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mercredi 21 mai 2008

Une cliente un peu allunée...

Brune, un carré très stricte, un maquillage discret, elle a la trentaine bien entamée, et, au comptoir, elle se greffe dans la conversation...

- Cinq vêlages rien que pour lundi, ici, ça ne m'était jamais arrivé dans la même journée. Dans le charolais, je dis pas, mais ici ?
- Il y avait un mouvement de lune, non ?
- Heuuu...
- Si si les nuits sont plus claires !
- Mais c'était la semaine dernière...
- Oui mais il est bien connu qu'il y a plus d'accouchements autour d'un mouvement de lune, deux nuits avant, deux nuits après, et pendant, bien entendu.
- Mais...
- Si si il y a des études très sérieuses là-dessus !
- Oui mais, par mouvement de lune, vous voulez dire pour la nouvelle et la pleine lune ?
- Oh, non docteur, pas seulement, à chaque nouvelle phase.
- Mais...
- Si si, de la nouvelle lune au premier croissant, puis au premier quartier, puis à la gibbeuse.
- Ah ben vous êtes au point sur les phases de la lune dites donc !
- Docteur, c'est très important les phases de la lune. L'astre a une influence importante dans les cycles biologiques. En jardinage, par exemple !
- Oui mais...
- Vous n'avez pas remarqué que vous aviez plus de vêlages à chaque mouvement ?
- J'ai surtout remarqué que l'on me faisait remarquer quand un vêlage avait lieu à la pleine lune, alors que l'on ne me dit rien du tout lors d'une autre phase...
- Moi je trouve ça passionnant !
- Oui, mais un mouvement de lune, ça a lieu tous les trois jours, c'est ça ?
- Toutes les trois nuits, docteur !
- Oui, évidemment...

Elle, elle m'a convaincu, bien plus que toutes ces études et toutes ces thèses qui concluent à l'absence ou la présence d'effet de la pleine/nouvelle lune sur l'incidence des mises-bas...

Deux jours avant et après chaque phase de la lune, chacune étant séparée de trois nuits, c'est flagrant. Je l'ai constaté aussi, tous les vêlages se concentrent là !

dimanche 18 mai 2008

Naissance

Il fait nuit noire. Les nuages dissimulent complètement la lumière de la lune, mais les phares de ma voitures balayent l'irréel spectacle de cette petite route forestière frappée par la grêle. Un tapis de feuilles alternant vert tendre et argent ne laisse apparaître que par endroit le bitume, noir et aveuglant lorsque les halogènes frappent sa surface détrempée.
Dans les fourrés qui défilent bien trop vite, je devine un chaos de jeunes branches et de feuilles, de fougères et de ronces, impénétrable refuge de chevreuils probablement terrifiés par l'orage.

Les diodes oranges de mon tableau de bord indiquent une heure du matin.

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jeudi 8 mai 2008

Regard : Premier coup de langue

Agnelage

Le reste de l'agnelage, y compris la naissance, se trouvent ici.

dimanche 4 mai 2008

L'origine

Lorsque l'homme est entré avec sa chienne dans les bras, à moitié comateuse, nous l'avons immédiatement aiguillé vers la première salle de consultation.
Alors que la conversation s'engageait sur la nature du problème, la perfusion était déjà posée, et les premiers soins de réanimation, administrés.

"Docteur, c'est ma meilleure chienne, le flair le plus aiguisé de la région et un instinct sans pareil à la chasse..."
Sur la même veine, l'homme nous explique à quel point sa chienne est extraordinaire, et en plus gentille, docile, tout ça.

Malheureusement, elle a 10 ans. C'est vieux pour un chien de chasse. Pire encore, elle n'a jamais eue de portée. A chaque fois, les petits naissaient morts. Cette fois-ci, il a choisi le meilleur étalon, et fait la dernière tentative : 10 ans, pour mettre bas, c'est vraiment tard...

"Il faut sauver l'origine ! je sais qu'elle fait de l'urée, je sais qu'elle ne pourra plus chasser, mais ce sang ne peut pas s'éteindre comme ça !"

Bon.

D'après la date de saillie, la chienne est largement à terme. Vérification rapide à l'échographie : le chiot est en vie. La chienne, ce n'est pas évident. Les analyses confirment qu'elle développe une complication métabolique grave, et que la mise-bas doit être très rapide.
La césarienne est programmée pour l'après-midi, le temps de retaper la future mère.

A 11h30, la chienne est dans le coma, nous déclenchons la césarienne en urgence. Sans anesthésie : de toute façon, elle n'est plus là.
Réanimation, assistance respiratoire, le chiot naît vivant, il est énorme, il est seul, voilà pourquoi il ne sortait pas. Un mâle.
Nos efforts sont payants et la chirurgie peut se terminer normalement (sous anesthésie...) : même la mère est sauvée, du moins pour le moment.

L'homme pleure de joie.

La mère met presque 24h à se réveiller complètement, mais les complications métaboliques s'estompent et la lactation commence sans problème. Le chiot est vigoureux.

Deux jours plus tard, l'état de le chienne semble se dégrader. Malgré les antibiotiques, une métrite (infection de l'utérus) associée à une mammite (infection de la mamelle) se développe. Ce genre de complication infectieuse est grave, et méritera qu'on y revienne une autre fois. Changements d'antibiotiques, perfusion, alimentation de force, la chienne mettra, malgré tous nos efforts, deux jours à mourir.

Depuis le début du processus infectieux, de toute façon, elle n'a plus de lait. Nous nous relayons donc au biberon, 8-10 fois par jour, voire plus. L'ASV au comptoir, en répondant au téléphone, un véto en passant dans la salle d'hospitalisation, entre deux consultations, le tableau blanc se remplis de petites croix noires, pour autant de tétées. Mon confrère finit par emmener le chiot chez lui, ce sont ses enfants qui le nourrissent quand ils reviennent de l'école.

Il est arrivé à la maison en déclarant : "il faut sauver l'origine". Alors, devant la télé, pendant le goûter, le soir, la nuit, quand le petit dernier faisait un cauchemar : ils ont sauvé l'origine. Lui, sa femme, ses deux enfants les plus âgés.
Avec tous ces efforts, sa courbe de croissance est enfin devenue normale.

Le coup de téléphone est passé une semaine exactement après l'admission de la chienne : "monsieur, nous avons sauvé le chiot, il peut rentrer à la maison, mais il va demander beaucoup, beaucoup de soins".

Le visage de l'homme lorsque mon confrère lui a tendu le chiot valait tout l'or du monde. Surtout quand il lui a dit : "mes enfants lui ont donné un nom, à moins que ce soit moi, je ne sais pas trop."
Regard interrogateur du vieux monsieur.
"Il s'appelle l'Origine. Et nous l'avons sauvé."

Aujourd'hui, l'Origine est un magnifique chien de chasse.

Par contre, les qualités de sa mère et de son père ont du se perdre en route, mais ce n'est pas bien grave. Le vieux monsieur se dit que parfois, les qualité sautent une génération, et avec un étalon et tous les chiots qu'il va pouvoir engendrer, il y en aura bien un bon.

Une femelle, par exemple.

dimanche 9 mars 2008

Regard : Nouveau-né

mardi 26 février 2008

Vêlage

Petit avertissement : ce billet est le compte-rendu d'un vêlage qui s'est très mal passé. Certains passages peuvent être assez choquants, n'hésitez pas à interrompre votre lecture, et à vous tourner vers une naissance plus... tranquille.
Vous êtes prévenus.

6h14. Mon réveil téléphone sonne. Je tends la main, grommelle un truc inintelligible. Une voix, claire, je la reconnais immédiatement, celle de madame Neste. "C'est pour un vêlage". Je réponds à peine... je me dis qu'il faut que je change la mélodie de mon téléphone, je commence à la détester, il faudrait que je trouve autre chose, de préférence une musique que je n'aime de toute façon pas.

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dimanche 27 janvier 2008

Donner la vie (1/2)

Je crois que s'il y a quelque chose qui me plaît par dessus tout dans mon métier, ce sont bien les naissances.

J'ai la chance d'être un praticien "mixte". C'est ainsi que l'on nomme, dans la profession, ces vétérinaires qui soignent à la fois les animaux de compagnie et les animaux de rente (bovins, ovins...). Ca a pas mal d'implications sur lesquelles je reviendrais dans un autre billet.

Le gros avantage, c'est que cela me permet de toucher à tous les aspects du début de la vie. Le plus spectaculaire, et celui que je préfère, c'est la naissance. Le reste est passionnant, mais... une naissance, c'est juste jouissif. De l'émotion à l'état pur, avec de l'action, de la tension, du suspense, des coups de théâtre et, en général, un dénouement heureux.

Evidemment, c'est plutôt pour les vaches que mes compétences en obstétrique sont sollicitées : c'est là le domaine-roi du vétérinaire en élevage. S'il y a bien un espace où d'autres acteurs n'essaient pas (trop) de nous piquer notre boulot, c'est bien celui-ci (tiens, ça ferait un bon sujet de billet ça aussi) : les vêlages.
Ben voui : veau, vêlage, comme poulain, poulinage, agneau, agnelage.

Bon, c'est un peu hors sujet, mais les plus drôles, ce sont les truies : porcelets... cochonnage. Si, si ! Et chiot... chiottage. On fait avec. Certes, ces deux-là, je ne les utilise pas couramment. Mise-bas, ça va bien aussi. Je n'utilise pas accoucher, qui est réservé à la femme, par contre, je me vautre régulièrement dans l'autre sens. La tronche de ma belle-soeur quand j'ai demandé à son mari : elle est pleine de combien ? La mise-bas est prévue quand ?

Bref

Prenons le déroulement d'un vêlage.

Ca commence par un coup de fil, généralement en hiver (période de vêlages par excellence), et souvent en pleine nuit (le pire, c'est à 5h00 du mat'). Immédiatement, c'est une décharge d'adrénaline : c'est une des rares urgences vraies. En réalité, dans la plupart des cas, le veau peut attendre quelques heures, mais bon : l'éleveur est moins patient que ses vaches. Il faut dire que les veaux, c'est son gagne-pain, l'essence de son métier. Si je suis à la clinique en train de voir un chien, je finis rapidement et je file, le bonnet sur les oreilles. Si je suis dans mon lit en train de ronfler, je me réveille vite fait, je saute dans mes bottes et je galope jusqu'à ma voiture, le bonnet encore mieux enfoncé sur le crâne. Ce coup de stress, ça réveille. Evidemment, sur le coup, je râle. Mais en réalité, je jubile. Ca finira bien par me passer, cette exaltation, mais en attendant, j'en profite.
Je me gare en vitesse dans la cour de la ferme, ou devant la stabulation. Temps d'intervention moyen : 20 minutes. Jamais plus d'une demi-heure.

En quelques mots, l'éleveur me dit ce qu'il en pense. Je connais bien ma clientèle, maintenant, je sais comment interpréter leurs commentaires. Entre le papy-qui-se-marre-parce-qu'il-en-a-vu-d'autres-mais-bon-quand-même-ce-veau-il-sort-pas, et l'éleveur technique et débrouillard, il y a un monde. Je sais aussi qui a déjà tiré comme une mule sur le veau pour faire sortir, ou qui au contraire a préféré m'appeler directement en voyant que ça ne se faisait pas tout seul.
Pendant cette discussion, j'enfile ma chasuble de vêlage (un genre de grand sac poubelle vert avec des manches, ça me donne un style avec mon bonnet bleu marine).
En général, les éleveurs m'appellent pour deux raisons : soit le veau est trop gros, et donc il ne sort pas, soit il est mal placé, et ils n'arrivent pas à le remettre comme il faut. C'est là que j'interviens, avec mes grands bras, pour comprendre le problème : tête déviée, pattes pliées, veau à l'envers. C'est la première partie du boulot. Normalement, c'est assez facile. Et puis ça devient physique, parce qu'il faut remettre le veau dans l'axe de la sortie, sans trop le fatiguer, sans tirer sur le cordon ombilical, et sans stimuler son réflexe de tétée si jamais sa tête est déjà dans le passage (histoire qu'il ne se mette pas à respirer et à boire la tasse...).

Imaginez-moi avec mon sac poubelle à manches et mon bonnet, de longs gants sur les bras, couverts de liquide amniotique. En général, je fais rapidement sauter les gants pour mieux sentir les différents tissus sous mes doigts : la douceur du placenta, les plis du col utérin, les poils collés et gluants du veau, la tension du cordon ombilical, les granulations des cotylédons placentaires...
La vache, généralement, est debout. Elle pousse tant qu'elle peut, pendant que moi, un bras dedans, parfois les deux, je plie et déplie les membres, détord une matrice ou ramène une tête vers le vagin, puis repousse le veau pour le ramener vers moi. C'est physique, c'est intense, c'est un moment de stress et d'exaltation qui confine, pour moi, à la jubilation. J'ai les bottes dans la paille propre, elle vient à peine d'être étalée là par l'éleveur. Souvent, le liquide amniotique et le sang coulent le long de mes manches, dans ma chasuble, teintant mon t-shirt de rosé. Sur le coup, je ne sens rien, c'est tiède et j'ai déjà très chaud, alors qu'il fait généralement très froid. L'éleveur, entouré de sa famille, m'aide parfois, surtout en maintenant la vache, mais le plus souvent, ils regardent, ils attendent. Ils espèrent que le veau sera vivant, que la matrice de la vache ne sera pas déchirée, que le veau sera un mâle, ou une femelle, que ce ne seront pas des jumeaux.
L'odeur de sang et de liquide amniotique est très prenante, c'est un parfum douçâtre, presque sucré, très entêtant. J'adore cette odeur, cette atmosphère d'attente, dans un silence seulement déchiré par les soufflements et mugissements de la future mère qui pousse tout ce qu'elle sait, sous le regard souvent curieux des autres vaches du troupeau. Moi je me bats, je sue, je tends mes muscles à en trembler sur mes pieds, il m'est arrivé de me faire des déchirures... c'est de plus en plus rare : avec l'expérience, je sais mieux jouer de forces de leviers avec les membres du veau et mes propres bras au lieu d'utiliser bêtement mes muscles. Et puis arrive la délivrance, j'ai réussi à amener le veau là où je voulais, les pattes étendues dans le vagin, les onglons encore mous pointant par la vulve, avec le nez à peine découvert entre les antérieurs s'il se présente par la tête.

Là, j'enfile des lacs (des espèces de bracelets en corde) autour des pattes du veau, puis nous y fixons un palan. Désormais, ce sont les éleveurs qui tirent et qui forcent, en rythme avec les efforts de la future mère. Moi, maintenant, je reprends mon souffle et je dirige la manœuvre, je dois m'assurer qu'il y a bien la place dans le bassin et dans le vagin pour le passage du veau. Parfois, je dois agrandir la vulve avec deux petits coups de bistouri (c'est ce qu'on appelle une épisiotomie). Cette phase ne dure que quelques minutes, il faut aller vite, surtout si les manipulations obstétricales ont été longues. En général, la vache est toujours debout. Au moment où le veau va tomber, je récupère son train postérieur et j'amortis sa chute au sol. Première gamelle, premier contact avec la vie.

A ce moment là, il est bien vu que le veau prenne une grande inspiration. Bizarrement, il semble toujours un peu groggy. Pas grave, en cadeau de bienvenue, il se prend un grand seau d'eau glacé sur la tronche, ça suffit le plus souvent à le réveiller (deuxième contact avec la vie !). Sinon, j'ai des médicaments pour relancer le cœur et la respiration, et diverses méthodes de réanimation à ma disposition.

Le veau, parlons-en : il est gluant, il est transi, il est perdu. Il appelle. Sa mère est couchée, maintenant, elle souffle et souffre dans son coin, du liquide amniotique mêlé de sang coule par sa vulve, avec un peu de placenta. Toujours cette odeur de naissance, ce parfum de vie autour de nous. Moi, je vérifie le cordon ombilical du veau, puis l'intégrité du vagin et de l'utérus de la mère. L'atmosphère est joyeuse, l'éleveur plaisante, sa mère ramasse deux-trois bricoles, les gosses retournent se coucher.

Bienvenue dans le monde.

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