Solidarité

Ça a commencé à l’échelle de notre équipe. Dès le vendredi 13, renvoyer notre ASV vulnérable à la maison avec nos quelques masques FFP2 hérités de l’époque de la grippe aviaire. Créer un groupe whatsapp avec vétos et ASV pour échanger pendant le week-end, pour imaginer à quoi allait ressembler la suite. Proposer des solutions pratiques immédiates, anticiper ce que nous maintiendrions et ce que nous annulerions. Imaginer comment nous adapter, comment communiquer, et garder le contact avec les confinés.
Ça a continué à l’échelle du village. Appeler un des médecin pour lui proposer notre stock de masques, blouses et surblouses, en faire l’inventaire, en garder quelques uns pour nous, et mettre le reste en cartons. Livraison dimanche soir à la maison médicale et à l’EHPAD.
Ça s’est poursuivi à l’échelle de notre « région », la moitié du département, via le groupe de discussion de notre GIE. Questions et réponses entre vétérinaires, voir comment chacune et chacun prenait la crise à venir et se préparait à ce qui allait venir. Que faire des prophylaxies, comment comprendre et recourir au chômage partiel, qui mettre en arrêt de travail et comment ? Comment naviguer entre les injonctions contradictoires du gouvernement ? Et s’appuyer sur les consignes claires de l’Ordre, même si certaines ne nous plaisaient pas. J’ai apprécié à sa juste valeur l’unanimité sur le sérieux de la situation, l’application générale de mesures difficiles pour nos cliniques, nos salariés, nos trésoreries. Nous savons ce que donne une épizootie mal contrôlée. Nous avons malheureusement l’habitude de ramasser les cadavres et de voir pleurer les éleveurs… Nous ne pouvons pas faire comme si nous ne savions pas.
Mais la chaîne ne s’est pas arrêtée là. Sur Twitter, j’ai vu les photos et les messages des écoles vétérinaires, des confrères et consœurs livrant leur matériel aux hôpitaux et aux EHPAD. J’ai vu mes confrères et consœurs s’engager massivement dans la réserve sanitaire. J’ai vu aussi des particuliers déposer des masques dans les maisons de santé ou les donner aux caissières des supermarchés.
J’ai surtout lu les messages bouleversants des aides-soignantes, des infirmières, des médecins réorganisant leur vie pour faire face, parce qu’il n’y a rien d’autre à faire, malgré l’impréparation, malgré les circonlocutions gouvernementales, malgré aussi la cacophonie invraisemblable provoquée par des chercheurs plus intéressés par leur propre gloire et leurs intuitions que par l’éthique médicale.
Au lieu des mesquineries de masques ou de caducées volés, des crasses faiblesses de l’humanité terrifiée, j’ai préféré regarder cette solidarité évidente, celle des soignants qui en reviennent aux fondamentaux : être là pour soulager, pour soigner, ou pour accompagner les derniers instants de ceux qui ne pourront être sauvés. Parce que finalement, c’est peut-être ça, la vocation. Ce qui reste quand on doit oublier le reste. Le fondamental, l’évidence. Nous soignons, et si nous ne pouvons pas soigner, nous pouvons certainement aider ceux qui nous soignent.
Je suis fier de ma profession. De mon Ordre. Mais aussi de ceux qui se mettent en danger pour faire fonctionner notre société, et bien sûr de ceux qui se mettent en danger pour nous soigner. Et, bien qu’elle me fasse si souvent désespérer, fier de l’humanité. Il suffit de savoir quoi regarder.

Ce billet a été écrit pour La Semaine Vétérinaire numéros 1849 et 1850 des 10 et 17 avril 2020

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