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jeudi 30 juin 2016

Jour neuf. Motif : Œil fermé

Jour neuf

Motif : Œil fermé

Ce croisé de dogues en tout genre est magnifique. Et adorable. Cela fait trois minutes que je me consacre activement à le caresser, le papouiller et le complimenter en faisant mollement semblant de l'examiner. Il bavouillait de trouille sur la table. Maintenant, il ne bave plus, et cherche ma main. C'est la dernière consultation de la journée, je suis épuisé, je n'ai plus les idées très claires, j'ai besoin d'un câlin, ça tombe bien : il est disponible.

Bon, mais cet œil. « Fermé, un peu mais pas beaucoup, depuis hier » ?

Moi je ne vois rien. La cornée me semble lisse, rien n'accroche la lumière. Pas de conjonctivite (il a les muqueuses franchement pâles, d'ailleurs), une crassouille au coin de l’œil, j'esquive sa langue lorsque je me penche pour mieux regarder. Pas de baiser : « on ne se connaît que depuis dix minutes, j'ai l'âge d'être ton père et en fait je me suis occupé de toi quand tu avais deux mois. Et tu es un chien, tu passes tes journées à manger des saloperies, te lécher le sexe et l'anus. Non. »

Je m'éloigne un peu. Il y a clairement une dissymétrie, même quand il ferme un peu les deux yeux sur le mode « encore des caresses ». J'attrape la fluorescéine. Une goutte de jaune. J'attends. Je discute avec sa propriétaire, lui explique que je n'ai rien vu mais que ce colorant peut nous révéler une petite blessure de la cornée, un ulcère : il n'adhère pas à l'épithélium, la peau superficielle de la cornée, mais au stroma, sa couche de structure, la plus épaisse. S'il y a un point jaune, c'est que la couche de structure est mise à nu.

Nous discutons de ses muqueuses, aussi. Elle trouve comme moi qu'il est très pâle, depuis quelques temps. Elle n'a rien remarqué d'autre d'anormal. Dans ma tête, dans mon ventre, l'alarme se renforce. Mort aux rats, mort aux rats. A-t-elle ce type de poison chez elle ? Oui, mais le chien n'y a jamais accès. Comme tous les chiens et chats empoisonnés que je réceptionne, ou presque. On va contrôler ça : rendez-vous demain matin pour une prise de sang qui sera amenée au labo directement, ce sont des prélèvements qui attendent mal. J'en profiterai pour faire un hématocrite et vérifier si je me fais des idées.

L’œil.

L’œil ?

Oui, ah, le jaune a atteint le bout de la narine via le canal lacrymal qui permet aux larmes de filer de l’œil au nez (vous savez, celui qui vous oblige à avoir des mouchoirs à portée quand vous regardez Rémi Sans Famille). La cornée ? Oui, il y a bien un petit point qui accroche, là. Minuscule. Je ferme les paupières pour le balayer : il est toujours là. Je sors ma loupe. Oui, c'est une dépression punctiforme de moins d'un millimètre de diamètre. Il y a bien un ulcère, probablement causé par un corps étranger. Je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit au fond, mais je ne suis pas certain. Il est tellement petit qu'il pourrait guérir tout seul. Je tente, ou pas ?

Je ne tente pas vue l'angoisse manifeste de sa propriétaire. Une pommade antibiotique, qui a de plus de bonne qualités lubrifiantes. Le chien n'a pas très mal mais ça le soulagera, quand même.

Et demain, on fera une prise de sang. Et des câlins, si on a le temps.

lundi 11 août 2014

Le mode d'emploi

- Alors, M. Pique, qu'est-ce qu'il a bouffé cette fois-ci ?

M. Pique : un agriculteur à la retraite, avec moustache et béret.
Il : Ioda, un genre de berger allemand de 9 mois.
Cette fois-ci : la première fois, de la mort-aux-rats, la deuxième fois, de la mort-aux-rats, la troisième fois... de la mort-aux-rats. Mais pas la même à chaque fois.

- Ah ben j'sais pas mais j'ai vu du bleu sur ses babines et sur son palais, alors il en a bouffé !
- Et vous avez quoi avec du bleu chez vous ?
- Chez moi rien, mais chez l'voisin du tue-limace, et puis bon, son truc c'est la mort-aux-rats, vous savez.

Tu parles que je sais, ouais. Et à chaque fois il en trouve une différente.

- Bon, ben protocole habituel.

Je pose le cathéter et décongèle l'apomorphine diluée. Le jour où nous n'en aurons plus sera un jour funeste pour les vomissements provoqués. Hop, une gougoutte dans la veine, et le chien vomit. Deux fois.
Avant, ça servait à faire dégueuler, et ça ne coûtait rien. Maintenant, ça sert à traiter les troubles de l'érection et le parkinson, et ça coûte un bras.

- Allez hop filez, vous m'appelez quand tout est sorti ?

Le tue-limace, je n'y crois pas trop. Il n'a pas le moindre signe nerveux, or ça agit super vite, et c'est vraiment violent. Tue-souris, peu crédible, pour les mêmes raisons. Reste, dans les trucs très courants, la mort-aux-rats. Dans le doute, on fera un temps de coagulation pour vérifier.

- Hey docteur, c'est bon, il a vomi !

Je rejoins M. Pique dans la pelouse, devant la clinique. Un beau vovo que je vais décortiquer sur la table de consultation.

Du bleu. Plein de bleu.
Des morceaux de bouchon en liège. De champagne, vue la capsule.
Un demi ballon de baudruche.
Un toxocara canis. Penser à vermifuger.
Un bout de sachet en plastique, sans doute celui du poison.
Des nouilles. Pas assez cuites.
Des croquettes, pas mâchées mais bien gonflées. Friskies ? Non, Fido.
Et un bout de papier, tout replié, humide et collé. Bleu, et visqueux :

COMPOSITION : 0,001 % de Brodifacoum.
Agent d’amertume : Benzoate de Dénatonium.

PROPRIETES :
– Appât frais prêt à l’emploi : une pâte onctueuse composée de farines et de graisses végétales, dont l’appétence est renforcée par l’ajout d’arômes naturels et de sucre. Le processus de fabrication assure une imprégnation totale et homogène de l’appât pour une assimilation immédiate de la matière active par les rongeurs.
– Puissant anticoagulant : le brodifacoum. Le rongeur meurt dans les 2 à 5 jours suivants l’absorption, la mort semble naturelle et n’éveille pas la méfiance du reste de la colonie, qui continue à consommer le produit.
– La présentation : en sachet toilé biodégradable microporeux, hydrofuge, évite la dispersion des appâts et simplifie l’application avec une plus grande sécurité.
– Non détecté par les rongeurs, un agent d’amertume intégré dans la composition de l’appât réduit les risques d’absorption accidentelle par l’homme.

RECOMMANDATIONS :
– Ne pas toucher les appâts avec les mains pour ne pas éveiller la méfiance des rongeurs.
– Ne pas conserver ou déposer ces appâts à portée des enfants et des animaux domestiques.
– Conserver uniquement dans l’emballage d’origine.
– En cas d’ingestion ou de malaise consulter immédiatement un médecin et lui montrer l’emballage ou l’étiquette.

ANTIDOTE : Vitamine K1 administrée sous contrôle médical.

Pratique.

lundi 18 février 2008

Coagulation

Dans tous les métiers, il y a des cauchemars professionnels. C'est en lisant celui d'un avocat que j'ai repensé à l'un des miens (en passant, Jeanne Brugère-Picoux est vétérinaire et prof à l'ENVA, et son propos a été discuté dès le lendemain par un autre témoin, mais bon, je disgresse).

La matinée semblait partie pour être tranquille. Nous allions donc être surchargés.

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