L'effet placebo en médecine vétérinaire

Depuis quelques mois, la question du déremboursement de l’homéopathie par la sécurité sociale a amené de nombreux débats, témoignages, pétitions et tribunes pour ou contre les médecines dites « alternatives ». Régulièrement, l’argument de l’inexistence de l’effet placebo chez les animaux et la supposée efficacité de l’homéopathie vétérinaire sont mises en avant par les défenseurs de cette dernière.

Roselyne Bachelot, pharmacienne, ex-ministre de la santé, a par exemple récemment déclaré sur un plateau télévisé : « J’ai soigné mon chien à l’homéopathie. Alors là, l’effet placebo est assez limité  Peut-être qu’avec mes granules il se disait cette femme-là me veut du bien… Parce que ça marchait très très bien ! »[1]

Ce sujet déborde largement de la question des médecines dites « alternatives » : nous ne prêtons pas assez attention à la notion de placebo. Tout comme à celle d'imputabilité.
Est-ce que ce chien va mieux grâce à mon traitement ? Que signifie ce symptôme ou ce résultat d'analyse dans le cadre de sa maladie ? Est-ce vraiment parce qu'il est vieux qu'il a un coup de mou ?
Et puis : que suis-je en train de faire ? A quoi cela sert-il ? Est-ce aussi utile que je le crois ? Que je l'ai cru ?
Le placebo est une notion essentielle qu'aucun praticien ne devrait négliger, car elle est au cœur de l'évaluation de nos propres pratiques. Je pense qu'on ne peut pas être un bon soignant si on est pas capable de se remettre en question, de douter de ses propres convictions, de ce qu'on a appris. L'effet placebo, c'est l'une des raisons pour lesquelles on peut se planter en croyant bien faire. Et même en faisant les choses tout à fait bien, selon les données actuelles de la science etc.

L'effet placebo, de quoi s'agit-il ?

Il existe plusieurs définitions de l'effet placebo. Au plus simple ? L'amélioration des symptômes d'un patient associée à l'administration d'une substance inerte.[2]
J'aime mieux : l'amélioration des symptômes d'un patient attribuables à la rencontre thérapeutique, avec ses rituels, symboles et interactions.[3]

On oppose logiquement l'effet placebo à l'effet « réel » des traitements administrés au patient. Du point de vue de son efficacité, le minimum attendu d'un médicament est de faire mieux qu'une substance inerte administrée à un patient. C'est la base de la recherche pharmaceutique moderne : un nouveau traitement est administré à des patients, mais certains d'entre eux recevront un faux traitement ayant la même apparence, sans que le patient ni le praticien chargé du traitement ne sache ce qui est réellement administré (ce sont les fameuses études en double aveugle, et pour faire ça bien, on choisit qui reçoit quoi au hasard). On comparera l'évolution des symptômes des patients ayant reçu soit le placebo, soit le vrai traitement.
Mais la notion d'effet placebo dépasse de loin le cadre de la recherche, même si c'est là qu'elle a été découverte et définie, plutôt en tant qu'obstacle qu'autre chose d'ailleurs : l'effet placebo existe également dans le quotidien de tout thérapeute, où à mon avis, il doit être vu plutôt… comme un allié un peu capricieux.

Au sens le plus rigoureux du terme, y compris dans le cadre d'une prise en charge thérapeutique ou de la recherche, l'effet placebo n'est pas la seule « cause » de l'amélioration des symptômes des patients (toujours en excluant bien sûr l'effet réel des médicaments). Une maladie, nous le savons bien, peut guérir spontanément. Ses symptômes peuvent s'améliorer naturellement – ou s'aggraver – et cela n'a rien à voir avec la rencontre thérapeutique. On sait aussi qu'un patient impliqué dans un protocole de recherche sera probablement mieux suivi qu'avant, qu'il aura tendance à mieux suivre ses autres traitements, à faire plus attention à ses soins, amenant une amélioration de ses symptômes non liée à ses attentes ou à ses croyances : ce n'est pas de l'effet placebo (mais l'effet Hawthorne).[4]

Bien sûr, l'effet placebo ne concerne pas que les molécules inertes : il est déclenché également par les traitements réellement actifs, qu'ils soient chimiques (les médicaments) ou physiques (kinésithérapie par exemple). Un exemple : une étude sur la migraine intermittente a montré que lorsque les patients prenaient une molécule inerte étiquetée « rizatriptan », l'effet du traitement n'était pas très différent de celui de la vraie molécule étiquetée « placebo ». Par contre, l'effet analgésique du rizatriptan étiqueté « rizatriptan » leur était supérieur de 50 % ![5] On pourrait imaginer une « simple » additivité de l'effet réel et de l'effet placebo… mais les choses sont bien sûr plus compliquées.[6]

Sans rentrer dans l'étude du fonctionnement neurobiologique de l'effet placebo (les choses sont mal comprises même si on a montré la mise en œuvre de mécanismes connus impliquant des neurotransmetteurs, l'activation de certaines zones du cerveau)[7], on sait qu'il repose sur la rencontre thérapeutique, sur les attentes du patient, et sur ses croyances. Cette définition implique d'ailleurs que les mécanismes de l'effet placebo au sens large dépassent largement le cadre de la médecine.
Mais pour en rester au domaine qui nous concerne, l’effet placebo découlera par exemple de la confiance qu'un patient porte en son thérapeute. « C'est un bon médecin, il a guéri ma voisine qui avait une pneumonie ». « Il soigne ma famille depuis toujours. » « Il est vieux et expérimenté. » « Il ne reçoit pas les visiteurs médicaux, lui. »
Mais aussi des rituels autour de la consultation médicale. « Il prend toujours ma tension. » « Il m'a fait une piqûre. »
Mon premier employeur m'interdisait de faire une consultation sans injecter quoi que ce soit au patient, tout comme on m’a dit de toujours « mouiller » le poil de l’animal avec de l’alcool avant d’injecter. Les rituels... La façon d’interagir est importante aussi. « Il est franc, il me regarde dans les yeux, il me serre la main. »
Les symboles. « Il a sa plaque cuivrée devant sa porte. » « Sa salle d'attente est toujours pleine »
Tout cela n'est ni scientifique, ni rationnel. C'est peut-être aussi pour cela que l'effet placebo semble détesté par les chercheurs : cet irrationnel s’immisce dans les études les mieux calibrées, et doit être évalué avec la plus grande rigueur.

Peut-on conclure de tout cela que l’effet placebo ne peut pas exister chez l’animal ?

L'effet placebo sur le soignant (caregiver placebo effect)

Roselyne Bachelot oublie (outre la possibilité d'une guérison naturelle n'ayant rien à voir avec les granules) que les symptômes observés chez son chien sont, justement, observés. Par elle. Par ses proches peut-être. Ou par son vétérinaire.
Ces symptômes sont subjectifs (degré de douleur, intensité d'une boiterie, d'un prurit…) ou objectifs (température rectale, fréquence cardiaque, fréquence de crises d’épilepsie…). Dans les deux cas, des observations très similaires à l'effet placebo tel que décrit ci-dessus chez l'homme apparaissent dans les études pharmaceutiques vétérinaires. Alors, que se passe-t-il ?

On imagine bien qu'un chien ou une chèvre n'a pas de croyances ou d'attentes concernant ma compétence ou mes médicaments. Qu'ils ne sont pas sensibles à ma belle plaque cuivrée ou à mon stéthoscope, et que mon thermomètre les ennuie plus qu'il ne les rassure. Que pour eux, la rencontre thérapeutique n'apporte rien concernant leurs symptômes, même si certains sont ravis d'obtenir une friandise ou quelques caresses. Par contre, l'effet placebo sur le soignant – propriétaire ou vétérinaire – qui observe les symptômes de l'animal, cette altération de l’évaluation des symptômes de l’animal a, lui, été clairement démontré.

Prenons par exemple une étude de 2012, incluant les chiens du groupe placebo d'une vaste étude prospective sur sept sites, randomisée en double aveugle contre placebo, évaluant l'innocuité et l'efficacité d'un anti-inflammatoire dans le traitement de boiteries secondaires à l'arthrose. Les chiens ont été évalués grâce à des plate-formes de force pendant sept semaines, des outils capables de mesurer les différences d'appui du chien sur ses quatre membres (et donc d'objectiver la boiterie, à défaut de déterminer sa gravité). Les propriétaires des animaux avaient un questionnaire à remplir pour évaluer la boiterie, et des vétérinaires spécialistes en orthopédie (diplômés de l'American College of Veterinary Surgeons) étaient chargés de juger de plusieurs critères concernant la boiterie et la douleur manifestées par les chiens. Ces évaluations subjectives ont été comparées aux données objectives fournies par les plate-formes de force. Pour près de 60 % des chiens qui recevaient un placebo, leurs maîtres ont estimé que leur boiterie s'était améliorée alors que les plate-formes de force ne trouvaient aucune amélioration. Pour près de 40 % des chiens qui recevaient un placebo, les vétérinaires spécialistes, dont le diplôme est l'un des plus exigeants de la planète, ont estimé que la boiterie s'améliorait alors que les plate-formes de force ne détectaient aucune amélioration. Alors que 50 % des chiens, et leurs maîtres comme leurs vétérinaires le savaient, recevaient un placebo (rappelons que cette étude s'est nichée dans une étude plus vaste sur l'efficacité de cet AINS).[8]

Un autre exemple, dans un autre contexte : en s’intéressant aux données de 3 études comparant chacune une thérapeutique anti-épileptique avec des placebos, deux études ont trouvé une baisse de la fréquence des crises d’épilepsie de 27 et 48 % avec les traitements actifs, mais ces mêmes études trouvent une réduction de la fréquence des crises d’épilepsie de 26 à 46 % avec les placebos ! Tout ceci est donc non significatif...[9] Or les rares études publiées par ailleurs sur de nouveaux traitements (gabapentin, levetiracetam, zonisamide) n’ont pas été faites contre placebo et trouvent des amélioration de la fréquence des crises d’épilepsie de 41 à 80 %… Qu’en conclure ? Que penser de l’efficacité de ces nouveaux traitements ? A 80 %, on peut supposer qu’il se passe quelque chose, mais à 40 % ?

Cela pousse à l'humilité, non ? En tout cas, à prendre avec des pincettes nos propres observations et celles des propriétaires de nos patients quand à l'efficacité réelle des thérapeutiques mises en place, qu'il s'agisse de médicaments ayant prouvé leur efficacité, comme les AINS dans cette étude, ou bien sûr, de la soit-disant efficacité de compléments alimentaires ou de l'homéopathie.

C'est exactement la même chose que l'effet placebo « classique » : nous avons l'impression d'aller mieux, mais pour les symptômes objectifs, la réalité est en général toute autre.
Rappelons cet exemple très connu de l'effet placebo dans le traitement de l'asthme : en comparant des mesures objectives (spirométrie) chez des patients recevant soit un bronchodilatateur par inhalation, soit un faux bronchodilatateur par inhalation, soit de l'acupuncture, soit rien du tout, on a observé une amélioration objective chez 77 % des patients recevant le vrai bronchodilatateur, et chez environ 20 % des patients recevant un placebo ou rien du tout. Du point de vue du patient, par contre, les résultats sont tout autres ! Quel que soit le traitement reçu, réel ou placebo, 50 % des patients déclarent se sentir mieux (contre 20 % chez ceux ne recevant aucun traitement).[10] C'est très important : un nombre non négligeable de patients se sentent mieux bien que leur maladie ne soit pas du tout améliorée… ce qui les met en danger !

Que devons-nous en conclure ?

Un animal peut nous sembler aller mieux parce que nous voulons croire que c’est le cas.
Il peut aller objectivement mieux parce que sa maladie s’améliore spontanément, ou que ses symptômes, la douleur arthrosique par exemple, s’améliorent ou s’aggravent naturellement.
Il peut aller mieux tout simplement parce que la personne qui s’occupe de lui a décidé de lui consacrer plus de temps, d’attention, d’améliorer son alimentation.[11] Il peut aller mieux parce qu’il a été conditionné à se sentir mieux lorsqu’on lui administre des traitements, analgésiques notamment.[12]

Soyons réalistes : nous sommes mauvais pour déterminer l'efficacité réelle d'un traitement administré à nos patients, et leurs propriétaires sont encore pire. Nous voulons qu'ils aillent mieux. Nous posons un diagnostic, nous proposons un traitement adapté, et nous, soignants, observons souvent une amélioration. Qui peut être complètement illusoire.
Comment éviter ou limiter cet écueil ? En ayant conscience de son existence ! En admettant que nous sommes bourrés de biais, d'attentes, d'espoirs. Nous voulons que nos patients aillent mieux, au risque de nous leurrer. Nous avons confiance en nous, nous avons confiance en nos traitements, nos clients aussi. Et puis, il est plus confortable pour nous de penser que nous sommes utiles et efficaces, surtout quand nos patients s’améliorent !
Nous devons douter de nos observation, de notre expérience personnelle. Nous devons baser notre pratique sur des données objectives, celles de la science, des études bien conduites.
Nous devons autant que possible nous appuyer sur des observations objectives, et non sur des témoignages ou des données subjectives. La satisfaction de nos clients, les propriétaires de nos patients, est très importante, mais essayons de l'obtenir sans nous y limiter : nous devons vérifier aussi objectivement que possible l'amélioration des symptômes ! C'est facile s'il s'agit d'une température rectale, d'un dosage de transaminases ou d'un comptage de globules blancs (et encore, mêmes ces données doivent être interprétées avec prudence). C'est nettement plus difficile s'il faut évaluer la douleur, la mobilité ou le confort respiratoire d'un patient...
C’est un enjeu critique en médecine vétérinaire, peut-être plus qu’en médecine humaine, car nous ne pouvons pas accepter que les propriétaires d’un animal souffrant, ou son vétérinaire d’ailleurs, se félicitent d’une amélioration complètement subjective tandis que la maladie ou la douleur ne sont pas correctement soignés.

Un grand merci au Skeptvet dont le travail m'a très grandement facilité la tâche lors de l'écriture de ce billet. Passant la médecine vétérinaire et les "médecines" dites alternatives au filtre de la médecine basée sur le preuves, il apporte régulièrement un esprit critique fortement bienvenu dans notre profession et nos pratiques !

Notes

[1] Nau, « Homéopathie : Roselyne Bachelot, ex-ministre de la Santé, a soigné son chien avec succès ».

[2] Skeptvet, « Placebo effect in animals ».

[3] Kaptchuk et Miller, « Placebo Effects in Medicine ».

[4] McCarney et al., « The Hawthorne Effect ».

[5] Kam-Hansen et al., « Altered Placebo and Drug Labeling Changes the Outcome of Episodic Migraine Attacks ».

[6] Coleshill et al., « Placebo and Active Treatment Additivity in Placebo Analgesia ».

[7] Kaptchuk et Miller, « Placebo Effects in Medicine ».

[8] Conzemius et Evans, « Caregiver Placebo Effect for Dogs with Lameness from Osteoarthritis ».

[9] Muñana, Zhang, et Patterson, « Placebo Effect in Canine Epilepsy Trials ».

[10] Wechsler et al., « Active Albuterol or Placebo, Sham Acupuncture, or No Intervention in Asthma ».

[11] Gruen, Dorman, et Lascelles, « Caregiver Placebo Effect in Analgesic Clinical Trials for Cats with Naturally Occurring Degenerative Joint Disease-Associated Pain ».

[12] Keller, Akintola, et Colloca, « Placebo Analgesia in Rodents ».

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