Un vieux chat
dimanche 10 janvier 2010, 12:41 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Il y a un vieux monsieur discret dans la salle d'attente. Il a ôté sa casquette, et posé, à côté de lui, sur le banc, un vieux panier en osier. Il parle tout doucement, comme s'il avait peur de déranger, échangeant quelques politesses avec notre secrétaire à son bureau. Moi, je suis dans la salle de consultation, je finis de renseigner une fiche d'hospitalisation tout en prêtant une oreille attentive à la conversation qui filtre, à la limite de l'audible, par la porte entrouverte.
Je ne l'ai pas reconnu, même si je sais que j'ai déjà vu son compagnon. Coincé sur la fiche d'hospitalisation, je ne peux lire le carnet de rendez-vous. Alors j'écoute. J'écoute un vieil homme se raconter, raconter son chat. Il a vingt ans. Il aurait du mourir il y a 5 mois, mais je l'ai sauvé. Il l'a ramené pour une euthanasie il y a deux mois. Il l'a encore ramené chez lui. Et cette fois, d'après lui, il ne passera pas Noël. Il s'y est résigné, il a pu profiter de son vieux matou au-delà de ce qu'il aurait imaginé, mais il sait qu'on arrête pas l'âge et la maladie. Il voudrait enterrer son compagnon au fond du jardin.
Moi, je vais jouer l'innocent. Un coup d'œil à la fiche du vieux chat, et les souvenirs me reviennent. Une vilaine tumeur mammaire, kystique, énorme, que j'avais ponctionné. Vu l'âge de l'animal, j'avais écarté d'emblée la chirurgie, pensant qu'avec la ponction et quelques médicaments à visée palliative, il aurait encore quelques semaines confortables devant lui. Lorsqu'il me l'avait ramené, le kyste ne s'était pas reformé, mais le vieux chat avait une vilaine gastro-entérite. Probablement sans lien. Il était déshydraté, en légère hypothermie, il ne mangeait plus, mais j'avais vérifié l'absence d'insuffisance rénale et tenté un simple traitement médical. Qui avait parfaitement fonctionné.
Et cette fois-ci ?
- Alors monsieur, qu'est-ce qui lui arrive au matou ?
- Oh vous savez... c'est la fin.
Sa voix est aussi douce que dans la salle d'attente. Je baisse d'un ton. Il n'est pas sourd. Le vieux chat rougne un peu, mais accepte de venir sur mes genoux. Comme d'habitude en début de consultation, je m'assieds sur la table d'examen pour sortir l'animal de sa panière. Ne pas le tenir, ne pas le contraindre, le laisser accepter les caresses et rester naturellement avec moi. Ça ne marche pas toujours, mais cette fois-ci, rien à redire. Ronronnement immédiat.
- Sa tumeur s'est percée, du liquide a coulé et ça a saigné, pourtant ce n'était pas gros comme la première fois, vous savez...
Le vieux monsieur tient sa casquette entre les doigts, la presse et la retourne. Les jointures de ses doigts sont blanches, blanches de serrer si fort, pâles d'attendre mon verdict. Il tient le menton en avant, joue discrètement avec son dentier. Moi, je ne dis rien. Je caresse le chat, que j'ai retourné sur le dos. Il se laisse gratter le menton, se détend. Il a un vilain cratère au milieu de l'abdomen, vers le nombril. Trois centimètres de diamètre, un ou deux de profondeur, dans le tissu sous-cutané. Autour de la plaie, le poil est lissé, léché et reléché. La plaie est atone, ou presque, elle ne saigne pas. Quelques traces de tissu de granulation, sans doute usé par le léchage incessant. Le chat ronronne, le vieux monsieur me raconte son appétit dévorant, ses câlins et ses interminables siestes près du poêle. Moi, je ne dis rien.
Un long silence s'est installé. le vieux monsieur attend que je prononce mon verdict : "cette fois-ci, ce sera l'euthanasie."
Alors, je prends une longue inspiration. Le vieux monsieur avance le menton, sa casquette ne bouge plus, ses doigts sont blancs, si blancs.
- Bon, deux piqûres, une ou deux boîtes de pâtée, et il rentre à la maison. Je vais vous laisser un flacon d'antiseptique, il va avoir des antibiotiques, mais il verra une nouvelle année.
Les doigts du vieux monsieur sont devenus rouges. Mais il n'a pas lâché sa casquette. Il laisse échapper un "ah" à la fois surpris et soulagé, je lui tends le matou.
Joyeux Noël.
Commentaires
Merci :)
Des mois que je lis votre blog avec toujours autant de plaisir... Bravo pour votre écriture et merci de nous faire partager (malgré votre emploi du temps) votre quotidien, dans ce métier que je considère comme l'un des plus beaux. Un quotidien fait de moments difficiles mais aussi de jolies histoires, comme celle de ce monsieur qui va pouvoir encore faire un bout de chemin avec son compagnon. Encore toutes mes félicitations pour ce magnifique blog !
votre histoire + mes hormones et me voilà en larmes. je vois tres bien ce monsieur qui aime tant son chat... ah tiens je vais aller faire un calin avec mes chats!
bonjour !! c'est joli ce texte sur le monsieur et son vieux matou, cela me rappelle le mois dernier ou j'ai tristement du me résoudre à amener le mien chez le vétérinaire. Vous semblez vétérinaire ? Mon vieux chat avait de l'urée, un taux très haut, depuis quatre jours il se cachait buvait énormément etc.. Le médecin m'a bien dit, "c'est très mauvais" mais il m'a dit "que voulez-vous faire ?" j'ai répondu que j'étais là pour le chat et non pour mon bien être ou pour le garder malgré des souffrances, je ne l'ai pas sauvé pour aujourd'hui plus qu'hier le laisser souffrir. Il m'a dit mettons le sous perfusion 4 jours et nous verrons.. Grave erreur et faiblesse de ma part, j'aurais dû refuser ce qui était reculer pour mieux sauter !! j'ai du arrêter l'histoire quatre jours plus tard, l'état de mon si cher chat étant catastrophique et tous mes regrets viennent d'avoir laissé mon tendre matou chez ce vétérinaire pendant quatre jours ou il a vécu un grand stress bien que le vétérinaire me dise qu'il ne souffrait pas!! qu'en pensez-vous ? maintenant je sais qu'il est au paradis des chats, il ne peut qu'être là !! amicalement et merci de votre blog fort sympathique !!
Fourrure :
Vous trouverez probablement des réponses par ici.
je suis comme Lorna... malin a 6h du mat !
bonne journée et merci pour ce magnifique récit
Merci pour ce petit "conte de Noël" tardif !!
Pourvu que les miens tiennent aussi longtemps
est ce qu'un chat avec des problemes urinaires traités avant ses 1an à une esperance de vie moins longue que les autres chats?
Un beau cadeau de Noël/du nouvel an pour ce chat et son pôpa :)
Très jolie histoire :)
mandrina : je crois qu'il ne faut pas jeter la pierre à ton vétérinaire trop vite. Il y a 6 mois, j'écrivais un commentaire pathétique sur l'article concernant l'IRC. Mon chat était malade, très très très malade, il n'était pas sensé être vivant d'après ses analyses sanguines... Mais il l'était, on a tenté de le soigner, transfusion, médicaments, hydratation... il a vécu encore 6 mois, en forme relativement bonne, puis son état a subitement décliné et il est mort après une seconde tentative de sauvetage.
Les chats, ils semblent avoir des capacités à survivre au pire qui sont assez incroyables, du coup il peut être difficile de prendre "la meilleure décision", celle que l'on est sûr de ne pas regretter.
Comme le vôtre, mon chat est mort, euthanasié pour abréger un état de santé catastrophique. Comme vous, on s'est demandé si on avait bien fait de le laisser chez le vétérinaire, loin de nous, stressé... Mais comme vous, nous étions présent quand il est mort. Nous lui avons parlé, nous l'avons caressé et bien qu'il était en très mauvais état, il a réagit à notre présence, il nous a entendu. Il n'était pas tout seul quand il est mort et j'espère que, comme le vôtre, la présence de ses maitre l'a rassuré avant la dernière piqure.
J'espère que nos jeunes Minous vivront longtemps et heureux comme celui là.
Ils sont vaccinés, pucés, régulièrement vermifugés, traités anti puce via les produits du véto, la minette est opérée et le minet dira adios à ses bouboules le mois prochain.
On les aime, on les chérit et ils nous le rendent bien ces petites terreurs.
Ils m'ont ruiné mes rideaux sur mesure mais je m'en fous.
C'est que du bonheur.
merci pour ce viel homme et pour son chat
merci pour ta facon d ecrire
Bonjour Docteur,
Je me demandais si par la plus grande chance, vous ne seriez pas tenté par un billet sur le parvovirus félin et ses copains (leucopénie et lipidose) ?
Juste qu'on est (avec un chat pourtant vacciné : on devait faire le rappel des 1 ans dans 3 mois), semble-t-il, en plein dedans, en Inde (= moyens limités : pas de test pour le parvovirus félin, pas de bilan sanguin spécifique ni de recherche d'anticorps sauf communs aux humains, pas d'endoscope, donc pas de pose de sonde gastrique envisageable sauf chirurgie lourde, pas d'aliments spécifiques, ou presque pas, le tout in English, histoire de simplifier la communication).
Quelles sont les chances de s'en tirer pour le chat ?
Mince j'ai failli pleurer
Ahhhh voilà une belle histoire que j'avais raté...
Les chats ont une résistance parfois surprenante (enfin, les chats adultes parce que pour ce qui est des très jeunes chatons, c'est pas la même : expérience en cours avec un jeune sphynx de 10 jours, qui a eu une infection au niveau de l'épaule suite certainement à un écrasement... Inopérable, donc on croise les doigts !)
Moi, j'ai pleuré. Comme je pleure encore certaines nuits quand je repense à cette soirée de février où Goliath mon prince de Siam vieux de 21 ans est sorti de la maison pour son "chant du soir".
Ce miaulement qui livrait à la nuit parce qu'il n'était peut être pas certain de revoir se lever le jour.
Je n'y ai pas prêté plus d'attention que cela, puisque c'était son rite depuis quelque temps : saluer la nuit et chanter le levé du soleil.
Il rentrait par la "trappe à Goliath" et finissait sa nuit sur le fauteuil du salon.
Sauf qu'il n'est jamais plus rentré, en me réveillant le lendemain, j'ai su au plus profond de moi qu'il ne reviendrait plus.
Même si j'ai battu le quartier pour le retrouver durant plus d'une semaine.
Personne, personne ne l'avait vu, comme disparu de la surface de notre monde.
Il était rentré dans ma vie sur la pointe des pattes et s'en est retiré de la même manière.
Il me manque tellement et le plus difficile à vivre pour moi : qu'il ait choisi de mourir loin de moi.
J'aurai tellement voulu être là jusqu'à son dernier souffle, le rassurer par mes caresses, mais aussi pour le mettre en terre, savoir où il reposait.
Il ne m'a pas offert ça.
Entre temps Lee Lou, "tigre blanc" est entré dans ma vie avec le même caractère si doux et la même fidélité sans failles et le récit du " vieux chat" a réveillé une nouvelle fois, mon chemin de vie inachevée avec mon vieux Prince de Siam.