Machistadorette ?

"Alors, celle-là, elle est vide. On a fait venir quatre fois l'inséminateur !
- Ah, oui, effectivement, vu son âge, mieux vaut la réformer...
- Mais le pire, c'est que le dernier à être venu l'inséminer, ben c'était une jeune fille !"

Elle : mamie dynamique, 65 ans, la gestuelle expressive et les cheveux gris au vent, avec ses bottes, son jean et son pull vert.
Moi : la blouse cachou virant au bouseux, les bottes dans le fumier, un gant de fouille à la main.

"Ah, mais je me suis dit : tu es vraiment une vieille peau, ma fille, mais j'ai pas pu m'empêcher de le penser, que c'était pas un boulot pour les femmes !
Mais elle m'a dit : cette vache, elle n'aurait pas eu un gros souci au dernier vélâge ?
Alors j'en suis restée baba. Ben oui, qu'j'ai dit, un gros veau et le vétérinaire il y a passé du temps !
- Oui, il vous a aussi dit de la réformer à cause des risques de séquelles..."

Là, je ne pouvais pas laisser passer...

"Tout à fait, mais comment elle le savait elle ?"

J'attends, sans rien dire. Je l'aime bien, quand elle fait la conversation toute seule.

"Et ben elle m'a dit : cette vache, elle s'urine dans le vagin et l'utérus, elle ne prendra jamais, il y a des lésions de l'appareil génital, il faut la réformer.
- Ah oui, là, elle a raison. J'aurais préféré avoir tort.
- Ben oui, mais pourquoi les deux autres hurluberlus ils n'ont rien dit quand ils l'ont inséminée ?"

Je lâche un grognement indistinct en enfonçant mon bras dans le rectum d'une vache, elle l'interprétera comme elle voudra.

"Parce que elle, c'est une fille, mais elle l'a sentie, la séquelle, et elle a dit que c'était pas la peine d'inséminer, alors que les deux autres couillons, rien du tout."

Ses deux bras balaient l'espace devant elle dans un mouvement définitif. Je ne peux m'empêcher de déguster le terme "couillon".

"Et moi, vieille peau, qui ai des réflexes de mamie réac' ! Ah je m'en veux, hein, et je sens bien que je le pense encore ! Que je suis con, parce qu'elle a bien fait son boulot, elle."

Vous l'avez senti, l'appui sur le "elle" ?
Je sais pas vous, mais je trouve que dans l'ensemble, les femmes sont plus machistes que les hommes avec celles qui font "des métiers d'homme". Celle-ci a au moins assez de recul pour s'en rendre compte. Ma stagiaire est restée coite pendant toute la diatribe, d'ailleurs.
Ou alors, c'est tout l'inverse. Je me rappelle d'une campagne "profonde" où une femme avait couverte une piqueuse de biscuits et de chocolats pour avoir montré à son homme qu'une vétérinaire pouvait très bien réaliser la prophylaxie. C'était touchant !

Par contre, je ne peux pas m'empêcher de me dire que si un des couillons avait avait été à la place de cette inséminatrice, même le troisième à passer, ça aurait juste été "normal". Alors que comme c'était une femme, elle en parlera à tout le canton. Tant mieux, ça facilitera la vie professionnelle de cette jeune fille...

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