La prothèse

Un dimanche de garde comme les autres, avec ses urgences, ses bobos, ses chiens hospitalisés... et ses appels surréalistes.

- Je suis bien à la clinique du Dr Fourrure ?
- Oui, bonjour, c'est lui même.
- Ah docteur c'est terrible ! Le chien de mon amie a rompu sa prothèse.
- Hein ?
- Oui, elle a cassé !
- Mais quelle prothèse ?

Silence au bout du fil. Il a éloigné le téléphone de sa bouche, et s'adresse à quelqu'un d'autre.

- Elle est où, sa prothèse ?
- Mais à la patte enfin !

Une voix féminine. Retour au téléphone.

- La prothèse de sa patte, enfin !
- Mais mais mais... de quel chien s'agit-il ?
- Et bien, du chien de mon amie.
- Mais...
- C'est un caniche, il s'appelle Filou
- Mais... je ne situe pas. Je suis désolé.
- Ah mais sa prothèse s'est cassée !
- Oui, bon, mais il a mal ?
- Ahlala c'est qu'elle est cassée !
- Bon, et bien, écoutez, amenez-le moi de suite si vous voulez !
- Ah bon ? heu... d'accord mais je suis à une demi-heure de route, et il faut que j'aille m'habiller.
- Et bien, disons dans une grosse demi-heure...

Crise de rire sur le fauteuil.
C'est nerveux.
Un vieux monsieur, il a l'air très gentil, mais vraiment, une prothèse à la patte ? Nous n'avons pas posé de fixateur externe depuis longtemps, et je ne vois pas de quelle prothèse de ligaments croisés il pourrait s'agir.
On verra bien.
En tout cas, il n'avait pas l'air enthousiasmé à l'idée de venir. Curieux pour un tel appel.

Saut que le téléphone a re-sonné un instant plus tard.

- Oui, je vous rappelle au sujet de la prothèse.
- Oui ?
- Bon, et bien, j'ai bien réfléchi.
- Et ?
- C'est votre collègue, dont la clinique et à 20 mètres de chez moi, qui l'a opéré.
- Ah, et il n'est pas disponible ?
- Non, j'ai téléphoné, et on m'a envoyé ailleurs.

Ailleurs, comme chez un confrère d'une grande ville à une heure de route, capable de gérer un cas d'orthopédie merdique, ok.

- Et ensuite je vous ai appelé.
- Oui ?
- Et bien finalement le chien s'est couché dans son panier.
- Il a l'air de souffrir ?
- Heuuu non pas du tout. Il est couché.
- Mais c'est une prothèse de quoi, finalement ?
- Et bien, de la patte.
- Il a une patte artificielle ?
- Mais non docteur, c'est juste une prothèse !
- Ah, bon, pas de barre de métal qui sort ni rien ?
- Non, rien de tout ça, il l'a depuis deux ans.
- Bon, et bien vous l'amènerez demain à mon confrère qui l'a opéré, alors ?
- Oui, oui, je pense que c'est plus raisonnable.
- Bon, d'accord, mais vous lui interdisez de se promener sans laisse, de monter ou descendre des escalier, et vous ne lui donnez aucun médicament à vous, hein, s'il ne souffre pas.
- Heuu, d'accord.
- Pas d'aspirine, pas de di-antalvic ou d'efferalgan, rien du tout, les doses ne seraient pas adaptées et certains de ces médicaments sont toxiques pour les chiens, donc s'il ne souffre pas et que sa patte n'est pas gonflée, il n'en a pas besoin, d'accord ?
- Heu oui, oui, je suis vraiment désolé de vous avoir embêté hein...

Pas de quoi, ça m'évite un aller-retour à la clinique pour gérer un truc donc je ne connais pas le début du commencement.

Et moi j'imagine la scène chez son amie, entre elle qui doit être affolée alors que le chien dort en rond dans son panier, et lui qui n'a pas plus envie que ça de se taper trente minutes de route et une consultation au tarif de garde...

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