Pourquoi vacciner mon animal ? (1/5)

"Docteur, bonjour."

Une dame s'avance vers moi. La quarantaine, les cheveux frisés, elle me sourit. Elle n'a pas d'animal avec elle. Prise de rendez-vous ou demande de renseignements ?

"Je voudrais vous voler quelques minutes de votre temps afin de discuter des vaccins de mes animaux. Je suis nouvelle dans la commune et ma voisine m'a conseillé de venir vous voir.

- Heureuse idée, que souhaitez-vous savoir ?"

Il y a trois ou quatre personnes dans la salle d'attente. L'ASV est en train de servir un éleveur venu chercher des antibiotiques et quelques conseils, tandis que les autres patientent en attendant leur tour. Il y a là une cliente habituelle avec son labrador, un chien sans histoire aucune, venu justement pour son rappel vaccinal. Il y a également un jeune homme avec un chaton sur l'épaule, je devine d'ici ses paupières gonflées et son écoulement nasal. Un coryza ?
Enfin, il y a M. Ferrier, un jeune homme très stressé depuis qu'il a acheté une ponette à sa fille, et encore plus depuis que je lui ai annoncé qu'elle allait bientôt pouliner... Elle a manifestement eu le temps de faire des galipettes avant d'arriver chez lui. Son anxiété est perceptible depuis le comptoir contre lequel je m'appuie pour répondre à la dame qui m'a interpellé.

"Et bien, aucun de mes animaux n'est vacciné. Enfin, mon chien Whisky l'a été, mais cela fait longtemps, je ne suis pas sûre qu'il soit encore protégé. Est-ce que ça vaut la peine de recommencer ? J'ai peur que ce soit dangereux, il est vieux maintenant. Et mon chat, qui vivait en appartement, il sort, maintenant. Il faut le vacciner aussi ?"

Je me gratte distraitement le crâne, juste au-dessus de mon oreille. Et bien... vaste sujet.

"En fait, je ne comprends pas très bien ce que c'est, ces histoires de vaccins."

Voilà le nœud du problème. Je vois que la salle d'attente est... attentive. Une piqûre de rappel, ou une primo-vaccination, ne fera pas de mal à tous ces gens. Même Francesca, notre ASV, écoute. Un grand oral, en quelque sorte.

Un vaccin, c'est quoi ?

"Bon, la première chose : un vaccin, c'est un médicament. Vous connaissez ceux pour les gens, comme pour la grippe, le tétanos ou la polyomyélite. Il en existe à peu près pour tous les animaux "courants". On vaccine les chiens, les chats, les chevaux, les vaches, mais aussi les furets, les renards, les poules, les lapins et j'en passe.
Ces médicaments particuliers ont pour objectif d'apprendre au corps à se défendre contre des maladies graves, afin de ne pas être malade, ou d'être moins malade, si l'on rencontre ce microbe.

- Mais... comment ça marche ?

- Grâce à ses globules blancs, un organisme est capable de se défendre contre la plupart des maladies infectieuses, celles qui sont causées par des virus ou des bactéries. La première fois qu'il rencontre un microbe, le corps met un peu de temps à organiser une défense efficace (jusqu'à deux ou trois semaines). Parfois, c'est trop tard : le chien sera déjà mort s'il a rencontré le virus de la maladie de Carré !
Par contre, lorsque l'ennemi est connu, les globules blancs réagissent beaucoup plus vite (en un ou deux jours), et mieux, à une nouvelle agression : la stratégie de défense est déjà organisée, il suffit de la réveiller !

- D'accord, alors on injecte la maladie, c'est ça ?

- Non, pas tout à fait. Le principe d'un vaccin est de présenter un microbe à l'organisme afin qu'il apprenne à se défendre contre lui, afin d'organiser une réponse efficace et très rapide lorsqu'il le rencontrera "en vrai". Évidemment, on évite d'utiliser la "vraie" bactérie ou le "vrai" virus, puisqu'ils sont dangereux. Le travail des fabricants de vaccins est de rendre ces agents infectieux inoffensifs ou presque (on parle d'innocuité, il ne faut pas rendre l'animal malade) tout en préservant leur capacité à stimuler les défenses du corps (on parle d'immunogénicité, il faut que le vaccin permette au corps d'apprendre à bien se défendre).
Un bon vaccin est un vaccin avec une bonne innocuité et une excellente immunogénicité.

- Mais mon chien a été malade alors qu'il était vacciné !

- Il y a deux éléments de réponse pour ce que vous affirmez.
Tout d'abord, un vaccin ne protège que contre la maladie qui le concerne. Si je vaccine votre chien contre la maladie de carré, ça ne l'empêchera pas d'attraper une piroplasmose.
Ensuite, un vaccin n'a pas forcément pour but d'empêcher l'animal d'être malade (même si c'est le plus fréquent). Parfois, il ne fait que réduire la gravité de la maladie, et c'est déjà beaucoup ! Au lieu d'un chien mort, on a un chien malade que l'on pourra soigner, et sauver. C'est un malentendu fréquent quand on parle de vaccins...
D'autres vaccins ont plutôt pour objectif d'empêcher les animaux de transmettre un microbe, mais c'est plutôt un type de vaccin utilisé pour les vaches, comme celui de l'IBR.

Les différents types de vaccin

- Il existe trois principaux types de vaccins, en ce qui concerne les animaux.

Les premiers, parmi les plus anciens, sont les vaccins à agents vivants, ou vaccins à agents atténués (on parle abusivement de vaccin vivant ou atténué). Ce sont des bactéries ou des virus qui ont été affaiblis par rapport au microbe d'origine, mais qui gardent leur capacité à se multiplier dans l'organisme. Il s'agit donc d'injecter une forme atténuée de la maladie.
Généralement, ces vaccins ont une excellente immunogénicité (ce sont même les meilleurs de ce point de vue là) car ils se comportent comme des microbes naturels. Par contre, ils déclenchent des réactions plus ou moins désagréables, comme de la fièvre, ou même une forme atténuée de la maladie. De plus, il existe un risque que ce microbe affaibli interagisse avec un microbe naturel dans l'organisme vacciné, créant de nouvelles formes de microbes (c'est valable pour certaines familles virales et pour les bactéries, tous les microbes n'ayant pas la même tendance à se recombiner avec des formes "sauvages"). Du coup, les conditions d'utilisation sont très strictes. Le monde scientifique s'en méfie beaucoup, malgré les immenses services rendus par certains de ces vaccins, notamment parmi les plus anciens tels que le BCG (d'ailleurs, Guérin était un vétérinaire).

- Ah, c'est dangereux, alors ?

- Pas forcément, tout est affaire de mesure entre le danger du vaccin et le danger de la maladie. Il existe par exemple un vaccin contre la myxomatose, cette terrible maladie du lapin, qui est un vaccin vivant. Il peut effectivement rendre malade, et les très jeunes lapereaux ne doivent donc pas être vaccinés avec ça. Pour eux, il existe d'autres types de vaccins qui ont moins d'effets secondaires. Mais ce vaccin à agent vivant pour la myxomatose rend d'immenses services, même s'il peut rendre les lapins un peu malades : grâce à lui, ils seront ensuite protégés contre cette maladie incurable, et fatale. Les vaccins contre les maladies virales des chiens sont surtout des vaccins à agents atténués, et vous avez pu constater qu'ils ne provoquent quasiment jamais de réactions.

- Parlez-moi des autres types de vaccins.

- J'y viens, j'y viens... Les vaccins à agents inactivés, ou vaccins à agents tués (on parle abusivement de vaccin inactivé ou tué) sont des bactéries ou des virus qui ont été tués. La première vaccination vraie fut réalisée par MM Roux et Pasteur, qui (un peu par accident), firent chauffer la bactérie responsable du choléra des poules. Aujourd'hui, en plus, on purifie les vaccins : on extrait de la soupe de microbes tués les molécules réellement immunogènes, c'est à dire les antigènes qui créent les meilleurs anticorps. Certains vaccins sont mêmes fabriqués artificiellement, sans recours au microbe d'origine.

- Ca a l'air compliqué !

- Ca l'est, c'est pour ça que fabriquer des vaccins est un processus long et complexe.

Je désigne l'éleveur, qui a ses médicaments et son ordonnance, mais qui m'écoute avec un regard un brin méfiant.

- Par exemple, monsieur, vous attendez avec impatience le vaccin contre la fièvre catarrhale pour vos vaches. Il a fallu 18 mois pour le mettre au point, mais c'est un vaccin hautement purifié dont nous disposerons.

La dame avec son labrador prend la parole.

- Et ils ne sont pas dangereux, ceux-là ?

- Ah, le spectre du danger des vaccins... comme je vous l'ai expliqué, tout est affaire de bénéfice et de risque. Ce qui va vous rassurer, c'est que ces vaccins à agents inactivés ont une excellente innocuité, puisque les microbes sont morts : aucun danger de transmettre la maladie ! Au pire, l'animal vacciné aura une petite fièvre passagère, signe que le corps réagit au vaccin, ce qui est très bien.

- C'est beaucoup mieux, alors ?

- Malheureusement, il y a un revers à la médaille : l'immunogénicité de ces vaccins est globalement inférieure à celle des vaccins à agents vivants. Cependant, pour améliorer la réponse, on leur ajoute des produits qui stimulent la réponse immunitaire, ce que l'on appelle des adjuvants (on parle donc de vaccins adjuvés), et on répète les injections.

- Sans effets secondaires ?

C'est la dame au labrador qui parle à nouveau. Je ne la connaissais pas si méfiante...

- Ces adjuvants sont parfois responsables de réactions locales, une simple inflammation, et une petite fièvre, mais rarement. Presque tous les vaccins que nous utilisons sont adjuvés, mais vos animaux n'ont jamais été malades après un vaccin, n'est-ce pas ?

Hochements de têtes négatifs dans la salle. Ouf... Ca arrive de temps en temps et ça se gère très bien, mais c'est toujours désagréable.

- Le nec plus ultra, ce sont les vaccins vectorisés, le fruit de technologie très récentes. Ils sont encore rares - et chers. Dans ce cas, le laboratoire a réussi à modifier une bactérie ou un virus inoffensif pour le forcer à fabriquer une réplique d'un antigène du microbe contre lequel on vaccine. En pratique, on enlève tout ce qui est dangereux dans un microbe, et on y rajoute des molécules inoffensives mais immunogènes. Ce sont des vaccins possédant une excellente innocuité et une excellente immunogénicité.

Regards étonnés de l'assistance. Je vais y avoir droit...

- Mais ce sont des OGM !!???

- Eh oui. Mais si vous voulez faire la guerre aux OGM, ce sera une autre fois, le sujet est déjà assez vaste. Retenez que la vaccination est un procédé qui utilise des propriétés naturelles des défenses du corps, c'est un simple apprentissage."

Un vaccin, comment ça s'utilise ?

Ma première interlocutrice reprend la main. L'éleveur s'est assis, je sens que mon hameçon sur la fièvre catarrhale a pris. Il est important de le convaincre, lui, je sais qu'il a une grande influence dans le canton. Ma cliente au labrador, et le jeune homme au chaton, semblent trouver ma salle d'attente plus intéressante que d'habitude. Quant à Francesca, on dirait qu'elle prend des notes...

"Bon, mettons que je veuille faire vacciner mes animaux, comment ça se passe ?

- C'est très simple, mais il faut être rigoureux. Une vaccination se déroule en deux étapes : la primo-vaccination, et les rappels.

La primo-vaccination a pour but de présenter une première fois le microbe à l'organisme. Elle peut être effectuée sur des animaux très jeunes, comme des chiots ou des chatons de deux mois.
Pour la plupart des vaccins (cela dépend de leur immunogénicité), elle se fait en deux fois : la première injection de primo-vaccination provoque une première réaction de l'organisme, assez faible. La seconde injection de primo-vaccination se fait trois à quatre semaines plus tard. Il est important de ne pas être en retard, sinon il faut tout reprendre à zéro.

L'espacement des rappels dépend de l'immunogénicité, encore une fois, et de certains paramètres propres à chaque microbe. Ils peuvent être inutiles, mais c'est rare, comme avec le BCG, qui survit dans l'organisme et protège l'homme de la tuberculose.
Le plus souvent, le premier rappel a en général lieu un an après la primo-vaccination, puis tous les ans, voire tous les deux ans. Parfois tous les six mois, pour les vaccins les moins immunogènes.

- Mon vieux chien n'est plus vacciné, alors, docteur.

- Non, probablement pas. Son corps a certainement oublié comment organiser une réponse rapide et efficace contre ces maladies.

La dame au labrador semble réfléchir.

- Une amie m'a dit que ça ne servait à rien de continuer les rappels quand le chien était vieux.

L'argument classique...

- Et bien, demandez-vous pourquoi votre amie vous a dit cela. Sans la connaître, je devine deux raisons possibles, aussi mauvaises l'une que l'autre.
Beaucoup de gens pensent que cela ne vaut pas la peine de vacciner un vieux chien, justement parce qu'il est vieux et que de toute façon il va mourir. Certes, mais ne vous plaignez pas après s'il tombe malade ! C'est un drôle de raisonnement...
D'autres imaginent que toutes ces piqûres doivent bien suffire, que le vaccin doit être définitif. Ce n'est pas forcément un mauvais raisonnement, mais c'est complètement imprévisible, on ne peut pas le savoir. Pour certaines maladies, c'est assez probable (mais pas sûr), pour d'autres, il est quasiment certain que la protection s'épuise rapidement.
En plus, les animaux les plus âgés sont justement ceux qui, comme les plus jeunes, ont le plus besoin des vaccins, car ils sont les plus fragiles !

Si vous tenez à votre chien ou à votre chat, ne stoppez pas la vaccination sous prétexte qu'il est vieux ! C'est un drôle de service que vous lui rendez, d'autant que la consultation vaccinale est une excellente occasion de faire un bilan de santé.

La dame au labrador a manifestement d'autres questions.

- On pourrait parler des vaccins des chiens ?

Le jeune homme saisit la balle au bond.

- Et des chatons !?"

Je ne tourne même pas mes yeux vers l'éleveur et vers M. Ferrier avec sa ponette...

Je vais boire un verre d'eau avant de continuer...

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Un grand merci à Maître Eolas qui m'a involontairement suggéré comment rendre compte d'un sujet de ce genre en rendant les explications les plus vivantes possibles.
N'hésitez pas à poser des questions, j'essaierai d'y répondre si ce n'est pas dans le sujet des billets suivants.
Je n'ai pas l'intention de répondre à tous les procès d'intention qui sont faits aux vaccins. Avant de poser une question, réfléchissez un peu !