Noël
vendredi 2 janvier 2009, 13:48 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
J'ai refermé rapidement la portière de ma voiture, et reculé vite. Trop vite, sans doute. Tant de mal à retenir mes larmes. Fatigué, malade, et de garde. Fragile.
Je me suis enfui. Littéralement. Surtout, ne pas rester dans cette pièce, à peine croiser leurs regards, j'ai bredouillé, me suis excusé, j'ai décliné l'invitation à rester boire un verre, probablement plus par politesse que pour toute autre raison. A moins qu'ils n'aient eu besoin de parler ?
Je n'ai pas pu.
J'ai refermé le robinet, me suis maladroitement essuyé les mains, j'avais les poils hérissés sur les avant-bras, j'étais prêt à craquer.
Sur le plan de travail, il y avait un saladier plein de crevettes bouquets décortiquées. Un jaune d'œuf dans un bol. Une fourchette.
J'avais du sang sur les mains. Il a coulé dans l'évier, mais je l'ai rincé d'un geste rapide.
"Nous sommes restés avec lui jusqu'au bout, jusqu'à la dernière minute, nous l'avons caressé quand il est parti, maman, mamie et le monsieur, il est parti avec tout le monde qui l'entourait !
Sa grand-mère s'était précipitée vers elle, vers cette petite fille aux cheveux bruns. Elle avait quoi ? Huit ans, dix ans ? Je ne sais pas, je ne voulais pas savoir. Je n'ai entendu que son sanglot, sa poitrine gonflée, l'atmosphère déchirée, incongrue de la cuisine.
Je n'ai pas voulu croiser son regard.
Je n'en étais pas capable. Qu'est-ce que je fichais ici ?
Pour Noël, j'ai euthanasié son poney.
Une enfant.
"Sa petite cavalière, sa petite Clémence..."
Elle était ici, et je ne l'avais pas compris.
J'avais traversé la salle à manger sur les indications de la jeune femme. Un sapin, qui clignotait dans l'obscurité sous l'escalier. Les cadeaux venaient d'être déballés, il y avait des papiers déchirés un peu partout. La table était mise, une belle table de fête pour une dizaine de personnes. Guirlandes et boules de Noël.
"Je pourrais... juste me laver les mains, s'il vous plaît ?"
Elle m'avait indiqué la porte de derrière. Si j'avais su...
Ca y est. Terminé, un instant après l'injection. Le flot de sang s'est arrêté presque immédiatement à l'aiguille que j'avais laissée, juste au cas où. Dans ma poche, j'ai serré le flacon d'euthanasique. Un flot d'urine. Un dernier soupir. Les membres, enfin apaisés.
Elle a soupiré. Elle le savait. Lui aussi. A genoux, elle s'est détournée vers le poney pour le caresser, presque frénétiquement, pour cacher ses larmes. Ils n'ont rien dit. Il n'y avait rien à dire.
"Je suis désolé. Je ne pourrais pas le sauver, je n'ai que l'euthanasie à vous proposer..."
Eux m'entouraient. Les deux vieux chevaux, le couple silencieux, moi et le vieux poney, le vieux machin qui a attendu ce jour pour mourir... Les Pyrénées noyées de brumes, la vallée froide et sale, le bruit de l'autoroute, au loin.
Le vieux poney était couché, il ne contrôlait plus bien ses membres, il était jaune comme un citron, avec un fond orangé, en hypothermie. Il ne se serait jamais relevé.
"28 ans, c'est la mascotte du centre équestre du village, il passe l'hiver ici avant de retourner se faire cajoler pour l'été. Il a été heureux, sa petite cavalière était avec lui pour les fêtes, sa petite Clémence..."
Sa voix était brouillée.
J'avais traversé le pré, mon stéthoscope dans une main, mon thermomètre dans l'autre. Deux vieux chevaux s'étaient approchés, le plus hardi tentant de fouiller ma poche.
J'avais garé ma voiture, farfouillé un instant dans le coffre, le temps d'enfiler mes bottes. J'étais bien loin de ma clinique, bien loin de ma base. Mais qui aurait refusé de venir ?
Le jour de Noël...
Commentaires
Il doit être bien triste de devoir effectuer ce genre de travail le jour de noël...
J'espère que cela ne vous a pas empêché de passer un bon réveillon de nouvel an et j'en profite pour vous adresser mes meilleurs vœux pour 2009 et vous remercier pour la qualité des billets édités sur votre blog.
Il n'a pas été le seul à partir ce jour là cette année : j'ai endormi un cheval de 34 ans qui ne pouvait plus se lever le 25 décembre, dans un contexte lui aussi bien particulier...pffff
Ces jours-là, je me suis toujours dit : "Plus jamais d'animaux... PLUS JAMAIS... " et puis...
Malgré tout cela... ou à cause de tout cela, je vous souhaite le meilleur pour l'an neuf...
..., je crois que c'est pour ça que je crêve [d'attente] de quitter ce métier : [trop d'énervement multiples et variés] et trop de larmes qui ne me soulagent pas.
Par exemple celles que je suis en train d'essuyer à te lire.
Merci pour ce billet plein d'émotions (...).
Et merci à Françoise pour son commentaire merveilleux d'espoir.
Moi aussi, je souhaite à tout le monde un an neuf et prometteur.
Amitiés si "tu" le permets. (Toujours pleines de larmes)
No comment... A défaut de te souhaiter un joyeux noël, je vais te souhaiter une bonne année alors, une très très bonne année...
La nature ne connaît pas noël ! C'est une très belle invention des hommes... Il me reste à te souhaiter une belle et heureuse année 2009, au cours de laquelle la joie de guérir l'emportera sur tout le reste ! Et mille bonnes choses à côté !
Dur, dur moment, à vivre, à lire.
Forcément là, le souvenir de mon pote prenant ses vieux sabots à son cou pendant les fêtes 2007 revient, ça pique, ça coule. Pourtant j'suis grande.
C'est vrai que d'avoir un véto qui partage ces moments avec nous, ben ça fait du bien. On s'en passerait, pourtant, de faire partager ces moments-là avec quelqu'un qui en voit déjà de toutes les couleurs.
J'ai un truc pour me venger quand des griffus et des sabotés se font la malle, j'en prend plus (avec un "s" au bout).
Grosse tristesse ? Vlan, deux fois plus de bonheur.
Non mais.
Très bonne année 2009, avec beaucoup de boules de fourrure en forme, beaucoup de joie. Et de doux départs.
Assistante vétérinaire... Mon métier.
Une clinique mixte, des vétos canins, ruraux... Et mon vétérinaire d'équine, celui avec qui je travaille, celui que j'appelle quand je suis dépassée, celui qui était là pour le dernier souffle de mon vieil ami qu'il a fallut "délivrer" de violentes coliques.
Il était là pour cet au revoir, là pour le libérer et affronter ma peine.
Il a officié alors que je serrais la tête de mon vieux cheval contre mon cœur en lui murmurant cette ritournelle que je lui chantais sur ces chemins de ballades, chemin de toute une vie.
Il était là, mon vétérinaire ; cet être tellement apprécié pour son humanité, il avait le cœur gros lui aussi.
Par sa présence et ses gestes, il a adouci ce départ qui a été à l'égal de l'existence de mon vieil ami; digne et respecté.
Ne changez rien à votre humanité.
ben comme les autres, j'ai la gorge serrée en lisant ce billet.
doublement...
l'envie, le besoin de fuir, de mettre des km et des km entre moi et la famille à qui je viens d'annoncer une mauvaise nouvelle, ou qui a perdu un proche dont je viens de signer l'acte de décès... nous, nous avons le bonheur de ne pas pouvoir "agir"... mais quelques fois annoncer ce n'est pas mieux. surtout quand on est plus que complètement impuissant...
et pis je suis comme pupucefreewoman la "maman" d'une troupe de griffus et de sabotés (même si mes troupe sont en nombre inférieur par rapport aux siennes...), alors...
bonne année 2009 quoi qu'il en soit ;)
Un cheval est déjà mort sous mes yeux...
La jument aller bientôt mettre au monde un petit poulain mais le destin en a décidé autrement...Je ne veux pas rentrer dans les détails mais certaines poches avaient été perforées par le poulain apparemment si j'ai bien compris et...c'était un spectacle affreux. Je ne connaissais pas cette jument mais son regard implorant m'a bouleversé à vie.
Quelque temps plus tard le "véto" est arrivé, il a a peine mi un pied en dehors de la voiture qu'il a dit: "il faut l'euthanasie..."
Je lui en veux vraiment...Je crois que je lui en veux simplement parce que je n'ai pas compris...
Vétérinaire, médecin, le plus beau et le plus horrible métier du monde je trouve.
Je ne sais pas comment vous faites, mais merci, à vous qui soignez nos compagnons.
Comme je comprends cette petite fille. Mon chat est parti le 31 décembre, alors qu'avec mon ami nous nous apprêtions à passer une petite soirée tranquillement devant la télévision, avec mon Icarus sur les genoux...
Les chevaux nous donnent tout, mais ils nous le reprennent parfois tellement vite... Pour Noël, mon poney est mort. C'est une des pires phrases qu'un cavalier puisse dire. Parce que Noël ne devrait être "que" le jour de l'arrivée de l'être qui va partager nos plus belles joies, nos peurs et nous emmener au bout du monde, et jamais celui de son départ. Pourquoi St Pierre des Poneys n'attend- il pas quelque jours ?
Un grand merci à tous les vétos qui prennent soin de nos amours quand on ne peut plus que les grattouiller derrière l'oreille en repensant à tous les bons moments passés ensemble...
Outre la bien triste histoire, personne ne commente l'exploit remarquable de rédiger une histoire à l'envers ? Ou c'est juste moi qui suis plus sensible à la forme qu'au fond ? Pourtant, ce côté "à reculons" me semble bien plus expressif...
Je découvre votre blog, monsieur Fourrure, et moi aussi je le lis à reculons x)