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vendredi 12 mars 2010

Castration

J'aurais sans doute pu aborder le sujet depuis longtemps. Il me manquait l'angle, l'anecdote, ou l'envie. Ça tombe bien, on vient de me chauffer suffisamment pour que je ressente le besoin de me défouler.

Aujourd'hui, nous allons parler de castration. De chiens et de chats, mais vous pourrez extrapoler. Nous allons parler de castration, avec un brin d'agressivité, une pointe de provocation et un zeste de vulgarité.

De quoi s'agit-il ?

Faisons simple : couper les roubignolles est une chirurgie tellement superficielle que cela en est humiliant pour notre mâle fierté. Superficielle ne signifie pas forcément simple, mais c'est loin d'être le bout du monde malgré tout. Pour faire savant (c'est moins inquiétant et un peu plus gratifiant), on peut parler d'orchiectomie (orchis, le testicule, -ectomie, on coupe), je vous laisse faire un copier/coller sur le billet si vous y tenez.

Chez le chat, on tond ou on épile le scrotum - la bourse, la peau, l'enveloppe superficielle - puis on incise ledit scrotum, ce qui permet de découvrir une enveloppe nommée "vaginale", laquelle n'a strictement rien à voir avec le vagin de ces dames et demoiselles.
On incise la vaginale - sur un centimètre à peine, et cela permet de découvrir le testicule à proprement parler, accompagné de son annexe l'épididyme, diverticule sur le canal déférent, ce tuyau qui mène des usines à spermatozoïdes jusqu'à l'urètre (le tuyau de sortie). On ligature le vaisseau sanguin qui nourrit le testicule et le conduit déférent, puis on coupe et on retire le testicule et l'épididyme.

Et puis c'est tout.

Chez le chien, on incise plutôt sur le côté du fourreau que sur le scrotum - question de sensibilité et de facilité chirurgicale, puis on remonte le testicule dans la vaginale (essayez messieurs - ou mesdames et mesdemoiselles, je pense que ces messieurs n'y verront aucun inconvénient si vous êtes délicates : c'est simple, poussez vers le haut, ça glisse tout seul jusqu'à sortir du scrotum et se retrouver sous la peau de l'aine, ce qui, chez le chien, revient à se trouver au bord du fourreau). On incise la peau puis la vaginale en regard, on ligature les vaisseaux et conduits et on coupe tout ça, avant de suturer.

C'est une chirurgie simple, aux complications rarissimes. Non douloureuse en plus, courte, avec récupération très rapide. C'en est presque vexant de voir le chat castré le matin même chasser les souris le soir dans la grange comme si de rien n'était. On aimerait un peu plus de pathos et de douleur, mais bon.

Quels avantages ?

De l'(in)utilité des testicules

Pour répondre à cette question, il faut d'abord bien se souvenir de l'utilité de nos testicules : soyons honnêtes, ils font partie des organes les plus dispensables de notre corps. Parce qu'à part faire des bébés et permettre le développement des attributs masculins, via une hormone nommée testostérone, les couilles ne servent pas à grand chose.

Premier point : un chat ou un chien n'a pas besoin de se reproduire pour être heureux. Je sais, c'est très dur à admettre, et votre coiffeur est d'un autre avis. L'envie de se reproduire, d'avoir des enfants, est absolument humaine. Je n'ai pas l'intention d'aborder l'analyse du désir d'enfant, mais dites vous bien qu'elle est hors de propos chez les animaux, pour lesquels la reproduction est une affaire d'instinct, permettant la perpétuation de l'espèce au même titre que la pollinisation des fleurs. La femelle en chaleur voit son comportement modifié par ses hormones, elle produit des phéromones, des espèces d'odeurs qui viennent stimuler un organe situé entre le nez et le palais, lequel est directement branché sur le cerveau et provoque une réaction immédiate et instinctive, le rut. Le matou ou l'étalon chevauche la donzelle, avec plus ou moins de parades et de simagrées plus ou moins romantiques (c'est plus sympa à observer chez les chiens que les chats, au moins les premiers ont l'air de se faire un minimum plaisir), et en avant. Il passe à la suivante. Il n'y a rien là-dedans qui se rapporte à l'assouvissement d'un comportement nécessaire au plein épanouissement du mâle (ou de la femelle). Ce comportement n'est déclenché que par les phéromones de la femelle en chaleur, et ne marche que si le mâle a les récepteurs pour les comprendre, ce qui n'est plus le cas juste après une castration précoce ou longtemps après une castration tardive.

Second point, concernant les caractères sexuels secondaires. Au niveau physique, pas de barbe ni de moustache, encore moins de pectoraux velus : les caractères sexuels secondaires physiques sont discrets chez nos carnivores domestiques, et on s'en passe très bien.

Au niveau comportemental, par contre, c'est beaucoup plus net : le mâle castré va éviter toutes les séquences comportementales liées au rut, et donc nombre de bagarres, de fugues et de coups de pieds dans le derche. Il marquera également moins son territoire (adieu les pipis des matous sur les murs). Je précise encore une fois l'importance de la précocité de la castration sur ces aspects là : si les comportements sont bien installés, castrer sera inutile ou beaucoup moins profitable que si la castration avait été pratiquée autour de la puberté. Les mâles castrés tardivement pourront même continuer à saillir (et pour ceux qui ne suivent pas dans le fond : non, ils ne feront pas de bébés).

Des risques de la sexualité débridée

Le sexe, c'est chouette, mais ça a quand même un paquet de défauts, d'autant qu'il est déjà difficile d'expliquer et de faire appliquer les précautions minimales à un ado qui n'a presque pas l'excuse des phéromones pour faire n'importe quoi, alors, ne parlons pas d'un chat ou d'un chien.

Au niveau sanitaire, notons chez les chats l'existence de deux maladies sexuellement transmissibles :

  • le Syndrome d'ImmunoDéficience Acquise (SIDA) du chat, très proche du SIDA de l'homme mais sans aucun risque de contamination de l'un par l'autre (les maladies et les virus responsables sont similaires mais ne passent pas d'une espèce à l'autre). Il provoque une perte d'efficacité des défenses de l'organisme, et le développement d'autres infections opportunistes qui finiront par emporter le chat. Il n'y a pas de vaccin, et pas de traitement, on peut tenter de gérer les choses à l'aide d'anti-viraux et de traitements ciblés mais ça marche mal et c'est hors de prix.
  • la leucose féline, provoquée par le virus FeLV (Feline Leukaemia Virus), provoque des anomalies de la multiplication des globules blancs, ces cellules qui assurent la défense du corps, et des cancers de ces globules blancs (lymphomes ou leucémies). Il existe un vaccin contre la leucose féline, d'une efficacité tout à fait remarquable, ainsi qu'un traitement, d'une efficacité beaucoup moins remarquable (mais qui peut valoir le coût dans un certain nombre de cas).

La meilleure protection contre ces deux maladies reste la castration (et l'ovariectomie pour les femelles).

Les chiens ont plus de chances, ils n'ont pas de MST aussi graves même si on pourrait discuter dans ces deux espèces de la chlamydiose et des herpes virus.

Au niveau sanitaire toujours, la castration permet de diminuer le risque :

  • d'abcès sur les chats (suite aux bagarres)
  • d'hyperplasie bénigne de la prostate et de prostatite chez les chiens
  • de coups de pieds dans le derrière, et de leurs amis coups de fusils, coups de bâtons, distributions de mort-aux-rats
  • de se faire rouler dessus par une voiture

Attention cependant à quelques inconvénients, dont nous allons parler maintenant.

Quels inconvénients ?

J'en vois certains qui sourient en coin. Bien sûr qu'il y a des inconvénients à la castration. Ce n'est pas parce les roubignolles ne servent pas à grand chose en dehors de la procréation, qu'elles ne servent à rien.

Premier inconvénient : le risque d'obésité, problème fréquent chez les mâles comme les femelles stérilisées. La prise de poids est principalement due aux modifications du fonctionnement du corps induites par la disparition (pour le mâle) de la production de testostérone. Ça se gère très bien en faisant attention à la gamelle, mais c'est un risque insidieux et sous-estimé par les propriétaires.

Second inconvénient : le risque de formation de calculs urinaires chez le chat mâle castré est 3.5 à 7 fois supérieur (selon le type de calcul) par rapport au chat mâle non castré. L'obésité et la sédentarité sont aussi des facteurs de risque. Je n'ai pas de chiffres sous la main, mais j'observe ce genre de pathologie environ 8-12 fois par an dans ma clientèle, ce n'est donc pas extrêmement fréquent (mais c'est grave et cela nécessite une prise en charge vétérinaire rapide).
Ce risque peut être prévenu en donnant au chat des croquettes adaptées (contenant moins d'éléments constitutifs des calculs et stabilisant l'acidité urinaire). A ce sujet : attention aux allégations sur les paquets de croquettes, car tout le monde se met à marquer "spécial calculs" sur les emballages, or j'ai constaté de flagrants échecs avec certaines marques de supermarché. Les croquettes ne sont pas des médicaments, il ne faut pas croire tout ce qui est marqué sur les boîtes. De mon expérience personnelle, j'ai une confiance assez solide dans les marques haut de gamme (croquettes vétérinaires). Mais c'est cher.

De l'antropomorphisme aux idées reçues

Rassurons-nous : l'image de l'épouse castratrice qui amène Rex pour le faire raccourcir après une violente dispute à ce sujet avec son mari reste, globalement, un fantasme, quoique tous les vétérinaires ont quelques anecdotes de ce type.

La castration des chats mâles passent assez bien, tout simplement parce que les marquages urinaires des mâles entiers sur les rideaux scellent généralement le destin de leurs testicules, et que le passage du minou sous les voitures en période de chaleurs constitue souvent un drame familial que peu de gens sont prêts à expérimenter chaque année.

Pour les chiens, c'est plus compliqué : on voit moins l'intérêt direct de les castrer, que ce soit du point de vue de la santé ou du comportement du chien. Ce sont les propriétaires des femelles qui subissent le plus de désagréments de la vie sexuelle de leur compagnon, et la virilité de Médor a tendance à flatter monsieur, alors...

De plus, on craint souvent que la castration ne fasse disparaître le flair (faux : le siège de l'odorat ne se trouve pas dans le scrotum), ne diminue les performances sportives (faux : combien de champions d'agility sont castrés ?), ne modifie le comportement du chien (faux, en dehors des comportements spécifiquement liés à la reproduction). Tiens, en passant, pour les chiens mordeurs : castrer ne résout en général aucun problème, sauf en ce qui concerne les agressions liées à la reproduction.

Ah, et le fait de castrer un individu, quelle que soit son espèce, ne le transforme pas en fille, je précise cela pour ceux qui se posent encore la question.
Dans le même registre, un mâle peut saillir sa mère, sa sœur ou sa fille (il ne va pas se gêner, les phéromones sont les phéromones).
Les races de chiens (et de chats) sont toutes inter-fécondables, donc oui, le fox peut couvrir la labrador, le bâtard la caniche, et ainsi de suite.
Un étalon de race qui a sailli une bâtarde ne sera pas perverti, et ses futurs produits ne seront pas abâtardis par son inqualifiable écart de conduite, vous pouvez donc le conserver pour saillir la femelle que vous lui aviez choisi. De plus, il vous emmerde, et recommencera à la première occasion.
Oui, les bâtards sont fertiles, cela n'a rien à voir avec les mulets (croisement cheval/âne, stérile, car ce sont deux espèces différentes, alors qu'un Yorkshire, un Bleu de Gascogne ou un Saint-Bernard sont tous des chiens).

Oui, il existe des testicules artificiels en silicone, qui servent à remplacer le vide béant laissé par les organes d'origine lors de la castration. C'est purement esthétique et ça ne sert à rien. Je précise à l'attention d'une de mes charmantes clientes qui ne me lira pas ici, que si elle me redemande d'enlever l'unique testicule intra-abdominal de son chien, de laisser l'autre (qui est en place) et de placer l'une de ces prothèses, je réaliserai également une vasectomie (ligature des tuyaux qui transportent les spermatozoïdes) sur le testicule "normal" afin de l'empêcher de se reproduire, car je sais bien qu'elle en profiterait pour faire confirmer son champion et le faire reproduire moultes fois (or cette anomalie de descente des testicules a une forte composante génétique et constitue un critère d'exclusion de la reproduction par les clubs de race). J'apprécierais aussi qu'elle évite de me prendre pour une burne en me précisant que je pourrais faire un certificat pour attester que le chien était monorchide, puisque je sais aussi qu'elle s'empressera de ne pas s'en servir.

Et non, non, non, votre chien ou votre chat ne vous en voudra pas si vous le faites castrer, il ne sera pas malheureux, il ne se sentira pas inférieur quand il croisera ses congénères. Il attache beaucoup moins d'importance que vous à ses testicules, soyez en sûr(e)s.

jeudi 6 novembre 2008

Champagne ?

La mésaventure de Vache albinos est forcément arrivée un jour ou l'autre à chacun d'entre nous, et il me semble que la profession vétérinaire y est particulièrement exposée.

Une démonstration, et quelques réflexions ?

Les personnages

Je vous présente Fisher. 52 kilos de rottweiler trop dynamique mais très gentille, à intercepter avec talent lorsqu'elle vous saute dessus pour vous faire la fête. Elle, elle ne craint pas les vétérinaires.

Je vous présente monsieur et madame Langin, jeunes mariés d'environ trente ans, plutôt sympathiques et très décidés à faire le mieux pour leur chienne, quitte à sacrifier certaines à côtés. Je pense notamment aux efforts financiers qu'ils ont certainement consenti pendant sa croissance afin de lui acheter le meilleur aliment possible. Monsieur est pompier, madame est secrétaire.

Je vous présente enfin le Dr Fourrure, le Dr Olivier et leur stagiaire, Elodie. Elodie a obtenu son diplôme d'études fondamentales vétérinaires (DEFV) mais n'a pas encore achevé ses études, ce qui l'autorise à exercer sous l'autorité et la responsabilité d'un vétérinaire, mais pas en tant que vétérinaire libérale.

Les prémisses du drame

Ca y est, Fisher est une grande fille : à 11 mois, elle a eu ses premières chaleurs. Elle était déjà un peu fatigante, elle est carrément devenue épuisante. Allez savoir pourquoi, elle craquait pour le caniche des voisins, qui n'en pouvait plus de lui hurler l'ardeur de son désir à travers le grillage du jardin. Manifestement, elle adhérait : elle a défoncé deux fois la clôture pour atteindre son Roméo, et massacré deux portes pour le rejoindre lorsqu'elle était enfermée. Leurs galipettes disproportionnées devaient sans doute être amusante à voir, et furent d'ailleurs infructueuses : la nature est parfois cruelle, et l'amour ne fait pas tout.

Peu importe, je m'égare, car les amours de Fisher ne sont pas le sujet. Ce qui m'amena à voir M. et Mme Langin en consultation, c'est l'espèce de masse rouge tuméfiée bizarroïde qui lui pendit à la vulve vers le milieu de son cycle œstral, ou, pour parler plus simplement, de ses chaleurs.

La masse rouge tuméfiée bizarroïde, non douloureuse, à peine saignotante, c'était de la muqueuse vaginale hypertrophiée sous l'action des hormones produites pendant les chaleurs, ce que l'on nomme une hyperplasie vaginale, et celle-ci était la plus importante que j'ai jamais vue.

Il existe deux façons de gérer le problème : une chirurgie lourdingue, complexe et douloureuse pour retirer les tissus excédentaires, ou un peu de patience et une simple stérilisation afin de supprimer la source du problème, c'est à dire les hormones sexuelles. En accord avec les propriétaires de Fisher, nous avons choisi la seconde.

Premier acte : La chirurgie

Un matin comme les autres. Deux chirurgies au programme, rien de bien compliqué : une stérilisation, et une castration de chat. Tout se passe comme d'habitude, jusqu'à ce que la porte de la clinique s'ouvre et que pénètre en trombe une rottweiler de 52 kg en pleine forme, un rien affamée par son jeûne et bien décidée à nous agresser à grands coups de langue. Un chien dangereux comme on les aime, quoi.

FIsher entre dans sa cage en se faisant un brin prier - elle préfèrerait continuer à nous massacrer les jambes à grands coups de câlins rottweileresques. En plus, comme elle a gardé sa queue, son fouet est particulièrement douloureux...

Son hyperplasie vaginale est presque complètement résorbée, il ne reste plus qu'à la stériliser. Examen clinique pré-opératoire réalisé par Elodie, contrôlé par mes soins, protocole anesthésique choisi par Elodie, validé par mes soins. Ce matin, elle opère seule, ce sera sa troisième stérilisation de chienne en solitaire. Moi, je m'éclipse assez vite : j'ai pas mal de consultations qui m'attendent.

Je ne reverrai pas Fisher de la journée, sauf, en passant, lorsqu'elle rentrera chez elle le soir même, un peu groggy mais sur ses quatre pattes. M. et Mme Langin sont très contents, Fisher aussi, mais, ça, ce n'est pas vraiment surprenant. La seule chose qui la contrarie, ce sont les grillages, les barreaux et les portes.

Deuxième acte : La complication

Le deuxième acte prend place trois ou quatre semaines plus tard. Elodie est repartie achever ses études, et nous n'avons pas vu Fisher depuis longtemps.

Ce matin là, mon deuxième rendez-vous, c'est justement Fisher. Motif : pas en forme, écoulements vulvaires.

Comment ça, écoulements vulvaires ? Elle est stérilisée, normalement ! Premier coup de stress : Est-ce qu'Elodie n'aurait pas laissé un bout d'ovaire dedans ? Normalement, on vérifie à chaque fois, là, c'est Olivier qui a du le faire, mais il n'est pas là ce matin. Je vais devoir gérer...

Mme Langin est venue seule. Fisher est moins exubérante que d'habitude, ce qui a l'air d'arranger sa frêle maîtresse. Je passe sur la consultation : écoulement plus ou moins hémorragique, douleur abdominale, fièvre. Il y a une masse anormale dans son abdomen, de la taille d'une orange. Je me sens très seul, tout d'un coup. Je vérifie le compte-rendu opératoire : ovariectomie par les flancs, c'est à dire que l'utérus n'a pas été retiré (ce qui en soit, n'est pas forcément mal), mais surtout qu'il n'a sans doute pas été intégralement inspecté lors de la chirurgie, car la voie d'abord pariétale, qui a été choisie, offre une vue de choix sur les ovaires mais ne permet que difficilement le contrôle de l'utérus. En général, on réserve cette technique aux très jeunes chiennes, car on préfère inspecter l'utérus des chiennes âgées, ou qui ont déjà porté, ou qui ont eu des soucis gynécologiques, pour pouvoir le retirer au cas où.

Évidemment, Mme Langin me demande si cela peut avoir un lien avec la chirurgie. Je préfère y aller franchement : non, la chirurgie n'est probablement pas responsable du problème, mais ledit problème semble concerner l'utérus. Mme Langin n'insiste pas : elle me fait confiance, et , de toute façon, elle n'est pas d'une nature soupçonneuse. Enfin je crois.
Je ne lui cache pas que je suis inquiet, que cette masse est tout à fait anormale et qu'il va sans doute falloir réintervenir. Au plus vite, car je ne sais pas ce que c'est que ce truc et que si ça perce - ou si ça a percé - dans l'abdomen, ça va devenir très grave.

Je mets la chienne sous antibiotiques, sous anti-inflammatoires, et je place le rendez-vous opératoire au lendemain matin, car je n'estime pas qu'il y a urgence absolue. Je propose d'hospitaliser la chienne pour la surveiller, mais Mme Langin préfère la garder chez elle, de toute façon elle ne travaille pas aujourd'hui, elle m'appellera si la chienne ne va pas bien. Je multiplie les recommandations, mais je laisse repartir Fisher chez elle. Elle ne me brise même pas les rotules en remuant la queue, c'est vraiment inhabituel.

Le lendemain matin, opération à quatre mains avec Olivier. Il y a sur l'utérus une masse anormale, qui semble trouver son origine dans la paroi de l'organe, sans doute une tumeur bénigne de type fibrome, mais surinfectée et ulcérée. Il y a un point de péritonite, mais vraiment mineur. Nous contrôlons évidemment la chirurgie d'Elodie, il n'y a rien à redire.

Troisème acte : les réactions

Le soir même, Mme Langin vient récupérer Fisher. Après concertation avec mon confrère, je discute longuement avec elle au sujet de ce que nous avons trouvé et de ce qu'il faut en penser. Je dois dire que je ne suis pas à l'aise, mais je ne pense pas que cela se voit franchement.

Je lui explique que nous supposons que cette masse est une espèce de tumeur bénigne de l'utérus, et qu'il est peu probable qu'elle soit cancéreuse. Nous allons la faire analyser pour en être certain. Il y avait bien une infection, mais bénigne, je ne suis pas inquiet à ce sujet. Je lui indique clairement que cette masse était peut-être déjà là lorsque la première chirurgie a été réalisée, et qu'il est possible qu'elle n'ai alors pas été détectée, je lui avoue que je n'en sais rien, puisque c'est notre stagiaire qui l'avait opérée, et qu'elle n'est pas joignable.

Je ne lui dis pas que je me doute bien qu'elle ne l'a pas contrôlé, cet utérus, je ne sais même pas si je l'aurais fait moi-même, quoique je n'aurais sans doute pas choisi d'opérer par les flancs.

Mme Langin acquiesce, elle semble rassurée par mes explications mais il m'est très difficile de deviner ce qu'elle pense réellement,. Elle n'est vraiment pas très expansive comparée à son mari, qui peut être carrément caractériel. Sa réaction à lui m'inquiète, d'autant que je ne l'ai pas vu une fois depuis hier alors qu'il accompagne généralement sa chienne à chaque visite.

Je lui indique également que nous aborderons la facture une fois que nous serons sûr qu'il n'y aura pas de frais supplémentaires à engager. En mon for intérieur, j'envisage de dégraisser sérieusement la note. D'une part, ce sont d'excellent clients, d'autre part, je culpabilise à bloc.

Le lendemain matin, je revoie Fisher, qui se remet normalement. J'annonce à Mme Langin que nous avons décidé d'offrir la chirurgie, je lui en explique les raisons : à mon sens, l'hystérectomie aurait peut-être due être réalisée lors de la première intervention, si la masse était déjà là. Je lui explique bien qu'il n'y a pour moi aucun moyen de le savoir, et que comme nous suivons régulièrement Fisher, la clinique a décidé de faire ce geste commercial.

Le soir même, ma secrétaire m'indique que M. Langin est passé dans l'après-midi. Un brin inquiet, je lui demande s'il a donné des nouvelles de le chienne : oui, elle va bien, mais elle est fatiguée. Elle m'annonce aussi qu'il a réclamé toutes les factures depuis l'adoption de sa chienne.

Là, je le sens mal.

Vraiment.

Je suis responsable de l'intervention de ma stagiaire. D'ailleurs, je ne le regrette pas : elle a bien opéré, mais nous l'avons mal aiguillée par rapport à l'historique de la chienne. Et encore : si mon choix aurait été l'intervention par la ligne blanche, qui permet l'inspection de l'utérus, c'est parce que je suis paranoïaque, car à ma connaissance, l'hyperplasie vaginale n'est pas un motif d'hystérectomie, et il s'agissait des premières chaleurs de la chienne.
Mais je ne m'attends pas à ce que des maîtres inquiets suivent ce raisonnement, d'autant qu'à leur place, j'aurais certainement retenu le mot "stagiaire", et que tout cela semble lié.
En plus, je me doute bien que mon geste commercial peut être mal interprété, comme un signe de reconnaissance de culpabilité. D'ailleurs, au fond, même si je suis sûr de mon raisonnement médical, je culpabilise.

Les jours qui ont suivi ont été un enfer. J'ai revu une fois Mme Langin pour un contrôle, une semaine après l'opération. Fisher allait très bien, elle m'a de nouveau massacré les cuisses.
J'imagine la situation chez eux, avec la chienne à nouveau confinée, avec une collerette.
A leur place, je ne serais pas serein. Je continue d'expliquer, je souligne la parfaite récupération de Fisher.

Mme Langin est toujours aussi indéchiffrable.

Je me prépare au pire : coup de fil de l'Ordre, assignation.

Rien ne vient.

Une semaine plus tard, il y a un magnum de champagne sur le bureau. Notre secrétaire m'explique que c'est M. Langin qui est venu le déposer, lors du retrait des points de Fisher ce matin.

Je ne peux retenir un long et douloureux soupir.

Qu'en penser ?

Plusieurs années après cette histoire, j'analyse ainsi les réactions de chacun.

Pour ma part, je l'ai déjà indiqué, je culpabilisais. Je n'arrive pas à mentir aux gens, en tout cas pas dans cette situation, et j'ai choisi l'honnêteté brute, au risque de m'y casser les dents. Parler de la stagiaire était maladroit. Le but n'était pas de me défausser de ma responsabilité sur elle, au contraire : elle avait fait un bon travail, mais nous ne l'avions pas correctement aiguillé, ou peut-être que si. Nous ne saurons jamais si la masse était là lors de la première intervention.

M. Langin est probablement un homme qui aime payer et savoir qu'il offre le meilleur à sa chienne. Je le soupçonne d'avoir choisi nos croquettes pour nourrir Fisher, non pas parce qu'elles étaient les meilleures, mais parce qu'elles étaient les plus chères. Je crois aussi qu'il avait choisi notre clinique parce que nous avons l'apparence la plus professionnelle trente kilomètres à la ronde, et peut-être aussi parce que nous sommes relativement chers.

Pour lui, offrir la seconde intervention était, au-delà des ergotages médicaux, non seulement une reconnaissance de culpabilité, mais aussi une espèce d'insulte à sa capacité d'assumer les frais médicaux de sa chienne (et je suis certain qu'ils n'ont pas beaucoup d'argent).

L'intervention d'une stagiaire comme le cadeau étaient clairement en ma défaveur dans cette histoire. Je me plais à croire que mon honnêteté et ma cohérence dans mes explications, ainsi que mon insistance sur la nature commerciale de mon cadeau, ont joué en ma faveur.

Mais je ne sais pas ce qui se serait passé si Fisher avait souffert de séquelles ou pire, était décédée dans cette histoire.

lundi 3 novembre 2008

Erreurs de jugement ?

Par Vache albinos, invité de luxe


Les vétérinaires ne sont pas infaillibles. Personne ne l’est. Tout le monde peut faire des erreurs.

Mardi, 8h00 :
Coco ne veut pas rentrer dans sa cage d’hospitalisation. Les patrons s’impatientent. Moi, arc-bouté au-dessus de cette masse remuante de 40 kilos, je tente avec tact, professionnalisme et sang-froid d’ignorer les regards surpris de ses propriétaires, les Deveaux. Bras croisés, ils me regardent conserver un sourire de rigueur tout en jurant intérieurement pour que leur « fille » accepte de rentrer dans cette cage. Ne vous inquiétez pas, messieurs dames, j’ai l’habitude. Non non, rien d’anormal, elle est juste mécontente de voir son docteur. Elle est à jeûn, ce qui n’arrange rien à son envie de rester éloignée de sa gamelle. Et oui, on est obligé d’être à jeun avant une anesthésie, pour éviter les vomissements intempestifs en cours de chirurgie, et les risques de pneumonies par fausse déglutition associés. Les questions pleuvent, une fois de plus. On me les a déjà posées lors de la prise de rendez-vous, puis la veille, puis à l’arrivée à la clinique. Ce n’est pas grave, je préfère, même, voir des gens impliqués comme eux plutôt que d’autres qui croient tout savoir et font à leur manière.
Avec peine, Coco se retrouve en cage, et les Deveaux en direction de la sortie. Madame pleure déjà. Ce n’est qu’une stérilisation, madame, soyez sans crainte. Évidemment, tout peut arriver, les voies de la physiologie sont parfois impénétrables. Mais des interventions comme celle-là, on en fait tous les jours, les risques sont minimes. Ils y tiennent, à Coco, c’est évident. On se connaît peu, mais j’ai une certaine sympathie pour les Deveaux et leur « fille » Coco.

Mardi, 11h00 :
Coco rentre dans sa cage sans rechigner. Je suis toujours arc-bouté, mais en-dessous cette fois. La chienne dort paisiblement, sa stérilisation s’est parfaitement bien passée. Un exemple, même. Pas de suffusions, pas de graisse gênante, pas d’anomalie des bourses ovariennes, une ligne blanche parfaitement visible… Rien à signaler. Ma chirurgienne est contente – elle l’est à chaque fois qu’elle finit une chirurgie, même si elle en est à la 500e. Les Deveaux seront contents – et soulagés. Je serai content – quand ils le seront.

Mardi, 16h00 :
Les Deveaux sont là. Leur air surpris ne me surprend plus, moi. Coco sort calmement de la cage, les reconnaît, leur saute dessus. Elle a très bien supporté son intervention, cela se voit. M. Deveaux relève vers ma chirurgienne son regard, toujours aussi surpris, mais légèrement durci.
- C’est normal qu’elle soit aussi bien réveillée ?
Quand l’anesthésie est correctement dosée et que la douleur est gérée, oui. Les remarques suivantes s’enchaînent, tantôt questionnements, tantôt constatations, laissant apparaître en filigrane la thèse développée : tout ne se passe pas comme M. Deveaux l’avait imaginé. Ça va trop bien, c’est donc louche… J’en viens à me demander s’il aurait préféré la reprendre dans le coma, s’il aurait été moins blessé, ou moins blessant. C’est à n’y rien comprendre. Il ne supporte pas d’avoir manqué la convalescence de sa « fille » ? Je suis un peu dépité.
En partant, je réitère mon éternel :
- Et surtout, si le moindre souci devait survenir, la moindre anomalie par rapport à tout ce que je viens de vous expliquer, n’hésitez pas à nous appeler, nous sommes là pour cela. Il n’y a pas de question stupide. M. Deveaux s’en va, mi-figue mi-raisin, une Coco pimpante à ses côtés, prête à en découdre avec cette gamelle qui lui a trop longtemps résisté.

Jeudi, 23h15 :
Le téléphone sonne. M. Deveaux est très inquiet, cela se sent. Coco va mal, très mal. Comme ça, d’un coup ? Il n’est pas disposé à développer. « On » - moi – est en train de tuer sa « fille », il faut agir d’urgence. Les seules informations que je lui soutire sont peu engageantes : elle est froide, elle respire mal. Hémorragie ? Rien n’est impossible, mais quand même, avec toutes les précautions qui sont prises… Déjà, la route défile devant mes yeux.

Jeudi, 23h45 :
Ma chirurgienne et moi sommes sur place lorsque les Deveaux arrivent. Je les attends sur le pas de la porte, Coco est lourde, il y aura peut-être besoin de la porter. Le coffre s’ouvre : elle est morte. Ma chirurgienne salue M. Deveaux d’un poli et discret bonsoir. En réponse, on me sert un regard assassin et un « Pas bon soir, non, il n’est pas bon du tout ».

Vendredi, 0h30 :
Mme Deveaux est inconsolable. M. Deveaux est outrageant de colère. Dans ces moments-là, on a droit aux éternelles contradictions :
- je ne vous en veux pas mais c’est de votre faute ;
- je ne remets pas en cause vos compétences mais vous avez du faire une erreur ;
- Vous êtes un très bon médecin mais je ne vous ferai pas de la pub ;
et le systématique :
- Ce n’est pas une question d’argent, mais il est évident que vous allez me rembourser.
Le tout servi avec un soupçon de hargne et une lampée de poings levés.
De mon côté, j’essaie de comprendre ce qui s’est produit. Mais au milieu de la foire d’empogne qui se déroule, aucune idée ne vient. Selon eux, cela a été très brutal. Rien à signaler jusqu’à ce soir. Selon eux, c’est une septicémie. Et ça, je le déments, c’est impossible, rien ne colle au profil du défaut d’asepsie, à commencer par nos bonnes pratiques, mais pas seulement elles : le profil clinique ne correspond pas – oui, même quand on est sûr de ses bonnes pratiques, il faut savoir se remettre en cause.
Coco n’est pas déshydratée, elle n’est même pas pâle, son ventre n’est pas gonflé… Et puis mince, je n’arrive pas à me concentrer avec M. Deveaux au milieu qui me ressert ses histoires de fric.
Je vais déjà m’asseoir sur mes frais de déplacement, mon urgence et l’incinération, ça je l’avais bien compris. J’essaie d’argumenter selon trois axes :
- dans l’état actuel, je ne me sens pas responsable, rien ne laisse suspecter une défaillance de notre part. Seule une autopsie et des examens de l’hémostase, par exemple, pourraient nous en dire plus.
- c’est tout simplement la première fois que je suis confronté à cette situation brutale et tragique, je ne sais pas comment gérer l’aspect financier qu’il recouvre. J’ai besoin d’un temps de réflexion, mais suis ouvert au dialogue.
- je compatis grandement à leur peine, mais j’ai un certain nombre de frais incompressibles, qu’il n’est pas de ma responsabilité d’assumer au vu du fait que je n’ai probablement pas de mise en cause possible sur la qualité du travail fourni.

Vendredi, 0h50 :
Ma chirurgienne, à bout, s’effondre en larmes. Je viens de rendre le chèque à M. Deveaux, qui le saisit d’un air triomphal. Qu’il aille au diable avec !
C’est alors que magnanime, il plonge la main dans son sac-banane et me dit :
- Je vais vous filer 50 euros, ça ira pour le dérangement de ce soir et les frais mortuaires de notre fille.
J’ai interrompu son geste et l’ai convié à rentrer chez lui, poliment. Avec difficulté, mais poliment. Sur le pas de la porte, Mme Deveaux m’esquisse un sourire – reconnaissant, compréhensif, condoléant ? – et me bredouille :
- J’aurais peut-être dû vous appeler ce matin, je trouvais qu’elle avait les pattes froides déjà…
Rentrez chez vous, par pitié…

Vendredi, 4h00 :
J’ai du mal à dormir. J’aurais du l’autopsier, malgré l’heure. Les Deveaux n’ont pas souhaité cet examen posthume, mais ne me l’ont pas interdit. Cette fois, il m’a convaincu : la chirurgie est enc ause, une suture s’est rompue, a glissée… Il faut que je sache. Coco est en chambre froide, pas au congélateur. On peut encore intervenir. Dors, bon sang, demain matin, tu opères une autre Coco, et si c’est une erreur humaine, la fatigue n’arrangera rien. Mais si c’est une erreur humaine, il faut le savoir avant d’opérer la suivante. Arrête de divaguer, c’est la 1000e qu’on opère, y’avait jamais eu d’erreur humaine avant…

Vendredi, 8h00 :
La nuit porte conseil, j’ouvre fébrilement l’un de mes ouvrages de références. Je n’ai pas les idées claires, je veux être sûr que mon raisonnement, façonné au cours d’une nuit difficile, est le bon. J’ai parfaitement en tête le déroulement présumé des événements, les membres froids, la mort rapide après 36h sans soucis post-opératoires, les muqueuses légèrement pâles, pas trop, le liquide séreux ponctionné dans la cavité… thoracique ! Un liquide sanguinolent, mais pas sanguin. Rouge, brun, très liquide, trop liquide. Incoagulable. Le billet de Fourrure m’est revenu en tête, dans la nuit, tandis que mes idées s’éclaircissaient que je pouvais oublier M. Deveaux pour me concentrer sur la médecine, la vraie. Ce billet racontait l’histoire d’une chienne en hémorragie pendant sa stérilisation. La frustration de ne pas connaître la fin. Pour Bali, la chienne intoxiquée aux liliacées dont j’avais raconté l’histoire dans les commentaires du même billet, j’avais trouvé le mystère à l’énigme, même si cela m’avait fait perdre un client, et un patient. Pour Coco, au moins pour elle à défaut de ses patrons, je devais trouver !

Vendredi, 8h30 :
L’autre Coco attend son opération. Pas question de l’opérer sans avoir éclairci le cas de la veille. Ma chirurgienne a vérifié ses sutures, rien à signaler, pas d’anomalie de ce côté-là. Le verdict tombe enfin : CIVD, coagulation intravasculaire disséminée. Sûr à 90 %. J’en suis, en tous cas, personnellement convaincu, et pas parce que ça a le mérite de mettre ma chirurgienne hors de cause, mais bien parce que tout colle. « Fréquemment rencontré lors de complications obstétricales », note mon ouvrage de référence. Un poids qui pesait insidieusement sur mes épaules et mon humeur m’est soudain ôté.

Vendredi, 9h00 :
- Bonjour cher Confrère Albinos
- Bonjour.
- Vous allez bien ? me demande ce confrère avec qui je partage beaucoup de mon expérience quotidienne.
- Bof, pour être honnête, très mauvaise nuit.
S’en suit une longue narration du cas Coco Deveaux.
- Mon cher confrère Albinos, vous avez fait une erreur de jugement.
Un poids qui se dissipait à peine revient à la charge. Si c’est pour me blâmer, M. Deveaux le fait très bien, je n’avais pas besoin d’un coup de plus.
- Vous ne pensez pas que c’était une CIVD ?
- Ah cela, bien sûr que si, j’ai perdu deux patients de la même manière. Votre erreur, c’est d’avoir cru que le remboursement vous ferait pardonner.
-Euh… Ce n’est pas tout à fait cela. J’ai surtout voulu participer à leur douleur, tirer un trait et, pour tout dire, me débarrasser d’un débat stérile à une heure indue…
- Mais pas du tout ! En remboursant, le vétérinaire donne de l’eau au moulin du client. Si vous ne remboursez pas, vous êtes un connard qui n’assume pas ses erreurs. Si vous remboursez, implicitement, vous reconnaissez qu’il est légitime d’attendre de votre part un dédommagement, et donc que vous avez commis une erreur.
- oui, mais à ce moment-là, on ne pouvait pas garantir les responsabilités de chacun…
- Et alors ? Quand un avion s’écrase, il y a des tas de morts. Tout le monde est triste. Mais la compagnie aérienne ne fait pas un chèque aux familles de victimes à l’aveuglette. Les expertises servent à cela.
- Mais quand le client ne veut pas…
- Et bien qu’il aille se faire voir. Lui, il a de la peine, un chèque n’y change rien. Vous, vous avez fait votre travail, et vous assumez les frais et la responsabilité d’un crime que vous n’avez pas commis. Qu’ils fassent un procès aux molécules de la coagulation ! De toute façon, vous ne vous êtes pas acheté une bonne conscience en remboursant les frais.
- c’est vrai.
- cela ne vous aura pas rendu moins coupable aux yeux de vos clients.
C’est vrai aussi. Je revois encore M. Deveaux, fulminant, crier au ciel que de toute façon, il ne risque pas de revenir chez nous, même s’il n’a rien à nous reprocher, bien sûr.

Une erreur de jugement… Fatigue, stress, inexpérience, défaut de formation en management ? Je ne sais pas, mais j’ai cédé. Il ne fallait pas, mais je l’ai fait. Peut-être pour moi, peut-être pour Coco. Pas pour M. Deveaux, cela, c’est certain. La seule image qui me restera de cette mésaventure, c’est un homme dur, volontairement blessant, m’expliquant que « je n’avais aucune idée du mal que j’avais pu leur faire, et de la peine qu’ils pouvaient ressentir ». Oh si, monsieur, je ne le sais que trop. Coco n’est pas partie par ma faute, mais je regrette qu’elle soit partie. Ce n’était pas ma chienne, mais c’était ma patiente ; c’est un lien fort, également, pour qui a une conscience professionnelle. Je ne dors pas mieux que vous, monsieur, après ce genre d’épisodes, et les larmes de ma chirurgienne n’étaient pas feintes. Pas plus que ses tremblements lors des chirurgies suivantes, ses hésitations, ses doutes, ses remises en question.

Vous pourrez recevoir et sauver 500 patients, si le 501e meurt, vous serez, pour l’entourage de ce 501e, un mauvais vétérinaire. Qu’il meure par votre faute ou pas, que vous ayiez ou pas fait tout ce qui était humainement possible, pris ou pas les précautions nécessaires, expliqué bien ou mal la situation, choisi ou pas les bons mots. Le seul crime que vous aurez parfois commis, c’est d’avoir été le dernier à voir la bête en vie.
Vous serez un mauvais vétérinaire.

Erreur de jugement ?

lundi 18 février 2008

Coagulation

Dans tous les métiers, il y a des cauchemars professionnels. C'est en lisant celui d'un avocat que j'ai repensé à l'un des miens (en passant, Jeanne Brugère-Picoux est vétérinaire et prof à l'ENVA, et son propos a été discuté dès le lendemain par un autre témoin, mais bon, je disgresse).

La matinée semblait partie pour être tranquille. Nous allions donc être surchargés.

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