Tenir salon
dimanche 20 septembre 2009, 19:09 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
C'est sans doute puéril. Mais c'était la première fois que je me retrouvais, ne serait-ce que pour quelques heures, en charge d'un tel salon. Théoriquement, je devais tenir le stand vétérinaire, mais il était d'une telle indigence que personne ne s'en approchait, et, à part quelques visites de profs d'école en goguette ou de divers responsables de laboratoires départementaux, de la FGDSA ou autres organismes liés de près ou de loin au monde vétérinaire, je m'ennuyais ferme.
Et puis il y a eu le premier appel. Un veau patraque du côté des limousines. J'allais pouvoir me remettre au volant de ma voiture crade et poussiéreuse avec son macaron vétérinaire, fendre la foule comme j'avais fendu le cordon des types de la sécurité, jouissant avec une petite note de honte des regards. Ouaip mon gars, c'est l'véto.
Il y avait une petite note d'appréhension : j'allais forcément intervenir au milieu du public, tous les regards des curieux braqués sur moi. Une situation intéressante, amusante, flatteuse et inquiétante. Je n'avais par contre pas anticipé l'échange avec l'éleveur : un inconnu, forcément, avec ses habitudes, et surtout celles de son propre véto. En même temps, je n'allais pas réinventer la poudre pour ce qui se révélait être une probable coronavirose, mais peu importait, je me demandais ce qu'il allait en penser. Des réflexes de véto débutant me revenaient : m'appliquer sur l'intraveineuse, ce petit geste technique dont la réussite conditionnait, à l'époque, la considération dont je jouissais ensuite. Aucun problème de ce côté là, je ne suis plus le débutant de l'époque, et sur un veau de 200kg non déshydraté, je n'aurais vraiment pas eu d'excuse. Et puis, l'examen clinique et la discussion avec l'éleveur m'avaient fait oublier le public. Ce sont les "aaaahhhhhh" dégoûté lorsque le sang a coulé par mon aiguille qui m'ont rappelé sa présence. Là, j'ai souri : flash obligent. Savourons la minute de gloriole.
J'avais soigneusement préparé cette journée de "garde", entassant dans ma voiture tout un tas de médicaments et de bidules dont je ne me sers que rarement en pratique quotidienne. Par contre, j'avais oublié le facturier : je ne travaille que sur informatique, mes clients règlant en début de mois, après l'envoi des factures. Là, évidemment, ça calait.
Alors, facturer à la louche ou faire comme d'habitude ? Les choses s'étaient bien passées, le type semblait sympa, je choisissais de jouer la confiance : j'enverrai la facture plus tard. Au pire, les quelques millilitres de médicaments ne m'auraient pas coûté grand chose.
Le deuxième appel allait se révéler plus sérieux. Je comatais en silence sur mon stand quand un jeune barbu s'est penché en avant en s'appuyant sur mes genoux. "Excuse-moi, t'aurais pas un thermomètre ? Ma vache est bouillante."
Cette fois, c'était à l'autre bout du salon. Re-fendage de foule, voiture au pas, mais avec plus d'inquiétude que de plaisir, cette fois : beaucoup d'enfants, de gens peu attentifs, j'ai du plusieurs fois stopper pour laisser passer un gosse étourdi.
Ce coup-ci, un grand nombre d'éleveurs mais peu de badauds. Une laitière, d'un type manifestement apprécié, avec 40.5, forcément, c'est la tuile. Ça sentait la mammite, mais je me forçais à un examen clinique complet, au cas où. L'éleveur, alors que je lui parlais de cette infection, s'était penché sur le pis pour tirer quelques jets de lait, concluant à chaque fois à sa normalité. Il n'en était pas encore à me contredire, mais il avait l'air de penser que les choses se passaient ailleurs. Et après avoir fait le tour de la vache, j'étais persuadé que mon intuition était la bonne. Une mammite aiguë, prise au début, ne se manifeste pas forcément par une modification spectaculaire du lait. Je m'acharnais donc à en tirer bien plus de chaque trayon, en instant sur le quartier qui me semblait le plus suspect. Le type s'était relevé, incrédule, la vache n'appréciait pas trop, et au douzième trait, les premiers grumeaux, sur ma main. Je me dépliais pour les lui montrer, en en faisait profiter le cercle d'éleveurs rassemblé.
Antibiotiques, anti-inflammatoires, perfusion hypertonique, trois se sont proposés pour nous donner un coup de main. Je n'ai jamais eu une vache aussi bien tenue pour une intraveineuse ! Ordonnance, discussion sur fond de dispute entre grévistes et non grévistes, j'étais à la fois plus détendu que sur ma première intervention, mais aussi plus inquiet. Cette fois, c'était du sérieux, et même s'il n'y avait aucune raison que cela se passe mal, ce genre de pathologie, et dans ces circonstances, me rendait naturellement nerveux.
Cette intervention m'a surtout permis d'engager un contact sérieux avec ces éleveurs laitiers, pour la plupart très jeunes, en pleine controverse sur la grève du lait et ses conséquences. La discussion a malheureusement été rapidement interrompue par un dernier appel, une bricole... mais le contact était coupé.
Vers 20h, avant de quitter le salon, je repassais voir la vache dont la température était revenue à la normale, une évolution très satisfaisante et rassurante. Un dernier mot avec son propriétaire, et je rentrais chez moi, dans un salon déserté par le public, avec des sentiments mitigés. La petite excitation de la nouveauté était passée, et je n'ai pas pu m'adonner à mon sport favori, la communication provocatrice. J'espérais pouvoir comprendre un peu mieux la situation du monde laitier, au delà des évidences sur le prix du lait, sur son coût, sur les manifestations spectaculaires et le spectre de Bruxelles. Pouvoir toucher l'homme derrière le manifestant, derrière le porte-parole éructant. Cet éleveur qui, lentement, disparaît des coteaux de mon canton...
Alors quel bilan, finalement ?
Être véto de garde sur un salon, c'est plutôt amusant. Une fois la nouveauté passée, les réflexes reprennent le dessus, une vache reste une vache et les contacts avec les éleveurs sont potentiellement riches - à condition d'avoir le temps ! On sort de la routine de la clientèle, c'est certain. Je regrette par contre par contre notre stand inutile, aucune communication possible sans image, sans posters, pas même un caducée. Impossible aussi d'approfondir la discussion avec les éleveurs, et pourtant, il y avait matière : un "pompier" n'a pas trop le temps de discuter ! Quel plaisir néanmoins d'assumer et d'assurer mon boulot dans la lumière, avec un public qui repartira sans doute avec de nouvelles images d'Épinal. Du véto rural, on ne retient en général que les bottes bien propres dans la paille fraîche - le rêve - et, pour les plus avertis, la vision du bras enfoncé dans le rectum d'un bovin - le cauchemar. Il faudra quand même qu'un jour je comprenne pourquoi ce geste simple effraie tant les passants...
Commentaires
Je n'ai vu faire ce geste (le bras dans le rectum) qu'une fois, sur une jument en colique. Le problème était que la jument était une morue, et c'est à moi, du haut de mes 14 ans à l'époque, qu'on avait demandé de tenir un antérieur pour éviter que la bête n'aligne le véto... De longues minutes de stress plus tard, j'ai pu lâcher ce fameux antérieur, la fesse gauche décorée d'un beau pinçon... Alors tout de suite, dans ces conditions, voir un veto avec un bras dans bête de cette taille et de cette humeur qu'on est censée contenir, c'est assez impressionnant.
Peut être que les gens font un peu trop d'anthropomorphisme et s'imaginent à la place du bovin...
Rectum, anus et gros caca sont toujours synonyme de sale, anti-hygiénique, voire sexuellement tordu pour les plus frustrés...
Du coup, j'imagine aisément que les passants s'identifient soit au véto qui plonge sa main dans la m...., soit au bovin qui a droit à une belle inspection dans un endroit où l'homme, généralement, a du mal à accepter de se faire ausculter, avec tous les symboles religieux ou non, mais en tout état de cause de notre société, que cela implique.
Merci encore pour ce bon billet... j'adore le lundi matin moi finalement !
Un instant, je me serais crue à Cannes, le public, la foule en délire, les projecteurs... il ne manquait que le tapis rouge (et les marches !).
En tous cas, la journée a eu le mérite d'être bien remplie !
Je compatis sincèrement pour le stand qui n'intéresse personne... Je me suis déjà aventurée à tenir un stand sur la protection féline, prônant la stérilisation des chats, sur une exposition féline remplie d'éleveurs... Personne ou presque ne s'y est intéressé. Je me suis ennuyée comme un rat mort toute la journée !
Quant au bras dans le rectum, je pense que c'est non seulement que c'est un endroit que les gens considèrent comme sale (faut dire que ça ne sent pas très bon), et aussi une question de taille: c'est tout de même impressionnant de voir un avant-bras entier disparaître comme ça à l'intérieur. ;)
Je connais une petite fille qui à 6 ans hurlait traînée par sa mère dans le cabinet du médecin " Naaaaaaaaaaaaann! J'veux pas y aller! J'veux qu'il me fouille le docteur!!!!!!!!!
Fourrure super-star ^_^
Je crois que les gens s'imaginent plus souvent à la place du bovin que du vétérinaire... :D
Ah, cette "ambiance salon", c'est particulier quand même ! Après 3 ans du salon du cheval de Paris, je ne dirais pas que je suis blasée, mais j'ai pris mes marques... Et soigner un cheval devant les gens, ce n'est pas si facile que ça...il faut gérer les questions, la sécurité, le proprio qui se dit qu'un cheval malade, ce n'est pas une bonne pub...! Et oui, la fouille rectale reste un grand moment pour le quidam, un mélange d'anthropomorphisme, de dégoût, etc... je ne me rappelle plus de mon premier sentiment face à cet examen quand j'étais étudiante...?
Fourrure :
Ouaip enfin le salon du cheval à Paris, c'est autre chose que notre salon régional ici !
Moi, je me rappelle très bien de la première fois. C'était en hiver. Il faisait très froid. Ma première réaction a été : "mais c'est super chaud !"
Cette histoire, si bien narrée, me donne vraiment envie de rencontrer l'auteur ! Il y a quelque chose de très profond dans le propos, sous tendu tout au long du récit. Ce n'est pas le public qui est important, ce sont les acteurs. Il y a quelque chose à construire ou reconstruire qui passe par une étape de compréhension... Le paysage du monde agricole a changé en quelques mois, de façon profonde, c'est encore imperceptible, un peu comme au début du deuxième examen... Cela peut être exaltant ou déprimant !
Mais les kilomètres sont là, a t'on une autre possibilité ?
A l'occasion d'une de mes récentes balades sur terre, j'ai animé avec les JA le stand des métiers autour de l'agriculture...foire de cournon, chaque année la ferme du massif ouvre ses portes aux enfants. On y trouve le resto des animaux pour comprendre ce qu'ils mangent, on y trouve une vache de chaque couleur, des veaux, des brebis, des agneaux, une truie avec ses porcelets, des lapins et des oeufs en cours d'éclosion...c'est la naissance de caliméro en direct live...j'aime bien, nous recevons les maternelles devant Marguerite une immense vache en plastique avec une mamelle magique dans laquelle on trouve du lait...ça permet d'expliquer comment la vache fait du lait et comment on le récolte...les jeunes citadins voient leur première machine à traire...les collégiens viennent se renseigner sur les métiers autour de l'agriculture...cette année j'ai été sollicitée pour présenter le métier de véto rural...au féminin...petit diaporama avec en fond, comme d'hab, un tout petit véto à côté d'un gros veau pendu sur une énorme vink...toute la journée, expliquer notre relation avec les agriculteurs; expliquer qu'autour des vaches il y a le cuisto (mon ami le nutritionniste EDE), l'architecte d'intérieur (mon amie technicienne bâtiment), le (ou la) véto, le marchand de bouffe, le comptable....bref faire comprendre au public que l'agriculteur n'est pas un solitaire arriéré perché sur nos volcans mais un humain qui s'entoure et choisi si possible le meilleur pour ses animaux....Et naturellement il y a eu un petit stress sur la Montbéliarde qui soufflait beaucoup...elle est pleine avancée, le jeu est de choisir le nom du futur veau...le propriétaire a peur qu'elle ne soit en train d'avorter...et là, micro à la main j'explique chaque geste, chaque pensée, chaque hypothèse...c'est la totale: fouille vaginale et rectale!...RAS je le savais mais il fallait faire le check up afin d'assurer le coup...notre Montbé avait juste chaud...je laisse des recommandations pour la surveillance...mamelle et écoulement, appétit cette nuit...et j'enchaine pour désamorcer l'éternelle bombe: facture? Bein je suis véto conseil GDS et il est adhérent...ça ira pour cette fois...j'étais là juste pour les JA...l'un d'eux se permet donc d'agresser le véto conseil que je suis devenue puisque j'ai gagné des ostéophytes sur le terrain...puisque je dois faire face à un deuil qu'ils ne soupçonnent pas: je n'ai plus le droit avec un disque intervétébral branlant de me lever la nuit pour faire comme avant: me rouler dans la rase et vêler la vache couchée....oui je ne suis plus véto...ok...oui je suis payée par le GDS c'est à dire le père de mon agresseur...non je ne suis pas au 35 H....je suis à temps partiel...du coup je ne consacre plus que 60H à mon métier, le reste du temps j'ai un nouveau hobby, je passe des arthro-scanner et des IRM...je fais de l'audit...non je ne suis pas à la planque...je me lève chaque matin à 5H30 pour mes rapports...ma biblio...non je n'ai jamais été riche sur le dos des agriculteurs...non la FCO c'est pas le GDS et une conspiration GDS/DSV/Véto qui l'ont fait venir....Dieu que les temps ont changé...nous avons passé l'hiver à dire qu'on ne pourrait maîtriser le sanitaire dans les cheptel sans les vétérinaires praticiens...non nous ne sommes pas des vendus...oui je pense qu'il vaut mieux un vaccin à une vache qui meure ou un veau qui naît débile...oui j'ai connu la FCO plusieurs mois avant le vaccin...oui j'ai vu des vaches mourrir sans que mes traitements agissent...oui je suis et ai toujours été avec les agriculteurs...ça va mieux...ou presque...oui je ne suis plus que véto GDS temps partiel...oui je conçois à quel point c'est dur de bosser autant qu'avant pour beaucoup moins avec des soucis en plus...oui, nous sommes dans le même bateau et nous ramerons ensembles...du coup j'ai un nouvel ami...mon exposé est simple, le cursus bien expliqué, les missions sont passionnantes...non le véto rural n'est pas un bourrin...oui il réfléchit autant que celui qui soigne les chiens...la démarche s'applique de la même façon pour un porcelet, une vache, un troupeau...d'un coup les gens écoutent...moi j'audite aussi la filière...et je conclus qu'il est facile de diagnostiquer une maladie du côté de la filière lait...j'ai des traitements...à nous de les mettre en pratique...
J'oubliais la fin du commentaire: http://synellkox.spaces.live.com/bl...!61311C4035FABF2A!2279.entry
Petit billet né de deux interventions avec les JA de mon département...juste pour expliquer...c'est déjà un début de traitement...
que pensez vous des boucle antie tete que les paysans mete aux vache pourai ton intdire cela merci
Fourrure :
Ma réponse se trouve ici.