne a les mamelles très gonflées, à point pour débuter la lactation. Une golden de 10 ans. Elle était en chaleur deux mois plus tôt. Elle n'est pas censée avoir été saillie. Elle a tout les signes d'une mise-bas imminente, ou en cours.
Pour changer, il flotte, mais je suis bien à l'abri dans ma salle de consultation, propre et désinfectée. J'ai ma blouse blanche et mon sthéto, mon matériel et tous mes repères.

Jeudi matin. Une stabulation.
Un éleveur qui a environ 400 vaches, c'est assez spécial. La plupart des troupeaux, par ici, c'est 40-60 mères. De quoi faire vivre une personne seule, avec un conjoint qui bosse à côté. Avec 400 bovins, c'est autre chose. Il y a forcément des salariés, et une partie ou la totalité de la famille qui bosse dedans. Le patron, c'est... le boss. Une putain de grande gueule. Il y a des rapports de force, beaucoup plus qu'ailleurs. La relation est faite de tensions, de respect mutuel et d'exaspération. Ce n'est pas une relation hiérarchique, ce n'est pas une relation entre pairs, ce n'est pas une relation entre fournisseur et client, encore moins une relation entre soignant et client. Il a besoin de moi, il n'aime pas ça. Je ne peux pas trop l'envoyer chier, je n'aime pas ça.

Jeudi après-midi. En salle de consultation.
Un agriculteur à la retraite avec son animal de compagnie, ça peut être têtu. La reproduction, des vaches et autres, il connaît ça. Je n'ai jamais été le véto de ses années d'éleveur, il ne me connaît pas. Il comprend très bien les discussions en termes de risque, de bénéfice, de coût. Il est attaché à sa chienne. Il ne tire pas les mêmes conclusions que moi, ou qu'un autre client, de mes explications. Je ne sais pas si j'aime ça.

Jeudi matin. Une stabulation.
- Il est énorme, ce veau, il ne passera pas !
- Il n'est pas énorme, il est gonflé.
Je suis passé en respiration buccale. A voir la tronche des ouvriers, et même du boss, ça doit puer comme jamais. Je ne veux même pas savoir. Les canons sont fins, mais le cuir est décollé par un bon centimètre de gaz, tout autour du membre. Alors oui, ça a l'air énorme. Le veau est mort depuis belle lurette, il pourrit dans sa mère. Je me demande vraiment pourquoi elle ne l'a pas expulsé plus tôt. Je sais qu'ils surveillent bien leurs bêtes, même si le nombre d'intervenants complique parfois les choses. Je glisse mes mains autour du veau mort, le long des parois du vagin, je cherche le col, je cherche le bassin. Mon bras trouve son passage en repoussant le cuir décollé du veau contre son corps. C'est terriblement sec : les eaux sont perdues depuis très longtemps. Je sais qu'il me faudra un litre de lubrifiant pour faire passer ce truc.

Jeudi après-midi. En salle de consultation.
Ça ressemble à un pyomètre. Un utérus transformé en sac de pus, avec un col ouvert, et un écoulement purulent. Je trempe un bout de papier essuie-tout dans la flaque verdâtre laissée par la chienne là où elle s'est assise. Ça ressemble au vert d'un placenta, mais c'est trop liquide. Trop clair. Le papier s'imbibe, je le renifle de près, en m'attendant au pire : non, ce n'est pas du pus, ce n'est pas franchement nauséabond. Je palpe le vente de le chienne, je sens ce gros utérus plutôt dur, avec cette consistance indescriptible de carton un peu mouillé, dépressible, sans élasticité. Je ne sens pas de chiot, mais l'utérus est trop dur pour que je sois formel. Le maître de la chienne n'exclut pas une saillie, mais cela le surprendrait.

Jeudi matin. Une stabulation.
- Tu fais une césarienne ?
- Non, surtout pas. De toute façon, le veau n'est pas très gros.
- Tu rigoles, t'as vu ses pattes et sa tronche, il est énorme !
- Il n'est pas énorme, il est normal, c'est juste que son cuir est gonflé par des gaz de putréfaction. Si le gaz s'échappe, il a une taille tout à fait normale. Il passera. Et de toute façon, la césarienne est exclue : c'est pourri là-dedans, si le contenu de son utérus rentre en contact avec l'intérieur de son ventre, ta vache, elle fera une péritonite, et terminé.
Le boss est contrarié. Il avait décidé que ça se passerait d'une certaine façon, et je le contredis. Il sait qu'en obstétrique, le boss, c'est moi. Je sais que je ne dois pas lui dire non : je dois expliquer pourquoi il est normal qu'il se soit trompé, et comment on va faire.
- Et s'il est trop gros et qu'il passe pas ?
- Alors je le découperai et on sortira les morceaux, mais ça non plus, ce n'est pas une bonne idée : un découpage ça abîme toujours un peu l'utérus, et le sien souffre bien assez comme ça.

Jeudi après-midi. En salle de consultation.
- A priori, c'est un pyomètre. Elle a eu ses chaleurs il y a deux mois, ça s'est infecté, maintenant ça coule dehors mais il reste de la saleté dedans, il faut que ça sorte complètement. On a deux options : la première, c'est les médicaments. Des antibiotiques pendant un mois, et une piqure pour vider l'utérus. Ça marche bien, mais c'est cher. Comptez un peu moins de 200 euros. Je ne vous conseille pas trop cette option, parce que même si ça marche bien à court terme, le risque de récidive aux prochaines chaleurs est énorme.
- Ah, oui docteur, d'ailleurs elle avait déjà des saletés il y a 6 mois, après les chaleurs précédentes.
- Vous voyez, c'est ancien. C'est notamment pour ça que ça ne guérit pas bien, sur le long terme. A chaque chaleurs, le col s'ouvre, à chaque chaleurs, ses défenses immunitaires diminuent et l'utérus devient un milieu de culture pour les bactéries.
- Donc elle risque de rechuter ?
- Oui, après ses prochaines chaleurs.

Jeudi matin. Une stabulation.
Je place les cordes de vêlage autour des canons du veau. Je serre fort et les cordes enfoncent le cuir contre les os, au point de presque disparaître dans le sillon qu'elles creusent sur le cuir distendu. Le col est correct, rien à dire sur le bassin, la vulve est un peu serrée, mais ça ira. On va tirer au palan, très très doucement. Je lubrifie un maximum le passage, le poil sec du veau mort semble boire le gel. Je repousse le col du bout de mes mains tendues. La vache ne pousse pas. Elle attend. J'invite les gars à tirer doucement, très, très doucement. Le veau avance un tout petit peu, sa tête ne passe pas encore la vulve même si son nez noir de nécrose est dehors. Ça ne glisse vraiment pas du tout. J'ai fini ma bouteille de gel, alors je passe au savon.
La première chose que je ferai quand ce sera fini, c'est aller prendre une douche. Les gants de plastique ne sont pas une protection contre ce genre de putréfaction.

Jeudi après-midi. En salle de consultation.
- L'autre option, c'est la chirurgie : on l'endort, on ouvre son ventre, on enlève son utérus plein de pus, on enlève aussi ses ovaires, comme ça elle ne fait plus de chaleurs, et on referme. On donne des antibios une semaine, et c'est fini, on n'en parle plus jamais. C'est plus cher, mais c'est beaucoup, beaucoup plus sûr, surtout au long terme. Comptez dans les 400 euros.
- Il va falloir l'endormir, j'ai pas trop envie, moi...
- Je comprends, et avant de le faire, il faudra vérifier que ses reins fonctionnent bien. Ne vous inquiétez pas trop pour l'anesthésie. Les anesthésies d'aujourd'hui sont vraiment très sûres, le risque d'avoir un accident est très faible.

Jeudi matin. Une stabulation.
Le boss tente de diriger la manœuvre, mais ses instructions sont foireuses. Il est pressé, il est toujours pressé. Là, on a besoin de temps, et je le lui dis : si on va trop vite, on risque de déchirer la vache, et il pourra appeler l’équarrisseur. Il râle et grommelle en boucle, mais on a l'habitude, personne ne l'écoute (sans que cela se voit trop). J'accompagne le passage de la tête à travers la vulve, et, conduisant une traction centimétrique, j'attends la suite.
Ça ne rate pas, le sifflement a commencé :
- Hé les gars, vous entendez ce sifflement ? C'est le gaz qui fuit, le veau va se dégonfler, il est comprimé dans le passage. On va attendre qu'il se vide pour continuer à le sortir. Ça va prendre quelques minutes.
- Ça pue la mort !

Jeudi après-midi. En salle de consultation.
- Le seul vrai risque, et il faut en avoir conscience avant toute décision chirurgicale, c'est que les reins soient déjà très fatigués, quoique encore fonctionnels : dans ce cas la prise de sang sera bonne, mais on risque une crise d'urée dans la semaine qui suit. Bien sûr, on fera tout pour l'éviter. Mais ça peut arriver. Dans ce cas, on hospitalisera et on perfusera, mais le risque que cela finisse mal sera élevé.
- Je n'ai vraiment pas envie d'opérer, on peut faire les médicaments ?
- Oui, même si vous avez bien compris que je ne pense pas que ce soit la bonne solution. Dernière chose : n'oubliez pas que le traitement médical peut échouer. Pas trop à court terme, mais surtout au long terme. Dans ce cas, on se reposera les questions d'aujourd'hui, mais la chienne sera plus âgée et plus fragile, et vous aurez quand même dépensé l'argent pour le traitement d'aujourd'hui.

Jeudi matin. Une stabulation.
Un des gars ne se sent pas trop bien et va s'asseoir.
Les minutes passent, je tente un coup de respiration nasale, pour voir. Quel con.
On va tenter d'avancer un peu. J'enfonce mon bras jusqu'à l'épaule pour repousser le col qui "adhère" au veau. Je pourrais jouer le rôle d'un zombie dans un GN, pour l'odeur, je suis au point. Le type assis me regarde en grimaçant. Je les fais tirer un peu, très doucement. Le veau sort petit à petit, jusqu'à avoir les épaules dehors.

Jeudi après-midi. En salle de consultation.
- J'ai bien compris, mais je préfère les médicaments.
- D'accord. On va faire une radiographie du ventre pour vérifier qu'il n'y ait pas de chiot dedans. Je ne vous l'ai pas proposée avant parce qu'en cas de chirurgie, je me fous de savoir s'il y a des chiots ou pas, mais là, quand même...

Jeudi matin. Une stabulation.
Bordel de merde. Le veau se déchire. Malgré la lenteur de la traction, ses antérieurs se barrent avec le palan tandis que son corps reste dans le vagin. Mais MERDEUUUH !
Tous les gars, même le boss, poussent des exclamations écœurées. Ils n'ont jamais vu ça. Moi si, mais je m'en serais bien passé.
Je prends une corde que je serre autour du thorax du veau, à la limite de la vulve de sa mère, juste en arrière de ses épaules. Je replonge les bras dans le vagin en essayant d'améliorer la lubrification. Le palan tire, la boucle se serre, on entend craquer les côtes. Il faut que la colonne tienne. Sinon, il me faudra aller à la pêche aux morceaux de veau après l'avoir découpé à la scie-fil.
Je prends un des membre presque arraché, je l'enroule autour du thorax pour m'en servir de levier de rotation. Je voudrais "visser et dévisser" un peu le veau, espérant que les mouvements de rotation favorisent la traction, et notamment le passage du bassin. Peine perdue : le cuir finit de lâcher et je me retrouve avec un membre en main. Boulot de merde où l'on se sert de morceaux de cadavre pour sauver la mère.

Jeudi après-midi. En salle de consultation.
Je pose la chienne sur la cassette de radio. J'ai mon beau tablier bleu en plomb, mon protège-thyroïde. Je n'ai enfilé ni les gants ni les lunettes, ça me gave. La chienne a laissé des taches sur le chemin entre la salle de consultation et la salle de radio. A chaque fois qu'elle s'assied, elle prend le temps de se lécher. C'est toujours ça de moins sur mon carrelage... Super calme, cette louloute. Je fais sortir son maître et prends mon cliché sans difficulté. Je profite du temps de développement pour inspecter son vagin et son col, l'absence d'odeur me surprend. Je ne remarque rien de particulier. Pas de chiot dans la filière pelvienne.

Jeudi matin. Une stabulation.
Le veau a bien avancé, la colonne a tenu, mais nous sommes bloqués. Le bassin du veau est quelque part dans le fond du vagin. La vache refuse de se coucher, et l'axe de traction n'est pas excellent. Au bout de quelques minutes, je bouge la prise et pose la corde sur l'arrière de l'abdomen du veau. Nous reprenons la traction en imprimant un angle maximal vers le bas, par à-coups. Enfin : ils reprennent la traction. Moi, je continue à jouer à l'intérieur du vagin, je lubrifie un maximum, je "décolle" les parties sèches. Le veau avance à nouveau, puis finit par tomber d'un coup. L'air s'engouffre dans l'utérus atone avec un bruit de chiottes qui se débouchent.

Jeudi après-midi. En salle de consultation.
Il y a deux chiots là-dedans. Énormes. Ce n'est pas du tout banal chez une golden, race assez prolifique. Il est vrai qu'elle est âgée. Je ne doute pas un instant qu'ils soient morts. Ils ne sont sans doute pas encore pourris (eux), d'où l'absence d'odeur. C'est une indication majeure de chirurgie.

Jeudi matin. Une stabulation.
Va falloir nettoyer ce merdier. J'enlève des lambeaux de placenta putréfiés. Cela me prend deux trois minutes. Les bouts de placenta tombent sur le cadavre du veau avec des splotchs glaciaux. Une sonde silicone, un désinfectant caustique, un entonnoir. Je m'enfonce à nouveau jusqu'à l'épaule dans la matrice de la vache, guidant le tuyau tandis que le boss verse doucement le désinfectant. Lorsque nous avons passé deux litres, je lui indique d'arrêter et laisse tomber la sonde au sol, créant un effet de siphon : l'utérus se vide. Je sens le désinfectant me cuire la main, ce qui est mauvais signe pour l'étanchéité de mes gants. Au point où j'en suis, de toute façon... La vidange est difficile, car des petits fragments de placenta persistent à l'intérieur et viennent boucher les orifices de la sonde. Je dois, d'une seule main, la maintenir dans le liquide dans l'utérus et écarter ces lambeaux aspirés.

Jeudi après-midi. En salle de consultation.
- J'ai bien compris que vous me conseillez formellement la chirurgie. Mais j'ai déjà vu une chienne se nettoyer, et les vaches s'en sortent très bien !
- Les chiennes ne sont pas des vaches et les risque sont élevés, mais vous êtes informé. Je vous laisse ramener votre chienne en salle de consultation, je vais chercher les médicaments.

Jeudi matin. Une stabulation.
Deuxième nettoyage. Cette fois-ci, je vide intégralement l'utérus. Le liquide qui s'écoule est noir. Du sang cuit, des fluides de putréfaction. Je balance une dizaine d'oblets antibiotique là-dedans.
J'en injecte également à la vache. Elle est toujours debout, mais elle fait bien la gueule. Tu m'étonnes. On va perfuser un peu tout ça, hein ?

Jeudi après-midi. En salle de consultation.
J'injecte un médicament destiné à favoriser la vidange de l'utérus. Je délivre l'antibiotique. Un mois de traitement, il lui faudra bien ça. Je donne également un rendez-vous pour un contrôle dans quelques jours. Insiste dix fois : qu'il n'hésite pas à me rappeler. Le gars a une attitude étonnante. Il est content du diagnostic, content de la consultation. Content de mon boulot.
Pas moi.

Jeudi matin. Une stabulation.
Passer une perf' de 5L, ça prend vraiment une plombe. Mais ça en vaut la peine. Le souci, c'est que la vache reprend vite du poil de la bête. J'ai encore mal à mon bras aujourd'hui, à l'endroit où elle m'a frappé de sa corne, alors qu'elle ne bougeait pas depuis dix ou quinze minutes. Je suis content de mon boulot.
Pas elle, manifestement.

lundi 4 juin 2012

Stériliser sa chienne ou sa chatte

La peluche vient de recevoir sa seconde injection de primo-vaccination. Nous discutons alimentation, et un peu éducation. Je pose la question de la stérilisation.
- Ah oui docteur, on va la faire opérer hein, quand elle aura fait sa première portée.
- Ah, vous voulez une portée ?
- Oh oui docteur, comme ça elle sera heureuse.
- Mmh vous savez, ce n'est pas d'avoir une portée qui la rendra, ou pas, heureuse. Vous avez réfléchi à ce que vous ferez des chiots ?
- On lui en laissera un, parce que sur le bon coin, c'est difficile de les vendre.
- Donc vous allez tuer les autres ?
- On vous les apportera quand ils seront tout petits.
- Et vos faites ça pour qu'elle soit heureuse ?

Je veux dire : anthropomorphisme pour anthropomorphisme, soyons au moins cohérents.

Notez que ça marche avec plein de variantes :
On lui laissera faire une fois des chaleurs.
Une portée, mais on ne garde aucun petit.
Ce serait mieux si on la faisait saillir puis avorter ?

Cela fait des années que j'entends ce genre de choses. J'anticipe de plus en plus, amène la conversation sur le sujet le plus tôt possible, dès la première consultation de primo-vaccination, en indiquant sans insister qu'on en reparlera le mois prochain - histoire de forcer les gens à y réfléchir un minimum.

J'ai appris à ne plus énoncer ma science en me réfugiant dans mes scolaires certitudes. J'ai appris à ne pas donner l'impression d'être un maniaque de la stérilisation. Je fais attention aussi à ne pas avoir l'air vouloir opérer "juste pour faire de l'argent". D'ailleurs, quand je devine le soupçon dans le regard de mon interlocuteur, un calcul rapide de ce que me rapportent les problèmes de reproduction le dissipe assez efficacement. On y reviendra.

Mais de quoi parle-t-on ?

Aujourd'hui, on parle des filles. J'ai déjà abordé le devenir des testicules dans un précédent billet, je ne reviens pas dessus. Je ne vais pas reprendre certains éléments, qui restent pertinents dans le cadre de la stérilisation des femelles. Je vais me concentrer sur les chiennes et les chattes.

Chez la chienne, la puberté (le moment où l'animal devient apte à se reproduire) survient entre 5 et 18 mois. En général, plus c'est une chienne de grand gabarit, plus la puberté est tardive. 5-6 pour une chienne de 5-10 kg, 18 mois pour une Saint-Bernard. Évidemment, c'est complètement approximatif, et il y a des tonnes de contre-exemple. Mais ça vous donne une idée. C'est d'ailleurs assez spectaculaire pour les plus précoces, les propriétaires ne s'étant pas encore habitués à leur petit bébé boule de poil qu'elle est déjà enceinte.

Les chattes sont plus compliquées : leur puberté survient en général vers 4-6 mois, mais le déclenchement des cycles sexuels est saisonnier. En gros : de janvier à septembre. Plus que l'âge, je regarde la période de l'année (quel âge aura-t-elle en janvier si elle est née en été/automne, quel âge aura-t-elle en automne si elle est née au printemps ?).

Un cycle sexuel canin dure 6-7 mois, en moyenne. Disons deux périodes de chaleurs (on dit œstrus quand on veut être précis) par an. Gestation ou pas, cette durée ne varie pas, ou peu. Selon les races, les portées comptent de deux à quinze petits. Voire plus.

Le cycle sexuel de la chatte est un véritable foutoir. Sans saillie, une chatte est généralement en chaleur pendant une semaine toutes les deux semaines. La gestation dure environ deux mois, pour deux à six chatons en général. Trois portées par an, avec les filles de la première portée qui mettent bas en même temps que la troisième portée de leur mère, pas de problème.

Elle veut des bébés ?

Pour les gros malins du fond qui font des blagues sur les salopes en chaleur : les chaleurs, ce n'est pas un choix de la part de la femelle. A aucun moment. Lorsque le cycle en arrive là, les décharges hormonales poussent la femelle à chercher le mâle. Elle part "en chasse", comme on dit. Pas parce qu'elle en a envie, ou qu'elle veut se faire plaisir, ou parce qu'elle sera heureuse avec des bébés. Non : parce que ses cycles l'y obligent. Et les mâles ne sailliront pas pour le plaisir, ou par choix. S'ils vont se foutre sur la gueule pour la femelle en chaleur, c'est parce qu'ils sont en rut, à cause des phéromones produites par la femelle. On ne parle donc pas de plaisir, de désir d'enfant, ou de toutes ces choses qui font la complexité de notre humanité. Je sais que des commentateurs vont encore me faire le coup de "mais les humains aussi marchent aux phéromones". Non. Les phéromones ne dictent pas notre conduite, ne nous forcent pas à accomplir des actes instinctifs. Qu'elles aient une action dans le désir et la séduction, admettons. Mais je n'ai jamais vu de femme en train de se rouler sur le dos dans la rue en espérant que tous les badauds du quartier la sailliront en montrant leurs pectoraux virils.

Tiens, dans la Paille dans l’œil de Dieu, de Larry Niven, il y a un abord très intéressant d'une civilisation intelligente soumise à un impératif de reproduction.

La chirurgie

Chienne ou chatte, le principe est le même : une incision cutanée, soit sur la ligne blanche (c'est la ligne verticale qui prolonge le sternum, passe sur le nombril et arrive au pubis) près du nombril, soit sur les flancs (dans le creux en arrière des côtes et sous les lombes). Incision musculaire en dessous, on ouvre le "sac abdominal" plus précisément nommé péritoine, et là, on se trouve dans le ventre : on voit les intestins, l'estomac, la vessie, le foie, les reins, et les ovaires et l'utérus.

Les ovaires, ce sont les couilles des filles : ayant meilleur goût que les garçons, elle se passent du scrotum et cachent leurs affaires près des reins, près de la colonne vertébrale. Tout au fond.

L'utérus, c'est un tuyau qui ressemble à un Y. Au bout de chaque bras du Y (on appelle ça les cornes), il y a un ovaire. En bas du Y, il y a le col de l'utérus, qui sépare l'utérus des parties qui intéressent plus le mâle moyen, en tout cas humain : le vagin, puis le vestibule et la vulve. C'est dans l'utérus que se passe la gestation.

Quand on stérilise une chienne ou une chatte, on réalise une ovariectomie (ovari- pour les ovaires, -ectomie pour enlever). Une ligature ou deux sur le pied qui apporte le sang à l'ovaire, une ligature sur le bout du bras du Y, et hop. Je passe sur les détails.

On peut également pratiquer une hystérectomie : on enlève l'utérus. C'est un poil plus lourd. Et dans ce cas on enlève aussi les ovaires, c'est donc en réalité une ovario-hystérectomie. Mêmes ligatures sur les pédicules ovariens, mais on enlève l'utérus tout en laissant le vagin.

Vous pouvez employer le mot castration, qui est le terme courant pour la chirurgie consistant à enlever les gonades (une gonade, c'est le terme générique pour les ovaires et les testicules). En pratique, l'usage consacre plutôt le mot castration à l'orchiectomie, c'est à dire la castration des mâles.

Ce sont des opérations courantes. Pas anodines, mais pratiquées tous les jours ou presque par tous les vétérinaires. Les complications chirurgicales sont rares, et consistent essentiellement en des hémorragies au niveau du pédicule ovarien, pénibles mais pas très graves : il suffit de rechoper ce foutu pédicule (c'est simple, dis comme ça, mais en fait c'est super casse-gonade) et de refaire une ligature. Stress maximum pour tous les chirurgiens débutants, surtout sur les grasses.

En pratique, chez la plupart des vétérinaires : vous amenez votre chienne ou votre chatte le matin, vous la récupérez le soir. Elle sera debout, un poil dans le gaz, et prête à faire comme si de rien n'était, en dehors de ce pansement et/ou de ces sutures qui grattent et qu'elle aimerait bien arracher. Elle aura sans doute une collerette. Elle aura peut-être des antibiotiques et des anti-inflammatoires à prendre quelques jours.

Choix chirurgical

Ovario, ou ovario-hystérectomie ?

A ma connaissance, la plupart des vétérinaires français pratiquent en priorité, sur les jeunes animaux non pubères ou à peine pubères, une ovariectomie simple. Les manuels américains semblent privilégier l'ovario-hystérectomie, mais les publications que j'ai trouvées semblent plutôt en faveur de nos habitudes (notamment van Goethem & al., 2006).

En pratique, surtout sur les jeunes chattes qui risquent d'être pleines, c'est surprise à l'ouverture : s'il y a une gestation visible, on enlève l'utérus, sinon on le laisse. Note aux ASV : bien penser à prévenir avant les propriétaires des animaux que le prix ne sera, du coup, pas le même, ça évite des crises à l'accueil, surtout avec ces charmants clients qui téléphonent d'abord à toutes les cliniques de la région pour choisir la moins chère pour opérer minette.

Par les flancs, ou par la ligne blanche ?

Sur les jeunes chiennes, je propose les deux. Si j'ai un doute sur une gestation, c'est ligne blanche (on ne peut pas faire d'hystérectomie par les flancs). je n'ai pas de préférence forte, je laisse choisir les gens, surtout sur des critères esthétiques. Je trouve que la récupération post-op' est un poil meilleure en passant par les flancs, mais ce n'est pas essentiel.

A quel âge pratiquer la stérilisation ?

Le discours classique, c'est : avant les premières chaleurs, au plus tard entre les premières et secondes chaleurs. Pas pendant les chaleurs. Et pourquoi pas sur des animaux très jeunes. Cette chirurgie peut bien entendu être pratiquée sur des animaux plus âgés, ayant déjà eu, ou non, des portées. Rien n'empêche de stériliser une chienne ou une chatte de dix ans. Ou quinze.

La stérilisation très précoce (vers trois mois) ne semble pas augmenter le risque d'apparition d'effets indésirables (je reviendrai sur ces derniers plus bas). Elle possède d'indéniable avantages pratiques, Dr Housecat est vétérinaire et éleveur de chats, il vous explique ici pourquoi il la pratique.

Les avantages de la stérilisation

Les chaleurs

Si votre chatte est ovariectomisée, elle ne miaulera pas comme une perdue pendant une semaine toutes les deux trois semaines pendant 6 mois. Elle ne vous fera pas deux ou trois portées de chatons dont vous ne saurez que faire. Elle n'attirera pas tous les matous du quartier qui viendraient hurler tels des métalleux décidés à expérimenter la sérénade au balcon. Qui du coup ne se sentiront pas obligés de se foutre sur la gueule sous vos fenêtres, voire dans votre maison, si ils arrivent à rentrer. Ils éviteront aussi, du coup, de devenir castagner votre gentil chat castré qui ne demandait rien à personne et se demandait bien pourquoi sa copine s'était ainsi transformer en furie.

Si votre chienne est stérilisée, elle n'aura pas, deux fois par an, ses chaleurs, et tous les chiens du coin ne viendront pas creuser des trous dans votre jardin et pisser sur le pas de votre porte. Vous pourrez vous promener avec elle dans la rue sans avoir l'impression de refaire les 101 dalmatiens. Il n'y aura pas de gouttes de sang sur vos tapis. Mais vous ne pourrez pas lui mettre ces culottes super sexy. Ou alors juste pour le plaisir.

Une chienne ou une chatte stérilisée n'a plus de chaleurs. C'est le but.

Et pas de bébé, du coup.

Les tumeurs mammaires

C'est, en termes de santé, l'argument majeur poussant à la stérilisation précoce des chiennes et des chattes. Pour le dire simplement : le développement des tumeurs mammaires est lié au développement et à l'activité du tissu mammaire. Pas de puberté, pas de cycle sexuel, beaucoup moins de tumeurs mammaires.

Les chiffres sont spectaculaires : le risque de développer les tumeurs mammaires est diminué de 99.5% lorsqu'une chienne est stérilisée avant ses premières chaleurs. Le résultat est presque aussi bon si la chirurgie a lieu entre les premières et les seconde chaleurs. Ensuite, stériliser présente toujours un intérêt, mais moindre. En sachant que les tumeurs mammaires sont le cancer n°1 de la chienne, et le cancer n°3 de la chatte, que les tumeurs sont malignes dans 50% des cas chez les chiennes et plus de 90% des cas chez les chattes, ce seul avantage en termes de prévention justifie la stérilisation.

En passant, concernant les tumeurs ovariennes : elles sont rares, mais évidemment, le risque devient nul après chirurgie.

Les infections utérines

Le pyomètre, littéralement, c'est l'utérus qui se transforme en sac de pus. C'est une infection assez fréquente chez les chiennes âgées, qui passe longtemps inaperçue (pas de perte, ou pertes avalées par la chienne qui se lèche la vulve avant de vous faire un bisou sur le nez). Le traitement peut être médical, mais le risque de rechute et si élevé que l'ovario-hystérectomie est très fortement conseillée.

Mon record sur une chienne berger allemand est un utérus de 4.2kg. De pus. Et je suis sûr que certains ont fait pire.

Les risques de séquelles sont importants, en accélérant notamment l'apparition d'une insuffisance rénale chronique.

Pas de cycle : pas de pyomètre.

Les maladies sexuellement transmissibles

J'en ai déjà parlé dans le billet sur la castration, c'est un avantage essentiel pour les chattes (moins pour les chiennes).

Les inconvénients de la stérilisation

Les chaleurs

Une chienne ou une chatte stérilisée n'a plus de chaleurs. Donc si vous voulez avec une ou plusieurs portée, quelles que soient vos motivations, il est évident qu'il ne faut pas la faire opérer... j'enfonce une porte ouverte, mais je vous assure que ce n'est pas pour le plaisir, on m'a déjà posé la question. Il ne faut jamais sous-estimer les incompréhensions sur les questions de sexualité et de reproduction. Je suis persuadé que les médecins ont plein d'exemples en tête, rien qu'en me lisant. Mauvaise éducation, tabous, je ne sais pas, mais maintenant, je prépare le terrain.

Il est parfois plus facile pour certaines personnes de noyer des chatons que de parler sexualité animale avec le vétérinaire.

L'obésité

C'est le risque n°1. Oui, les chiennes et chattes stérilisées, comme les mâles, ont un risque d'obésité très supérieur à celui des animaux "entiers". Comme chez les mâles, une surveillance sérieuse de l'alimentation permet d'éviter ce danger.

L'incontinence urinaire de la chienne castrée

Ça aussi, c'est un risque réel : la force du muscle qui ferme la vessie (le sphincter urétral), dépend en partie de l'imprégnation en œstrogènes, qui sont des hormones fabriquées dans les ovaires. La stérilisation, chez certaines chiennes, provoque un affaiblissement de ce muscle. La chienne, surtout si elle dort et a la vessie pleine, peut "déborder" : ce sont souvent des mictions involontaires de fin de nuit, plus ou moins marquées. Ce ne sont pas des chiennes qui se pissent dessus toute la journée en déambulant dans la maison.

Ce n'est pas grave, mais c'est pénible, et relativement fréquent. Il existe des traitements efficaces pour ce problème.

Les cancers

Quelques études ont soulevé un risque supérieur (x1.5 à x4) d'ostéosarcome, de carcinome transitionnel de la vessie et d'hémangiosarcome chez les chiennes stérilisées. Ces cancers sont relativement rares (beaucoup plus que les tumeurs mammaires), et cette augmentation de risque ne justifie pas d'éviter la chirurgie.

J'insiste sur ce point, car on lit généralement des articles fracassants dans la presse sur des notions proches, et assez mal comprises, du genre :

Si l'incidence des hémangiosarcomes canins est globalement de 0.2% (sur 1000 chiens pris au hasard, 2 ont un hémangiosarcome), une étude a relevé une incidence de 2.2 x 0.2 % soit 0.44% sur les chiennes stérilisées : sur 1000 chiennes stérilisées, 4.4 ont un hémangiosarcome. Je simplifie le raisonnement et évacue la problématique de la "fiabilité" des études, pour que ce soit simple à comprendre.

Si l'incidence des tumeurs mammaires canines est globalement de 3.4% (sur 1000 chiennes prises au hasard, 34 ont des tumeurs mammaires), cette incidence passe à 0.5 % x 3.4 % soit 0.017 % : sur 1000 chiennes stérilisées elles ne sont plus que 0.17 à avoir des tumeurs mammaires...

Voilà pourquoi je dis que l'avantage est incomparable aux inconvénients sur ces risques.

Au sujet des idées à la con, en vrac

Le bonheur et la nature

J'ai déjà évoqué ce point plus haut. C'est l'argument principal soulevé par les propriétaires, qui craignent que leur chienne ou leur chatte ne soit pas heureuse si elle n'a pas de cycles, ou pas de petits. J'ai cherché pendant des années comment le faire admettre à ceux qui ne peuvent concevoir le bonheur sans enfant. Ou qui trouvent que ce n'est pas naturel. Finalement, c'est un documentaire sur les loups qui m'a donné un argument qui marche presque à tous les coups : dans une meute, seul le couple alpha se reproduit. Les autres ne sont pas malheureux pour autant, et c'est naturel. Notez que pour approximative qu'elle soit, la comparaison marche aussi pour expliquer aux maîtres qu'ils doivent être les maîtres, et qu'un chien dominé n'est pas un chien malheureux.

Et votre chienne ne vous en voudra pas, pas plus que votre chatte.

La perte de caractère

Non, une chienne stérilisée, pas plus qu'un chien castré, ne perd son identité, son caractère, son envie de jouer avec vous, de se barrer chasser les lapins ou rassembler les moutons.

Les ovaires, pas plus que les testicules, ne sont le siège de la personnalité et de l'intelligence.

Les chirurgies exotiques

Non, n'enlever qu'un ovaire, ça ne sert à rien. Je n'ai toujours pas compris pourquoi certains vétérinaires pratiquaient cette opération (des anciens, en général). Si quelqu'un a un indice ? J'ai suppose à un moment qu'ils n'enlevaient que le plus facile à atteindre, et ligaturaient l'autre trompe, histoire de simplifier la chirurgie, mais... en fait je n'en sais rien. Cela dit ça fait dix ans que je n'en ai pas vu.

N'enlever que l'utérus, c'est garder à peu près tous les inconvénients des cycles sexuels, pour n'avoir qu'un avantage, l'absence de gestation. Cliper ou ligaturer les trompes, idem.

lundi 16 janvier 2012

Sans éprouver, la moindre hésitation

Auto-piégé comme un débutant.

Un vendredi matin glacé, à 30 bornes de la clinique, sur une crête glaciale. Je dois aller retirer des dispositifs de synchronisation de chaleurs à trois vaches. Imaginez un genre de spirale en plastique, que l'on pose dans le vagin de la bête, qui diffuse des hormones. Avec quelques injections bien choisies, elles permettent de déclencher/synchroniser les cycles de vaches pour, par exemple, des insémination artificielles. Et pour ceux qui se posent la question, c'est de la progestérone, des prostaglandines et de la PMSG. Pas des anabolisants.

La plupart du temps, nous allons dans les troupeaux, examinons (ie : palpation transrectale de l'utérus et des ovaires, examen au spéculum du vagin et du col) des vaches, et posons ces dispositifs quand tout semble aller bien mais que "rien ne se passe".

Selon la "technicité" des éleveurs, nous leur laissons gérer la suite, ou nous venons les aider. Là, c'est le second cas de figure.

Il est donc 8h30, il ne gèle pas mais le vent est glacial, il a plu pendant des jours et les prés sont boueux et glissants. J'interviens sur un troupeau qui a été vu par un de mes confrères, chez un éleveur qui ne nous appelle presque jamais. Je découvre. Depuis l'église du village, j'ai suivi la terne Lada rouge de l'éleveur jusqu'à l'entrée d'un chemin, sur le bord d'une route. Malgré mon pull en polaire et mon épaisse blouse en coton, je sens le vent me pincer à travers mes vêtements.

Le bâtiment est juste là, derrière une haie d'arbre, à 20 mètres. J'enfile mes bottes, je prends mes doses de PMSG. J'ai juste à retirer ces spirales et à filer. Il y en a pour deux minutes.

Alors j'emboîte le pas à l'éleveur, profitant du paysage désolé, de l'ambiance uniformément grise et glaciale, le genre de chose impossible à saisir en photo. Et puis la randonnée se prolonge. Le bâtiment à 20 mètres, ce n'était pas le bon. Celui où m'attendent mes "patientes" se trouve 500 ou 600 mètres plus loin. Je marche entre les profondes ornières, choisissant mes touffes d'herbe, en me demandant si l'éleveur ose encore emprunter ce chemin avec son tracteur... Des ronces, un saule, des ormeaux et tout un tas de buissons dont je ne connais pas le nom. Pas un chant d'oiseau, quelques rapaces, et les Pyrénées enfin enneigées en toile de fond.

Elles sont dans un genre de couloir deux fois trop large. Trois blondes énormes, beaucoup trop grasses. Tu m'étonnes qu'elles ne soient pas cyclées. Pas attachées, mais placides. Elles se calent vite contre le fond du couloir, et je soulève la queue de la première, confiant.

Pas de ficelle. Le système de spirale a été raisonnablement bien pensé. Pour enlever ce bazar du fond du vagin de la vache, qui doit bien mesurer ses 30-50 cm de long, il y a une ficelle qui pend. En théorie.

"Il les a coupées ?
- Heu, oui."

Mon confrère a toujours peur que les spirales tombent. Ça arrive. Du coup, pour réduire le risque, il coupe ladite ficelle. "Mes" spirales ne tombent pas plus que les siennes, alors que je ne coupe pas les ficelles, mais bon, il a gardé ses habitudes. Sauf que là, je suis au cul des vaches, à 500m de ma bagnole, je suis vraiment pressé, d'autres visites m'attendent et lui est en congé, et il faut que je vérifie si ces vaches ont encore leurs spirales, et que je les leur retire.

Et comme un con, je n'ai pas pris de gant de fouille, et j'ai déjà de la bouse plein les mains après avoir soulevé la queue de la blonde. Hors de question d'aller mettre une main pleine de merde dans un vagin. Du coup, je demande s'il y a de l'eau. Il y en a. A 100m, direction opposée à la voiture. Une vieille baignoire, avec feuilles mortes et bois flotté, sous un barbelé. Le froid de l'eau est saisissant.

Et me voilà à nouveau, la main rougie par l'eau glacée, mais à peu près propre, à regarder la vulve de cette bestiole, à me dire que la spirale est au fond, que j'ai vraiment pas le temps de me cogner un aller-retour à la voiture pour prendre des gants, je devrais déjà être loin. Alors j'enfonce ma main, puis mon avant-bras, en essayant de ne pas marquer d'hésitation, je sais ce qui m'attend au fond. Au moins, c'est chaud. La spirale est là, avec un genre d'enduit de vaginite blanchâtre autour, visqueux, gluant, comme d'hab. Mais d'habitude j'ai la ficelle pour tirer, et je n'ai qu'à esquiver ce caseum quand je retire la spirale. Une vache, deux vaches, trois vaches. L'éleveur me regarde d'un air étonné. Je râle, pour la forme. Qu'est-ce que j'ai été con de ne pas prendre de gant à la voiture !

Trois injections plus tard, je suis de retour à la baignoire pour me laver les mains à l'eau glacée, sans savon, entre les ronces, les barbelés et de vieux piquets d'acacia penchés, au milieu d'un troupeau de vaches blasées au pied des Pyrénées.

Et, curieusement, je n'échangerai ma place pour aucune autre au monde.

samedi 7 novembre 2009

Les anneaux anti-tétée

Dans un commentaire, une lectrice m'interpellait sur une pratique, qui, manifestement, la choque. J'ai entrepris de lui répondre comme à mon habitude, mais la chose m'a suffisamment échauffé pour que je transforme le commentaire en billet.

La question :

que pensez vous des boucle antie tete que les paysans mete aux vache pourai ton intdire cela merci

ou si j'ai bien suivi :

Que pensez-vous des boucles anti-tétée que les paysans mettent aux vaches ? Pourrait-on interdire cela ? Merci.

Quand je lis ce genre de questions, je me demande bien pourquoi elle est posée.
Je suppose que l'on imagine qu'il s'agit d'une pratique barbare venue du fond des âges, douloureuse pour l'animal, comme toutes ces choses contraires à la juste prise en compte du bien-être animal.

Mais de quoi parlons nous ?

Anneau anti-tétéeLa photo fait frémir, n'est-ce pas ?
Les boucles anti-tétée sont des espèce d'anneaux que l'on passe dans le nez. Ils sont surmontés de petits picots peu affutés, en nombre variable et parfois fusionnés en une fine plaque. Ces picots de métal sont orientés vers l'extérieur, vers l'avant de la génisse, pas vers le nez ou la peau. Ils ne blessent donc pas l'animal qui les porte, et en plus, comme il s'agit de jeunes adolescentes, ce coquet piercing ne traverse pas la cloison nasale. Deux boucles d'oreille, c'est bien suffisant à leur âge.

A moi de poser une question, chère lectrice : vous êtes-vous demandée pourquoi les éleveurs s'amusent à acheter ces trucs pour les placer sur le nez de certaines de leurs génisses ?

Non ?

Vous en demandez pourtant l'interdiction. Pourquoi ? Parce qu'il y a des picots de métal dessus, que ce n'est pas beau et que ça doit d'une manière ou d'une autre servir à torturer les animaux ?

Passons au vif du sujet : ces coquetteries sont en général placés sur le mufle de génisses sevrées (elles ne tètent donc plus leur mère), animaux qui sont le plus souvent regroupés en lots homogènes. Certaines de ces génisses, dites "téteuses" (il doit y avoir d'autres noms, c'est celui que j'entends ici, avec "tétardes"), ont une tendance marquée à téter le pis de leurs jeunes amies. Copines qui ont, comme elles, quelques mois, et qui dissimulent entre leurs cuisses les délicates promesses des plantureuses mamelles à venir.

Non, les éleveurs n'interdisent pas ces jeux innocents parce qu'ils réprouvent la découverte trop précoce du corps de ces adolescentes à travers l'exploration de celui de leurs alter ego. Les paysans sont gens ouverts et pragmatiques, enclins à laisser faire la nature... tant qu'il n'y a pas de dégâts.

Or, des dégâts, il y en a : en tétant des pis encore secs et fragiles, ces coupables génisses les condamnent à de précoces inflammations et infections qui peuvent entraver le bon développement du pis, voire l'assécher irrémédiablement. Une vache étant élevée pour faire du lait ou des veaux (qui ont besoin de lait...), ces jeux les pousseront donc vers un précoce engraissement, puis l'abattoir.

La tétée n'étant pas douloureuse, les génisses se laissent faire. C'est pourquoi les éleveurs disposent ces anneaux sur le mufle des tétardes : pour le coup, ces baisers deviennent douloureux et peu de génisses apprécient les ébats sado-masochistes. Elles cessent donc de se laisser faire et, repoussant les avances, préservent leur poitrine entrecuisse en devenir.

Et voilà. Ces instruments de torture ne sont donc que de simples appareils qui ne blessent pas la coquette qui les porte, ni ses congénères qui évitent alors la tétée. Ils n'empêchent pas de boire, de manger ou d'exprimer un répertoire comportemental normal.

Je suis donc contre leur interdiction, ce qui répond, finalement, à votre question.

Pour terminer, je voudrais préciser que je n'ai pas par ce billet, chère lectrice, l'intention de vous blesser, de vous humilier ou de me moquer de vous. Vous ignoriez l'intérêt de ces anneaux, mais au lieu de demander à quoi ils servent, vous avez préféré demander leur interdiction, en pensant qu'ils étaient forcément mauvais. En cela, vous réagissez comme nombre de personnes à des choses que vous ne comprenez pas et que personne ne prend le temps de vous expliquer. Pensez simplement à demander ces explications. N'hésitez pas. Continuez à poser ces questions, à moi ou à d'autres, blogueurs ou pas. Paysan Heureux par exemple vous parlera bien mieux que moi de nombre d'aspects de ce métier d'éleveur au sujet duquel tant de croyances infondées circulent, intersection du choc entre une image que l'on voudrait chérir et idéaliser et des informations effrayantes.

Pardonnez moi aussi mon ironie, qui n'est pour moi qu'un moyen de canaliser la colère qu'a fait naître la formulation de votre question. C'est que j'aimerais bien être moins intimidant.