Ca y est, la loi renforçant les mesures de prévention et des protection des personnes contre les chiens dangereux a été promulguée. Revue de détail.
Rappel des épisodes précédents :
Si vous avez un peu suivi, toute une catégorie de ce blog est dédiée aux chiens dits dangereux. Pour les plus intéressés, vous pouvez tout lire. Pour les autres, je vais récapituler rapidement.
A l'origine était la loi du 6 janvier 1999 sur les chiens susceptibles d'être dangereux, qui donna une existence légale au pitbull et tenta de trouver une solution de bon sens au problème : tous les stériliser, pour les faire disparaître, et punir les maîtres qui se promèneraient avec les survivants sans faire attention. On découvrit ainsi deux catégories de chiens dits dangereux, on réprima, et... on constata que ça ne marchait pas. On avait toujours de nouveaux pitbulls sur le marché, puisque le Journal de Mickey avait menti.
Le Journal de Mickey ? Oui, vous savez, Pat Hibulaire et autres brigands ont toujours un bandeau noir avec deux trous sur les yeux (on dit un loup, non ?), ça permet de comprendre qu'ils sont méchants. Le législateur aurait bien aimé qu'il en soit de même avec les chiens, et les pitbulls semblaient parfaitement coller au rôle. Idée splendide : en les stérilisant, ils disparaîtraient. Sauf que... un pitbull n'est finalement qu'un avatar raté de super-vilain et qu'un chien n'est pas génétiquement méchant. En plus, en croisant un boxer et un fox terrier, ou un labrador, ou à peu près n'importe quoi, on obtient un magnifique pitbull tel que défini dans la loi, et potentiellement aussi méchant que Pluto. Vous savez, l'ami de Mickey. Ou son chien. Bref.
Ca n'a pas marché. On a bien bidouillé un peu la loi ensuite, mais ça n'a pas été beaucoup mieux.
D'ailleurs, un gamin ou deux se sont fait manger par des chiens qui n'avaient pas leur bandeau noir. Il faut dire qu'entre 1989 et 2007, seules 5 décès sur 28 sont imputables à des chiens de catégories. Pour 23 provoquées par d'autres canidés ayant oublié de porter leur bandeau : des bergers allemands, des husky, un jagd terrier, etc. (et 6 qui n'ont pas été précisés). Et au-delà des morts, accidents dramatiques et spectaculaires, il y a aussi toutes les morsures qui restent généralement inconnues du grand public. Parfois, la presse et le président s'ennuient et s'éveillent soudain, promettant moultes répressions et punitions aux vilains porteurs de bandeaux. Ah zut, il ne portait pas de bandeau, celui-là.
Alors on s'est dit qu'on allait tous les euthanasier, tiens, les vilains pits et les Mirza qui avaient juste un peu une sale tronche. Un conseiller de bonne volonté a expliqué à la ministre que, par exemple, un croisement de labrador et de boxer ça donnait un pit, alors elle s'est dit qu'elle allait interdire ces liaisons accouplements dangereux, et surtout leurs produits (interdire, avec des chiens, ça veut dire tuer). Manifestement, le conseiller ne s'était pas bien fait comprendre. Puis finalement, ça n'a pas semblé très raisonnable, alors les débats ont avancé.
Le texte a fait des aller-retours entre le Sénat et l'Assemblée, subissant de nombreuses ajustements très importants. Les vétérinaires, notamment par l'intermédiaire de l'association Zoopsy, ont réussi à prouver que la profession pouvait s'impliquer dans le volet préventif,
Dans ces navettes, un observatoire des comportements canins, chargé de fournir des statistiques exploitables sur les morsures et autres impacts du chien dans la société française a joué le serpent de mer entre les deux chambres.
Le volet répressif s'est alourdi.
L'idée d'abandonner la catégorisation obsolète en fonction du bandeau noir n'a malheureusement pas été retenue, mais au moins les catégories n'ont pas été étendues.
Certains ont soutenu l'idée de catégoriser la dangerosité des chiens en fonction de leur poids.
L'idée d'évaluer le comportement du chien et de former le maître a été évoquée, puis retenue.
Les conditions d'un détention d'un chien de garde par un professionnel du gardiennage ont également été définies.
La loi du 20 juin 2008
Je vous rappelle que vous pouvez trouver l'intégralité de ce texte sur Légifrance. J'ai déjà commenté une version assez aboutie de ce texte dans ce billet, consacré à la deuxième lecture au Sénat. Enfin, cette loi vient compléter celle du 6 janvier 1999, dont je parle ici, n'hésitez pas à vous y référer.
Le dernier rapport de Mme Vautrin, pour la commission mixte paritaire, détaille de façon intelligible les différents articles de la loi en précisant certains arguments des divergences entre l'Assemblée et le Sénat. Je reprends l'essentiel dans un ordre qui me semble plus logique.
Un observatoire du comportement canin
Il est institué, auprès du ministre de l'intérieur, des ministres chargés de l'agriculture et de la santé, un Observatoire national du comportement canin.
Un décret définit les conditions d'application du présent article.
Évidemment, le décret n'est pas paru. L'idée est de fournir des données et une structure capable de propositions dans le cadre de la lutte contre les chiens dits dangereux, mais aussi, plus largement, sur la place du chien dans notre société. Cette structure, souhaitée par le Sénat, était refusée par les députés qui craignaient, comme Authueil, une énième usine à gaz. Ou à pétrole, parce que c'est plus cher. A mon avis, cette structure est nécessaire, j'espère qu'Authueil se trompe et qu'elle sera productive.
Il faut quand même savoir que l'on légifère et argumente sans avoir de donnée fiable sur la dangerosité des chiens, sur le nombre de morsures, sur l'impact des lois précédentes, etc... Certaines mauvaises langues argueront que c'est une habitude de procéder ainsi, mais je ne serai pas fâché d'avoir des données sérieuses là où règne un mélange de bon sens (et je me méfie du bon sens), d'expérience empirique et un fatras de chiffres contradictoires.
L'obligation de déclarer les morsures
Les professionnels, dont je fais partie, devront passer outre le secret professionnel et déclarer au maire les morsures dont ils auront connaissance, même les plus minimes. Cette déclaration déclenchant éventuellement une action du maire dont vous allez découvrir les détails ci-après...
Une formation pour les maîtres de chiens considérés comme dangereux
Une des nouveautés de cette loi est de prendre en compte les chiens ayant déjà mordu, même légèrement. Les maîtres de ceux-ci, comme ceux des chiens des catégories créées par l'article L. 211-12 de la loi du 6 janvier 1999, devront suivre une formation dispensée par des éducateurs canins agréés.
Le rapport précise que :
La formation durerait une journée. Une partie théorique permettrait d’approfondir des connaissances sur le chien, son éducation, et les réseaux d’aide à l’éducation canine, ainsi que les règles fondamentales de sécurité relative à la garde de l’animal dans les espaces publics et privés. Lors d’une partie pratique, le propriétaire ou détenteur devra démontrer sa capacité à savoir faire marcher un chien à ses côtés et à le maîtriser, à savoir se faire obéir à des ordres élémentaires, savoir poser correctement une muselière, et maîtriser le comportement du chien en présence d’autres chiens et de leurs maîtres.
La formation sera à la charge du maître.
Une évaluation comportementale
Les chiens considéré comme dangereux, donc, par défaut, ceux des catégories 1 et 2 comme ceux qui auront déjà mordu (même légèrement !) devront passer par une évaluation comportementale. dans le dernier cas, ce sera donc éventuellement sur demande du maire. L'idée est de prendre en charge les chiens présentant des comportements agressifs même modérés afin d'éviter les véritables drames, car le bon sens et l'expérience (mais aucune donnée statistique ou validée, suivez mon regard vers l'observatoire) nous indiquent que les chiens qui ont mordu gravement avaient déjà fait preuve de comportements anormaux avant, comportements qui auraient du déclencher une alerte.
Notez que les sénateurs voulaient mettre en place un seuil de poids au-dessus duquel l'évaluation aurait été obligatoire en raison de la gravité supérieure des morsures des gros chiens. Ce critère a été abandonné, avec les justifications suivantes :
Les différents acteurs de la filière canine ne sont pas unanimes sur le poids critique. Le seuil de 30 kilogrammes, souvent évoqué, permettrait d’englober près du quart de la population canine. Mais de nombreux chiens considérés comme dangereux, appartenant aux catégories 1 et 2 notamment sont bien moins lourds. Un seuil plus bas concernerait un trop grand nombre de chiens, faisant peser des contraintes excessives sur leurs maîtres. Un tel dispositif serait sans doute inopérant, faute d’un nombre suffisant de professionnels qualifiés pour effectuer les évaluations comportementales. On ne peut pas non plus faire abstraction du risque de mauvais traitements de certains propriétaires de chiens qui ne les nourriraient plus assez, afin de maintenir leur poids en dessous du seuil réglementaire. Or on sait bien que ces mauvais traitements augmentent la dangerosité des chiens. Enfin, un tel seuil risque d’augmenter encore les abandons d’animaux.
En outre, comme l’indiquait le ministre de l’Intérieur, si le poids de référence était fixé à 30 kg, plus de 2 millions de familles seront concernées. Le contrôle de l'efficacité de cette mesure sera donc extrêmement difficile.
Votre rapporteur estime que l’article 4 apporte déjà une solution à ce problème, en soumettant à évaluation comportementale tout chien mordeur : les morsures sérieuses sont en général précédées de petits incidents. Si les chiens sont mis sous surveillance et leurs maîtres responsabilisés dès ce stade, cela doit permettre de prévenir les morsures dangereuses.
L'évaluation sera à la charge du maître.
Je reprendrais ultérieurement ce point spécifique qui concerne la profession vétérinaire dans un billet dédié.
Une augmentation des pouvoirs des maires
Dans le prolongement de la loi du 6 janvier 1999 et de l'extension du pouvoir des maires avec celle du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, le maire peut (et va) réclamer une évaluation comportementale puis une formation du maître pour tout chien ayant mordu, s'il ne choisit pas, comme il peut déjà le faire en cas de "danger grave et immédiat", de le placer dans un lieu de dépôt et, le cas échéant, et après avis (consultatif) d'un vétérinaire, de faire procéder à son euthanasie. Notons que rien ne définit un danger grave et immédiat...
Un permis de détention des chiens de première et deuxième catégories
Les détenteurs habituels de chiens de première et seconde catégories devront posséder un permis de détention réunissant les anciennes obligations (vaccination, assurance, etc) et les nouvelles, décrites ci-dessus. Ce permis sera délivré par le maire, qui pourra le refuser si le chien est considéré comme dangereux lors de l'évaluation comportementale (ou pour d'autres raisons d'ailleurs).
Le permis ne sera pas obligatoire pour les gens qui détiendront temporairement le chien, comme vos parents si vous leur laissez votre rottweiler pour le week-end. Par contre, dans ce cas, vous serez responsable de votre chien. L'idée est de responsabiliser les maîtres.
Je reprendrai les détails de ce permis dans un autre billet.
Un suivi administratif des animaux dont l'identification est obligatoire
Ou, le retour de Big Brother.
La collecte et le traitement des données ainsi que l'échange d'informations entre les structures professionnelles et la base de données nationale d'identification des animaux sont indispensables pour permettre le fonctionnement du dispositif de traçabilité des animaux et pour assurer une meilleure connaissance des filières.
Mouais. Fichons, fichons.
Les chiens de gardiennage
La loi prévoit toute une série de mesures concernant ces professionnels afin de s'assurer de leur qualification. D'importantes mesures répressives sont déployées afin d'obliger les employeurs de ces agents à assurer et contrôler la formation de leur personnel.
Je ne développerai pas ce point plus avant, à moins qu'il y ait des personnes intéressées ?
Renforcement des sanctions
Sur le modèle des accidents de la route, les accidents provoqués par les chiens entraînent pour leur maître des peines graduées qui peuvent être extrêmement lourdes. Maître Eolas, avocat, a déjà dit ce qu'il en pensait par ici, ou encore là, et moi par là.
Mise en place des mesures
Elle sera progressive, jusqu'en décembre 2009. je reprendrai le calendrier dans les billets sur le permis de détention ou l'évaluation comportementale, mais vous pouvez le trouver ici.
Mon avis
Mon premier regret, c'est le manque de courage du législateur qui ne va pas au bout de son raisonnement et n'abandonne pas les catégories créées par la loi du 6 janvier 1999, qui ont largement prouvé leur inadéquation avec la réalité.
Mon second regret, c'est l'importance du volet répressif, qui, à mon sens, n'améliorera pas la situation. D'autant que les pouvoirs du maire sont très étendus et peu susceptibles de recours... le vétérinaire aura un rôle central à jouer dans ses décisions, mais sera-t-il écouté ?
Par contre, dans les bons points, on prend en charge les chiens mordeurs dans un dispositif à la fois préventif (évaluation comportementale, formation) et répressif (puisque ces deux points peuvent déboucher sur des sanctions, jusqu'à l'euthanasie pour les plus dangereux).
On prend enfin en compte la nécessité de données fiables avec l'observatoire du comportement canin.
Cependant, je pense sincèrement que cette nouvelle loi est inadéquate. Notamment avec la persistance des catégories. En réalité, avait-on vraiment besoin d'elle ? Il me semble que la loi aurait pu se résumer aux mesures concernant les chiens ayant mordu, avec évaluation et formation, et que tout le reste aurait pu être oublié... tout en abrogeant la loi de 1999.
Je me dis cependant que les choses auraient pu être bien pires, surtout pour une loi lancée sur un fait divers. J'apprécie que les professionnels, vétérinaires comme éducateurs, aient pu la faire évoluer dans le bon sens.
Alors je ferai avec, je réaliserai des évaluations comportementales et des diagnoses de catégories, et je soupirerai en entendant une dame m'expliquer qu'il faudrait tous les euthanasier, ces piteboules, tandis qu'elle caresse, d'une main distraite, le pit qui est venu lui dire bonjour au comptoir (ne riez pas, ça m'est arrivé).