Pour l'euthanasie ?

On suppose souvent que je suis pour l’euthanasie. Humaine, s’entend. Dans ces conversations anodines, ces réflexions qui tombent parfois. Parlant du chien, ou du chat : « Ah, au moins, lui on peut l’aider à partir. Il a de la chance. Une chance que nous n’aurons pas. »
Oui : je sais ce qu’est l’euthanasie, je la pratique, pas tous les jours heureusement, mais assez souvent pour qu’elle fasse partie de mon quotidien. Je décide, avec le ou les maîtres d’un animal, de mettre fin à sa vie. Exceptionnellement, il m’arrive de décider seul, quand un animal n’a aucun propriétaire connu. Animal trouvé, ou animal sauvage.
Dans ces moments là, nos clients se tournent vers nous, vétérinaires. Nous savons. Nous savons mettre fin à une vie d’une façon décente, nous savons donner la mort avec douceur, avec patience, dans le respect le plus attentif au bien-être de l’animal. Mais nous tuons. Je tue. Je tue parce que je pense, à ce moment là, que c’est la moins mauvaise solution. Soit parce qu’on me l’a expressément demandé, et que je suis d’accord, soit parce qu’on m’a demandé mon avis et que j’ai convaincu mes interlocuteurs que c’était la seule solution décente. Ce sont des discussions et réflexions parfois longues, mais qui doivent être menées avec la plus grande sincérité possible.
J’ai certainement eu tort, plusieurs fois. Il y a des erreurs, ou en tout cas des incertitudes, que je n’oublie pas. J’ai fini par accepter que je ne pouvais pas maîtriser cette incertitude. Le doute m’accompagnera toujours, même pour certaines décisions qui furent partagées avec mes confrères et consœurs. On m’a encore reproché, il y a un an ou deux, la mort de Congélo. J’ai été blessé, mais dans le fond, je sais que nous n’aurions pas du, même si c’est « facile » à dire aujourd’hui. Il n’y avait, à ce moment là, aucune autre solution. Aujourd’hui, les choses ne se passeraient pas comme ça. Aujourd’hui, nous trouverions un adoptant. C’était « juste » la mauvaise situation, au mauvais moment.

Je sais cependant à quel point l’euthanasie allège les souffrances qui ne sont plus de notre ressort, quand nous ne trouvons plus d’autre solution pour l’animal, quand nous nous heurtons aux limites de nos possibilités. Mais ces limites, avez-vous vraiment réalisé ce qu’elles sont ?
Il y a, tout d’abord, une limite purement médicale. Parfois, il n’existe tout simplement pas de solution. Certaines maladies ne peuvent être guéries, ou même gérées, parce que l’état de nos connaissances aujourd’hui ne nous le permet pas.
Il y a, ensuite, une limite économique. Des solutions peuvent exister, qui ne seront pas applicables car hors de portée de la bourse de tout un chacun. Ce sont ces mêmes limites qui nous font parfois choisir des pis aller, lorsque par exemple, la patte fracassée d’un chat ne sera pas réparée car les spécialistes demanderont une somme inaccessible. Plutôt que l’euthanasie, nous proposerons une amputation que nous pourrons réaliser, nous, généralistes de premier recours, et s’il le faut, nous étalerons les paiements sur une année. Mais parfois, c’est tout simplement inenvisageable. Notamment lorsque nous parlons d’animaux d’élevage, où l’éleveur doit, in fine, gagner sa vie.
Il y a, enfin, la limite de nos capacités en soins palliatifs (dont l’objectif, rappelons-le, est d’accompagner une fin de vie inéluctable par des soins n’ayant pas vocation à guérir la maladie, mais à prendre en charge la souffrance, dans sa définition la plus large). Nous sommes mauvais. Nous avons fait des bonds de géants en terme de gestion de la douleur et des maladies chroniques irréversibles, mais nous nous heurtons malgré tout à une réalité : des soins palliatifs de la qualité de ceux qui peuvent être offerts en médecine humaine nous sont inaccessibles, et le resteront probablement. Pour des raisons économiques, sinon scientifiques.
Voilà pourquoi je n’ai pas un avis tranché concernant l’euthanasie humaine : je crois qu’il existe d’autres solutions, très difficiles à comprendre et envisager pleinement lorsqu’on n’y est pas confronté. Je ne sais pas, moi-même, comment fonctionne un service de soins palliatifs. Je n’ai qu’une image très imparfaite des possibilités dont disposent nos médecins, nos infirmières, et les équipes qui les aident et les entourent. Mais je sais que vraiment, vraiment, il n’est pas envisageable de confondre l'euthanasie et les soins palliatifs, même lorsque ces derniers se concluent par une sédation. Il n’y a rien, moralement et techniquement parlant, de commun entre l’injection d’un poison à visée létale et l’administration d’un produit permettant de faire perdre conscience quand la souffrance devient trop importante. Et j’aimerais que, dans ma pratique quotidienne, cette seconde option me soit accessible. Ou, mieux, que j'aie les moyen de prodiguer de meilleurs soins palliatifs.
Ce n’est pas le cas. Alors, je continuerai à décider, pour un animal qui n’a rien demandé, que oui, il est « juste » que je mette fin à ses jours, alors que, probablement, il me fera confiance, comme il a toujours appris à faire confiance aux humains bienveillants qui l’entourent.

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