Coagulation
lundi 18 février 2008, 21:33 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Dans tous les métiers, il y a des cauchemars professionnels. C'est en lisant celui d'un avocat que j'ai repensé à l'un des miens (en passant, Jeanne Brugère-Picoux est vétérinaire et prof à l'ENVA, et son propos a été discuté dès le lendemain par un autre témoin, mais bon, je disgresse).
La matinée semblait partie pour être tranquille. Nous allions donc être surchargés.
Une ovariectomie, en théorie, c'est assez simple
Ma consoeur, Juliette, devait réaliser ce matin-là sa première ovariectomie par les flancs. Le but est donc de faire, juste en arrière des côtes, une petite ouverture de trois centimètres de long, donnant pile sur un ovaire. Puis de refermer, retourner la chienne et recommencer de l'autre côté. C'est une technique à mon goût plus simple que la voie d'abord classique, où l'on ouvre par la ligne blanche, cette ligne de soudure des deux parois musculaires, dans le prolongement du sternum et vers le pubis.
L'inconvénient de cette technique classique, c'est que les ovaires, qui sont collés au fond de la cavité abdominale, près des reins, sont difficilement accessibles. Chez la chienne non-gravide, ils sont attachés près de la colonne vertébrale par deux ligaments très courts, très peu extensibles, et donc malaisés à couper. Pour un petit gabarit, pas de souci, mais pour une grande chienne, c'est un problème.
Quelqu'un a donc eu la bonne idée de proposer une autre technique : ouvrir par les flancs. On tombe pile sur les ovaires, le ligament s'offre au scalpel et la cicatrisation est plus simple. Par contre, si jamais on se rend compte que l'utérus doit être enlevé, il faut refermer puis rouvrir par la ligne blanche, seule moyen d'accéder à cet organe. En conséquence, l'ovariectomie par les flancs est adaptée aux jeunes chiennes de grand gabarit.
L'hémorragie de l'artère ovarienne est la seule complication grave. Le long du ligament suspenseur de l'ovaire, il y a un vaisseau sanguin d'un débit respectable qu'il convient de ligaturer. On peut le ligaturer seul, ou "en masse" avec le ligament et la graisse qui ne manque pas de se nicher là chez les chiennes grassouillettes. La complication, c'est lorsque la ligature ne tient pas. Ca arrive forcément un jour ou l'autre : dans ce cas, on pince le bout d'artère avec un clamp (on "clampe") et on refait des noeuds.
Il y a d'autres vaisseaux sanguins par-ci, par-là, notamment dans le ligament large qui soutient l'utérus, mais aucun qui, en théorie, ne mérite une attention particulière.
Opelle est une jeune chienne de 17 kg, en pleine forme, vaccinée, avec un historique "amusant" : à 3 mois, on a du lui ouvrir l'intestin pour en extraire un bout de caoutchouc qu'elle avait trouvé bon d'ingérer. La chirurgie s'était très bien passée.
Juliette, ma consoeur, stresse. Comme d'habitude dès qu'il s'agit de faire quelque chose de nouveau, ce qui pourrait se comprendre si elle n'avait pas pour spécialité la chirurgie de l'oeil, sous microscope opératoire, avec des fils si petits qu'on les devine à peine, et si elle ne maîtrisait pas déjà la technique classique par la ligne blanche.
Peu importe, elle angoisse. C'est plutôt bon signe, je suppose, ça prouve qu'elle a à coeur de bien faire son travail. Mon confrère Olivier va rester avec elle pour le premier côté, de toute façon.
Olivier et Juliette anesthésient Opelle. Tout se passe bien. Moi, je consulte.
Une ovariectomie, en pratique, ça peut se compliquer
La chienne s'endort paisiblement, Juliette prépare les zones opératoires, se désinfecte les mains... A cet instant, un éleveur appelle pour une urgence. Olivier part immédiatement en campagne, laissant Opelle seule dans le bloc, en tête à tête avec Juliette et son stress. Je passe donc en coup de vent. Je lui indique à nouveau la voie d'abord en essayant de ne pas poser mes gros doigts sales sur la peau désinfectée, puis je la rassure (ou tente de la rassurer) et repars consulter.
Lorsque je repasse dix minutes plus tard, Juliette se bat avec la graisse d'Opelle au fond du puits qu'elle a foré dans la paroi musculaire. Tout se passe bien, je retourne donc en consultation. Lorsque je reviens jeter un coup d'oeil, Juliette me montre ses ligatures du pédoncule ovarien et de l'utérus. Impeccable. Elle semble plus calme. La chienne saigne un peu, mais bon... il ne lui reste plus qu'à faire quelques points musculaires, puis cutanés, et elle pourra passer au deuxième ovaire.
Je reviens un quart d'heure plus tard. Juliette peste à nouveau contre la graisse d'Opelle, mais dans le puits creusé dans le second flanc. Je repars voir un chien qui vomit.
Alors que j'explique le traitement à la propriétaire dont la mère a cru bon de donner 5 comprimés de Nifluril 250 mg à un teckel qui pèse 10 kg, Francesca tape discrètement à la porte de la salle de consultation. " Il y a un gros problème en chirurgie".
Je file en vitesse en m'excusant. Juliette exsude l'angoisse par tous les pores de sa peau. Elle farfouille dans le flanc, me montre le puits. "Ca saigne de partout, ça n'arrête pas."
Je ne suis pas plus inquiet que ça : Opelle n'est pas une petite chienne, et même dans le pire des cas, le débit respectable de l'artère ovarienne nous laisse quelques minutes. Je demande à ma consoeur de me montrer ses ligatures. Utérus, parfait. Pédicule ovarien, aussi. Pourtant, la petite plaie se remplit de sang à vue d'oeil. Pour estimer un peu mieux les dégâts, je comprime l'abdomen de la chienne, afin de chasser le sang par la plaie. Il y en a trop, beaucoup trop pour des petits saignements normaux. Ca se complique.
Je demande à Juliette d'explorer les marges d'incision musculaires. Rien de particulier. Je lui dis de refermer rapidement la plaie, on va retourner vérifier les premières ligatures, ça ne peut être que ça. Un noeud a du glisser. Pourtant, tout à l'heure... j'ai du regarder distraitement. Je cours vers la salle de consultation, m'excuse, demande à Francesca d'hospitaliser le teckel intoxiqué aux anti-inflammatoires.
Je cours à nouveau, je me lave les mains, les désinfecte, enfile les gants.
Juliette a fini de refermer la seconde plaie. Francesca nous retourne Opelle, Juliette fait sauter ses points, et part à la pêche au pédicule ovarien. Il lui faut deux minutes pour le trouver, tandis que je tamponne le sang qui s'accumule avec mes compresses. Rien. Juste un hématome dans le gras qui noie le pédicule. J'aide Juliette à refaire un noeud transfixant, pour placer une nouvelle ligature, par précaution. Ca saigne bien un peu, ça doit être l'hématome. Une ligature transfixante, c'est quand on traverse ce que l'on veut ligaturer avant de faire un noeud de chaque côté au lieu de faire le tour bêtement avec notre fil. C'est bien parce que ça ne glisse pas. C'est moins bien quand on en profite pour percer un vaisseau sanguin, comme c'est le cas à l'instant.
Un nouveau saignement... je clampe, Juliette ligature, noue, serre, fort, à la limite de rupture du fil, mais progressivement, avec maîtrise. C'est impeccable.
Le saignement stoppe, mais l'abdomen se remplit toujours, la pile de compresses pleines de sang s'agrandit. Je commence à être inquiet, les muqueuses d'Opelle pâlissent, mais ce n'est pas encore critique : elle n'a pas perdu assez pour être en danger, même sous anesthésie.
Nous n'avons pas encore trouvé la source de l'hémorragie. Juliette réussit à retrouver l'utérus de la chienne. La ligature est parfaite, aucun besoin de renouer. Elle visite le ligament large, au fond de son tout petit puits. Rien.
Le niveau monte, inexorablement. Les plaies musculaires saignotent. La graisse abdominale ligaturée saigne un peu aussi. La tension aussi est montée d'un cran. Cette chienne se vide de son sang, sans source précise. Elle ne saigne de nulle part en particulier. Je demande à Francesca d'appeler les propriétaires d'Opelle. Je veux savoir si elle a pu manger de la mort-aux-rats. Des anticoagulants...
Je n'attends pas la réponse, de toute façon. Mes gants ne servent plus à rien, Juliette suture. Je file chercher de quoi faire une prise de sang, je veux savoir où elle en est. Lorsque je reviens, Francesca a retourné Opelle. Il y a du sang partout sous la chienne, du sang qui s'est écoulé entre les points lâches que ma consoeur a rapidement noués tout à l'heure. Trop, beaucoup trop, mais pas assez encore pour la mettre en danger.
Les propriétaires d'Opelle n'ont jamais mis de mort-aux-rats à la maison, mais elle mange n'importe quoi lorsqu'elle se balade. Ils sont inquiets. Je ne les rassure pas.
Juliette revérifie ses secondes ligatures lorsque je ponctionne 5 millilitres dans la veine céphalique. Elles sont impeccables, mais saignotent, avec des hématomes. Elle refait un noeud, nouveaux saignements sous le serrage. C'est une certitude, elle ne coagule pas. Je remplis mon tube puis réalise un splash test. C'est une technique très scientifique qui consiste à expulser violemment le contenu qui reste dans la seringue avec laquelle j'ai fait la ponction sur une surface plane, et à repasser quelques minutes plus tard pour voir si le sang a coagulé. Pendant ce temps, je lance une numération-formule. Il me faut trois minutes pour avoir le résultat : hématocrite 30%, pas critique, mais ce n'est pas terminé. Le taux de plaquettes est normal. Les globules blancs aussi. Ca colle avec l'intoxication. J'exclus les causes infectieuses de non-coagulation (vue la NF), la Coagulation Intra-Vasculaire Disséminée (pas de cause), les maladies génétiques rares ("les maladies rares sont rares", et de toute façon elle a déjà été opérée), ou le déficit hépatique de synthèse de facteurs de la coagulation (jeune chienne sans souci, probablement pas alcoolique). Je vais lui injecter de la vitamine K1, l'antidote de la mort-aux-rats, mais ça n'agira pas assez vite...
Je retourne au bloc : Juliette finit ses sutures, mon splash test est toujours aussi liquide. Je prends ma voiture et fonce chez moi chercher ma chienne. Il est 12h30, Opelle est endormie depuis déjà trois heures, elle se vide de son sang, mais elle ronfle paisiblement. Il y a un côté crispant à voir dormir tranquillement cette chienne qui pourrait bien mourir aujourd'hui...
Lorsque je reviens, Juliette a fini. Nous laissons Opelle se réveiller doucement, pendant que j'enfonce une aiguille de gros diamètre dans la patte de ma chienne, qui me regarde avec de grands yeux humides. Genre "oh non, pas encore !" Vingt minutes et 400 mL de sang plus tard, je branche un transfuseur sur le cathéter d'Opelle. Il est presque 13h30 du matin, je vais surveiller la transfusion pendant que Juliette va manger. Dans trente minutes, les premiers rendez-vous de l'après-midi arriveront. La deuxième chirurgie de la matinée est passée à l'as, évidemment, et je ne suis pas censé travailler cette après-midi. Le teckel à hernie discale intoxiqué au Nifluril attends toujours sa perfusion, ses anti-acides, ses pansements gastriques, ses anti-émétiques, ses antibiotiques, et il a une hernie discale, il faudrait lui donner des anti-inflammatoires, aussi. En plus, il est agressif.
Tout va bien.
Commentaires
Halala, heureusement que je n'ai pas lu ce petit billet hier soir ou ce matin avant d'emmener Capuchon (chat femelle... oui je sais...) se faire ovariectomiser (peut-on dire ça ?). Hier soir déjà stressant en la regardant dormir et souhaitant que tout ce passe bien. Me disant aussi pour me rassurer que si le génial Fourrure arrivait à réparer des chiens éventré par des sangliers, ouvrir le ventre de ma peluche serait un jeu d'enfant pour mon véto, la routine...
Qu'est ce qu'on peu être bête parfois nous les maîtres...
Fourrure : En général, ça se passe très bien ces chirurgies.
Au pire un petit coup de stress sur une complication simple, de type lâchage de ligature, mais ça se gère très bien, surtout sur une minette.
"[Exsuder] l'angoisse par tous les pores de sa peau", jamais une expression ne m'a semblé aussi vraie ! Quel vétérinaire canin n'a pas, en chir', transpiré toute l'eau de son corps sur un utérus de chatte pré-pubère introuvable ou un saignement en masse inexpliqué...
C'est pour ça que je préfère la chirurgie bovine (je suis bien plus anxieux en canine), même si parfois il y a des sutures utérines pénibles (et que c'est pas toujours de la faute à l'incision/inciseur).
D'ailleurs, la chienne va bien ?
Fourrure : Comme le dit Sophie un peu plus loin, il y a de grands moments de solitude, comme ça.
C'est justement là qu'on préfère être deux, Juliette ne me contredirait pas je pense !
Par contre, pour les vaches, une sale déchirure de matrice en étoile remontant au col sur une césarienne, ou une belle rupture d'artère utérine, ça peut être folklorique aussi ! Bien sûr, ça se gère, mais ni plus ni moins que des complications de chirurgie canine, non ?
Quel suspense dans ce billet !
En définitive, vous avez pu isoler/deviner la cause de l'hémoragie ou pas ?
C'est... Brrr, ça me rappelle trop de mauvais souvenirs. La chirurgie, pour moi, c'est un calvaire. Cette exsudation d'angoisse, bien réelle même après des années de pratiques, je ne la supporte pas. Alors, je laisse 80 % des chirurgies à ma salariée, qui adore ça, tant mieux ! Mais du coup, je stresse d'autant plus quand c'est mon tour, car des fois, ça fait un bail que j'ai pas touché un scalpel.
L'unique cas que j'ai eu et ressemblant d'assez près à cela, c'était il y a presque 2 ans. Bali, chienne en pleine santé de 2 ans, vient pour uen stérilisation. Par la ligne blanche, elle a été saillie il y a 15 jours.
Tout se passe bien, Bali rentre chez elle, elle a un peu saigné pendant la chirurgie, mais rien de suffisamment inquiétant pour justifier que je l'hospitalise. Et tout se passe effectivement bien, a priori... Sauf que la semaine suivante, Bali ne va plus bien du tout. Le propriétaire s'affole,à juste titre car Bali saigne abondamment par les points cutanés depuis la veille... Un sang marron... Je la revois en urgence, elle est à l'agonie, blanche comme la mort... j'hospitalise... Elle se vide par la plaie, pourtant suturée, d'un liquide très fluide, incoagulable, de couleur rouge-brun... Malgré tous mes soins, elle fait un arrêt respiratoire 1 heure plus tard, je n'ai même pas eu le temps d'obtenir l'autorisation de réintervenir chirurgicalement... Le propriétaire est furieux, j'ai mal serré mes points, je suis un con, c'est une honte ! Je n'en mène pas large...
Et puis, il me laisse le corps pour l'incinération. Il ne me paiera jamais, je le sais, ni l'incinération, ni l'urgence, ni la stérilisation initiale qu'il devait solder au retrait des points... De toute façon, il m'en veut à mort, je n'ai pas besoin d'attendre qu'il me traine devant la justice (sans suite heureusement) pour le savoir. Alors je fais ce qu'un homme qui veut vraiment en avoir le coeur net ferait, même si je n'ai aucune autorisation : j'autopsie. Il ne viendra pas rechercher le corps, de toute façon... A l'intérieur, c'est le grand vide, Bali a été vampirisée... des taches marron, éparses, comme des touches de peinture. Pas de caillot, pas de nappe, rien. Les fils sont en place... Par contre, l'intestin est curieux, brun. J'ouvre, rien, hormis quelques fragments végétaux mal digérés et un magma brun.
Je prends sur moi, je veux savoir. J'envoie plusieurs prélèvements histopathologique en labo, pour mon compte. Je me renseigne, je tente même des analyses sur le peu de sang que je trouve.
J'aurai la réponse presque 3 semaines plus tard, de l'histopath, avec confirmation par le CNITV : consommation massive de liliacées sauvages à effet hémolytique (ail, oignon, muguet, et tous leurs cousins des champs et bois...). Ce n'est pas du sang, qu'elle perdait, mais de l'hémoglobine en nature, après éclatement toxique des globules rouges... Ma chirurgie n'y est pour rien...
Ca fait tout drôle, ce genre de tranches de vie...
Tiens-nous au courant si vous trouvez une explication à l'hypocoagulabilité d'Opelle !
Oh oui, je crois qu'on a tous connu ces grands moments de solitude pendant une chirurgie, c'est dans ces moments là qu'on reconnait les qualités d'un chirurgien à mon sens : savoir rester zen, reprendre calmement les choses...
bordel je n'ai qu'une chose à dire et c'est là :
lillygrevet.blogspot.com/...
Fourrure : Bon, je donne la fin de l'épisode à Lilly.
Juliette est rassurée, elle a réussi sa chirurgie. Du moins, si ça c'est compliqué, ce n'est vraiment pas sa faute. Ses abords étaient bons et ses ligatures parfaites. Pour les sutures, elle est maniaque, donc c'est elle qui fait les plus beaux points dans notre équipe.
Ma chienne, après son don de sang, a bien profité des deux boîtes de super-aliments-pour-chien-convalescent.
A partir de 13h30, j'ai donc surveillé le réveil d'Opelle, qui n'avait pas l'air de se rendre compte du stress qu'elle avait occasionné. J'ai téléphoné à ses propriétaires pour les rassurer sur le post-op' immédiat. Tout se déroulait normalement, et, en théorie, avec le traitement réalisé, il ne pourrait pas y avoir de problème.
Il s'est rajouté une dose de pathos avec les histoires de cette dame très gentille dont le mari, qui est fondu d'Opelle, se remet doucement d'une très lourde chirurgie. Je l'avais appelée au début de la transfusion pour lui dire ce que je faisais et ce que j'espérais. Elle n'avait toujours pas compris d'où pouvait venir la mort-aux-rats, mais vue la tendance de leur chienne à manger n'importe quoi, elle n'excluait pas du tout cette hypothèse. Elle m'expliquait en outre qu'elle allait préparer son mari au pire. Celui-ci s'était buté dans un mutisme douloureux lorsque Francesca avait appelé la première fois pendant la chirurgie. "De toute façon, elle mange n'importe quoi, bien fait pour elle." Une façon comme une autre d'encaisser le choc...
Dès le second appel, au début de cette transfusion, donc, je tentais de la rassurer : même si rien n'était joué, le traitement pouvait difficilement échouer. Avec le sang de ma chienne, nous donnions à Opelle tout ce qu'il fallait pour coaguler. Elle préférait quand même attendre avant de donner de faux espoirs à son époux.
Je la rappelais donc une dernière fois peu avant 14h00, juste avant qu'Olivier arrive pour m'aider à gérer le teckel agressif avec sa gastrite et sa hernie discale.
"Bon, j'ai de bonnes nouvelles : Opelle est debout, parfaitement réveillée, tous ses paramètres vitaux sont impeccables. Si elle continue comme ça, elle rentre demain matin à la maison avec un traitement pour un empoisonnement à la mort-aux-rats. C'est la seule hypothèse qui tienne la route avec les éléments que nous avons, et dans ce cadre nous pouvons considérer sans trop nous avancer qu'elle est hors de danger. Chaque coupure saignait, chaque ligature déchirait des capillaires sanguins qui, d'habitude, ne méritent même pas d'être mentionnés car ils coagulent immédiatement. Dans le cas d'Opelle, tous concourraient à l'hémorragie.
Nous allons la garder sous antibiotiques un certain temps, et lui donner de la vitamine K1 par comprimés pendant trois semaines. Il faudra aussi faire attention à ce qu'elle ne se blesse pas, même si le sang de ma chienne a apporté tout ce dont elle a besoin pour le temps nécessaire à la fabrication de nouvelles plaquettes fonctionnelles."
A 14h00, je prenais deux chats en consultation pour un vaccin. Il y avait juste 7 personnes dans la salle d'attente, et Juliette n'était pas encore revenue.
A 14h30, je rentrais chez moi en laissant Opelle, le teckel, une chienne à piroplasmose aiguë déclenchée peu après la mise-bas, et le reste des consultations de l'après-midi à Juliette et Olivier. J'avais un peu faim, quand même.
Le lendemain, Opelle rentrait chez elle.
Nous ne saurons jamais si c'était bien un intoxication à la mort-aux-rats. Cela reste ma conviction, mais le doute subsistera toujours.
Oouf!! tant mieux tant mieux ! Bravo
Donc la mort aux rats, ça rend le sang tout nul et à la moindre coupure ça coule?
et s'il n'y avait pas eu l'intervention, il lui serait arrivé quoi?
Fourrure : La mort-aux-rats repose sur un principe très intelligent.
Avant, pour tuer les rongeurs, on utilisait surtout des neurotoxiques agissant trèèèès vite. La souris croquait le grain de blé empoisonné, et quelques secondes plus tard, se mettait à convulser, et l'affaire était réglée.
D'ailleurs, je ne sais pas pourquoi je mets cette phrase au passé, ça marche toujours très bien avec les souris.
Seulement, tu as vu Ratatouille. Ils sont sacrément futés, les rats. Beaucoup plus que ces idiotes de souris superficielles. Quand ils découvrent un nouvel aliment, ils envoient un goûteur. Si dans les secondes qui suivent, ledit goûteur (ils ne sont pas tous aussi doués que ratatouille) se met à convulser et décède, les rats cochent sur leur calepin : "petit grain de blé bleu qui sent bizarre = poison".
Un type un peu plus vicieux que la moyenne imagina donc une autre méthode : remplacer les neurotoxiques foudroyants par des anticoagulants. Ca ne tue pas, mais comme les rats se chamaillent régulièrement, une petite plaie, et zou, un rat saigné. Comme ça, la petite frappe qui a mordu le plus profond se sent encore plus puissant, avant de mourir d'une coupure superficielle quelques dizaines de minutes plus tard. Du coup, les petits rats notent sur leur calepin : "bagarre = mort". Ce qui n'a rien de nouveau. Et comme ils sont très humains, il recommencent juste après.
Dans le cas d'Opelle, en supposant qu'il s'agit bien d'une telle intoxication, elle aurait sans doute fait une hémorragie digestive et/ou pulmonaire et/ou oculaire et/ou génitale et/ou urinaire, car tous les jours, tout le temps, nous avons de petits saignements qui, grâce à la magie de la coagulation, disparaissent immédiatement.
A ce titre, si vous devez vraiment vous débarrasser de rats ou de souris, prenez plutôt un chat. Si ça ne suffit pas, il existe certaines formulations de mort-aux-rats contenant, en plus de l'anticoagulant, un produit qui fait vomir. En effet, contrairement aux chiens, aux chats et aux enfants, les rats ne peuvent pas vomir. Comme les chevaux d'ailleurs. Ca coûte un peu plus cher, mais en cas d'accident, c'est bien plus sûr.
Merci Grand chef,
hihi, j'ai adoré le "bagarre = mort"
Je me coucherai moins bête ce soir, techniques pour tuer les rats (qui ne vomissent pas), magie de la coagulation, tout ça tout ça....
Fourrure : Pour les détails de la magie de la coagulation et le mode d'action de la mort-aux-rats comme de l'antidote, je vous laisse voir avec la Vache albinos.
Bonjour Fourrure.
Quel stress et quelle histoire !!
J'ai une question qui va peut-être vous faire rigoler. C'est votre chienne donneuse de sang qui m'y fait penser : Est-ce qu'il y a des groupes sanguins chez les animaux ? Les sangs d'une même espèce sont-ils toujours compatibles ?
Fourrure : Alors... la question n'est pas du tout ridicule, et je vous propose un joker, afin de préparer la réponse dans un billet dédié. Le sujet est très intéressant et j'ai quelques anecdotes sur le sujet.
Mais pour répondre quand même à la question, il existe des groupes sanguins chez les animaux, et, globalement, les sangs ne sont pas compatibles.
Fourrure a dit : "Pour les détails de la magie de la coagulation et le mode d'action de la mort-aux-rats comme de l'antidote, je vous laisse voir avec la Vache albinos."
Je répondrais bien "C'est salaud ça" en toute amitié :D
@Bénédicte : oui, il existe des groupes sanguins chez les animaux, qui posent souvent moins problème que chez l'homme (ou plutot, on se pose moins de questions...). Mais plusieurs maladies peuvent y être liées, comme l'hémolyse néonatale chez les chatons nés d'une mère ayant un groupe sanguin spécifique, si les chatons sont d'un groupe différent.
Superbe billet. Merci d'avoir répondu à Lilly, le suspense m'avait aussi rendu dingue. :)
Le cours sur les groupes sanguins, je suis preneuse aussi, tout comme celui concernant le paracétamol à ne jamais donner à un chien ou un chat, mais je ne sais toujours pas pourquoi.
Bravo pour ce blog ! :)
Et hop, bonne idée ça, Delphine !
Fourrure ! Un cours sur la méthémoglobinisation en vue !
pffff! c'est palpitant! moi je suis tout à fait du genre à transpirer par tous les pores en chirurgie... Ma première castration de chien, j'avais une boule grosse comme ça au ventre, j'ai quand même passé... 5 vicryls sertis tellement j'avais peur que mes ligatures ne tiennent pas!
génial le lien vers le blog de lilly, la version imagée colle tellement au texte!
En tout cas, merci pour ces billets passionnants.
@Delphine, il me semble que cela cause une sorte de destruction des reins mais je laisse le spécialiste répondre. Ce qui m'interpelle c'est l'utilisation de sa propre chienne comme donneuse, il n'y a pas d'autres moyens ? ou est-ce le moyen le plus économique ? faut-il se méfier alors d'un vétérinaire qui n'aurait pas de chien ou de chat ? je plaisante bien sûr mais n'empêche que cela m'interroge. Encore merci pour tous ces billets instructifs et super utile je trouve pour tous ceux qui aiment et ont des animaux.
Fourrure : Laissez les reins tranquilles, pour une fois, ils n'y sont pour rien !
Pour le chien donneur, soyez tranquille, un vétérinaire ne peut recevoir son diplôme que s'il possède un chien de plus de trente kilos. Ce même chien sur lequel nous réalisons les expériences et les travaux pratiques. Néanmoins, ce sont les vieux vétérinaires dont il faut se méfier, les certificats de renouvellement canins étant mal contrôlés par l'Ordre. Certains n'ont plus de chien !
Plus sérieusement, faites confiance à votre vétérinaire.
Et nous reviendrons sur ces histoires de donneurs.
Morte de rire avec l'explication de la mort aux rats, j'ai cru lire une réponse à la fameuse question de Denzel Washington dans le film "Philadelphia" : bon, vous allez m'expliquer ça comme si j'avais 6 ans !
Hello, justement ma question rejoint celle de Bénédicte sur les groupes sanguins, j'avoue que j'ai la flemme de chercher. Par contre, tu n'a pas de poches de sang d'avance ? (à moins que ce soit un acte tellement peu courant que ce ne soit pas necéssaire) Et si c'est un chat ton chien vient il à la rescousse ? et un ragondin de l'espace ?....je déconne.
En tout cas, ça se finit bien et j'aime bien quand l'animal est vivant à la fin :)
bonjour
... voilà un article pour ma première visite qui m'a fait stresser rien qu'en lisant! quel bonheur que ça finisse bien!
si j'ai bien compris le proprio de la chienne se remettait d'une chirurgie lourde? et si dans son habitude de manger l'importe quoi, elle avait avaler des anticoagulants de son patron?
Fourrure : Ce serait une piste intéressante, je dois dire...
Il faudra que je leur en parle la prochaine fois que je les verrais. Je vous tiendrais au courant !
OUf ! le cauchemar de tout véto : l'ovario de chienne qui saigne ! Pour le moment, cela ne m'est arrivé que sur des minettes, qui se remettent à saigner au moment de les rendre ! Traitement identique, sauf que là, quand il n'y a pas de chat sous la main pour transfuser... Je l'ai fait avec un chien. Je sais que cela dérange certains vétos, mais quand c'est ça ou mourrir... Et ça marche très bien !
Fourrure : Vous cassez tous mes effets pour mon futur billet, là.
Pas cool de lire ça quand on a deux chattes sauvages à trapper et à faire stériliser. J'ai pas fini de stresser. Rassurez moi, c'est quand même super rare????
Fourrure : C'est même tellement rare que si j'avais fait des analyses un peu plus poussées pour documenter le cas, cela aurait pu constituer une publication scientifique (bon, pas révolutionnaire, mais en formation continue).
Rassurez-vous, je n'avais jamais vu ce genre de complication, et ne le reverrais sans doute jamais... et nous réalisons une dizaine d'ovariectomies par semaine.
MA DANOISE DE 5 MOIS SE FAIT OPÉRER AUJOURD'HUI POUR UNE STÉRILISATION.JE VIENS DE RECEVOIR UN APPEL ELLE EST EN HÉMORRAGIE GRAVE ET N'A MEME PAS EU SA STÉRILISATION.LE DOUTE EST EN MOI AIE JE RAISON
Fourrure : 1) Les majuscules c'est mal. Recommencez et j'efface le commentaire sans préavis.
2) Ce blog n'est pas un espace de consultation. En plus, j'ai cassé ma boule de cristal, quel maladroit ! Mais la conjonction de Jupiter et de Vénus est intéressante. Malgré tout, comment pourrais-je savoir ce qui arrive à votre chienne ?
3) Demander si l'on a raison d'avoir le doute en soi... comment dire ? C'est bien d'avoir de l'esprit critique, continuez à douter.
4) Les complications, malheureusement, ça existe. Votre vétérinaire fera tout ce qu'il pourra faire.
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