Tu l'attendais
lundi 15 juillet 2019, 20:33 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Chancelant et espérant, tu te tenais devant la porte de mon chenil. Avec ta tronche de griffon déshydraté, tes poils blancs et tes yeux enfoncés, tu guettais à travers cette vitre, sans trop savoir ce que tu observais. Tu savais juste que c’était par là qu’il s’en était allé.
Dans ta vieille caboche de chien obstiné, tu savais juste qu’il était parti, tu voulais juste le retrouver. Tu étais tombé de ta cage, pour t’évader, tu avais glissé, tu t’étais relevé. Je t’avais doucement accompagné.
Tu attendais.
Tu l’attendais.
Et moi je lui téléphonais, je lui disais, qu’il n’y avait plus rien, à espérer. Je lui disais que tu souffrais. Que tu mourais de faim, que tu mourais de soif. Que tu t’en allais.
Et toi, toi tu aurais bien voulu t’en aller, marcher, sans savoir où tes pas te conduiraient, mais tu étais resté ici, avec moi. Tu n’avais lancé qu’un regard indifférent à ma tondeuse, à mon garrot et à mes seringues. Tu ne me regardais pas, tu ne m’entendais pas.
Tu te tenais devant cette porte, tu attendais comme attendent tous les chiens, comme ils attendent toujours les humains. Tu espérais, inconditionnellement. Tu te rappelais les sangliers, les courses dans les bois, dans les prés. Les caresses, le canapé. Ta vie de chien, sa vie d’humain. Pour toi son salon, pour lui l’usine, pour vous, parfois, les évasions dans les champs et les bois. Dans les ronciers. Chasser. Combien de fois t’ai-je recousu ? Combien de nuit as-tu déjà passé ici, avec moi ? Déjà, déjà : tu l’attendais. Mais alors, alors : toujours, il revenait.
Il ne viendra pas.
Il pleure, je le sais, j’ai entendu sa voix se briser. Il pleurait comme pleurent ceux qui n’osent pas pleurer. Il savait que tes reins avaient lâché.
Alors je me tiens assis à côté de toi, devant cette porte, je t’ai regardé espérer, je t’ai contemplé, dans toute ta caninité, je t’ai contemplé devant ton reflet, et j’ai injecté. Quand tu as chancelé, je t’ai accompagné, je suis là pour toi, pour que tu tombes dans mes bras. Déjà, tu n’y voyais plus, qui sait ce que tu percevais ? Qui sait ce que tu perçois ? Je me rappellerai de toi, de tes courses dans les bois.
Commentaires
Comme d'habitude, un magnifique texte.
J'aurai aimé que le maître revienne.... J'ai toujours pris sur moi et suis détruite de l'intérieur des euthanasies que j'ai dû valider auprès de ma véto, mais leur accompagnement passe avant tout.
Toujours très beaux, très émouvant simplement aussi triste qu’une vie qui prend fin accompagnée par une belle personne.
Tout mon respect à vous.
J’ai apprécié votre livre et tout autant votre blog.
J'en ai chialé !
Je redoute ce moment depuis le jour où je l'ai adopté.
Mon couillon de chien qui ne sais pas gérer sa guibole endommagée...
Nul ne sais comment ça va se passer mais j'espère de tout coeur être à ses côtés.
Merci pour eux.
Merci de les accompagner
Merci de partager
Merci de nous rassurer
Merci
Merci pour ce magnifique texte, saisissant .J'ai la larme à l'oeil.
Visé dans le Mille, Doc.
Touchée en plein coeur.
Encore une de ses histoires dures. Bon courage doc.
J'ai du euthanasier avec les moyens du bord un piaf salement amoché par un corbac en pleine nature. Nécessaire mais pas aimé.
SVP, vous n'auriez pas des histoires un peu plus joyeuses? Ces temps ci la météo comme l'économie n'est pas à la joie. Que je sache, vous ne faites pas qu'euthanasier ou d'accompagner en fin de vie, si?
J'aimais bien les photos des p'tits veaux et autres à la naissance. Les naissances nous aident à supporter les morts.
Merci. des histoires comme celle-ci prouvent qu'il
y a des humains qui méritent le qualificatif "humain".
Et les "bêtes" nous donnent souvent de belles leçons
d'amour et de fidélité dont nous pourrions nous
inspirer !
C'est très beau Doc ça faisait longtemps que j’avais pas suivi vous histoires magiques.... ça change pas vous êtes l’humain avec le plus grand cœur animal ❤️ MERCI d’être là ????