L'origine
dimanche 4 mai 2008, 12:37 Animalecdotes Lien permanent
Lorsque l'homme est entré avec sa chienne dans les bras, à moitié comateuse, nous l'avons immédiatement aiguillé vers la première salle de consultation.
Alors que la conversation s'engageait sur la nature du problème, la perfusion était déjà posée, et les premiers soins de réanimation, administrés.
"Docteur, c'est ma meilleure chienne, le flair le plus aiguisé de la région et un instinct sans pareil à la chasse..."
Sur la même veine, l'homme nous explique à quel point sa chienne est extraordinaire, et en plus gentille, docile, tout ça.
Malheureusement, elle a 10 ans. C'est vieux pour un chien de chasse. Pire encore, elle n'a jamais eue de portée. A chaque fois, les petits naissaient morts. Cette fois-ci, il a choisi le meilleur étalon, et fait la dernière tentative : 10 ans, pour mettre bas, c'est vraiment tard...
"Il faut sauver l'origine ! je sais qu'elle fait de l'urée, je sais qu'elle ne pourra plus chasser, mais ce sang ne peut pas s'éteindre comme ça !"
Bon.
D'après la date de saillie, la chienne est largement à terme. Vérification rapide à l'échographie : le chiot est en vie. La chienne, ce n'est pas évident. Les analyses confirment qu'elle développe une complication métabolique grave, et que la mise-bas doit être très rapide.
La césarienne est programmée pour l'après-midi, le temps de retaper la future mère.
A 11h30, la chienne est dans le coma, nous déclenchons la césarienne en urgence. Sans anesthésie : de toute façon, elle n'est plus là.
Réanimation, assistance respiratoire, le chiot naît vivant, il est énorme, il est seul, voilà pourquoi il ne sortait pas. Un mâle.
Nos efforts sont payants et la chirurgie peut se terminer normalement (sous anesthésie...) : même la mère est sauvée, du moins pour le moment.
L'homme pleure de joie.
La mère met presque 24h à se réveiller complètement, mais les complications métaboliques s'estompent et la lactation commence sans problème. Le chiot est vigoureux.
Deux jours plus tard, l'état de le chienne semble se dégrader. Malgré les antibiotiques, une métrite (infection de l'utérus) associée à une mammite (infection de la mamelle) se développe. Ce genre de complication infectieuse est grave, et méritera qu'on y revienne une autre fois. Changements d'antibiotiques, perfusion, alimentation de force, la chienne mettra, malgré tous nos efforts, deux jours à mourir.
Depuis le début du processus infectieux, de toute façon, elle n'a plus de lait. Nous nous relayons donc au biberon, 8-10 fois par jour, voire plus. L'ASV au comptoir, en répondant au téléphone, un véto en passant dans la salle d'hospitalisation, entre deux consultations, le tableau blanc se remplis de petites croix noires, pour autant de tétées. Mon confrère finit par emmener le chiot chez lui, ce sont ses enfants qui le nourrissent quand ils reviennent de l'école.
Il est arrivé à la maison en déclarant : "il faut sauver l'origine". Alors, devant la télé, pendant le goûter, le soir, la nuit, quand le petit dernier faisait un cauchemar : ils ont sauvé l'origine. Lui, sa femme, ses deux enfants les plus âgés.
Avec tous ces efforts, sa courbe de croissance est enfin devenue normale.
Le coup de téléphone est passé une semaine exactement après l'admission de la chienne : "monsieur, nous avons sauvé le chiot, il peut rentrer à la maison, mais il va demander beaucoup, beaucoup de soins".
Le visage de l'homme lorsque mon confrère lui a tendu le chiot valait tout l'or du monde. Surtout quand il lui a dit : "mes enfants lui ont donné un nom, à moins que ce soit moi, je ne sais pas trop."
Regard interrogateur du vieux monsieur.
"Il s'appelle l'Origine. Et nous l'avons sauvé."
Aujourd'hui, l'Origine est un magnifique chien de chasse.
Par contre, les qualités de sa mère et de son père ont du se perdre en route, mais ce n'est pas bien grave. Le vieux monsieur se dit que parfois, les qualité sautent une génération, et avec un étalon et tous les chiots qu'il va pouvoir engendrer, il y en aura bien un bon.
Une femelle, par exemple.
Commentaires
Une superbe histoire...
Je ne dirai rien de plus pour ne pas la gâcher
Merci
c'est une bien belle histoire effectivement...
Elle est magnifique cette histoire. Et votre façon sobre, clinique, de la raconter la rend encore plus émouvante...
Vous savez quoi ? Ma mère humaine veut aussi sauver mon origine. Je suis le meilleur gardien de but du quartier. Mais je crève tous les ballons de foot, ça c'est un peu bof.
Bien à vous et wouaf.
(^v^) c'est mignonnnheuuuu!!!
Ouaahh !! Superbe…
@Rémi : je croyais que c'était toi qui cherchais une fiancée, finalement c'est ta mère qui veut perpétuer tes qualités indéniables.
Blog très sympa. L'histoire est jolie....Longue vie à l'Origine.....
Au delà de la médecine, de la chirurgie, de la technique...on trouve là un autre trésor de la pratique vétérinaire... les américains disent "will the circle be unbroken"...ce grand cercle de la vie, ces liens chers à Albert Jacquard, tissés entre les gens, cette dimension humaine de la profession vétérinaire font partie intégrante de cet oxygène qui console des cas désespérés, de ces frissons et de ces larmes de joie que l'on verse parfois, très humblement, anonymement...la petite goutte qui rassasie tout assoiffé de vie que nous sommes....Merci -et bien au délà-... de partager L'Origine avec nous...Origine sans doute de pas mal de vocations...Ton blog va bien plus loin que le simple exposé médical ou la discussion sur le métier de vétérinaire, sa dimension éthique, sensible et son recul humain me touchent bien souvent... C'est donc aussi une boule d'humanisme que je viens chercher ici....
Longue route à toi Fourrure...Tu fais partie des voies secondaires proposées sur Ballade Terrestre...
encore un très beau texte, merci
La plus belle anecdote que Fourrure m'ait conté, et pourtant il en a un paquet dans sa besace.
A quand une image de l'Origine ? Peut-être pas, en fait, l'imagination fait mieux en la matière que n'importe quel cliché.