jeudi 2 janvier 2020

La poule

Silencieuse, elle m’attendait à côté de la porte de l’étable. La soixantaine indéfinissable, avec ses boucles grises, son tablier en imprimé bleu à fleurs délavées et son nez perpétuellement froncé. Je m’étais toujours demandé la signification de cette mimique, ce sourire, ce froncement, ces yeux serrés. Était-ce sa façon de regarder au-dessus de lunettes inadaptées ?
Son mari se dandinait d’un pied sur l’autre. Sec, brun, silencieux. Le regard baissé. Il était de ces gens qui ne demandent jamais rien et sont gênés lorsque quelqu’un fait quelque chose pour eux, fusse-t-il le vétérinaire appelé par leur fils pour une vache ayant avorté.
J’étais sorti de l’étable, un sourire sur les lèvres. Je savourais le bâtiment ancien, la voûte de pierres, l’extracteur, les trois veaux gourmands dans leur parc de palettes et de bottes de paille, les volailles qui grattaient la terre battue, cette ferme et ces habitants d’une époque révolue.
Dans ses bras, elle tenait une poule. Je l’avais ignorée lors de mon premier aller-retour entre le coffre de ma voiture et la vieille étable, lorsque j’étais allé chercher un antibiotique. Cette fois, en ressortant, je lui avais demandé : « Alors, cette poule, que lui arrive-t-il ? »
Elle la gardait contre elle comme on porte un chat ou un bébé. Ils vendaient des œufs, du lait et des légumes sur le marché : je savais bien que chez eux, les poules avaient gardé leur place de pondeuses. Pas le genre de bête qu’on soignait, encore moins pour lesquelles on embêtait le vétérinaire.
« Elle maigrit, elle n’a qu’un an mais je vois bien qu’elle va mourir un jour ou l’autre. Pourtant elle mange, elle se promène, elle gratte. Et puis il y en a aussi des belles qui meurent. Je les trouve mortes, comme ça. »
Un patient est un patient. J’avais demandé si elles étaient vermifugées. Elle avait répondu par la négative. J’avais demandé si elles pondaient bien, vers quel âge elles mouraient, et je me demandais déjà si les « maigres » et les « belles » mouraient vraiment pour les mêmes raisons. Elle, avec sa crête trop palote, complètement flapie, son bréchet saillant et, malgré tout, ses mouvements vifs et précis, ne m’inspirait pas grand-chose. De plus, je n’avais pas le temps. En ce lendemain de jour férié, les consultations m’attendaient à la clinique où le planning dégueulait déjà une atroce litanie de sang et de larmes mêlées.
Cette visite devait être ma bouffée d’oxygène.
« Je vous l’emmène, je l’autopsierai tout à l’heure. A mon avis il y a des parasites, mais il doit y avoir autre chose, ce n’est pas logique. »
Nous l’avions glissé dans une boîte à chat, et j’étais reparti avec la poule sur mon siège passager.

La journée n’avait pas failli à ses promesses. J’écoutais mes collègues rire, souvent trop fort, dans cette course insensée. On souhaitait une bonne année, même si on avait envie d’aller s’enterrer. The show must go on. Aujourd’hui, nous n’avions pas le temps de pleurer nos morts. Même si chacun d’entre nous avait pris le temps qu’il fallait avec ceux qui partaient, dans l’intimité de ces salles de consultations où s’éteignent les cœurs, même si chacun d’entre nous avait écouté, avait accompagné, en essayant de ne rien laisser paraître, parce qu’il faut se blinder. Parce qu’aujourd’hui, nous étions trop peu nombreux pour nous autoriser à craquer. Même si lorsque nous fermions les yeux, nous voyions le sang, nous voyions les larmes. Et moi j’arpentais la clinique, inlassablement, de la salle de consultation à celle d’échographie, du chat accidenté au gros toutou à vacciner, de l’accueil au chenil, de la chatterie au laboratoire. Examiner, écouter, réfléchir, conseiller. Soigner.

Ou euthanasier.

J’arpentais et à chaque fois que je passais dans le couloir, j’entendais la poule caqueter. Je savais que je l’avais emmenée pour l’autopsier, pour poser le diagnostic qui soignerait le reste de la basse-cour, et je me demandais à quoi cela rimait. Alors, à 19h, alors que les choses s’étaient enfin calmées, j’avais ouvert son panier, j’avais ramassé une fiente. Elle m’avait regardé, maigre à faire peur peut-être, mais fière comme seule peut l’être une poule sur son tas de fumier. Et j’avais mis sa fiente à décanter. J’avais trouvé les œufs des parasites, bien trop nombreux. Je ne voyais cependant pas trop en quoi cela pouvait tuer celles qui n’avaient pas maigri, mais je ne voyais pas non plus quel serait l’intérêt, ce soir, de tuer celle-là et de l’autopsier.

Alors j’avais appelé le fils, et j’étais repassé à la ferme avec un vermifuge et la poule dans son panier. Il avait sobrement commenté, avec un sourire sincère : « alors, elle n’y est pas passée ».

Non, elle n’y est pas passée, nous allons commencer par la vermifuger, et, sans doute, elle ne sera pas sauvée, parce qu’il est probablement trop tard pour elle. Mais lorsque l’une des « belles » mourra, il sera toujours temps de l’autopsier. Quant à celle-là, qu’elle retourne fièrement trôner sur son tas de fumier.

vendredi 15 novembre 2019

Lettre pour monsieur Ourbise

Cette lettre a été écrite et envoyée une dizaine de jours environ après l’euthanasie d’Ozone.

Chers madame et monsieur Ourbise,
Voici une petite lettre qui vous surprendra peut-être, mais j’avais envie de vous écrire, n’ayant pas eu la possibilité de vous parler vraiment lorsque nous nous sommes croisés à l’accueil, à la clinique.
Je tenais tout d’abord à vous dire à quel point je suis désolé par la mort d’Ozone. J’ai espéré pouvoir le sauver, me raccrochant aux éléments les meilleurs dans ses analyses, à cet espoir qu’ils offraient, sans insister assez sur les risques qu’il courait malgré tout. J’ai espéré que sa néphrite pourrait être contrôlée par les antibiotiques, que ses reins auraient assez de réserve pour repartir.
J’avais tort.
Je suis navré pour Ozone, et pour le faux espoir que cela vous a donné, surtout avec ce petit mieux qu’il a montré pendant les 24 premières heures, quand la perfusion l’a aidé.
Je suis navré aussi que vous ayez eu l’impression que ma collègue, la Dr Lucie Hers, se soit occupée de votre compagnon « à la va-vite ». J’avais passé la soirée de la mort d’Ozone avec elle et notre consœur Aurélie Tolzac pour chercher des solutions. Elle était désolée d’avoir pu donner ce sentiment. Je sais son implication et l’attention qu’elle consacre aux animaux que nous soignons, y compris et surtout dans ces moments difficiles.
Je suis complètement à votre disposition si vous souhaitez reparler de tout cela.
Très sincèrement,
Dr Sylvain Balteau

Les euthanasie sont des moments très compliqués, et la colère de M. Ourbise qui a appelé quelques jours après la mort d’Ozone pour dire que son euthanasie avait été bâclée, alors qu’elle s’était déroulée dans des conditions idéales, pouvait sans difficulté être expliquée par la violence de cette perte. J'avais débuté la prise en charge d'Ozone mais je ne pouvais être là lorsque la décision d'euthanasie a été prise (ce que je n'avais pas précisé à M. Ourbise, si ma mémoire est bonne, décuplant probablement son désarroi). Ma collègue Lucie avait été blessée par ses mots, d’autant qu’elle avait fait très attention à ce que tout se passe « pour le mieux ».
M. Ourbise a rappelé un mois environ après avoir reçu cette lettre pour présenter ses excuses à ma consœur, expliquant à quel point la mort de son chien avait été difficile, à quel point il avait voulu croire à ses chances, et à quel point il lui manquait.

lettre-1.jpg

mardi 29 octobre 2019

Deuxième avis

Je n’ai pas confiance. Et s’il se trompait ? Il y a peut-être une autre solution ? Je voudrais qu’il soit soigné autrement. J’ai confiance, mais je ne peux pas croire qu’on ne puisse pas faire plus ! Une autre chance ? Il m’a prise pour une conne ! Il est trop vieux. Il est trop jeune ! Elle est trop féminine !

Qui a raison ? Qui a tort ? Le premier qui a parlé ? Ou plutôt le dernier ? On prend un troisième avis pour trancher ?

Demander un second avis est une démarche normale. Naturelle. Pas pour tout et tout le temps, mais il y a bien des situations qui méritent, sans doute, un autre regard. Que la seconde réponse soit la même, ou pas. C’est un sujet, oh, pas tabou, mais gênant. Aussi bien chez les vétos que chez leurs clients. J’ai régulièrement en consultation des chiens, des chats, parfois des chevaux, qui ont déjà vu un confrère ou une consœur pour un même problème. Et il est évident que certains de mes clients sont allés chercher un autre diagnostic, une autre prise en charge. C’est naturel… mais personne n’aime en parler.

Lire la suite...

jeudi 29 août 2019

Un jour de repos

J’ai mal au crâne. Un genre de coton autour des yeux. Probablement une petite insolation. Allongé dans mon lit, j’erre sur les réseaux sociaux. Nous sommes samedi, il est 22h, mon astreinte a démarré depuis 3 heures, à la fermeture de la clinique. Jusque là, tout va bien. A peine deux appels, gérés sans difficulté au téléphone. Aujourd’hui, je ne travaillais pas. Pas vraiment. J’étais d’astreinte la nuit précédente, comme les trois d’avant et les douze prochaines (les vacances des autres, c’est atroce). Hier, il y a bien eu cet appel lunaire vers 23h, d’un homme qui avait trouvé un chat « avec de drôles de convulsions, et qui hurle bizarrement, au milieu de la rue, mais ce n’est pas le mien, non, je ne peux pas vous l’amener il a l’air agressif, vous pourriez venir ? Nous sommes dans la rue qui monte ? »
Je m’étais donc lancé dans cette improbable expédition, armé d’une boîte à chats, d’une serviette éponge et d’une paire de gants en cuir. J’avais descendu à pied la rue qui monte, il y avait 4 ou 5 personnes qui riaient et discutaient fort dans la lumière des phares. Leur voiture barrait le bas de la rue. Un peu plus haut, dans le caniveau, il y avait le chat. Manifestement accidenté, du sang autour de lui, conscient, très algique, très stressé, peu agressif mais dangereux par peur, je lui avais posé la cage devant le nez, il s’était jeté dedans, couvert de merde et de sang, en me crachant dessus. Pour attraper un chat terrorisé, incapable de s’enfuir, l’astuce, c’est de lui offrir un refuge. J’avais fait forte impression sur ces voisins qui m’avaient appelé, en tout cas. Ils avaient bien une idée du propriétaire, mais il n’était pas là. On verrait le lendemain.
J’avais pris congé rapidement, j’étais rentré à la clinique, j’avais ouvert la boîte à chat dans une de nos cages. Le chat était tellement stressé que je pouvais le manipuler. Pas anesthésiable, mais de toute façon, il n’était pas temps de pousser le diagnostic. D’abord, gérer la douleur. J’avais réussi à placer toutes mes injections, il était tellement mort de trouille qu’il ne pensait pas à mes aiguilles lorsque je lui cachais la tête sous la serviette. J’avais tout noté sur une feuille scotchée à l’écran de l’ordinateur de l’accueil (fiche informatique 2019, modèle minuit). On verrait le lendemain.
Aujourd’hui, quoi.
Aujourd’hui, je ne travaillais pas. Enfin, juste en seconde ligne. Ma collègue gérait la clinique, en tout cas la canine, j’interviendrais seulement en cas d’urgence ou de visite sur des bovins ou équins. En cette saison, peu de risque. Certes, il y avait la chasse, mais j’espérais que la chaleur prévue la ferait cesser rapidement.
A 9h30, je restais seul à la maison avec mes enfants. A 9h45, je leur suggérais de s’habiller, au cas où on m’appellerait : il faudrait partir vite. A 10h, le téléphone sonnait : 5 chiens de chasse, et le planning standard déjà saturé. C’était pour moi !
J’arrivai en même temps que les chiens de chasse à la clinique. J’y abandonnai mes filles à leur sort, laissant un message à ma moitié pour qu’elle sache où les retrouver. Les adultes seraient trop occupés pour regarder : je ne savais quelles aventures elles sauraient inventer.
Le premier chien de chasse avait une plaie à la tête qui saignait beaucoup, et comme il s’était joyeusement ébroué en montant sur la table, il nous avait constellé de taches rouges, tout comme le sol, les murs et les meubles. Je n’ai pas vérifié le plafond. Il s’était ensuite débattu en entendant le bruit de la tondeuse, en rajoutant donc une couche, j’avais fini par abandonner et poser le cathéter au milieu des poils. Il fallu l’anesthésier pour que cesse la constellation hémorragique. Ma blouse et mon visage étaient couverts de taches de sang. Le chasseur aussi. Plusieurs fois au cours de la première heure de suture, j’ai vu mes princesses passer la tête par l’une des portes de la salle de chirurgie. Je les ai invitées à rester pour regarder si elles le souhaitaient, elles sont reparties sans mot dire. Il y a quelques années, l’aînée assistait à ces séances de couture, de pneumothorax, de ventres ouverts et de membres démontés dans les bras des chasseurs. Elle avait six mois. Aujourd’hui, elle ne reste pas. Mais je sais que tout à l’heure, elle me demandera : « est-ce que tu les as sauvés, ceux-là ? ».
Aujourd’hui, oui, je les ai sauvés. J’achevai le dernier point à midi, une bricole sous anesthésie locale. Les autres chiens s’étaient bien réveillés, tout le monde pouvait rentrer. Du spectaculaire, mais rien de grave. Par contre, mon assistante m’avait ajouté deux visites : deux vaches à voir chez une éleveuse, et un chien en fin de vie, pour une euthanasie à domicile. Pour 14h. Je lui demandai de les appeler, je préférai y aller maintenant. Comme ça, je serais tranquille pour gérer les prochaines urgences cet après-midi. Ou rester paisiblement chez moi.
A 12h15, je garais ma voiture chez Mme Estours, l’éleveuse. 32°C sur le thermomètre de la voiture, les chiens de chasses étaient forcément tous rentrés, je n’en aurai pas d’autre à réparer.
Je commençai par voir une vache qui se remettait mal d’une mammite. Transit en berne, rumination presque au point mort, rumen impacté. Une pompe à bras, un long tuyau, et j’envoyai 20 litres de flotte additionnée de sels et de 2 litres d’huile de paraffine dans sa panse, histoire de déboucher la plomberie. Tant qu’à y être, elle me montra une autre vache, une boiterie récente, elle espérait un panaris ou une autre bricole. Je pensai plutôt à une lésion haute. Un bras dans son rectum, je lui demandai de la faire marcher. Les craquements ressentis à l’intérieur de son bassin me confirmèrent mon hypothèse : fracture du pelvis. Du repos, un sol stable, pas d’autres vaches, et elle s’en remettrait sans doute assez bien. Juste assez pour être dans les dernières à partir, car au fil de la visite, l’éleveuse me confirma ce qu’elle annonçait depuis longtemps : sa cessation d’activité prochaine. Ses fils ne reprendraient pas de bétail. Une ferme de moins. Une de plus. Cela fait des années qu’à chaque visite, elle m’explique la dernière crasse administrative inventée. Les conditionnalités des primes, les documents, les délais, les petites lignes. Le prix du lait. « A 67 ans, vous croyez vraiment que je suis capable de les gérer, leurs entourloupes ? S’ils veulent nous faire crever, qu’ils nous le disent au lieu de faire semblant ! »
Mes nuits vont continuer à s’apaiser, mais me restera-t-il encore longtemps des vêlages à raconter ?
A 13h15, j’étais assis à une table de jardin sous un saule pleureur. Je caressais une vieille saucisse qui ne savait pas trop si elle devait m’aboyer dessus, m’ignorer, vivre, mourir ou aller manger. La vieillerie incarnée, avec un cancer inopérable. Ce matin, elle avait fait une longue et épuisante crise de toux, ils s’étaient décidé : c’était terminé. Son indignation en constatant que j’osais débarquer chez elle au lieu de rester enfermé dans la clinique où ses maîtres s’obstinaient à l’amener régulièrement les avaient fait douter.
J’avais écouté l’avis de chacun : les grands-parents, les enfants, les petits enfants. J’avais questionné, assis en rond sous le saule, au bord du canal du moulin, à une table de jardin autant de guingois que la vieille bicoque et leur chien. Nous avions conféré. La conclusion, finalement, serait que la mort pouvait bien attendre, ce que la vieille chienne avait confirmé en allant vider sa gamelle d’une démarche incertaine.
A 14h00, j’étais chez moi, j’avais mangé. On ne me rappelait pas. J’allais donc pouvoir me consacrer à massacrer des ronciers à la débroussailleuse pour excaver les clôtures qui se dissimulaient, je le savais, quelque part en dessous. Pour faire tomber les ronces qui partaient à l’assaut des noyers, accompagnées de lianes indéterminées. A 17h00, trempé de sueur, j’achevais le dernier roncier. Ma femme me tendit le téléphone et 1/2 litre d’eau : « un vêlage chez M. Garbet. »
Un vêlage chez M. Garbet, ce serait probablement une césarienne. L’ambiance serait différente de chez Mme Estours à midi. Ici : 200 vaches, autant de vêlages, de grands bâtiments, et des gens très déterminés. Je me garais devant l’une des trois stabulations, la plus petite, celle des « tantes », les vaches laitières utilisées pour faire téter les veaux de lait. Entre les barrières, une montbéliarde. Autour des barrières, le patriarche, sa belle-fille, sa petite-fille.
Je su que j’allais suer. J’enfilai ma combinaison en plastique, mes gants. Une exploration vaginale : une torsion utérine, col fermé, irréductible. Césarienne inévitable. Tous soupirèrent, puis le ballet commença : deux seaux, de la paille propre, la cordelette pour attacher la queue de la vache à son jarret, histoire d’éviter qu’elle colle son toupillon plein de merde dans la plaie chirurgicale, la corde entre les jarrets, pour limiter les coups de pied. J’injectai des tocolytiques pour faciliter la manipulation de l’utérus : première mauvaise surprise, la vache me bondit dans les bras. Une pince mouchette plus tard, je lui rasai le flanc, puis le désinfectai. Lorsque mon aiguille toucha sa peau pour l’anesthésie locale, elle rua à nouveau dans les brancards. Il allait falloir la sédater. Pour elle, et pour nous.
La césarienne à proprement parlé se déroula sans réelle difficulté. Anesthésier le cuir et le muscle, inciser, écouter mon téléphone sonner, repousser les intestins à leur place, réduire la torsion utérine, repousser les intestins à leur place, inciser l’utérus, écouter mon téléphone sonner, repousser les intestins à leur place, extraire le veau, le réanimer, sortir l’utérus du ventre, écouter mon téléphone sonner, recoudre l’utérus, le remettre à sa place, suturer le premier plan musculaire, écouter mon téléphone sonner, regarder la vache tomber au sol, l’insulter, écouter mon téléphone sonner, détacher les cordes, se dire qu’évidemment, il fallait que comme les tartines, elle tombe côté confiture (mais heureusement le plan musculaire profond était suturé…), puis l’aider à se relever, écouter mon téléphone sonner, nettoyer et désinfecter la plaie pleine de fumier, faire la deuxième suture musculaire, puis la cutanée, écouter mon téléphone sonner, injecter antibiotiques et anti-inflammatoires, vérifier le veau un peu sonné et puis, prendre congé. Après avoir enlever mon t-shirt totalement détrempé, façon sortie de machine à laver sans essorage.
Ah : et écouter les 5 messages sur mon répondeur. Passant de « AAAAAAH c’est affreux » à « AAAAAH mais pourquoi vous ne répondez pas ?» puis à « Bon ben je pars ailleurs ». Rappeler ceux dont je ne savais pas s’ils avaient trouvé un confrère ou une consœur, et puis, une fois avoir tout géré, rentrer à la maison.
Il était alors 19h et quelques, l’heure de terminer cette journée de repos et de débuter l’astreinte. Après avoir lancé une machine à laver.

Veau montbéliard

lundi 15 juillet 2019

Tu l'attendais

Chancelant et espérant, tu te tenais devant la porte de mon chenil. Avec ta tronche de griffon déshydraté, tes poils blancs et tes yeux enfoncés, tu guettais à travers cette vitre, sans trop savoir ce que tu observais. Tu savais juste que c’était par là qu’il s’en était allé.
Dans ta vieille caboche de chien obstiné, tu savais juste qu’il était parti, tu voulais juste le retrouver. Tu étais tombé de ta cage, pour t’évader, tu avais glissé, tu t’étais relevé. Je t’avais doucement accompagné.
Tu attendais.
Tu l’attendais.
Et moi je lui téléphonais, je lui disais, qu’il n’y avait plus rien, à espérer. Je lui disais que tu souffrais. Que tu mourais de faim, que tu mourais de soif. Que tu t’en allais.
Et toi, toi tu aurais bien voulu t’en aller, marcher, sans savoir où tes pas te conduiraient, mais tu étais resté ici, avec moi. Tu n’avais lancé qu’un regard indifférent à ma tondeuse, à mon garrot et à mes seringues. Tu ne me regardais pas, tu ne m’entendais pas.
Tu te tenais devant cette porte, tu attendais comme attendent tous les chiens, comme ils attendent toujours les humains. Tu espérais, inconditionnellement. Tu te rappelais les sangliers, les courses dans les bois, dans les prés. Les caresses, le canapé. Ta vie de chien, sa vie d’humain. Pour toi son salon, pour lui l’usine, pour vous, parfois, les évasions dans les champs et les bois. Dans les ronciers. Chasser. Combien de fois t’ai-je recousu ? Combien de nuit as-tu déjà passé ici, avec moi ? Déjà, déjà : tu l’attendais. Mais alors, alors : toujours, il revenait.
Il ne viendra pas.
Il pleure, je le sais, j’ai entendu sa voix se briser. Il pleurait comme pleurent ceux qui n’osent pas pleurer. Il savait que tes reins avaient lâché.
Alors je me tiens assis à côté de toi, devant cette porte, je t’ai regardé espérer, je t’ai contemplé, dans toute ta caninité, je t’ai contemplé devant ton reflet, et j’ai injecté. Quand tu as chancelé, je t’ai accompagné, je suis là pour toi, pour que tu tombes dans mes bras. Déjà, tu n’y voyais plus, qui sait ce que tu percevais ? Qui sait ce que tu perçois ? Je me rappellerai de toi, de tes courses dans les bois.

lundi 18 février 2019

L'effet placebo en médecine vétérinaire

Depuis quelques mois, la question du déremboursement de l’homéopathie par la sécurité sociale a amené de nombreux débats, témoignages, pétitions et tribunes pour ou contre les médecines dites « alternatives ». Régulièrement, l’argument de l’inexistence de l’effet placebo chez les animaux et la supposée efficacité de l’homéopathie vétérinaire sont mises en avant par les défenseurs de cette dernière.

Roselyne Bachelot, pharmacienne, ex-ministre de la santé, a par exemple récemment déclaré sur un plateau télévisé : « J’ai soigné mon chien à l’homéopathie. Alors là, l’effet placebo est assez limité  Peut-être qu’avec mes granules il se disait cette femme-là me veut du bien… Parce que ça marchait très très bien ! »[1]

Ce sujet déborde largement de la question des médecines dites « alternatives » : nous ne prêtons pas assez attention à la notion de placebo. Tout comme à celle d'imputabilité.
Est-ce que ce chien va mieux grâce à mon traitement ? Que signifie ce symptôme ou ce résultat d'analyse dans le cadre de sa maladie ? Est-ce vraiment parce qu'il est vieux qu'il a un coup de mou ?
Et puis : que suis-je en train de faire ? A quoi cela sert-il ? Est-ce aussi utile que je le crois ? Que je l'ai cru ?
Le placebo est une notion essentielle qu'aucun praticien ne devrait négliger, car elle est au cœur de l'évaluation de nos propres pratiques. Je pense qu'on ne peut pas être un bon soignant si on est pas capable de se remettre en question, de douter de ses propres convictions, de ce qu'on a appris. L'effet placebo, c'est l'une des raisons pour lesquelles on peut se planter en croyant bien faire. Et même en faisant les choses tout à fait bien, selon les données actuelles de la science etc.

L'effet placebo, de quoi s'agit-il ?

Il existe plusieurs définitions de l'effet placebo. Au plus simple ? L'amélioration des symptômes d'un patient associée à l'administration d'une substance inerte.[2]
J'aime mieux : l'amélioration des symptômes d'un patient attribuables à la rencontre thérapeutique, avec ses rituels, symboles et interactions.[3]

On oppose logiquement l'effet placebo à l'effet « réel » des traitements administrés au patient. Du point de vue de son efficacité, le minimum attendu d'un médicament est de faire mieux qu'une substance inerte administrée à un patient. C'est la base de la recherche pharmaceutique moderne : un nouveau traitement est administré à des patients, mais certains d'entre eux recevront un faux traitement ayant la même apparence, sans que le patient ni le praticien chargé du traitement ne sache ce qui est réellement administré (ce sont les fameuses études en double aveugle, et pour faire ça bien, on choisit qui reçoit quoi au hasard). On comparera l'évolution des symptômes des patients ayant reçu soit le placebo, soit le vrai traitement.
Mais la notion d'effet placebo dépasse de loin le cadre de la recherche, même si c'est là qu'elle a été découverte et définie, plutôt en tant qu'obstacle qu'autre chose d'ailleurs : l'effet placebo existe également dans le quotidien de tout thérapeute, où à mon avis, il doit être vu plutôt… comme un allié un peu capricieux.

Au sens le plus rigoureux du terme, y compris dans le cadre d'une prise en charge thérapeutique ou de la recherche, l'effet placebo n'est pas la seule « cause » de l'amélioration des symptômes des patients (toujours en excluant bien sûr l'effet réel des médicaments). Une maladie, nous le savons bien, peut guérir spontanément. Ses symptômes peuvent s'améliorer naturellement – ou s'aggraver – et cela n'a rien à voir avec la rencontre thérapeutique. On sait aussi qu'un patient impliqué dans un protocole de recherche sera probablement mieux suivi qu'avant, qu'il aura tendance à mieux suivre ses autres traitements, à faire plus attention à ses soins, amenant une amélioration de ses symptômes non liée à ses attentes ou à ses croyances : ce n'est pas de l'effet placebo (mais l'effet Hawthorne).[4]

Bien sûr, l'effet placebo ne concerne pas que les molécules inertes : il est déclenché également par les traitements réellement actifs, qu'ils soient chimiques (les médicaments) ou physiques (kinésithérapie par exemple). Un exemple : une étude sur la migraine intermittente a montré que lorsque les patients prenaient une molécule inerte étiquetée « rizatriptan », l'effet du traitement n'était pas très différent de celui de la vraie molécule étiquetée « placebo ». Par contre, l'effet analgésique du rizatriptan étiqueté « rizatriptan » leur était supérieur de 50 % ![5] On pourrait imaginer une « simple » additivité de l'effet réel et de l'effet placebo… mais les choses sont bien sûr plus compliquées.[6]

Sans rentrer dans l'étude du fonctionnement neurobiologique de l'effet placebo (les choses sont mal comprises même si on a montré la mise en œuvre de mécanismes connus impliquant des neurotransmetteurs, l'activation de certaines zones du cerveau)[7], on sait qu'il repose sur la rencontre thérapeutique, sur les attentes du patient, et sur ses croyances. Cette définition implique d'ailleurs que les mécanismes de l'effet placebo au sens large dépassent largement le cadre de la médecine.
Mais pour en rester au domaine qui nous concerne, l’effet placebo découlera par exemple de la confiance qu'un patient porte en son thérapeute. « C'est un bon médecin, il a guéri ma voisine qui avait une pneumonie ». « Il soigne ma famille depuis toujours. » « Il est vieux et expérimenté. » « Il ne reçoit pas les visiteurs médicaux, lui. »
Mais aussi des rituels autour de la consultation médicale. « Il prend toujours ma tension. » « Il m'a fait une piqûre. »
Mon premier employeur m'interdisait de faire une consultation sans injecter quoi que ce soit au patient, tout comme on m’a dit de toujours « mouiller » le poil de l’animal avec de l’alcool avant d’injecter. Les rituels... La façon d’interagir est importante aussi. « Il est franc, il me regarde dans les yeux, il me serre la main. »
Les symboles. « Il a sa plaque cuivrée devant sa porte. » « Sa salle d'attente est toujours pleine »
Tout cela n'est ni scientifique, ni rationnel. C'est peut-être aussi pour cela que l'effet placebo semble détesté par les chercheurs : cet irrationnel s’immisce dans les études les mieux calibrées, et doit être évalué avec la plus grande rigueur.

Peut-on conclure de tout cela que l’effet placebo ne peut pas exister chez l’animal ?

L'effet placebo sur le soignant (caregiver placebo effect)

Roselyne Bachelot oublie (outre la possibilité d'une guérison naturelle n'ayant rien à voir avec les granules) que les symptômes observés chez son chien sont, justement, observés. Par elle. Par ses proches peut-être. Ou par son vétérinaire.
Ces symptômes sont subjectifs (degré de douleur, intensité d'une boiterie, d'un prurit…) ou objectifs (température rectale, fréquence cardiaque, fréquence de crises d’épilepsie…). Dans les deux cas, des observations très similaires à l'effet placebo tel que décrit ci-dessus chez l'homme apparaissent dans les études pharmaceutiques vétérinaires. Alors, que se passe-t-il ?

On imagine bien qu'un chien ou une chèvre n'a pas de croyances ou d'attentes concernant ma compétence ou mes médicaments. Qu'ils ne sont pas sensibles à ma belle plaque cuivrée ou à mon stéthoscope, et que mon thermomètre les ennuie plus qu'il ne les rassure. Que pour eux, la rencontre thérapeutique n'apporte rien concernant leurs symptômes, même si certains sont ravis d'obtenir une friandise ou quelques caresses. Par contre, l'effet placebo sur le soignant – propriétaire ou vétérinaire – qui observe les symptômes de l'animal, cette altération de l’évaluation des symptômes de l’animal a, lui, été clairement démontré.

Prenons par exemple une étude de 2012, incluant les chiens du groupe placebo d'une vaste étude prospective sur sept sites, randomisée en double aveugle contre placebo, évaluant l'innocuité et l'efficacité d'un anti-inflammatoire dans le traitement de boiteries secondaires à l'arthrose. Les chiens ont été évalués grâce à des plate-formes de force pendant sept semaines, des outils capables de mesurer les différences d'appui du chien sur ses quatre membres (et donc d'objectiver la boiterie, à défaut de déterminer sa gravité). Les propriétaires des animaux avaient un questionnaire à remplir pour évaluer la boiterie, et des vétérinaires spécialistes en orthopédie (diplômés de l'American College of Veterinary Surgeons) étaient chargés de juger de plusieurs critères concernant la boiterie et la douleur manifestées par les chiens. Ces évaluations subjectives ont été comparées aux données objectives fournies par les plate-formes de force. Pour près de 60 % des chiens qui recevaient un placebo, leurs maîtres ont estimé que leur boiterie s'était améliorée alors que les plate-formes de force ne trouvaient aucune amélioration. Pour près de 40 % des chiens qui recevaient un placebo, les vétérinaires spécialistes, dont le diplôme est l'un des plus exigeants de la planète, ont estimé que la boiterie s'améliorait alors que les plate-formes de force ne détectaient aucune amélioration. Alors que 50 % des chiens, et leurs maîtres comme leurs vétérinaires le savaient, recevaient un placebo (rappelons que cette étude s'est nichée dans une étude plus vaste sur l'efficacité de cet AINS).[8]

Un autre exemple, dans un autre contexte : en s’intéressant aux données de 3 études comparant chacune une thérapeutique anti-épileptique avec des placebos, deux études ont trouvé une baisse de la fréquence des crises d’épilepsie de 27 et 48 % avec les traitements actifs, mais ces mêmes études trouvent une réduction de la fréquence des crises d’épilepsie de 26 à 46 % avec les placebos ! Tout ceci est donc non significatif...[9] Or les rares études publiées par ailleurs sur de nouveaux traitements (gabapentin, levetiracetam, zonisamide) n’ont pas été faites contre placebo et trouvent des amélioration de la fréquence des crises d’épilepsie de 41 à 80 %… Qu’en conclure ? Que penser de l’efficacité de ces nouveaux traitements ? A 80 %, on peut supposer qu’il se passe quelque chose, mais à 40 % ?

Cela pousse à l'humilité, non ? En tout cas, à prendre avec des pincettes nos propres observations et celles des propriétaires de nos patients quand à l'efficacité réelle des thérapeutiques mises en place, qu'il s'agisse de médicaments ayant prouvé leur efficacité, comme les AINS dans cette étude, ou bien sûr, de la soit-disant efficacité de compléments alimentaires ou de l'homéopathie.

C'est exactement la même chose que l'effet placebo « classique » : nous avons l'impression d'aller mieux, mais pour les symptômes objectifs, la réalité est en général toute autre.
Rappelons cet exemple très connu de l'effet placebo dans le traitement de l'asthme : en comparant des mesures objectives (spirométrie) chez des patients recevant soit un bronchodilatateur par inhalation, soit un faux bronchodilatateur par inhalation, soit de l'acupuncture, soit rien du tout, on a observé une amélioration objective chez 77 % des patients recevant le vrai bronchodilatateur, et chez environ 20 % des patients recevant un placebo ou rien du tout. Du point de vue du patient, par contre, les résultats sont tout autres ! Quel que soit le traitement reçu, réel ou placebo, 50 % des patients déclarent se sentir mieux (contre 20 % chez ceux ne recevant aucun traitement).[10] C'est très important : un nombre non négligeable de patients se sentent mieux bien que leur maladie ne soit pas du tout améliorée… ce qui les met en danger !

Que devons-nous en conclure ?

Un animal peut nous sembler aller mieux parce que nous voulons croire que c’est le cas.
Il peut aller objectivement mieux parce que sa maladie s’améliore spontanément, ou que ses symptômes, la douleur arthrosique par exemple, s’améliorent ou s’aggravent naturellement.
Il peut aller mieux tout simplement parce que la personne qui s’occupe de lui a décidé de lui consacrer plus de temps, d’attention, d’améliorer son alimentation.[11] Il peut aller mieux parce qu’il a été conditionné à se sentir mieux lorsqu’on lui administre des traitements, analgésiques notamment.[12]

Soyons réalistes : nous sommes mauvais pour déterminer l'efficacité réelle d'un traitement administré à nos patients, et leurs propriétaires sont encore pire. Nous voulons qu'ils aillent mieux. Nous posons un diagnostic, nous proposons un traitement adapté, et nous, soignants, observons souvent une amélioration. Qui peut être complètement illusoire.
Comment éviter ou limiter cet écueil ? En ayant conscience de son existence ! En admettant que nous sommes bourrés de biais, d'attentes, d'espoirs. Nous voulons que nos patients aillent mieux, au risque de nous leurrer. Nous avons confiance en nous, nous avons confiance en nos traitements, nos clients aussi. Et puis, il est plus confortable pour nous de penser que nous sommes utiles et efficaces, surtout quand nos patients s’améliorent !
Nous devons douter de nos observation, de notre expérience personnelle. Nous devons baser notre pratique sur des données objectives, celles de la science, des études bien conduites.
Nous devons autant que possible nous appuyer sur des observations objectives, et non sur des témoignages ou des données subjectives. La satisfaction de nos clients, les propriétaires de nos patients, est très importante, mais essayons de l'obtenir sans nous y limiter : nous devons vérifier aussi objectivement que possible l'amélioration des symptômes ! C'est facile s'il s'agit d'une température rectale, d'un dosage de transaminases ou d'un comptage de globules blancs (et encore, mêmes ces données doivent être interprétées avec prudence). C'est nettement plus difficile s'il faut évaluer la douleur, la mobilité ou le confort respiratoire d'un patient...
C’est un enjeu critique en médecine vétérinaire, peut-être plus qu’en médecine humaine, car nous ne pouvons pas accepter que les propriétaires d’un animal souffrant, ou son vétérinaire d’ailleurs, se félicitent d’une amélioration complètement subjective tandis que la maladie ou la douleur ne sont pas correctement soignés.

Un grand merci au Skeptvet dont le travail m'a très grandement facilité la tâche lors de l'écriture de ce billet. Passant la médecine vétérinaire et les "médecines" dites alternatives au filtre de la médecine basée sur le preuves, il apporte régulièrement un esprit critique fortement bienvenu dans notre profession et nos pratiques !

Notes

[1] Nau, « Homéopathie : Roselyne Bachelot, ex-ministre de la Santé, a soigné son chien avec succès ».

[2] Skeptvet, « Placebo effect in animals ».

[3] Kaptchuk et Miller, « Placebo Effects in Medicine ».

[4] McCarney et al., « The Hawthorne Effect ».

[5] Kam-Hansen et al., « Altered Placebo and Drug Labeling Changes the Outcome of Episodic Migraine Attacks ».

[6] Coleshill et al., « Placebo and Active Treatment Additivity in Placebo Analgesia ».

[7] Kaptchuk et Miller, « Placebo Effects in Medicine ».

[8] Conzemius et Evans, « Caregiver Placebo Effect for Dogs with Lameness from Osteoarthritis ».

[9] Muñana, Zhang, et Patterson, « Placebo Effect in Canine Epilepsy Trials ».

[10] Wechsler et al., « Active Albuterol or Placebo, Sham Acupuncture, or No Intervention in Asthma ».

[11] Gruen, Dorman, et Lascelles, « Caregiver Placebo Effect in Analgesic Clinical Trials for Cats with Naturally Occurring Degenerative Joint Disease-Associated Pain ».

[12] Keller, Akintola, et Colloca, « Placebo Analgesia in Rodents ».

lundi 28 janvier 2019

Être véto et vegan ?

J'ai la chance, en ce moment, d'accueillir une stagiaire vétérinaire de première année dans ma clinique. Elle m'aère le neurone : expliquer son boulot à quelqu'un qui vient en stage, avec un vrai sujet d'étude de la relation entre la structure vétérinaire et l'environnement dans lequel elle évolue, ça force à remettre plein de choses en perspectives.
Au détour d'une conversation sur la baisse de consommation de viande, le végétarisme et le veganisme, ma stagiaire, aujourd'hui, m'a fait bondir. Elle m'a affirmé que sa promo comptait une petite dizaine de vegans revendiqués, qu'une de ses profs avait d'ailleurs piqué une crise violente en amphi sur la question, et que certains ("les plus ennuyeux") étaient anti-vaccins (mais c'est un autre problème).
Il m'a fallu quelques minutes pour réaliser : de jeunes femmes et de jeunes hommes ont donc traversé 2-3 ans d'études pour entrer en école vétérinaire, vont en faire 5 de plus pour devenir vétos, et se réclament du véganisme.

Être vegan est un mode de vie basé sur le refus de toute forme d'exploitation animale.
C'est la conséquence d'une réflexion sur les animaux, leur capacité à ressentir sentiments et émotions.
Lorsque l'on ouvre les yeux sur les abattoirs, la pêche, les laboratoires de recherche, les élevages..., il devient difficile de les refermer.
Quand on choisit de devenir vegan, on exclut, autant que possible, toute activité faisant souffrir les animaux.
Une personne vegan est une personne comme les autres. Elle a simplement choisi de modifier sa façon de consommer et d’agir, de façon à avoir un impact négatif le plus faible possible sur autrui. Elle fréquente les cirques sans animaux, observe les animaux dans la nature sans les chasser, se régale en mode 100 % végétal, choisit pour se vêtir des matières non issues de l’exploitation des animaux (coton, matières synthétiques...) et utilise des produits cosmétiques et d’entretien non testés.

Source : L214

Je respecte les convictions des militants vegans. Sérieusement. Je ne suis pas d'accord sur le fond et la forme, mais il y a plein de choses à améliorer dans notre rapport à l'animal, et leurs actions ouvrent les yeux de ceux qui veulent trop facilement se complaire dans un confort facile. Je regrette évidemment qu'ils se focalisent sur ce qui va mal au point d'oublier la grande majorité des choses qui vont bien, et surtout sur celles qui s'améliorent. Je pense que les solutions qu'ils proposent ne tiennent pas souvent compte de la réalité. Mais il est difficile d'être tiède si on est vegan. Défendre ses convictions et expliquer à ceux qui ne les partagent pas pourquoi ils ont tort, c'est respectable. Enfin je trouve que dans ce cas, ça l'est.

Par contre : A QUEL PUTAIN DE MOMENT DES GENS ONT-ILS PENSÉ QU’ON POUVAIT ÊTRE VÉTÉRINAIRE ET VEGAN ?

Et je ne parle pas d'être vétérinaire pour animaux d'élevage, parce que là, a priori, il est évident que c'est idiot. Je parle aussi d'être vétérinaire pour animaux de compagnie ! Merde quoi, si le veganisme est la conséquence d'une réflexion sur les animaux et leur capacité à ressentir sentiments et émotions, il ne faut pas se voiler la face : ce n'est pas compatible avec la vie d'un animal de compagnie !
D'où peut-on être vegan et avoir un chat qui fait ses besoins dans une boîte et regarde les arbres et les oiseaux par la fenêtre ? Comment peut-on le nourrir de croquettes (au tofu ou pas) au lieu de le laisser chasser dehors, aller et venir où et quand il veut, se reproduire et se battre ?
Par quelle gymnastique mentale peut-on se convaincre qu'on peut être vegan et promener son chien en laisse, l'empêcher d'aller voir ses potes au parc, l'empêcher de faire les poubelles, de bouffer les chats s'il le souhaite, d'avoir des portées tous les six mois ? D'où se permet-on de restreindre l'expression de son répertoire comportemental ?
Faut-il aussi que je parle des chevaux vivant dans une écurie, sortant au paddock une ou deux heures par jour et mangeant du foin et des granulés quand ils tombent, pour de temps en temps avoir le bonheur de porter leur propriétaire sur leur dos ?
Et pour ce qui m'intéresse aujourd'hui, comment va-t-on se justifier à soi-même le fait de faire des injections à des animaux ? De leur coller un otoscope dans l'oreille, un thermomètre dans l'anus ? De leur ouvrir le ventre pour en enlever des morceaux, que ce soient des tumeurs ou des ovaires ? A quel moment les animaux ont-ils dit qu'ils étaient d'accord pour ça ?
Que je sois bien clair : je sais que dans l'immense majorité des cas, le bilan de mes interventions est positif pour le bien-être de l'animal. Je réfléchis à trouver la solution la plus compatible avec leur bien-être. Je sais que, pour la plupart, les chats ronronnent sur ma table d'examen ou sur mes genoux en salle de consultation. Que plein de chiens arrivent dans ma clinique en remuant la queue. Mais j'assume le fait de décider pour eux, en accord avec leurs propriétaires, selon les données acquises de la science, ce qui est bon pour eux et pour ceux qui vivent avec eux.
Avoir des animaux de compagnie c'est assumer qu'on les utilise pour notre agrément. On peut vouloir leur bonheur, c'est un bonheur qui sera déterminé par notre définition de leur bonheur. Avoir un animal de compagnie est un acte profondément égoïste, qui implique d'adopter un animal créé, dans sa forme actuelle, par l'homme et pour l'homme, et empêcher au moins partiellement celui-ci d'exprimer son répertoire comportemental complet.
Comment serait-ce compatible avec la philosophie vegane ?

vendredi 16 novembre 2018

Un grand roulement de tambour

Il est six heures et demi du matin lorsque le téléphone sonne. La voix de Frédéric. "Sylvain ? C'est toi Sylvain ? C'est pour la crevette. C'est la fin, elle s'est fait dessus, partout, elle ne respire pas bien. Est-ce que... Est-ce tu... ?"
Oui, oui je peux. Oui j'arrive. J'arrive tout de suite. Il est six heures et demie du matin, et je sais que Frédéric ne m'appellerait pas si elle pouvait attendre. Alors je me lève, j'émerge, j'enfile mes vêtements et je démarre la voiture. Le brouillard couvre tout. Je roule au pas, mais je n'ai qu'une petite forêt à traverser. Frédéric est un voisin.
Sous la lumière des phares qui prend corps dans le brouillard, j'ouvre le lourd portail de sa ferme, mon bonnet vissé sur les oreilles. Frédéric m'attend avec sa femme, Eugénie. Il a déjà sa combi de travail, elle est encore en robe de chambre.
La crevette gît dans son panier. J'essaie de me rappeler son nom : on ne l'a jamais appelée par son nom. Le patou de la ferme, la géante : la crevette. Elle gît et sa respiration est difficile, elle ne réalise même pas que je suis là. Dans le salon, l'odeur de pisse et de merde, le sol encore mouillé par les coups de serpillière. Je m'approche, m'accroupis, la caresse. Lui lève la tête, plonge mes yeux dans les siens. Elle est encore là, mais elle est déjà partie. Elle a quatorze ans. Hier encore, elle allait bien. Je pose mon stéthoscope sur son cœur : rien ne va. Rien n'ira. Elle est partie mais elle ne meurt pas, elle lutte, elle soupire, elle ne reviendra pas. Ils le savent déjà, elle, dans ses bras à lui, lui, dans ses bras à elle, la robe de chambre rose et la combi agricole verte. Ils pleurent.
Je les regarde et leur confirme ce qu'ils savent déjà.
Ils pleurent.
Alors je déplie mes jambes encore ankylosées, je ne suis même pas vraiment réveillé.
La lampe sur le front, je prends dans mon coffre, le garrot, le cathéter, le rasoir, l'alcool, le scotch. L'anesthésique. L'euthanasique.
Je lui rase la patte, lui murmure ces mots qu'elle n'entendra pas. Le cathéter. Le scotch. L'anesthésie, je les préviens, vu l'état de son cœur, elle ne la supportera pas, mais le temps qu'il lâche, elle dormira déjà. Je prends une dernière fois son énorme tête dans mes mains, plonge une dernière fois mon regard dans le sien. Ses yeux noisette hurlent son épuisement désemparé, son absence, sa souffrance. J'injecte, lentement, l'anesthésique. Son endormissement est à peine un frémissement, un apaisement de sa respiration. J'attends quelques secondes. J'injecte l'euthanasique. Repose mes seringues, parfaitement alignées sur la tomette. Je pose mon stéthoscope sur son cœur. Le silence, déjà ?
Non. Non : je perçois à peine un discret battement, une imperceptible fugue. Son évasion : le bruit de ses pas, alors qu'elle s'en va.
Des petits pas qui s'évanouissent déjà.
Puis rien.
Et puis. Et puis, allant croissant. Une discrète course ? Un grondement ? Un roulement de tambour, de plus en plus puissant. Sa fibrillation, son dernier éclat, son chant de vie, son chant de mort. Le tonnerre sur ses collines, quand elle surveillait le troupeau, le vent dans les bois, quand elle courait les sangliers. La cavalcade de ses vaches limousines, l'éclat de sa voix. Ses pattes dans mon dos ! Ses aboiements, ses jeux de brute, ses quatorze dernières années, ses quatorze premières années, les miennes, aussi, dans ce cabinet.
Un roulement de tambour. Un grand roulement de tambour, et puis, presto : rideau.
Son corps n'a pas frémi, elle n'a pas bougé. C'est à moi que son cœur l'a confié : sa vie fut un grand roulement de tambour ; sa vie ? Un putain d'amour.

dimanche 11 novembre 2018

11 novembre

Cela a déjà été écrit mille fois. La sidération stuporeuse de fin de journée, pour reprendre les mots de Jaddo, ou l’extraction, étape par étape, de cette implication si nécessaire à notre travail, et pourtant si dangereuse pour nous et nos proches. L’oignon qu’on épluche jusqu’au cœur, ce chemin des larmes.
C’est… se remémorer… cette chienne morte sur ma table d’opération hier, parce que j’ai du décider seul, son propriétaire étant injoignable, de l’euthanasier plutôt que de poursuivre la chirurgie et de la réveiller. Je savais que nous courions à la catastrophe, je n’avais simplement pas envisagé ce diagnostic et son inéluctable issue. J’entendrai longtemps les larmes dans la voix du vieil homme, la déception, la colère – contre le sort, pas contre moi – et la gratitude.
« Merci, docteur, d’avoir fait tout ce que vous avez fait. »
C’est ce veau mort à l’anesthésie, hier encore, et cette fois sans aucune surprise – je tentais la chirurgie sur demande de son propriétaire qui ne pouvait se résoudre à l’euthanasier sans tenter quelque chose.
« Ah ben vous au moins vous essayez ! »
C’est ce chien enfin, mort il y a une heure sur la même table d’opération, pendant la chirurgie de sa torsion d’estomac. Là encore, sans surprise : j’avais prévenu de l’issue probable, voire certaine, vu le contexte, mais son maître ne pouvait se résoudre à ne pas tenter.
« Vous avez fait tout ce que vous avez pu. » me dit-il en me serrant la main, son vieux compagnon dans un sac plastique, à l’arrière du pick-up dans lequel, il y a peu, il l’emmenait encore pour faire semblant de chasser.
Qui les blâmerait d’avoir voulu essayer même quand je leur disais que nous risquions vraiment d’échouer ? Pas moi. Pas moi qui carbure à l’espérance et ne tient le choc que parce que, de temps en temps, je me délecte d’avoir eu tort et de réussir ce qui, selon toute vraisemblance, aurait du échouer.
Comme ce grand nigaud de berger trouvé dans la rue en train de mourir de froid à cause d’une intoxication au chloralose, un très, très vieil anesthésique encore employé pour tuer les taupes. Il a dormi deux jours : nous l’avons porté pendant deux jours. Il aurait du mourir aussi. Il va très bien.
Comme ce chat fracassé par une voiture et qui ronronne à cette heure sur les genoux de sa propriétaire.
Qu’elles finissent bien ou qu’elles finissent mal, ces histoires nous emportent bien trop loin, surtout quand s’y mêlent la fatigue, les soucis d’argent ou d’organisation. La tristesse d’entendre ma fille de sept ans demander à sa mère, alors que je laçais mes éternelles caterpillar pour partir opérer ce chien de chasse avec sa torsion d’estomac : « mais maman, pourquoi papa il a choisi un métier où il ne peut pas rester manger avec nous ? »
Parce qu’il n’avait pas compris à quel point ça lui pèserait, ma chérie. Parce que malgré tout il est fier de tout tenter, de s’impliquer au point de risquer de perdre le recul, parce qu’il sauve des vies, parfois.
« Quoi, il est encore mort le chien ? »
Oui ma puce, celui-là est mort, un autre vivra.
« Quand même, il y a beaucoup de morts dans ton métier. »
Imagine si j’étais urgentiste, ou pompier. Ou plutôt non, n’essayons pas d’imaginer. Moi, j’ai une chance, j’ai ces mots, j’ai ce clavier. Je peux me regarder raconter, constater ma fatigue et mon risque de me brûler, et reprendre la distance nécessaire, bref : j’ai trouvé comment me sauver. Mais vous, mes chéries, vous, vous voyez juste que votre papa n’est encore pas là. Si vous saviez comme j’ai savouré de vous voir chanter ce matin devant le monument au mort, comment j’ai aimé vous voir jouer et crier avec les autres enfants.
Je suis là. Même quand vous ne me voyez pas.

lundi 8 octobre 2018

Mal de gorge

18h30, le papa rentre dans la clinique avec sa fille de trois ans pendue au bout de son bras droit, et un chien du même âge sous le bras gauche. Il est à la bourre, il était chez le médecin. Pour la petite, bien sûr.

- Tu vois Sylvain, elle se plaignait de la gorge la semaine dernière, m'explique Benoît.

Je fais tomber les gouttes d'anesthésique dans chaque œil, pour pouvoir explorer l'étrange conjonctivite du chien de chasse. J'attends un peu qu'elles agissent, puis je recommence.

- Alors on a pris rendez-vous chez le docteur. Mais depuis trois jours elle ne se plaint plus de la gorge, par contre elle dit qu'elle a mal à l'oreille.

La petite brunette hoche vigoureusement la tête, avec un sourire serré qui fait ressortir ses fossettes. Je remets des gouttes dans les yeux du Bruno, puis j'attrape mes pinces et ma lampe frontale. Il est temps d'aller explorer les culs-de-sac conjonctivaux. Je passe, pince fermée, entre la paupière du dessus et l’œil, puis entre la paupière du dessous et la troisième paupière, la nictitante. Le chien réagit trop. Je cesse et remets des gouttes.

- Du coup, on a maintenu le rendez-vous. Alors, Flo, qu'est-ce qu'il a dit le docteur ?
- Je suis pas malade ! répond-elle en hochant toujours aussi vigoureusement la tête.
- Mais tu vois, je lui ai pas demandé de regarder la gorge, puisque c'était fini. Mais ma femme va me tuer !

La petite me regarde et sourit, ses fossettes sont adorables. Je reprends l'exploration de l’œil droit, je soulève la troisième paupière. Le chien réagit à peine... pas de graine ou autre saleté, mais un tout petit fil blanc qui gigote ! Un Theilazia ! Un petit ver qui vit dans les replis des conjonctives, sous les paupières !

- Un ver ? Mais c'est dégueulasse, Sylvain !
- Dégueulasse, mais pas grave et rigolo, approuvé-je. Ils n'aiment pas du tout les anesthésiques locaux, ça les fait gigoter. Il y en a sans doute d'autre, attends.

Je reprends mes pinces et ma lampe frontale.

- Pfiou la la qu'est-ce que je vais prendre...

Je regarde l'enfant. Puis je m'accroupis à sa hauteur.

- Tu vois, Florence, je soigne les yeux des chiens. J'ai une petite fille un peu plus grande que toi, elle fait tout le temps des angines. Alors je lui fais ouvrir la bouche comme ça, puis tirer la langue très fort, comme ça, en faisant Bwaaaaaahhhh ! Et je regarde avec ma lampe. Tu fais pareil ?
- Bwaaaaaaaaahhhh !
- Tire plus la langue !
- BWAAAAAAAAAAAAAAaaaaaaahhhh !
- Pas d'angine, de grosses amygdales, pas enflammées. Demande au toubib, mais pas de traitement, je suppose. Dis-lui que c'est moi qui ai regardé.

Le papa me regarde, très fier de lui.

- Ah, j'avais raison alors !
- Mais papa, il est vraiment docteur, le monsieur qui fait des grimaces ? lui demande sa fille.
- Bien sûr qu'il est docteur, il enlève même les vers des yeux des chiens ! Mais ne dis pas à maman que c'est lui qui t'a examiné, hein.

Je le regarde en souriant :

- Qu'est-ce que tu vas prendre, Benoît...

mercredi 2 mai 2018

Trop vite

Il est presque 14 heures. Un dimanche de garde comme les autres, entre averses – quand je suis dans les prés - et trop timides rayons de soleil – quand je suis dedans. Le téléphone sonne, encore. Je sors à peine de table. Je suis d'astreinte et j'en ai marre. J'en avais déjà marre en me levant, et pourtant, je n'avais pas été dérangé de la nuit.
Je reconnais la voix de M. Livenne. Il est hésitant.
« C'est ma chienne. Elle est à terme, et elle a été prise par un gros mâle, je suis inquiet. »

Lire la suite...

jeudi 8 mars 2018

Conduite automatique

Il suffit d'un microbe. D'un accident. D'une naissance. De vacances. Un collègue absent, pour deux, trois, quatre semaines ou plus – cela nous arrive à tous un jour ou l'autre, pas la peine de culpabiliser - et c'est immédiat : j'enclenche la conduite automatique. Un véto absent, dans notre structure à trois temps plein et demi qui a en permanence du travail pour deux à trois vétérinaires, cela ne signifie pas que nous ne pouvons plus faire le travail : nous ne sommes qu'exceptionnellement plus de trois à la fois. Cela implique simplement que nous soyons (comme d'habitude) tous les jours deux ou trois. Mais il n'y a plus de roulement. Alors nous prenons le planning, et nous rayons les jours de repos. Moins de mercredi avec les enfants, plus de week-end de deux ou trois jours. Une garde sur deux, et non plus une garde sur trois. Cinq à six jours travaillés sur sept, et trois à quatre nuits.

Lire la suite...

lundi 22 janvier 2018

Aujourd'hui, j'ai...

Aujourd'hui, j'ai commencé ma journée en faisant les soins aux chiens hospitalisés du week-end, la vieille avec son pyomètre et la jeune avec son pneumothorax traumatique. Les deux vont très bien s'en tirer.
Aujourd'hui, j'ai contrôlé l'évolution d'une pancréatite chronique sur un chat suivi depuis 2 semaines. Il va mieux.
Aujourd'hui, j'ai... discuté avec un client mécontent des soins prodigués à son animal, argumenté sur certains points, concédés d'autres. Nous nous sommes expliqués. Je n'aime pas ces tensions, mais elles sont saines.
Aujourd'hui, j'ai retiré des points de suture à une minette récemment ovariectomisée. Consultation en anglais.
Aujourd'hui, je suis parti en urgence de la clinique pour un vêlage. Un siège, technique mais pas physique, tout s'est très bien déroulé.
Aujourd'hui, je suis allé voir un cheval avec un abcès au pied. Soins locaux, antibiotiques. J'en ai profité pour contrôler l'emphysème d'un autre.
Aujourd'hui, j'ai passé une bonne trentaine de minutes à mettre au point un plan de traitement (de bataille ?) avec une éleveuse confrontée à une épidémie de virus RS sur son cheptel bovin.
Aujourd'hui, j'ai téléphoné à une cliente pour lui donner les résultats de l'analyse sanguine de son chien. Nous ne modifierons pas son traitement.
Aujourd'hui, un chaton est arrivé en urgence, après une acrobatie qui a mal tourné. Radiographies : deux métacarpiens cassés, une attelle et des anti-douleurs. Les paris sont pris sur la durée de vie de l'attelle.
Aujourd'hui, j'ai reçu une dame et sa chienne âgée, qui boit de plus en plus. J'ai commencé à explorer sa fonction rénale et les autres causes potentielles de cette anomalie. Nous nous reverrons dans quelques jours pour aller plus loin. Consultation en anglais.
Aujourd'hui, j'ai vu un chat avec une herpesvirose chronique, peu grave mais si ancienne que je ne suis pas certain que nous l'en débarrasserons jamais. Consultation en anglais.
Aujourd'hui, j'ai vacciné deux chiennes âgées. Nous avons discuté des dents, de l'arthrose, de la baisse de la vue et de l'audition sélective.
Aujourd'hui, j'ai reçu un chien "épuisé". Je lui ai découvert de graves troubles du rythme cardiaque, et j'ai organisé son transfert urgent vers un cardiologue.
Aujourd'hui, j'ai vu un chien avec une jolie fièvre à 40°. Piroplasmose confirmée au frottis sanguin. Ça va très bien se passer.
Aujourd'hui, j'ai examiné une buse sonnée après un choc avec une voiture. Elle n'avait rien de cassée, je l'ai portée sur ma main comme un fauconnier avant de la faire s'envoler.
Aujourd'hui, j'ai conseillé à l'accueil un client éleveur pour une vache en diarrhée hémorragique.
Aujourd'hui, j'ai expliqué à une dame dans la salle d'attente que je la recevrai pas mais que ma consœur le ferait, car j'attendais un chien dont je devais personnellement m'occuper, pour l'accompagner. Elle l'a très bien compris.
Aujourd'hui, j'ai euthanasié un chien que j'adorais, à qui j'ai sauvé la vie à deux ou trois reprises. J'ai plongé profondément mes doigts dans son pelage tandis qu'il s'endormait contre son maître et sa maîtresse. Leurs larmes m'ont fendu le cœur.
Aujourd'hui, j'ai pris ma voiture pour aller voir un porc, retenant mes larmes pendant le trajet. Prolapsus rectal. Nécrosé, aucun espoir de le récupérer.
Aujourd'hui, je suis allé perfuser un veau déshydraté, et puis j'ai passé une demi-heure à expliquer à son propriétaire pourquoi certains antibiotiques n'étaient plus librement disponibles comme autrefois.
Aujourd'hui, ma fille a pleuré parce que je suis rentré trop tard pour lui lire une histoire des schtroumpfs. Je l'ai embrassée. Promis, je lui en lirai une demain.

vendredi 8 décembre 2017

La médecine vétérinaire implique-t-elle d'opposer éthique et économie ?

Titre original : Choosing the way you work : does ethics have to be opposed to economics ?

Cette conférence a initialement été écrite pour le congrès vétérinaire de Leon au Mexique, en septembre 2017, où j'ai été invité pour deux conférences suite à la traduction de mon livre en espagnol. Le président du congrès, le Dr Cesar Morales, a voulu proposer des conférences plus « sciences humaines » qu'habituellement. 17000 personnes, 27 conférences simultanément pendant 4 jours… et pour moi deux conférences en anglais, devant des hispanophones.
Cette conférence a été pensée pour un public de vétérinaires qui connaissent aussi bien notre métier en France que je connais le leur au Mexique (spoiler : pas du tout). Je pensais avoir un certain nombre d'étudiants pour cette conférence, et j'ai décidé de réagir à certaines plaintes entendues de la part de jeunes consœurs et confrères entendues autour de moi ou sur les réseaux sociaux, qui vivent mal la perte de sens de leur pratique quotidienne et le conflit entre questions éthiques et économiques dans notre métier. Le coût des soins que nous prodiguons et la nécessité de rentabiliser nos structures sont en effet des sources de conflits avec l'idéal d'une médecine "pure" et le souci du bien-être animal.

J'ai donc envie de vous parler d'éthique et d'économie. Quitte à être un peu provocateur, mais tant qu'à écrire, autant vous faire réagir. Par contre, soyons clair : je ne suis ni un juge, ni un genre de gourou ou de maître à penser. J'ai simplement réalisé, au fil des années, en écrivant sur mon travail -notre travail - sur internet ou pour mon bouquin, que je n'avais jamais réfléchi à un problème éthique avant d'y être violemment confronté. Je n'étais pas prêt, je ne l'ai jamais été à temps, j'ai fait beaucoup d'erreurs. Autant en faire quelque chose d'utile.

Lire la suite...

dimanche 22 octobre 2017

Une chose. Un nuisible. Du bétail. Un compagnon. Une personne. Comment la perception de l'animal change dans la France rurale.

Titre original : From the « thing », the « pest » or the livestock to the pet or « the animal as a person » : how the perception of the animal changes in rural France

Cette conférence a initialement été écrite pour le congrès vétérinaire de Leon au Mexique, en septembre 2017, où j'ai été invité pour deux conférences suite à la traduction de mon livre en espagnol. Le président du congrès, le Dr Cesar Morales, a voulu proposer des conférences plus « sciences humaines » qu'habituellement. 17000 personnes, 27 conférences simultanément pendant 4 jours… et pour moi deux conférences en anglais, devant des hispanophones.%%%
Cette conférence a été pensée pour un public de vétérinaires qui connaissent aussi bien notre métier en France que je connais le leur au Mexique (spoiler : pas du tout). Mon objectif est de décrire et de donner quelques pistes de réflexion, à approfondir dans la seconde conférence, consacrée au conflit entre questions éthiques et économiques dans notre métier.

Lire la suite...

dimanche 30 juillet 2017

Spumeuse

C'est le deuxième appel de la matinée. Je suis déjà en train de perfuser un veau au milieu des champs, en priant pour qu'il ne gueule pas vu que le troupeau entier nous entoure et que nous ne sommes protégés que par de minces fils de fer. Je décroche mon téléphone en posant mon genou sur l'encolure du veau pour le maintenir au sol tandis que l'éleveur, debout, tient la poche de perfusion en surveillant les vaches. Je discute un peu avec l'éleveur qui m'appelle. Il va falloir que j'y aille. Une fois que j'en aurais fini ici.

Une demi-heure plus tard, je gare ma voiture à l'ombre de l'avancée de toit du hangar, devant la rangée de cornadis. Mon chien, que je trimbale avec moi aujourd'hui, appréciera de ne ps rester au soleil... Les vaches sont dans les champs, sauf une. M. Louge, l''éleveur n'est nulle part, mais je n'ai pas besoin de lui pour identifier ma patiente. La blonde me regarde, immobile, tétanisée, son ventre enflé donne l'impression d'être prêt à exploser. Sa respiration est hachée, mais pas catastrophique. Elle oxygène bien. Je m'approche doucement de ses 500kg, et donne une tape appréciatrice sur la panse qui distend démesurément ce qui devrait être le creux de son flanc, à gauche. M. Louge arrive, flanqué de ses deux corniauds. Rouge de sueur.

- Je finissais de réparer les clôtures, désolé ! Ces abruties ont tout cassé et sont allées dans la luzerne, hier. Je les ai surveillées, elles vont toutes bien, sauf elle. Elle météorise ?

Elle météorise, oui. La panse est un réservoir gastrique d'une bonne centaine de litres, un mélange de ce que la vache avale - de l'herbe et beaucoup de salive - et du produit de sa rumination : ce qu'elle se renvoie dans la bouche pour le mâcher et le remâcher. Du liquide, des fibres, et des milliards de bactéries et de protozoaires, qui tournent en permanence dans cette énorme lessiveuse. Mais la machine est bloquée : parce qu'elle a abusé d'un aliment, la chimie de la panse s'est détraquée. D'abord, de la fermentation. Et à cause de la luzerne, très probablement, une mousse très dense. La luzerne contient des molécules qui favorisent l'apparition de cette mousse qui remplit tout et bouche le système en le distendant.

J'écoute le cœur. Impeccable. Température : normale. Je passe un long tuyau par sa bouche, direction la panse. Deux mètres de tuyau qui filent et s'enroulent là dedans, mais rien ne sort. Un argument de plus pour la mousse. Je saisis une grande aiguille, que je plante dans son flanc distendu en évitant son coup de pied vengeur. Le gaz s'échappe sous pression. Météorisation gazeuse, météorisation spumeuse... la première est de meilleur pronostic que la seconde, et là j'ai du gaz. Mais toutes les raisons du monde de penser qu'il y a de la mousse... De toute façon, il y a souvent les deux. Il faut relâcher la pression, rien n'ira bien, sinon. Je décide d'anesthésier un peu le flanc bombé. Un coup de scalpel, puis j'enfonce un trocart. Un genre de grosse vis creuse, qui va aller dans la panse et grâce à son énorme pas de vis, plaquer la paroi de la panse contre le péritoine, la membrane interne de la cavité abdominale, afin que les fluides souillés ne coulent pas (trop) dans le ventre. La manœuvre fonctionne, mais je suis déçu. Peu de gaz. Et toujours pas de mousse.

Je m'assieds sur le béton, contre le cornadis, pour observer un peu. La stabulation vide, avec le vieux fumier, très sec, qui attend d'être curé. Les deux corniauds, mélanges indéfinissables de chiens de chasse et de berger, qui halètent dans un coin, à l'ombre. Les mouches, par centaines. L'odeur un peu piquante du fumier sec et du bétail. M. Louge et son marcel, qui râle sur la météo, son tracteur, et les emmerdes qu'il a avec ses vaches. Je ne l'écoute pas vraiment, je me demande...

- Il y a une décision à prendre, là. Le tuyau et le trocart sont décevants. Ils ne suffisent pas. On vide du gaz, oui, mais pas assez. Sa panse ne peut pas se remettre à fonctionner avec une pression interne pareille. Elle risque de continuer à gonfler, puis de mourir. Assez vite. Bien sûr, je pourrais balancer tout un tas de produits dans le rumen avec le tuyau et une pompe. De quoi aider un peu la panse et calmer la formation d'acides. Mais... la mousse que j'imagine là-dedans, il est presque impossible de la détruire. Alors le reste ne servira pas à grand chose. On pourrait... Ouvrir. J'ouvre le ventre, comme pour une césarienne, je suture la panse au cuir, je l'incise sur dix centimètres et la saleté là-dedans s'évacue dehors sans se vider dans le ventre.

Il ouvre de grands yeux.

- Vous suturez avant, c'est pour que la merde ne coule pas dedans, c'est ça ?
- C'est ça. Enfin c'est la théorie.
- Et après ?
- Après on laisse ouvert.

Il me regarde, incrédule.

- Ça se referme comment ?
- Tout seul, en plusieurs semaines, voire mois. La dernière que j'ai faite a mis trois mois à se refermer. Mais elle va bien.
- Mais comment elle fonctionne, la panse, si ça reste ouvert ?
- Elle déborde. Mais pas tant que ça. Le contenu est semi-pâteux, et j'ouvre sur le haut. Ça marche. Et sur le court terme, surtout, ça évacue la pression et ça l'empêche de remonter. Je ne garantis pas qu'elle s'en sorte, il y a un risque non négligeable de péritonite. Mais si c'est bien comme je pense, là-dedans, c'est la seule chose à faire.
- Si vous en êtes sûr...

Sa voix traîne, et non, je n'en suis pas sûr. Mais c'est la seule chose logique à faire, en l'état. Donc... on va y aller.

Alors je vais chercher ma boîte à césarienne, j'injecte un antibiotique, puis j'anesthésie le cuir et les muscles. Je désinfecte et je rase le poil du flanc, là où j'avais planté mon trocart. Je désinfecte à nouveau, et j'incise. La peau s'ouvre, puis ce sont les muscles qui s'écartent comme par magie devant ma lame. Tout au fond, la fine membrane du péritoine, et derrière, la panse qui bouge au gré de ses infructueuses contractions. J'incise le péritoine, puis je saisis la panse avec une très grosse pince, pour me faire un repère. Elle a beau ne pas fonctionner correctement, elle oscille de bien 8 cm vers l'avant de ma plaie. Ça ne va pas être pratique. Je pose un premier fil qui prend la panse, le péritoine et le cuir, et je noue. J'attends. Elle repart vers l'avant lors de la contraction suivante, déchirant la paroi de la panse là où j'avais passé mon fil.

M. Louge me pose des questions, hésitant. Je lui explique comment les choses fonctionnent, là-dedans. Un peu amer, et circonspect, il m'explique ne pas avoir fait l'école. Moi j'ai fait l'école, mais je n'ai compris que quand j'ai vu.

En tout cas, je ne vais encore pas pouvoir faire comme dans les cours. Le rumen est beaucoup trop tendu, c'est comme d'essayer d'attraper la paroi d'un ballon de baudruche surgonflé. Il faut le dégonfler pour y arriver.
Je perce la panse, y enfonce ma pince pour la saisir très largement. Le gaz et la mousse - il y avait bien de la mousse, je le savais - bloblopent un peu et souillent ma plaie, mais l'incision est trop petite pour que ce soit dangereux. Cette fois,je traverse tout en faisant une boucle à l'intérieur de la panse, et je fixe au muscle, qui suivra mieux le mouvement que le cuir. Ça tient. Un point de plus, juste au dessus. Un autre. Tout le côté gauche de ma plaie est fixé. Et maintenant... j'incise la panse, pour vider le gaz, lâcher la pression, ce qui me permettra de mieux prendre la paroi de la panse du côté droit. Il y a du jus de rumen qui coule dans les muscles, je rince, je désinfecte, même si ça ne sert à rien. Je peux passer un doigt dans la panse, j'en profite pour guider une aiguille et plaquer la panse contre le péritoine sur le bas de mon ouverture, pour éviter les souillures maintenant que la pression ne plaque plus tout partout. J'ouvre plus grand. Dix centimètres. La voilà, la mousse ! Elle jaillit de la panse sous pression, elle proufe et elle blote, elle jaillit au fil des contractions, se déverse au sol où elle s'accumule en une montagne verdâtre à l'odeur indéfinissable, douceâtre, ni agréable ni désagréable. Une mousse qui serait parfaite pour le bain, si ce n'était l'odeur. Je plonge la main dans la cavité, j'en retire de longs brins d'herbe et de foin, permettant à nouveau à la mousse de s'évacuer. Au sol, maintenant, il y a un amas qui remplirait une brouette. M. Louge, qui me parlait de sa copine qui venait de le larguer, de son tracteur cassé - 10 000 € de réparations - de sa vache morte en début de semaine et de ses deux avortements de la semaine dernière, ne dit plus rien.
Moi, je me demande comment il fait pour tenir quand la poisse s'acharne comme ça.

Maintenant que la pression va me permettre de travailler, je reprends mes bords de plaie. Suturer la panse au cuir, de tous les côtés, pour laisser une belle ouverture qui ne permettra pas aux jus souillés de pourrir l'abdomen. C'est long, et fastidieux. Ce n'est toujours pas comme c'est censé être, ça ne l'est jamais. En chirurgie, surtout bovine, rien ne se passe comme dans les bouquins, de toute façon.

Et c'est très bien comme ça.

La vache, elle, s'est remise à ruminer.

lundi 3 juillet 2017

Ils gisent

Elle gît. J'observe sa tête posée entre ses deux pattes, son corps amaigri, son poil terni. Elle m'attendait sur la terrasse, à l'ombre d'une table, incapable de bouger. Ils m'attendaient autour d'elle. Il n'y avait plus rien à dire. Pas de surprise, pas de colère, pas d'incompréhension. Simplement, la fin. Attendue.
Sur la terrasse de la maison, j'essaie d'entendre son cœur tandis que passent, indifférents, voitures et camions qui couvrent mon auscultation.
J'attends le silence. Enfin. Ni voiture, ni camion.
Ni cœur.

Il est si facile de tuer. Tout s'est, vraiment, très bien passé. C'était une bonne mort.

Lorsque je rentre à la clinique, mes pas me dirigent vers le bloc. Il est toujours là. Lui aussi, il gît. Couché sur le côté, son pansement autour du corps, on pourrait croire qu'il dort encore. Mais le concentrateur d'oxygène est éteint, le circuit est débranché. Il est extubé. Il a encore son cathéter, sa perfusion, même si elle est arrêtée. Près de son corps, deux seringues, une aiguille, posées sur le métal de la table de chirurgie. Un gant retourné. Un stéthoscope. Sous lui, le tapis chauffant qui l'a accompagné pendant toute l'opération. Une petite serviette, aussi. Au-dessus de son corps, le scialytique semble le veiller. Tout est éteint, mais les grandes baies vitrées baignent de lumière son pelage tigré, son épaisse fourrure dans laquelle, hier, encore, je plongeais mes mains lorsque j'essayais de le rassurer. L'inox de la table brille tout autour de lui. Il est resté comme je l'ai laissé, lorsque son cœur l'a abandonné : silencieux, enfin apaisé. Je regarde à nouveau la cuve de chaux sodée et les tuyaux de la machine d'anesthésie. Le scialytique. Mes témoins. Je m'assieds, et, par réflexe, je reprends le stéthoscope. L'absolu silence là où cela devrait taper, souffler, grouiller et gargouiller. Le délicieux et répugnant vacarme de la vie, contre le silence sans nuance.

Il y a deux heures à peine, son cœur battait, il se réveillait. Je le veillais depuis une trentaine de minutes, seul dans la clinique, attendant le moment où je pourrais, en conscience, le laisser. Je n'aimais pas sa respiration, je pressentais que les choses allaient mal se terminer. Accélérations cardiaques, ralentissements, régularisations, des respirations spastiques puis à nouveau harmonieuses… son cœur a finalement perdu le rythme, et il ne l'a pas retrouvé. Je pouvais bien masser et m'exciter sur mon ballon d'oxygène, mes seringues et ses tuyaux. Il ne s'est jamais réveillé. Près de trois heures de chirurgie après deux jours d'hospitalisation, pour… rien.

Pas pour rien, non : il fallait tenter. Après l'avoir stabilisé et vaincu l'état de choc, il fallait lui laisser le temps de récupérer, puis attendre que nous puissions opérer, dans les meilleures conditions. Il fallait opérer, de toute façon. Ou décider d'abandonner, et l'euthanasier. Tout arrêter ? Alors qu'il n'avait que quatre ans et que nous avions une vraie chance de le sauver ? Je me suis impliqué, je l'ai... porté. Le matin, à midi, le soir, la nuit aussi. J'ai surveillé les drains, je l'ai caressé, je lui ai donné des médicaments avant de prendre le temps de me faire pardonner, jusqu'à l'entendre ronronner. J'ai rassuré ses propriétaire sans jamais leur mentir, je savais que les choses pouvaient mal se terminer. D'autres que lui… s'en sont sortis. J'ai l'impression de les avoir trahis, en les accompagnant dans la décision d'opération, en insistant sur les chances de le sortir de là. J'ai l'impression de lui avoir fait défaut, aussi. On ne demande jamais son consentement à un animal. Et de toute façon, ils hurlent tous non, de toutes leurs forces, même si, souvent, ils font confiance. J'accepte de ne pas les écouter parce que je sais que je peux les guérir, que je peux les sauver. Je le sais. Je sais aussi que je peux avoir tort. Je joue avec les probabilités, je tente ma chance, et la leur. J'apprends l'humilité. Je ne veux pas regretter de n'avoir pas essayé, mais je ne veux pas infliger à un animal une souffrance qui ne serait pas justifiée. Drôle d'équilibre.

Depuis sa mort, je cherche. Ce que j'ai pu rater, ce que j'aurais pu mieux faire, ce que j'aurais pu décider. Je ne trouve pas de vrai mauvais choix. Pas non plus de décision justifiée mais malheureuse. Les choses ont suivi leur cours logique, nous avons bien travaillé, et il est mort. C'est tout.

C'est tout et comme toujours, c'est insupportable. Je pense à ceux qui l'aimaient, qui sont venus le voir jusqu'à l'ultime instant, pour son endormissement, qui voulaient m'entendre dire que oui, nous allions, j'allais le sauver. J'ai, nous avons échoué.

Il est tellement difficile de les sauver.

jeudi 6 avril 2017

Trois minutes

Lucie est penchée, concentrée, sourcils froncés, elle cherche l’angle pour son aiguille, elle cherche vite, elle cherche bien, ou en tout cas, elle cherche le bon compromis entre les deux. Les mains sur le ballon de la machine d’anesthésie gazeuse, je commence à plaisanter, à encadrer M. Lhers, le propriétaire de Ténor. Non, il ne rentrera pas à la maison ce soir. Oui, ça va bien se passer. Non, nous n’avons vraiment pas terminé. Oui, c’est quand même bien la merde, mais c’est un pneumothorax comme un autre. M. Lhers est chasseur, de sangliers. Jeune, et inquiet. Il y a sa femme avec lui, et sa fille. Ténor, c’est aussi le chien du canapé. Alors je lui explique.
Non, ce n’était vraiment pas « juste un petit trou » et oui, vous avez bien fait de nous l’amener pour contrôler. Enfin ça, vous l’aviez deviné quand vous avez vu le sang couler lorsque le chien s’est assis sur la table, quand il a soupiré. De toute façon, avec les sangliers, c’est toujours la même histoire : les grandes plaies sont superficielles, les petites perforations sont profondes et parfois vicieuses. Et quand elle se situent au niveau du thorax… et bien on arrive quand même à être surpris de voir un trou de 7 cm de long entre deux côtes avec un point d’entrée grand comme une pièce d’un euro, mais disons qu’on s’y attend. J’explique en souriant.

Quand tout a commencé à merder, j’ai récapitulé : Ténor s’était assis, et avait poussé ce profond soupir. Il saignait, ma consœur Lucie avait fait la compression. J’avais posé le cathéter, Hélène, notre ASV, m’avait tendu la tubulure déjà purgée. Chlorure de Sodium. 0,9 %. Perfusion branchée, nous n’avions pas réfléchi. Débit moyen plus. Pré-médication très légère, juste de quoi sédater et potentialiser ce qui allait venir ensuite, avec un truc qu’on pourrait antagoniser. Un α-2. Dépresseur cardio-respiratoire, un peu, mais nous avions besoin de tranquillité. Nous n’avions pas encore pris la mesure des dégâts, nous n’en étions qu’au petit trou au niveau du bas du thorax après un coup pris à la chasse. Ténor tentait vaguement de se relever, conciliant l’envie de s’asseoir, la fatigue, la douleur et l’irrépressible compulsion de nous faire la fête. Remuer la queue, remuer la queue, envoyer un grand coup de langue, agiter ses moustaches de griffon croisé bleu croisé portes et fenêtres. J’avais envoyé l’agent d’induction, alfaxolone, pour le faire tomber. Vite, juste assez loin pour pouvoir l’intuber. Pas assez ?
- Vous allez lui mettre la sonde dans la trachée ? m’avait-il demandé d’un ton discrètement contrarié.
- On va faire comme si c’était un pneumothorax. Et si c’était juste un p’tit trou, et ben il sera réveillé dans dix minutes.
J’avais tenté une première fois. Pas moyen d’étirer sa langue, il ne dormait pas assez. J’avais injecté un peu plus. Encore un peu. Juste assez. Il avait toussé un petit coup, un réflexe, Hélène avait étendu sa tête sur son cou, j’étais passé. J’avais gonflé le ballonnet, vérifié l’étanchéité tandis qu’elle branchait le circuit semi-ouvert, avec l’oxygène – 2 L/min – et le sevoflurane – 5 % pour commencer, rapidement abaissé à 3. Un peu de morphine, par voie sous-cutanée. Lucie avait déjà tondu, et nettoyé. Elle coupait avec ses ciseaux pour explorer le trajet de la défense, aller jusqu’au bout de la blessure. L’ouverture cutanée faisait désormais 20 bons centimètres. Elle découvrait la coupure de 7 centimètres entre les deux côtes. Dès que la peau s’était ouverte sur la blessure, l’air s’était engouffré entre les poumons et les côtes, dans cette cavité virtuelle, entre les plèvres, et les poumons s’étaient effondrés. Collapsus. Ténor s’était mis à respirer plus vite, plus fort, et sans plus aucune efficacité. C’est le vide qui « colle » les poumons aux côtes. Nous venions de le rompre. Alors j’avais commencé à ballonner. Mon univers : un ballon, une valve, un débitmètre, des muqueuses – rosées ? - un stéthoscope, juste à portée. Hélène tendait à Lucie des compresses, des fils – pas mon problème. Mais elle allait galérer pour recoudre, car la dent avait tranché les muscles au ras de la côte, sans rien lui laisser pour suturer. Il allait falloir qu’elle aille chercher les tissus par-dessus pour les ramener sur la plaie.
Et jusque là, tout s’était très bien passé.

Elle avait suturé jusqu’à presque terminer son surjet triplement arrêté. Il ne restait plus qu’une petite ouverture dans la paroi thoracique. Ténor dormait parfaitement. Juste le bon moment pour bloquer la valve et gonfler le ballon. J’allais mettre la pression pour gonfler les poumons, Hélène allait appuyer sur le thorax pour chasser l’air, tandis que Lucie allait serrer son nœud et rétablir l’étanchéité. Et puis j’avais réalisé : il n’essayait plus de respirer ? Et puis j’avais regardé les muqueuses. Grises. Bleues. Violacées. J’avais arrêté de discuter, j’avais tout stoppé. J’avais écarté ma consœur et sauté sur le stéthoscope. Depuis combien de temps ? Depuis combien de temps n’avais-je pas vérifié ? Pas de battement. Il était arrêté. Dix secondes. Pas de battement. Pas un putain de battement.

- ARRÊT !

Je serais le capitaine de réa.

- Hélène, tu bouges ! Lucie, coupe le gaz, fais sauter la valve, monte l’oxygène !

Nous serions l’équipe.

J’avais commencé à masser. Masser : sur cette table trop haute : donner des coups de poing, vite, très vite sur le thorax. Très fort, sur le cœur. Marteler. Déjà, envisager de faire pêter les sutures pour masser le cœur, directement. Essayer de me rappeler les TP de réa.

Mais d’abord, frapper. A m’épuiser. Et diriger : « Antisedan, 0,15, IV, perf à fond ! »

- Sylvain, Dopram ?
- Envoie, envoie, ou plutôt non, remplace-moi ! Je fatigue déjà. J’envoie !

Une minute, déjà ?

- Arrêtez !

J’écoute. Toujours rien.

- Tape !

J’envoie l’analeptique cardio-respiratoire, je réfléchis, est-ce qu’il faudrait de l’adré, est-ce qu’il faudrait… quoi ? De toute façon, masser. Lucie tape bien, très bien. Dents serrée, colère rentrée. Je prends l’extrémité de la sonde trachéale à pleine bouche, j’insuffle, il n’y a pas de vide pleural là-dedans, est-ce que le massage suffit à apporter assez d’oxygène ? Je souffle, je souffle, respire !

- Sylvain, je fatigue.

Je prends sa place, et je tape, je tape, je tape, je vois du coin de l’œil le propriétaire de Ténor qui se tient à la porte du bloc, qui revient de sa pause clope, celle qu’il a prise juste après mes explications, quand tout se passait au mieux, mais qu’on allait le garder.

Je tape, putain de chien. On arrête. J’écoute. Toujours rien. Deux minutes ? Les muqueuses restent sales, un gris foireux de bleu.

Rien.

- On tape !

Je tape, Lucie souffle, je souffle, Lucie tape. Je tape et je serre les dents, je hurle en dedans parce que je ne peux pas hurler en dehors, il ne peut pas, je ne veux pas, il ne peut pas, je ne veux pas. Je tape, je déroule toute la violence que je ne peux pas laisser exploser.

Trois minutes ? J’écoute.

J’écoute. Il y a le chien sur la table, il y a moi penché sur lui, il y a Lucie et Hélène et M. Lhers et sa femme et sa fille dans ses bras.

J’écoute. Il bat. Il bat bien, et régulier, je n’y crois pas.

- Il bat. Il bat ! IL BAT !

J’en chialerais. J’en chiale, d’ailleurs, j’ai laissé tomber mon stéthoscope par terre et j’ai regardé ses muqueuses, roses, son inspiration, profonde, puis sa respiration, rapide, et inefficace.

- Il bat, putain, il bat ! Rebranche le gaz, 2 %. On reprend, Hélène, tu ballonnes, je monitores, Lucie, tu sutures, putain, c’est super, bordel, on assure ! On l’a ramené. Quoi, trois minutes ? Trois minutes ?

Il y a des confettis et des feux d’artifices dans nos voix, il y a la fébrilité et la fierté et la concentration aussi, je bloque la valve, Hélène appuie sur le thorax, je bloque le ballon, nous chassons l’air de la cavité pleurale et Lucie finit son dernier nœud, nous venons de refaire l’étanchéité et Ténor respire bien, l’ASV prend le ballon, je saisis la boîte de drainage thoracique. J’insère mon drain dans la plaie, 15 cm de plastique qui filent dans le thorax, entre les côtes et les poumons, je branche le robinet à trois voie et la seringue de 60 mL, j’aspire l’air résiduel, je rétablis le vide pleural tandis que Lucie tourne autour de mes mains et de mon drain pour achever ses sutures. Toutes les minutes, je contrôle le vide. Il se maintient.

Il se maintient.

Ténor n’a pas fait de nouvel arrêt, il est rentré chez lui le lendemain. Et il va bien.

vendredi 3 mars 2017

Vitesse

Il y a… sa voix au téléphone. Il stresse, toujours. Il veut toujours bien faire, il ne sait pas trop comment. Il n'a pas grandi dans une ferme, il n'a pas les bases, il n'a pas les routines, les bonnes et les mauvaises. Il n'est pas tout jeune, il a appris le métier sur le tard, après avoir exercé plusieurs boulots de bureau, bien loin des bouses et et des champs. Il est très scolaire. Il bouscule nos habitudes en ne pensant pas comme les fils et filles d'éleveurs.
Mais ce soir, la voix de M. Maudan n'est pas aussi posée que d'habitude. Et surtout, derrière lui, j'entends ce beuglement. Court, intense, un appel, une détresse : caractéristique. Le cri du nouveau-né qui panique et qui souffre.
« Attachez la vache, j'arrive »
J'ai à peine décollé de mon canapé que je suis déjà au volant de ma voiture, bottes au pieds. Le veau meurt, mais il n'est pas loin et je peux peut-être arriver à temps. Ma femme me dira plus tard qu'elle ne m'a jamais vu partir si vite sur une urgence.
Parce que bon, les urgences : soit elles sont si urgentes qu'il est déjà trop tard, soit elles peuvent attendre. Un peu. C'est peut-être une exception.
Alors je fonce. Je maltraite la boîte de vitesse, je fais ronfler le vieux diesel. A 23h, il n'y a personne sur les routes. Tant mieux. Je dévore les cinq kilomètres et plante ma voiture dans le chemin défoncé qui conduit à la petite stabulation d'appoint où il enferme les génisses pour leur premier vêlage. Je laisse tomber les gants ou la chasuble, je ne saisis que ma lampe frontale – il n'y a pas l'électricité, ici – un flacon de lubrifiant, des cordes pour attraper les pattes du veau, et mon palan. La nuit est très claire, et silencieuse. C'est une fin d'hiver très douce, mais il n'y a pas encore le bruissement des insectes, nous sommes loin de la route. Le clocher-mur de l'église qui surplombe le village et le vallon est la seule lumière dans ces prés isolés et ces chemins désertés. Personne, ou presque, n'habite ici. Et à cette heure-ci, les volets sont fermés, les gens dorment. Sauf les éleveurs qui veillent leurs vaches, et les vétos qui courent partout.
Là-bas, dans le pré, sous le petit toit, je vois la lampe de l'éleveur qui bouge. Surtout, j'entends le veau qui gueule. Toujours le même appel d'incompréhension, de souffrance, de panique. La mort qui vient. Je saute la barrière avec ma trousse de réa et mes cordes, bouscule en passant une limousine que je n'avais même pas remarquée. Les moufles de mon palan tapent l'un contre l'autre, le bruit métallique lui fait peur. J'espère qu'elle ne va pas m'emmerder. Dans le vallon, j'écoute le reste du troupeau qui beugle son mécontentement en entendant les appels du veau. Les vaches peuvent être très susceptibles, dans ces conditions.
La mère est couchée. Lui est coincé, le bassin qui ne passe pas. Il s'agite pour se dégager, elle ne pousse plus. Il sursaute comme un pantin, le thorax et une bonne partie de l'abdomen largement dégagés. Il suffit juste de le tirer, j'installe mes cordes, j'indique à M. Maudan de placer une autre corde autour d'un pilier de l'abri. Nous tirons le veau, j'essaie d'imprimer une rotation. Pas moyen. Nous déroulons le palan, en fixant une extrémité à la corde du poteau, l'autre aux cordelettes aux pattes du veau. Il suffit d'une traction pour le libérer. Il s'étrangle, je lui saute dessus. Accroupi contre lui, au cul de sa mère, je vérifie ses voies respiratoires, son nombril. Tout m'a l'air parf…
« L'utérus ! »
Je fais un demi-tour sur moi-même, plante mes genoux dans le sol, et plaque mes mains, mes bras et mon torse. L'utérus a suivi le bassin du veau, il est en train de sortir. Une grosse boule d'une cinquantaine de centimètres de diamètre que j'essaie de maintenir, d'empêcher de s'éverser. Je n'ai aucune chance. Il va lui suffire de deux efforts de poussée, et elle mettra tout dehors. Je ne pourrais pas retenir ça. Mais j'appuie. Je maintiens en offrant la surface la plus large possible, pourrissant mon jean et mon pull de sang et de lochies. Je me colle à la vache, poussant avec mes avant-bras et mon torse, calant le reste avec mon bassin et mes cuisses. Je ne peux pas planter mes mains là-dedans : avec une telle force, je perforerais la matrice avec mes doigts. Je résiste à ses poussées. Une première, longue et puissante. Je suis en apnée. Elle relâche, je repousse et échoue, elle se contracte à nouveau, mais je tiens bon, je glisse dans la boue hémorragique, mes pieds et mes genoux mal calés dans le sol. Le veau respire bien. Pas moi. Je maintiens encore. Elle est épuisée, je compte là-dessus. M. Maudan me demande s'il peut m'aider.
Non.
Elle pousse à nouveau, mais j'ai gagné un peu de terrain. Il y a moins d'utérus dehors. Elle abandonne, je m'engouffre, plaque les cotylédons dans le vagin, et enfonce mes deux bras, points fermés, avec la matrice, dans le vagin. Elle pousse à nouveau, mais je suis enfoncé jusqu'aux coudes, j'ai bien planté mes pieds, je bloque et je résiste. Elle relâche, cette fois je me couche et déroule avec mon bras entier son utérus à l'intérieur de son ventre. Je suis allongé par terre, le bras droit enfoncé jusqu'à l'épaule dans son vagin et son utérus, et j'ai gagné. Je ressors vite, pour qu'elle n'ait plus envie de pousser. C'est terminé.
Pour être tranquille, je fais une épidurale, anesthésiant ses sensations au niveau du bassin et du vagin. Il ne me reste plus, par acquis de conscience, qu'à fermer la vulve avec un laçage appuyé sur des épingles.
La mère va bien, et le veau aussi. Je suis couvert de sang des pieds à la tête. M. Maudan me sourit de toutes ses dents. J'éclate de rire.
C'est jubilatoire, et libérateur. J'aime ce vallon, cette vitesse et cette victoire.

vendredi 20 janvier 2017

Fin de césarienne

Fin de césarienne

- page 2 de 19 -