Animalecdotes

Petites histoires de vétérinaire...

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dimanche 15 février 2009

Sexplousse

Il était là, assis devant le bureau, Olivier sur son fauteuil, moi appuyé contre le montant de la porte. Il n'avait pas encore touché à sa tasse de thé, et ne semblait pas très à l'aise, avec son petit ordinateur portable ouvert sur de grandes feuilles excel, et ses papiers soigneusement empilés, arrangés et réarrangés.

Il n'arrêtait pas : il les prenait en main, les plaçait à la verticale et les réalignait, avant de les reposer devant lui, très soigneusement. Il avait un costume trois pièces et une cravate, des cheveux bruns soigneusement coupés et une belle montre. Pas le look habituel des délégués habituellement envoyés par les laboratoires pour nous présenter les derniers produits ou nous proposer de miraculeux (forcément miraculeux) contrats commerciaux.

Olivier l'avait salué d'un jovial : "Bonjour M. De Mesmaeker !"

Comme les autres, le délégué n'avait pas compris, et avait rectifié gentiment : "Non, moi c'est Benoît Laroche, vous devez confondre avec mon prédécesseur, je suis le délégué des laboratoires Sexplousse pour votre secteur".

Comme d'habitude, nous l'avions gentiment accueilli, et Olivier avait arrêté de lui demander s'il venait nous faire signer des contrats, genre : "vous avez les contrats, M. De Mesmaeker ?"

Bref.

Les laboratoires Sexplousse ne commercialisent pour ainsi dire qu'un seul produit depuis... 20, 30 ans ? Plus ? Personne n'a jamais bien compris comment il marchait, ni si il marchait, mais dans le doute, et comme des fois il avait l'air de marcher, nombre de vétérinaires continuaient à l'utiliser dans le traitement de l'arthrose. De toute façon, il ne pouvait pas faire de mal. Comme d'habitude, le délégué allait nous présenter une nouvelle étude prouvant définitivement l'efficacité de ce produit, et comme d'habitude, nous n'allions pas en acheter... Comme d'habitude, nous nous demandions comment nous allions lui dire gentiment "non". Comme ses prédécesseurs, il ne ferait pas long feu au labo, faute de résultats je suppose.

Ca y est. Il semblait prêt à démarrer, et nous avions arrêté de raconter des âneries, histoire de lui laisser une chance.

"La membrane cellulaire est un océan de lipides dans lequel flottent des icebergs de protéines..."

Nous n'avons pas résisté. Nous n'avons pas explosé de rire, mais nous l'avons regardé avec de grands yeux ahuris. Comprenez-moi. Cette phrase, c'est le summum du bateau pour la présentation de la structure de la membrane cellulaire, celle que tous les profs assènent aux élèves un jour ou l'autre, au lycée ou en prépa. Et il avait des pages devant lui !

Alors nous l'avons arrêté.

Manifestement, il ne comprenait rien à ce qu'il récitait. Alors nous l'avons relancé sur son produit, sur les offres commerciales, parce que le cours sur la bicouche phospholipidique... Nous avons essayé de le mettre à l'aise, de lui expliquer, façon : "vous savez, ce que vous venez de débiter, c'est juste le cours pour débutant, nous l'avons mangé pendant deux ans, voire plus..."

Son offre commerciale était bidon (mais évidemment, nous ne comptions pas lui acheter de grandes quantités de ce truc, alors il ne pouvait pas faire grand chose).

Du coup, de fil en aiguille, nous avons discuté. Il était au bord des larmes, avec sa cravate rose, son costume trois pièces et ses cheveux trop bien peignés. Il nous trouvait gentil, parce que des confrères l'avaient envoyé balader, entre vannes sur son produit antique que l'on essayait de resservir tous les ans, et abus sur sa timidité et son incompétence. Nous lui avons expliqué pourquoi personne n'était réellement intéressé par son produit. Et encore moins par des études plus ou moins bidons. Chaque vétérinaire s'était fait une idée dessus depuis longtemps...

Alors il nous a raconté. Avant, il était représentant pour des produits de luxe. Il faisait les salons de coiffure et les instituts de beauté. Ca lui plaisait, mais sa boîte a coulé.

Il avait fini par postuler chez Sexplousse.

Il n'avait pas compris qu'il s'agissait d'un laboratoire pharmaceutique vétérinaire.

Sexplousse.

Il pensait qu'il s'agissait de sextoys et autres produits coquins...

dimanche 8 février 2009

2008, l'année des D : Palmarès

La tradition - et le règlement de la SCC - veut que pour chaque année, une lettre déterminée commence le nom des chiens et des chats. Il en est d'ailleurs de même pour les chevaux, mais selon un calendrier différent de celui des carnivores.

En réalité, pour les chiens qui ne sont pas inscrits au LOF (ou pour les chats qui ne sont pas inscrits au LOOF), cela ne constitue en rien une obligation, même si je dois reconnaitre qu'elle me facilité la vie en consultation pour connaitre l'âge d'un patient.

Le mode d'emploi est simple : en 1926, la SCC a décidé arbitrairement que l'on commencerait par la lettre A, et que l'année suivante, on passerait à B. Histoire de simplifier la vie des gens, le Z a sauté, puis d'autres lettres sont également passé aux oubliettes en 1973 (sans doute une conséquence de la crise, va-t-on constater la disparition d'autres lettres avec l'appauvrissement annoncé, par certains de la langue française, et le développement d'une nouvelle crise ?).
Bref.
Dans d'autres pays, les éleveurs changent de lettre à chaque portée - à chacun son système. Le leur a l'avantage d'offrir plus de variations, mais perd son intérêt de repère chronologique pour les vétérinaires.

Comme les éleveurs sont des petits malins, et que certaines lettres ne sont vraiment pas intéressantes, ils ont parfois tendance à tricher un peu, ce qui donne parfois des choses amusantes : l'année des M, beaucoup de chiens s'appellent M. Loulou, M. Tartempion ou M. Bullbastick. D'autres utilisent une première partie de nom liée à la portée, pour mettre autre chose derrière.

Année des G ? Glace Vanille, Glace Chocolat, Glace Caramel.

Année des U ? U-Too, U-Boat, U-Baby...

Ensuite, beaucoup de gens trouvant le nom "officiel" de leur chien ridicule, choisissent plutôt de l'appeler Tayau, ou Princesse. Gaffe aux papiers divers et variés, le nom officiel est celui qui est enregistré à la SCC (l'erreur classique est la carte de tatouage au nom de Rhododendron de la Clairière aux Alouettes, ses propriétaires ont préféré Mirza, et c'est le nom annoncé au vétérinaire qui doit pourtant faire attention à remplir le passeport canin au nom de Rhododendron etc.).

L'année 2008 était donc l'année des D. Florilège.

Les plus originaux :

Deedadeedeedada
Darjeeling
Dermojet

Original, c'est pas forcément joli non plus...

Ceux dont j'aurais cru qu'ils auraient plus de succès :

Dora (6) - mention spéciale : "c'est ma fille qui a voulu l'appeler comme ça"
Dana (2) - prix du jury "mon fils a remarqué que nous habitions dans une vallée"
D'Artagnan (5)
Douce (3), j'aurais vraiment cru qu'il y en aurait beaucoup
Démon (0) - superstition ?

Et les grands gagnants !

Première marche du podium : Diane, chasseresse et épagneule breton en général (26)
Deuxième place bien méritée : Dolly, chasseresse et épagneule breton, éventuellement bleue de Gascogne (22)
Ex-aequo sur la troisième marche : Daisy & Dick (13)

Une mention pour les Domino (11), qui ne sont pas passé loin du podium !

Ma déception ? Pas de Dark Vador...

Pour l'année prochaine, je m'attends à une volée d'Elliot et d'Elsa. Je vous tiendrai au courant début 2010 !

vendredi 9 janvier 2009

Mais docteur, vous n'y pensez pas ?

"Bonjour docteur, je viens pour un conseil."

Elle a sans doute la quarantaine, mais elle le cache bien sous un beau manteau et un maquillage soigné. Son mari se tient à ses côtés, en fait, il a l'air plus jeune, un peu en retrait. C'est elle qui mènera la conversation.

"Je voudrais un conseil pour m'occuper de ma chatte."

Et on ne ricane pas dans le fond, je vous ai vu avec vos idées mal placées.

"Je vous écoute ?
- Voilà, elle vomit à chaque fois qu'elle mange des croquettes.
- Vraiment à chaque fois ?
- Oui, oui. Mais quand on lui donne de la pâtée elle ne le fait pas.
- Elle vomit juste après avoir mangé ou un peu plus tard ?
- Plutôt plus tard, en forçant beaucoup, et elle en met partout, j'en retrouve sur les tapis, sur les fauteuils."

Ca doit faire tache dans l'intérieur.

"Mais elle va très bien, hein. Et j'ai essayé plein de marque différentes, à chaque fois c'est pareil.
- Ah.
- Pourtant elle a de l'appétit, et on ne l'entends jamais se plaindre.
- Et elle a quel âge ?
- 5 ans.
- Elle fait ça depuis longtemps ?
- Au moins un mois.
- Elle vomit systématiquement à chaque repas depuis un mois ?
- Oui ! Sauf avec la pâtée. Mais je préfère les croquettes. Du coup je ne lui donne pas trop de pâtée.
- Ouais..."

Là, je suis face à mon étagère de médicaments, un brin dubitatif. Elle ne vomit certainement pas à chaque fois depuis un mois, elle serait cachectique. Mais ça dérange la dame, quoique pas assez pour qu'elle reste à la pâtée.

"Bon, le plus important, c'est de stopper les vomissements. Si elle continue, cela va de toute façon entretenir une gastrite et une œsophagite. Donc pâtée, et pâtée, au moins deux semaines. Je vais vous donner des comprimés...
- Ah non docteur, pas des comprimés, on ne peut pas lui en donner, elle devient furieuse.
- Mais...
- Pour le vermifuge ça a été l'horreur, elle en a mis partout et pourtant c'était de la pâte.
- Ouais, d'ailleurs j'allais en parler, du vermifuge, elle a eu la dose du coup ?"

C'est le mari qui réponds :

"Non, je ne crois pas."

Je me tourne vers lui, mais son épouse reprends les rênes de la conversation.

"Ca pourrait être les vers ?
- Peu probable, mais de toute façon ça ne peut pas faire mal de la traiter, je vais vous donner un vermifuge en pipette à mettre sur le dos, bien sur la peau, pas sur les poils.
- Ouh là, ça va être compliqué !
- Ca ne fait pas mal. Pour les comprimés...
- Impossible !
- Ah... Et vous pensez que vous pourriez lui faire des injections ?
- Vous n'y pensez pas ?
- ...
- Ils sont petits les cachets ?
- Très petits... mais il faut les donner matin et soir. Vous pouvez les écraser dans la pâtée.
- Inutile : elle les sentira.
- Vous pouvez toujours essayer... Sinon j'ai des trucs en seringue mais c'est moins bien, et puis vous aurez autant de mal à lui donner.
- Oui.
- Bon, et puis si ce n'est pas mieux en 4-5 jours, il faudrait nous l'amener, quand même.
- Impossible, docteur, elle ne voudra pas, elle déteste les vétérinaires !
- Elle est déjà venue ?
- Non.
- ..."

Je tapote sur mon ordinateur.

"Et que de la pâtée, si on favorise les vomissements on ne s'en sortira pas.
- Je ne peux pas mettre des croquettes une fois sur deux ?
- Non. Et les comprimés c'est matin et soir.
- Je ne peux pas donner le double une fois par jour ?
- Non ! Et si elle ne va pas mieux très vite, il faudra l'amener ! Et ça fait 14 euros 60."

Avec le soupir qu'elle a poussé, j'ai failli être grossier.

dimanche 14 décembre 2008

Tique TOC

"Cabinet vétérinaire bonjour ?
- Alloooo c'est horriiiible je voudrais parler au plus vite avec un vétérinaire !
- C'est le Dr Fourrure au téléphone, je vous écoute.
- C'est pour prendre un rendez-vous !"

Ca commence bien : elle veut parler en particulier avec un vétérinaire pour une prise de rendez-vous.

"Oui, c'est pour quoi ?
- C'est horriiiiiiible il me faut un rendez-vous au plus viiiiite !
- Heu oui, ben si c'est une urgence, amenez votre chien de suite.
- J'envoie mon mari !
- Heuu oui mais il a quoi votr..."

Tut tut tut

OK

Je vérifie que tout est prêt pour accueillir un blessé, un accidenté, mais allez savoir pourquoi, je n'y crois pas trop.

Dix minutes plus tard, un homme rougeaud entre dans la clinique avec un genre de labrador dans les bras, obèse, et un peu catastrophé d'être porté n'importe comment. Il faut dire que vu son poids, il est difficile de faire mieux, mais là c'est ridicule : le gars doit mesurer 1m65, son ventre dépasse de son T-shirt, ses rares cheveux sont plus ou moins enroulés en vrac sur son crâne et l'absence de ceinture donne l'impression qu'il porte un baggies. Le chien, il le tient sous les aisselles, plaqué contre lui pour ne pas le laisser glisser, le ventre vers l'avant, les pattes arrières qui pendent lamentablement quand les pattes avant pointent vers le plafond.

Le tout tressautant.

"Docteur docteur c'est affreux !
- Entrez par ici !"

Le bonhomme largue le chien sur la table de consultation.

Lui, il remue la queue, il semble un peu hébété.

"Que se passe-t-il ?
- Il a un tic !
- Une tique ?
- Un tic !
- Heu...
- Là, sous le ventre, on a essayé de l'enlever avec une pince à épiler après avoir mis de l'éther, après j'ai pris une pince dans ma boîte à outil mais il a résisté alors j'ai chopé une cigarette pour le cramer, le tique, et puis j'ai préféré vous l'amener avant de le couper avec les ciseaux de peur qu'il attrape la fièvre des tiques !
- Ouais, unE tique, donc."

Au fil du récit, j'ai basculé le chien sur le côté.

J'ai vite trouvé la zone, avec tout leur trafic : un petit mamelon grisâtre, à moitié brûlé, près du fourreau.

"Monsieur."

J'ai faillir dire : "vous êtes un imbécile".

"C'est une mamelle. Pas une tique. Vous avez pincé brûlé et je-ne-sais-quoi-isé votre chien !"

Le gars est stupéfait. Je dois avoir un extra-terrestre caché derrière moi. Ou un tic géant.

"Hé docteur vous êtes con ?"

Il a du entendre mon "vous êtes un imbécile" au son de ma voix.

"Docteur, vous dites n'importe quoi, c'est un mâle !"

samedi 22 novembre 2008

Heureux évènement

5 heures du matin, mon téléphone sonne. De garde, évidemment,
J'essaye de rassembler mes neurones, c'est à peu près aussi efficace que le sprint d'un bouledogue.

"Grmlvice de garde, bonsoir ?"

La voix des grands jours...

"DocteeeEeeeeEEeuuur !"

Ouh là, ça réveille, ça. Bizarre, elle n'a pas l'air affolée. Juste hyper-excitée. Je connais cette voix, mais... ?

"Docteur, il est né, il est né ! Je suis maman !
- Gneu ?
- Notre poulain !
- Mme Ballester...
- Oui, il est magnifique, vous venez le voir ?
- Huuu, là, de suite ?"

Ma femme se retourne dans le lit, intriguée. Il faut dire que la voix de Mme Ballester doit s'entendre à dix mètre dans le silence nocturne.

"Oui oui il est né il y a une demi-heure !
- Félicitations. la mère se porte bien ?
- Oui oui, elle est debout, elle le lêche et nous empêche d'approcher.
- Magnifique, et le pitchoune ?
- Il tente de se lever.
- Superbe... le placenta ?
- Un gros truc répugnant, il est par terre. Oooh il est troooop beau !
- Parfait, parfait..."

Là, je commence à saturer. La dame est ravie, heureuse, c'est son premier poulain, elle l'attends depuis des mois, j'ai vu sa mère trois fois depuis deux mois, des fois que.

Il y a vraiment un côté magique à observer l'émerveillement des gens autour d'une naissance.

Mais à 5 heures du matin, je dois être un peu imperméable.

"Alors, vous venez ?
- Mouif, vers neuf heures.
- Pas maintenant ?"

La déception dans sa voix. je m'en voudrais presque.

"Vous m'avez dit que tout allait bien. Retournez vous coucher, laissez la maman tranquille, on contrôlera tout ensemble tout à l'heure.
- Oh la la je ne pourrais pas me rendormir, je suis trop excitée il est superbe ! A tout à l'heure docteur !
- A tout à l'heure..."

"Elle est amoureuse ?"

C'est ma femme.

"De son poulain ? Surement..."

La "visite de poulain nouveau-né" sera longue, un peu magique, à la fois attendrissante et un peu agaçante, mais quel plaisir que de travailler avec des nouveaux-nés et des gens émerveillés !

jeudi 16 octobre 2008

Machistadorette ?

"Alors, celle-là, elle est vide. On a fait venir quatre fois l'inséminateur !
- Ah, oui, effectivement, vu son âge, mieux vaut la réformer...
- Mais le pire, c'est que le dernier à être venu l'inséminer, ben c'était une jeune fille !"

Elle : mamie dynamique, 65 ans, la gestuelle expressive et les cheveux gris au vent, avec ses bottes, son jean et son pull vert.
Moi : la blouse cachou virant au bouseux, les bottes dans le fumier, un gant de fouille à la main.

"Ah, mais je me suis dit : tu es vraiment une vieille peau, ma fille, mais j'ai pas pu m'empêcher de le penser, que c'était pas un boulot pour les femmes !
Mais elle m'a dit : cette vache, elle n'aurait pas eu un gros souci au dernier vélâge ?
Alors j'en suis restée baba. Ben oui, qu'j'ai dit, un gros veau et le vétérinaire il y a passé du temps !
- Oui, il vous a aussi dit de la réformer à cause des risques de séquelles..."

Là, je ne pouvais pas laisser passer...

"Tout à fait, mais comment elle le savait elle ?"

J'attends, sans rien dire. Je l'aime bien, quand elle fait la conversation toute seule.

"Et ben elle m'a dit : cette vache, elle s'urine dans le vagin et l'utérus, elle ne prendra jamais, il y a des lésions de l'appareil génital, il faut la réformer.
- Ah oui, là, elle a raison. J'aurais préféré avoir tort.
- Ben oui, mais pourquoi les deux autres hurluberlus ils n'ont rien dit quand ils l'ont inséminée ?"

Je lâche un grognement indistinct en enfonçant mon bras dans le rectum d'une vache, elle l'interprétera comme elle voudra.

"Parce que elle, c'est une fille, mais elle l'a sentie, la séquelle, et elle a dit que c'était pas la peine d'inséminer, alors que les deux autres couillons, rien du tout."

Ses deux bras balaient l'espace devant elle dans un mouvement définitif. Je ne peux m'empêcher de déguster le terme "couillon".

"Et moi, vieille peau, qui ai des réflexes de mamie réac' ! Ah je m'en veux, hein, et je sens bien que je le pense encore ! Que je suis con, parce qu'elle a bien fait son boulot, elle."

Vous l'avez senti, l'appui sur le "elle" ?
Je sais pas vous, mais je trouve que dans l'ensemble, les femmes sont plus machistes que les hommes avec celles qui font "des métiers d'homme". Celle-ci a au moins assez de recul pour s'en rendre compte. Ma stagiaire est restée coite pendant toute la diatribe, d'ailleurs.
Ou alors, c'est tout l'inverse. Je me rappelle d'une campagne "profonde" où une femme avait couverte une piqueuse de biscuits et de chocolats pour avoir montré à son homme qu'une vétérinaire pouvait très bien réaliser la prophylaxie. C'était touchant !

Par contre, je ne peux pas m'empêcher de me dire que si un des couillons avait avait été à la place de cette inséminatrice, même le troisième à passer, ça aurait juste été "normal". Alors que comme c'était une femme, elle en parlera à tout le canton. Tant mieux, ça facilitera la vie professionnelle de cette jeune fille...

mardi 7 octobre 2008

Un petit saut pour la science, un grand saut pour la pucité

Vous connaissez tous les prix Nobel.

Mais vous êtes sans doute moins nombreux à connaître les prix Ig Nobel, qui récompensent chaque année les recherches les plus loufoques. Entendons nous bien : la fondation Improbable Research ne récompense pas des charlatans, mais des scientifiques sérieux qui ont menées des études dans les règles de l'art.

Our goal is to make people laugh, then make them think. We also hope to spur people's curiosity, and to raise the question: How do you decide what's important and what's not, and what's real and what's not — in science and everywhere else?

Traduction libre :

Notre but est de faire rire les gens, puis de les amener à réfléchir. Nous espérons aussi titiller leur curiosité, et les amener à se poser la question : Comment décider de ce qui est important et de ce qui ne l'est pas, de ce qui est vrai, ou pas - dans la science comme ailleurs ?

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mardi 30 septembre 2008

Des gosses

Il est à peine onze heures lorsque je ressors mon bras du vagin de la vache.

"Torsion utérine, 3/4 tour, irréductible. On ouvre !"

Dans les minutes qui suivent, déboulent papys, voisins et autres curieux venus assister au grand show : la césarienne. La scène est avantageuse : lumière claire, paille fraîche, petite brise. Quelques meuglements et pépiements en guise de musique, plus le parfum des bovins mêlés à l'odeur indéfinissable de l'herbe humide qui sèche au frais soleil de septembre...

Nettoyage, désinfection, incision, je demande au papy qui vient d'arriver de m'attraper la boîte métallique contenant mes instruments de chirurgie.

"Sans mettre les doigts dedans, s'il vous plaît."

Gagné, il a mis ses gros doigts dedans, mais sans rien toucher.

Boaf.

Grand, raide, la peau cuivrée par le soleil sous sa casquette, pantalon brun et chemise d'un bleu indéfinissable, il commence à chahuter avec l'éleveur qui s'appuie contre la génisse, juste à côté de moi.

Et lorsque je me retourne... Sourire en coin, yeux plissés, le papy de 85 ans est occupé à mimer un coup de bistouri dans le ventre de l'éleveur.

Mignon...

Un bruit métallique. Je me retourne brusquement, le papy tient mon scalpel dans sa main droite, et mime encore une fois le coup de bistouri.

J'explose.

"Mais bordel, ça va pas bien non ?"

Incrédule, voix fautive : "Mais je n'allais pas le faire !"

Je n'y crois pas. Il se justifie comme un gamin. Là, je gueule franchement.

"Mais rien à foutre que vous lui ouvriez le ventre !"

Je détache bien les syllabes.

"Mais..."

Un gosse...

"Mes instruments sont stériles, et vos mains sont dégueulasses ! Ca va pas bien non ? Putaaaaaiiiin ça va dans le ventre de la vache ça !"

Et blam, il repose très vite mon scalpel dans la boîte.

Génial.

N'empêche qu'après, j'ai eu l'assistant le plus zélé de ma carrière. Il n'a plus moufté, plus rien dit, il devançait chaque fois mes gestes lorsque je me retournais pour saisir une aiguille ou un clamp.

Des gosses !

vendredi 26 septembre 2008

Grippe chaviaire

"Docteur, j'ai une requête inhabituelle à formuler.
- Heuuuuu"

Le tableau : le vétérinaire, une seringue entre les dents, une brebis entre les genoux, en train de vacciner. Le monsieur, 60ans bien sonnées, qui tient vaguement la tête de la brebis - elle s'appelle Berthe - en gilet Lacoste vert et chemise blanche, pantalon gris à pinces, chaussures vernies.
Il a deux brebis de compagnie, nous les vaccinons en passant.

"Dites toujours ?"

Là, on imagine le pire : une embrouille sur les inventaires d'élevage, un truc sur les dates de vaccination, ou ? Le type est un peu bizarre, méfiance.

"Je voudrais vous demander d'effacer les fiches informatiques de mes chats sur votre ordinateur.
- Hein ?
- Oui, c'est à cause de la grippe aviaire.
- ...
- Comme vous le savez, nous allons bientôt avoir de la grippe aviaire, comme nous avons eu la langue bleue. Or, il est évident qu'il faudra euthanasier tous les chats. Et je pense qu'ils se baseront sur les fichiers des vétérinaires pour trouver nos minets. Je voudrais donc, à titre préventif, que vous effaciez les fiches de mes animaux."

Vérification : il a l'air très sérieux.
Il n'est pas "un peu bizarre", il est carrément tordu.

dimanche 3 août 2008

Bobologie d'été : La chienne qui faisait scritch-scritch

"Ben docteur, je comprends pas, elle est jamais malade, mais depuis deux jours, elle est patraque, et depuis hier elle a vomi plusieurs fois, et à chaque fois qu'elle a mangé."

Jolie croisée de berger allemand, 5 ans, j'ai du la voir une fois dans sa vie. Effectivement, pas trop d'histoires. Pas de vaccins non plus, d'ailleurs.

Vue de loin, elle se tient voussée. Avec les vomissements et la baisse d'appétit, il va falloir se concentrer sur l'abdomen. Je vérifie rapidement les muqueuses, les nœuds lymphatiques, je sais que je ne devrais rien trouver, mais si je me focalise trop vite sur le ventre, je risque de passer à côté de quelque chose. Auscultation cardio-pulmonaire, tout va bien.

Température : 39.6°C

"Elle a d'la fièvre, docteur ?
- Oui, un peu..."

Je palpe l'abdomen.

*scritch*

"Comment ça, scritch ?
- Pardon, docteur ?"

Je me rends compte que j'ai parlé à haute voix.

"M'enfin ?"

Je reprends ma palpation abdominale.

*scritch scritch scritch*

Merde alors. Un genre de boudin de trois centimètres de diamètre dans toute la partie postérieur de l'abdomen, je peux facilement le faire rouler entre mes doigts, tout doucement, la texture est étonnante.

*scritch scritch scritch*

J'alpague Olivier qui passait dans la pièce d'à côté, histoire qu'il me donne son avis.

"Abattement, vomissements, un peu de fièvre, douleur abdominale, et ça. Palpe un peu pour voir ?"

Il ouvre de grands yeux.

"De l'éponge ?
- Moi je pense plutôt à de la paille de fer, ou un os spongieux explosé, genre une tête de fémur de boeuf. Il me semble que la texture est plutôt... minérale.
- Mais ça fait un bruit d'éponge."

Là, je vois que le propriétaire a du mal à suivre.

"Tiens, mettez votre oreille à côté de son ventre, et écoutez. Je palpe."

*scritch scritch scritch*

"Ben, c'est quoi ?
- Bonne question... je vais aller voir par la sortie si je peux toucher ce truc. Elle a tendance à manger n'importe quoi cette chienne ?
- Ben non, sa fille oui, mais elle non, elle a passé l'âge !
- Apparemment elle fait une crise de jeunisme..."

J'ai fini d'enfiler mon gant, et, sous le regard offusqué de Zaza - la chienne - j'essaie de toucher ce... truc. Je l'ai au bout du doigt, c'est effectivement de l'os, ou du gravier, j'arrive à en faire venir un fragment jusqu'à l'anus. Des matières fécales, du sang, et du gravier. Du tout petit gravier.

"N'importe quoi. Allez, on file en radio voir l'étendue du bazar."

Quelques minutes plus tard, la radio est fixée : trente centimètres de boudin de gravier dans la fin du tube digestif de la chienne. On ne saura jamais pourquoi elle a mangé ça. Une charogne roulée dans le gravier, la graisse d'un barbecue vidée dessus... En tout cas, ce n'est pas arrivé chez le propriétaire.

Mais comme c'est presque sorti, et que les cailloux ne sont pas trop abrasifs, avec un bon pansement intestinal, beaucoup de laxatifs, des antibiotiques et des antalgiques, ça devrait aller. Si ça se bouche, ce sera la table de chirurgie, et le chantier sera autrement plus difficile...

"Mais je comprends pas, docteur, comment un chien peut manger des graviers ? Normalement ça fait pas des idioties un chien adulte, la nature est bien faite non ?
- Ou pas... C'est la première fois que je vois une quantité pareille de graviers, mais des intestins perforés par des os de volaille, des occlusions avec des os, des ficelles, des éponges, des galets, des bouts de poupée, le coton de rembourrage d'une peluche, des tétines pour veaux..."

Si la nature était vraiment bien faite, j'aurais beaucoup moins de travail, hein...

samedi 12 juillet 2008

Leçon de choses

Astrée est sur la table, tremblante dans les bras de sa maîtresse, une jeune femme blonde qui a décidé qu'une portée, c'était bien assez.
Les chiots à la maison, c'est vraiment une expérience inoubliable : je me rappelle des échographies de suivi de gestation, de la radio quelques jours avant la mise-bas, quand, sa fille de 6 ans dans les bras, elle comptait avec moi les crânes et les colonnes vertébrales.

Salle noire, négatoscope : "Huit, maman !"

Pendant les échographies, elle dessinait des bébés sur mes certificats de vaccination antirabique. Une manière comme une autre de finir le stock de paperasses...

Les chiots à la maison, donc, c'est vraiment le paradis. Sauf si la mise-bas se complique et que, finalement, les bébés naissent à la clinique.

"Enfin, une autre portée, avec un chien choisi cette fois, ce serait bien, je connais un groenendal magnifique... Là, j'ai vraiment fait tout ce que j'ai pu, mais le braque d'un voisin a défoncé le grillage."

Aujourd'hui, donc, on fait avorter Astrée.
Pas de problème : la chienne est jeune, en bonne santé, et nous avons désormais à disposition d'excellents produits qui n'ont, pour ainsi dire, aucun effet indésirable, sauf sans doute pour le portefeuille.

La première étape, c'est un examen gynécologique. Astrée est donc sur la table, tremblante dans les bras de sa maîtresse. Elle n'était pas trop pour l'avortement, mais elle se plie à la réalité d'une gestation indésirable, quand la précédente a failli tuer sa chienne.
Pendant ce temps, sa fille découvre les ordonnances à papier carbone et les tampons. Sa mère tente donc de la canaliser un peu en l'intéressant à la consultation :

"Tu vois, le docteur va faire une piqure à Astrée pour qu'elle n'ait pas de bébés.
- Pourquoi ?"

Bouche en cœur, boucles blondes, sujet glissant.

"Parce que la dernière fois elle a été très malade et qu'il ne faut pas qu'elle en fasse cette fois."

Sa mère répond du tac au tac, simple et efficace. J'avais déjà apprécié sa gestion de la gestation d'Astrée et de ses complications, même si l'enfant est parfois difficile à calmer.

Moi, avec mon speculum et ma lampe frontale, je vérifie que les chaleurs sont bien terminée et qu'il n'y a rien d'anormal là-dedans.

"Dis docteur, tu fais quoi ?
- Je regarde si Astrée est encore en chaleurs. Et tu vois, ce n'est plus rouge, ça veut dire que c'est fini.
- Pourquoi ?
- Parce que quand elle est en chaleurs, c'est rouge, il y a des gouttes de sang.
- Et ça, c'est quoi ?"

Je lance un regard interrogateur à sa mère, sourcil levé.
Elle me répond avec un grand sourire et un haussement d'épaules, une façon de me dire "débrouillez-vous".

"Ca, c'est le vagin.
- Ca sert à quoi ?
- C'est par là que sortent les bébés."

Je n'ai pas d'enfants, mais je trouve que je ne m'en sors pas si mal, non ?

"Et ça c'est quoi ?"

Doigt pointé, précis.

Je retiens un rire.

"Ca, c'est le clitoris."

J'interromps l'enfant avant la question fatidique :

"Ta maman t'expliquera à quoi ça sert, hein ? Moi, je vais faire sa piqure à Astrée, mmmh ?"

lundi 16 juin 2008

Brossez-vous les dents !

Si un jour vous devez convaincre un enfant de se brosser les dents, montrez lui cette photo.

Pour information, celles-ci ont été extraites de la gueule d'un caniche d'une dizaine d'années. Pour éviter d'en arriver là, ou en tout cas réduire les risques, vous pouvez aussi éviter de lui donner n'importe quoi à manger, lui fournir une alimentation stable, lui donner des bâtons ou des trucs plus coûteux à mâcher, voire lui brosser les dents.

Brossez-vous les dents

Ah, il n'y a pas que des dents, il y a aussi des écailles de tartre, et bien sûr vous ne pouvez pas voir les abcès que nous avons ouverts ni les fistules vers les sinus maxillaires...

vendredi 13 juin 2008

Elle n'est pas vétérinaire !

"Bonjour docteur !"

La dame qui m'apostrophe en franchissant la porte a l'air presque jovial, mais, à ses regards alentours et ses petits pas précipités vers le comptoir, je devine qu'il y a quelque chose qui cloche.
Elle tient son sac avec ses deux mains, serrés contre son abdomen, comme un bouclier. Ses cheveux noirs parfaitement... permanentés ? fer-à-frisés ? bigoudités ? (je suis nul en coiffure, rapport à ma calvitie sans doute) lui donnent un air trop... impeccable. Elle prend une petite voix soufflante, sur un ton qui se veut discret, avec un débit trop rapide.

"Docteur, hier, une dame m'a donné... ça."

Elle sort de son sac une petite boîte de médicaments, d'un air triomphal.

"Elle m'a donné ça pour mes lapins, mais il y en a un qui est mort cette nuit. Je pense qu'elle n'était pas vétérinaire, alors je voudrais vos bons conseils."

La voix devient un brin accusatrice. Avec option "sous-entendus mielleux".

Le médicament est banal, pour une affection banale. Banal, mais efficace.

"Et qu'est-ce qui leur arrive, à vos lapins ?
- Et bien ils attrapent le gros ventre, ils ne mangent plus et ils meurent.
- Ah, et dans quel état se trouvait celui qui est mort cette nuit quand il a reçu le traitement ?
- Ca n'a pas marché du tout, il est mort !"

La voix se fait accusatrice. La mienne... fatiguée, mais elle ne semble pas s'en rendre compte

"Oui, je comprends bien, mais il était dans quel état hier ?
- Oh, très très mal.
- Bon, je suis désolé, mais quand ils sont mourants, il faut des soins intensifs pour les sauver, et encore. Il n'y avait rien à faire pour lui. L'important c'est de sauver les autres, et ce médicament fera ça très bien."

Son regard se durci.

"La personne qui m'a servi hier n'était pas vétérinaire.
- Et bien, nos auxiliaires sont parfaitement à même de vous délivrer le médicament, et vous avez une ordonnance.
- Oui, elle l'a signé elle-même !
- Voyons ?"

Là, je suis un brin inquiet, même si le traitement était le bon, nos ASV n'ont pas à signer des ordonnances. Je jette un regard... blasé. C'est la signature de ma consœur.

"La personne qui vous a servi, c'est une jeune femme rousse aux cheveux bouclés ?
- Oui !"

Elle a bien perçu le ton inquiet de ma voix lorsque je lui ai demandé l'ordonnance, elle triomphe. Elle doit se dire qu'elle a pris une secrétaire en flagrant délit de je-ne-sais-quoi et que son lapin en est mort.

"C'est ma consœur. Elle est vétérinaire, et c'est le bon traitement. Simplement, le lapin mort cette nuit était trop atteint. D'ailleurs, il en a bu, du médicament ?
- Heu... peut-être pas, je ne suis pas sûre qu'il buvait encore.
- Et ça vous a surpris qu'il meurt, du coup ?
- Elle n'était pas vétérinaire !
- Mais enfin madame !
- Elle a regardé dans un livre avant de me délivrer ce médicament !"

Et oui. Les vrais vétérinaires ne regardent pas dans les livres, c'est évident. Un jour, un client m'avait d'ailleurs confié que son médecin était un incapable, car il regardait dans le Vidal avant de lui prescrire un traitement. Mais allez leur faire comprendre que la compétence s'est aussi savoir vérifier et revérifier au moindre doute, les posologies, les contre-indications, les âges minimums de traitement, etc.

D'ailleurs, quand j'ai dit à la dame que je passais mon temps à regarder dans des livres, elle ne m'a pas cru...

mardi 27 mai 2008

Gibolain pour les poux

- Docteur, est-ce que vous auriez un produit pour les poux des volailles ?
- Ah, je suis désolé, il n'y a plus aucun médicament pour ça !
- Oh ?
- Oui, nous utilisions une poudre à base de carbaryl, mais celle-ci a été interdite !
- Oh pourquoi ?
- Et bien, un certain nombre d'anciennes molécules, soient qu'elles soient considérées comme cancérigènes, ou toxiques, soit que la documentation du médicament est insuffisante, car incompatible avec les standards actuels, ont été supprimées. C'est bien dommage car, souvent, il n'y a rien pour les remplacer, et leur disparition n'est pas toujours justifiée... Le but est de se débarrasser de vieilles molécules polluantes, quitte à oublier les nuances.
- Ah, mais j'ai lu dans un forum sur internet une intervention au sujet d'un article dans un magazine concernant une publication sur un médicament homéopathique très efficace.
- Oh.
- Oui, mais je n'ai pas le nom du produit et l'article du magazine n'est plus accessible sur le net, du coup je ne sais pas où chercher.
- Ah.
- Ils disaient que le produit avaient été développé à partir de poux broyé et dilués...
- Oui, c'est une des théories de l'homéopathie...
- Et que ça marchait remarquablement bien, du coup, ils en ont mis sur des bovins, et ça marchait aussi !
- Ah.
- Et puis ils se sont dit que ça marcherait bien avec les puces des chiens, et ça a été un succès phénoménal !
- Hum.
- D'ailleurs ils ont fini par traiter les enfants d'une école à cause de leurs poux et ça a marché aussi.
- Heu... c'est pas que je sois contre l'homéopathie, madame, mais... vous ne trouvez pas ça louche, votre médicament miracle ?
- Heu...
- Enfin, si un truc pareil existait, tout le monde l'utiliserait, non ?
- Heu...
- Mouais.

mercredi 21 mai 2008

Une cliente un peu allunée...

Brune, un carré très stricte, un maquillage discret, elle a la trentaine bien entamée, et, au comptoir, elle se greffe dans la conversation...

- Cinq vêlages rien que pour lundi, ici, ça ne m'était jamais arrivé dans la même journée. Dans le charolais, je dis pas, mais ici ?
- Il y avait un mouvement de lune, non ?
- Heuuu...
- Si si les nuits sont plus claires !
- Mais c'était la semaine dernière...
- Oui mais il est bien connu qu'il y a plus d'accouchements autour d'un mouvement de lune, deux nuits avant, deux nuits après, et pendant, bien entendu.
- Mais...
- Si si il y a des études très sérieuses là-dessus !
- Oui mais, par mouvement de lune, vous voulez dire pour la nouvelle et la pleine lune ?
- Oh, non docteur, pas seulement, à chaque nouvelle phase.
- Mais...
- Si si, de la nouvelle lune au premier croissant, puis au premier quartier, puis à la gibbeuse.
- Ah ben vous êtes au point sur les phases de la lune dites donc !
- Docteur, c'est très important les phases de la lune. L'astre a une influence importante dans les cycles biologiques. En jardinage, par exemple !
- Oui mais...
- Vous n'avez pas remarqué que vous aviez plus de vêlages à chaque mouvement ?
- J'ai surtout remarqué que l'on me faisait remarquer quand un vêlage avait lieu à la pleine lune, alors que l'on ne me dit rien du tout lors d'une autre phase...
- Moi je trouve ça passionnant !
- Oui, mais un mouvement de lune, ça a lieu tous les trois jours, c'est ça ?
- Toutes les trois nuits, docteur !
- Oui, évidemment...

Elle, elle m'a convaincu, bien plus que toutes ces études et toutes ces thèses qui concluent à l'absence ou la présence d'effet de la pleine/nouvelle lune sur l'incidence des mises-bas...

Deux jours avant et après chaque phase de la lune, chacune étant séparée de trois nuits, c'est flagrant. Je l'ai constaté aussi, tous les vêlages se concentrent là !

dimanche 4 mai 2008

L'origine

Lorsque l'homme est entré avec sa chienne dans les bras, à moitié comateuse, nous l'avons immédiatement aiguillé vers la première salle de consultation.
Alors que la conversation s'engageait sur la nature du problème, la perfusion était déjà posée, et les premiers soins de réanimation, administrés.

"Docteur, c'est ma meilleure chienne, le flair le plus aiguisé de la région et un instinct sans pareil à la chasse..."
Sur la même veine, l'homme nous explique à quel point sa chienne est extraordinaire, et en plus gentille, docile, tout ça.

Malheureusement, elle a 10 ans. C'est vieux pour un chien de chasse. Pire encore, elle n'a jamais eue de portée. A chaque fois, les petits naissaient morts. Cette fois-ci, il a choisi le meilleur étalon, et fait la dernière tentative : 10 ans, pour mettre bas, c'est vraiment tard...

"Il faut sauver l'origine ! je sais qu'elle fait de l'urée, je sais qu'elle ne pourra plus chasser, mais ce sang ne peut pas s'éteindre comme ça !"

Bon.

D'après la date de saillie, la chienne est largement à terme. Vérification rapide à l'échographie : le chiot est en vie. La chienne, ce n'est pas évident. Les analyses confirment qu'elle développe une complication métabolique grave, et que la mise-bas doit être très rapide.
La césarienne est programmée pour l'après-midi, le temps de retaper la future mère.

A 11h30, la chienne est dans le coma, nous déclenchons la césarienne en urgence. Sans anesthésie : de toute façon, elle n'est plus là.
Réanimation, assistance respiratoire, le chiot naît vivant, il est énorme, il est seul, voilà pourquoi il ne sortait pas. Un mâle.
Nos efforts sont payants et la chirurgie peut se terminer normalement (sous anesthésie...) : même la mère est sauvée, du moins pour le moment.

L'homme pleure de joie.

La mère met presque 24h à se réveiller complètement, mais les complications métaboliques s'estompent et la lactation commence sans problème. Le chiot est vigoureux.

Deux jours plus tard, l'état de le chienne semble se dégrader. Malgré les antibiotiques, une métrite (infection de l'utérus) associée à une mammite (infection de la mamelle) se développe. Ce genre de complication infectieuse est grave, et méritera qu'on y revienne une autre fois. Changements d'antibiotiques, perfusion, alimentation de force, la chienne mettra, malgré tous nos efforts, deux jours à mourir.

Depuis le début du processus infectieux, de toute façon, elle n'a plus de lait. Nous nous relayons donc au biberon, 8-10 fois par jour, voire plus. L'ASV au comptoir, en répondant au téléphone, un véto en passant dans la salle d'hospitalisation, entre deux consultations, le tableau blanc se remplis de petites croix noires, pour autant de tétées. Mon confrère finit par emmener le chiot chez lui, ce sont ses enfants qui le nourrissent quand ils reviennent de l'école.

Il est arrivé à la maison en déclarant : "il faut sauver l'origine". Alors, devant la télé, pendant le goûter, le soir, la nuit, quand le petit dernier faisait un cauchemar : ils ont sauvé l'origine. Lui, sa femme, ses deux enfants les plus âgés.
Avec tous ces efforts, sa courbe de croissance est enfin devenue normale.

Le coup de téléphone est passé une semaine exactement après l'admission de la chienne : "monsieur, nous avons sauvé le chiot, il peut rentrer à la maison, mais il va demander beaucoup, beaucoup de soins".

Le visage de l'homme lorsque mon confrère lui a tendu le chiot valait tout l'or du monde. Surtout quand il lui a dit : "mes enfants lui ont donné un nom, à moins que ce soit moi, je ne sais pas trop."
Regard interrogateur du vieux monsieur.
"Il s'appelle l'Origine. Et nous l'avons sauvé."

Aujourd'hui, l'Origine est un magnifique chien de chasse.

Par contre, les qualités de sa mère et de son père ont du se perdre en route, mais ce n'est pas bien grave. Le vieux monsieur se dit que parfois, les qualité sautent une génération, et avec un étalon et tous les chiots qu'il va pouvoir engendrer, il y en aura bien un bon.

Une femelle, par exemple.

lundi 14 avril 2008

Check-up de la stagiaire

La semaine dernière, il y avait un peu d'animation : une jeune stagiaire, plutôt sympathique, moins timide que la moyenne (elle parvient à articuler bonjour et à sourire, je leur fais peur d'habitude).
Elève en 4ème, le stage classique de découverte pendant une semaine. Fille d'éleveur, donc habituée aux vaches et plutôt dégourdie, ce sont celles que je préfère.

Dans la voiture, entre deux visites :

"Et donc, pourquoi avoir choisi le stage chez nous ? Tu veux faire véto ?
- Heu, je sais pas, je crois pas j'ai pas d'assez bonnes notes, mais j'avais envie de voir, c'est intéressant."

OK, déjà, c'est pas mal. La dernière, elle m'avait répondu que la coiffeuse avait déjà deux stagiaires et que le boulanger en avait une aussi. Super.

Evidemment, c'est encore une fille. Je crois que je n'ai jamais eu de stagiaire mâle. Je ne sais pas où ils vont, eux...

Comme d'habitude, il va falloir faire gaffe aux éleveurs pas malins, quoique elle doit avoir l'habitude avec les amis de son père. On va encore avoir droit à des grands moments d'humour fin et poétique s'il y a un vêlage ou un taureau avec des problèmes de reproduction. Ou en prophylaxie, quand on fait les prises de sang sous la queue des vaches, une réflexion du genre "ah la la moi pas besoin de me la lever pour qu'elle tienne."
Genre...

Mais pour les stagiaires, le plus important, c'est le check-up :

"OK, tu as ton attestation d'assurance ?
- Oui.
- Tes bottes ?
- Oui.
- Une blouse ou une combinaison pour les vaches ?
Elle me montre un sac.
- Tu as peur du sang ?
- Heu non.
Elle sourit.
- Tu as mangé ce matin ?"
Là, elle est un peu interloquée, mais elle hoche la tête : oui.

Parfait.

Sauf si...

Salle de chirurgie.
La chatte est attachée sur le dos, elle dort depuis peu, l'incision abdominale fait au moins... trois centimètres. Je vois que l'ovariectomie se mue en ovario-hystérectomie, ce qui n'est pas une mauvaise idée vu l'apparence de l'utérus. Pas une goutte de sang, tout se passe bien. Juste à côté de moi, il y a Adeline, la stagiaire. Il fait bon. Ni trop chaud, ni trop froid , et tout est très calme. C'est reposant.
Et puis tout d'un coup la lampe scialytique s'éloigne de moi, tandis qu'Adeline s'effondre littéralement et s'évanouit comme dans les films. Tout en douceur, au ralenti, c'est presque irréel ! Olivier se penche au-dessus de la chatte pour voir tandis que j'écarte la lampe et redresse un peu la tête de notre stagiaire. Elle est tombée doucement, elle n'a pas du se faire mal, d'autant qu'elle n'est pas très grande et que le sol n'est pas dur.
Il lui faut bien 30 secondes pour reprendre ses esprits et accepter le verre d'eau que notre ASV lui tend.
Je lui propose de venir avec moi en visite en rurale, histoire de prendre l'air.
Elle hoche la tête, un peu engourdie.

Bon, il faut que je retienne ça : la vérification du petit-déjeuner n'est pas suffisante.
Il faudra faire plus attention à la lampe la prochaine fois, elle aurait pu se faire mal sur son pied.

On va finir par être au point avec les stagiaires qui tombent dans les pommes !

Et pendant ce temps, Olivier se marre en douce. Adeline semble flotter dans du coton. On va attendre un peu pour partir en visite, hein ?

mercredi 2 avril 2008

Chien volé ?

Mme Louge entre dans la salle d'attente de la clinique. C'est une dame assez âgée, que je connais bien car son mari avait des vaches, autrefois. Elle habite dans un petit village voisin. Comme d'habitude, elle se promène avec son parapluie, qui lui sert de canne sans montrer son infirmité, et son cabas, qui déborde manifestement de légumes. Jour de marché...
Elle s'attarde quelques instants sur les annonces de chiens perdus ou trouvés, sur le panneau d'affichage, puis elle se tourne vers Francesca et moi, derrière le comptoir.

"Bonjour docteur. Je viens vous voir parce qu'on a volé mon chien, alors j'en cherche un autre. Je vais aller porter plainte à la gendarmerie.
- Oh."

Regards de circonstance, c'est à dire consternés.

"C'est arrivé quand ?
- Il y a deux jours. Elle est trop gentille cette chienne, elle saute sur tout le monde pour faire la fête, c'est trop facile de me la voler.
- Ah.
- Du coup, je cherche un nouveau chien, pas trop gentil, je voudrais pas qu'on me le pique, et puis il faudrait qu'il monte la garde. Pas comme elle. La preuve, elle a été volée !
- Elle a disparu de chez vous, votre chienne ?
- Oui oui, elle était là samedi soir, et plus personne dimanche matin...
- Si ça fait si peu de temps, elle s'est peut être enfuie ? propose notre ASV.
- Non non, elle ne s'est jamais éloignée de la maison."

La vieille dame secoue vigoureusement son parapluie. Manifestement, elle doit penser que nous n'y comprenons rien.
Je me dis qu'ils ont bon dos, les voleurs...

"Vous savez si des gens donnent des chiens ?
- Heuu, attendez un instant. Elle a quel âge votre chienne ?
- Un an, je crois."

Francesca et moi échangeons un regard de connivence. Mme Louge ne remarque rien.

"Et elle été tatouée ou pucée ?
- Ah non, elle était trop jeune pour ça !
- Heuuu... un an, ce n'est pas trop jeune, on peut identifier des chiots nouveaux-nés vous savez."

La vieille dame nous regarde d'un air méfiant.

"Et elle ressemble à quoi ?
- C'est une bâtarde de cocker et d'épagneul ! Poil roux, pas très grande. - Bon. Je crois avoir ici une chienne qui pourrait vous convenir."

J'invite Mme Louge à me suivre vers notre chenil. Elle s'exécute en claudiquant.
J'ouvre la porte de la courette.
La chienne "hospitalisée" depuis deux jours me saute dessus pour me faire la fête.

"Comme celle-ci vous voulez dire ?
- Ah ben oui. Vous voyez, elle saute sur tout le monde !"

Effectivement. On me l'a amenée il y a deux jours, trouvée sous la pluie dans la cour d'une maison avec le chien de la famille, très occupés à perpétuer l'espèce canine.

"Bon, ben voilà, au moins on a retrouvé le propriétaire, nous commencions à nous poser des questions. Par contre, elle est en chaleur - c'est pour ça qu'elle a fugué - et elle a été prise.
- Mais je ne veux pas de chiots moi !
- Si vous le souhaitez, nous pouvons la stériliser à la fin de ses chaleurs, et l'identifier aussi.
- On peut mettre la puce tout de suite ?
- Ca, oui, bien entendu.
- Et comment elle est arrivée chez vous ?
- Une personne qui habite à un kilomètre de votre domicile me l'a amenée dimanche. Elle était avec son chien. Nous avons un accord avec la mairie, nous leur servons de fourrière temporaire. Du coup, il va vous falloir régler la pension.
- Ah, oui, bon... Mais elle ne va pas monter la garde pour autant, elle continue à sauter sur tout le monde, mon mari adore ça, mais moi je trouve que c'est idiot, elle ne monte pas la garde, elle est trop gentille !
- Ehhh... oui, ça, elle est gentille, c'est sûre."

La dame repart dix minutes plus tard avec sa chienne et son certificat d'identification temporaire. Elle ne semble pas trop savoir si elle est contente ou contrariée...

Elle s'appelle Gentille.
Pas assez méchante, hein ?

jeudi 20 mars 2008

Française des jeux

Encore une brève de garde... apparemment c'est la saison !

Minuit pile. Les enceintes de mon radio réveil crépite de ce son atroce qui précède la sonnerie de mon téléphone portable.

"Service de garde, bonjour ?"
Un brouhaha semblable à celui d'un bar, une voix assez jeune, manifestement stressée. Ca, ça ne va pas être un vêlage.
"Oui bonjour, j'ai un problème avec l'envoi des tickets par le terminal.
- Pardon ?
- Oui, ça ne passe pas.
- Heuuuu.
- C'est bien la Française des Jeux ?
- Ah non.
- Mais vous avez dit service de garde !
- Oui, d'un cabinet vétérinaire...
- Ooohh pardon.
Là j'ai explosé de rire. Le gars, désolé, s'est confondu en excuses.

Je me suis bien marré pendant 5 minutes avant de me rendormir...

lundi 17 mars 2008

Effets collatéraux des élections

6h59. Mon réveil téléphone sonne. Je tends la main, grommelle un truc inintelligible, genre : "Service de garde, bonjour".
Une voix, pas claire, une personne assez âgée sans doute, que je n'arrive pas à identifier, même si je le connais : "Bonjour, je voulais savoir le résultat des élections".
Je réponds à peine... "vous êtes chez le vétérinaire, là, c'est une urgence ?
- Oh, pardon, je pensais que c'était le dentiste !"
Mon interlocutrice raccroche. Mon lit est vraiment chaud et douillet. N'importe quoi...

Après vérification, le dentiste était sur une liste électorale... Il a été élu, d'ailleurs.

PS : Je me dis, encore une fois, qu'il faut que je change la mélodie de mon téléphone, je commence à la détester, il faudrait que je trouve autre chose, de préférence une musique que je n'aime de toute façon pas. J'ai l'impression de me répéter, non ?

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