Pour l'euthanasie ?
mardi 7 avril 2020, 16:17 Un peu de recul Lien permanent
On suppose souvent que je suis pour l’euthanasie. Humaine, s’entend. Dans ces conversations anodines, ces réflexions qui tombent parfois. Parlant du chien, ou du chat : « Ah, au moins, lui on peut l’aider à partir. Il a de la chance. Une chance que nous n’aurons pas. »
Oui : je sais ce qu’est l’euthanasie, je la pratique, pas tous les jours heureusement, mais assez souvent pour qu’elle fasse partie de mon quotidien. Je décide, avec le ou les maîtres d’un animal, de mettre fin à sa vie. Exceptionnellement, il m’arrive de décider seul, quand un animal n’a aucun propriétaire connu. Animal trouvé, ou animal sauvage.
Dans ces moments là, nos clients se tournent vers nous, vétérinaires. Nous savons. Nous savons mettre fin à une vie d’une façon décente, nous savons donner la mort avec douceur, avec patience, dans le respect le plus attentif au bien-être de l’animal. Mais nous tuons. Je tue.
Je tue parce que je pense, à ce moment là, que c’est la moins mauvaise solution. Soit parce qu’on me l’a expressément demandé, et que je suis d’accord, soit parce qu’on m’a demandé mon avis et que j’ai convaincu mes interlocuteurs que c’était la seule solution décente. Ce sont des discussions et réflexions parfois longues, mais qui doivent être menées avec la plus grande sincérité possible.
J’ai certainement eu tort, plusieurs fois. Il y a des erreurs, ou en tout cas des incertitudes, que je n’oublie pas. J’ai fini par accepter que je ne pouvais pas maîtriser cette incertitude. Le doute m’accompagnera toujours, même pour certaines décisions qui furent partagées avec mes confrères et consœurs. On m’a encore reproché, il y a un an ou deux, la mort de Congélo. J’ai été blessé, mais dans le fond, je sais que nous n’aurions pas du, même si c’est « facile » à dire aujourd’hui. Il n’y avait, à ce moment là, aucune autre solution. Aujourd’hui, les choses ne se passeraient pas comme ça. Aujourd’hui, nous trouverions un adoptant. C’était « juste » la mauvaise situation, au mauvais moment.
Je sais cependant à quel point l’euthanasie allège les souffrances qui ne sont plus de notre ressort, quand nous ne trouvons plus d’autre solution pour l’animal, quand nous nous heurtons aux limites de nos possibilités. Mais ces limites, avez-vous vraiment réalisé ce qu’elles sont ?
Il y a, tout d’abord, une limite purement médicale. Parfois, il n’existe tout simplement pas de solution. Certaines maladies ne peuvent être guéries, ou même gérées, parce que l’état de nos connaissances aujourd’hui ne nous le permet pas.
Il y a, ensuite, une limite économique. Des solutions peuvent exister, qui ne seront pas applicables car hors de portée de la bourse de tout un chacun. Ce sont ces mêmes limites qui nous font parfois choisir des pis aller, lorsque par exemple, la patte fracassée d’un chat ne sera pas réparée car les spécialistes demanderont une somme inaccessible. Plutôt que l’euthanasie, nous proposerons une amputation que nous pourrons réaliser, nous, généralistes de premier recours, et s’il le faut, nous étalerons les paiements sur une année. Mais parfois, c’est tout simplement inenvisageable. Notamment lorsque nous parlons d’animaux d’élevage, où l’éleveur doit, in fine, gagner sa vie.
Il y a, enfin, la limite de nos capacités en soins palliatifs (dont l’objectif, rappelons-le, est d’accompagner une fin de vie inéluctable par des soins n’ayant pas vocation à guérir la maladie, mais à prendre en charge la souffrance, dans sa définition la plus large). Nous sommes mauvais. Nous avons fait des bonds de géants en terme de gestion de la douleur et des maladies chroniques irréversibles, mais nous nous heurtons malgré tout à une réalité : des soins palliatifs de la qualité de ceux qui peuvent être offerts en médecine humaine nous sont inaccessibles, et le resteront probablement. Pour des raisons économiques, sinon scientifiques.
Voilà pourquoi je n’ai pas un avis tranché concernant l’euthanasie humaine : je crois qu’il existe d’autres solutions, très difficiles à comprendre et envisager pleinement lorsqu’on n’y est pas confronté. Je ne sais pas, moi-même, comment fonctionne un service de soins palliatifs. Je n’ai qu’une image très imparfaite des possibilités dont disposent nos médecins, nos infirmières, et les équipes qui les aident et les entourent. Mais je sais que vraiment, vraiment, il n’est pas envisageable de confondre l'euthanasie et les soins palliatifs, même lorsque ces derniers se concluent par une sédation. Il n’y a rien, moralement et techniquement parlant, de commun entre l’injection d’un poison à visée létale et l’administration d’un produit permettant de faire perdre conscience quand la souffrance devient trop importante. Et j’aimerais que, dans ma pratique quotidienne, cette seconde option me soit accessible. Ou, mieux, que j'aie les moyen de prodiguer de meilleurs soins palliatifs.
Ce n’est pas le cas. Alors, je continuerai à décider, pour un animal qui n’a rien demandé, que oui, il est « juste » que je mette fin à ses jours, alors que, probablement, il me fera confiance, comme il a toujours appris à faire confiance aux humains bienveillants qui l’entourent.
Commentaires
Dans ce confinement actuel généralisé, votre réflexion tombe
pile. Nous avons l'opportunité de faire une pause et de réfléchir. L'euthanasie… sujet oh combien lourd et difficile.
Pour nos animaux familiers aussi. Dix chats dans ma vie.
Sauf un qui a fait une crise cardiaque pendant la nuit et pour
lequel mon vétérinaire m'a avoué avoir été soulagé de ne pas
avoir dû lui faire la piqûre de délivrance (parce qu'il avait un
faible pour celui-là). Chaque fois un moment dur à vivre,
la piètre consolation qu'on abrège des souffrances qu'on ne
sait plus soulager. grandeur et misère de la condition humaine… Débat sans fin de ceux pour qui c'est la vie à
tout prix et ceux qui acceptent de prendre une décision difficile et qui savent qu'ils se demanderont parfois "ai-je bien fait ?"
Continuez votre blog. Tranches de vie, réflexions qui nous amènent à nous poser aussi des questions. Et qui, finalement, nous aident à vivre quand on s'efforce d'y répondre.
Encore merci pour vos tranches de vie… et de mort. Continuez quand vous le pouvez. Et, quand "l'histoire
finit bien", c'est du soleil pour la journée. On ne fait jamais - ou rarement - les unes des journaux avec des nouvelles
ensoleillées; alors que ce monde est plein de braves gens,
dans toutes les professions, qui font de leur mieux pour agir
bien et aider les autres, humains ou animaux.
Par delà les distances et même les frontières, vous avez
créé un "réseau" de fidèles auxquels vous apportez plus de
réconfort que vous ne l'imaginez peut-être. Merci.
J'ai vécu la fin de vie chez un proche (soins palliatifs). Je peux assurer ceux qui ont des doutes qu'il n'y a pas d'acharnement thérapeutique mais qu'il n'y a pas non plus d'euthanasie.
Je pense que chez l'humain le cas "Vincent Lambert" a posé problème parce que techniquement il est maintenant possible de maintenir fonctionnel à très long terme un corps dont le cortex est détruit. Avant on pouvait dire une personne est vivante ou non, aujourd'hui on est obligé de se poser la question si la personnalité existe encore ou s'il est possible de la ramener.
Chez l'animal évidemment le cas se pose peu pour des raisons économiques mais aussi parce que je pense que les gens imaginent mal, même si c'était possible, que leur animal reste indéfiniment dans un état comateux.
Je suis triste d'apprendre qu'on vous ait reproché "congélo". Dans cette affaire, vous étiez la personne chargée de faire le "sale boulot", de prendre la "sale décision". Tout le monde trouvait congelo adorable mais personne ne voulait prendre la responsabilité de l'accueillir. Impasse. Vous vous êtes retrouvé à être celui qui prenait la décision dure que personne ne pouvait ni n'avait le courage de prendre. Vous faites vraiment un travail difficile.
Bonjour Docteur,
L'euthanasie en milieu médical humain, je pense qu'on la pratique déjà, sans que ça s'appelle euthanasie. Mais quand on augmente tranquillement les doses de Morphine(et d'autres produits comme le Fentanyl par exemple) le but étant que la personne arrête de respirer sans qu'elle en souffre. Elle s'encombre petit à petit et à un moment donné elle arrête de respirer.
Pour tous les accompagnements en fin de vie que j'ai fait, ça a été une délivrance, pour la famille et pour l'équipe soignante et médicale.
J'ai fait un semblant d'accompagnement de fin de vie avec un de mes chats. J'avais la permission de mon vétérinaire de mettre des perfusions à ce chat qui était en insuffisance rénale, histoire de rincer le tout et voir si les reins repartent. Les chances étaient très minces. Je pris soins de lui pendant 1 semaine à la maison. J'ai vraiment eu l'impression de faire des soins palliatifs. Cette période m'a permis de faire mon chemin vers une vie sans ce chat et de me rendre compte que je n'avais pas le droit de lui infliger cette souffrance.
La souffrance chez l'animal se voit, c'est dans leurs yeux, dans leur comportement. Et quand on vit avec eux tous les jours, pour ma part en tous les cas, ils nous disent, ils nous le montrent, d'une manière ou d'une autre, qu'ils ne vont pas bien.
C'est ma vétérinaire qui a fait l'injection. Pour moi ça a été une décision très difficile à prendre. Qui je suis pour décider si mon chat doit vivre ou pas? De quel droit je décide de sa vie ou de sa mort?
Le magnifique souvenir que je garde de cet instant c'est qu'il s'est endormi dans mes bras
Le pire est d'avoir conscience de notre faillibilité, et de savoir que jamais, on ne pourra s'en défaire puisqu'elle est inhérente à l'humain...heureux l'imbécile qui n'a pas perçu la sienne car la faillibilité est la mère de la culpabilité.
Par définition, donc, on se trompe tous, et nombre de fois dans une vie. L'idée est donc de se décaler de l'émotion pour se tromper le moins possible....Facile sur le papier, beaucoup moins sur le terrain!
Nous avons eu affaire à l’euthanasie en 2015 pour Rex, un croisé Labrador/Dobermann. C’était déjà un vieux chien, il avait 15 ans. Il avait un cancer derrière l’œil, répugnant à voir mais qui n’évoluait pas vite, et une arthrose généralisée.
Nous avions plusieurs fois interrogé notre véto en lui demandant de nous dire « quand » le moment serait venu. Elle nous avait dit que quand notre bonhomme ne prendrait plus ses plaisirs habituels (ne plus gueuler sur les moutons d’un côté ou les vaches de l’autre, ne plus essayer de chopper un chat ou un oiseau…), ce serait le « moment ».
Et puis en fait nous avons pris notre décision quand Sally, notre chienne, l’a fait tomber à plusieurs reprises et qu’il a été incapable de se relever. C’était le « moment ».
Notre véto nous a donné RV à l’heure du déjeuner où il n’y avait plus personne dans son cabinet que nous aurions pu croiser (merci encore pour sa délicatesse !).
Rexouille est arrivé dans le cabinet tout content comme toujours, il a eu droit à une petite gourmandise.
Puis, la véto lui a placé un cathéter dans la patte, et c’est tout. Il a eu droit à une autre petite friandise et est reparti tout content vers la voiture, garée devant le cabinet.
Il est remonté (avec un coup de main) dans le coffre, s’est installé en grognant de plaisir dans son panier que nous avions emporté.
Et là, tout doucement, dans la rue, notre véto lui a injecté dans le cathéter l’anesthésique puis le produit d’euthanasie.
Il s’est endormi immédiatement, dans le bonheur de « sa » voiture et de « son » panier. Il n’a rien senti, rien vu venir et n’a pas eu peur.
C’est la plus belle mort que nous pouvions lui offrir et je remercie infiniment notre véto d’avoir permis cela.
Nous avons eu une deuxième expérience beaucoup moins agréable.
Nous étions avec Doudouce, très vieille Chartreuse en fin de vie, avec un foie en dégénérescence, en vacances chez ma grand-mère près d’Onzain dans le Loir-et-Cher.
Un matin, vers 9h, elle a eu des vomissements très violents, avec ce que je pense avoir été un AVC. Elle a été ensuite horriblement mal. Nous avons appelé le véto d’Onzain pour lui demander de bien vouloir venir à la maison euthanasier Doudouce car il était évident que c’était pour elle la fin. Elle était intransportable, elle hurlait dès qu’on cherchait à la déplacer. Il a fait des histoires en disant qu’il n’était pas disponible avant le lendemain soir.
Elle a souffert toute la journée, avec beaucoup de spasmes : son corps était soulevé en l’air dès qu’elle essayait de se relever.
Elle est morte le soir, vers 21h, après avoir beaucoup souffert.
C’était il y a onze ans mais j’en veux toujours beaucoup à ce véto qui n’a pas voulu se déplacer et qui a laissé ma Doudouce souffrir longtemps. Qu’est-ce qui a cloché ? Est-ce que je n’étais pas rentable comme cliente ?...