Loi sur les chiens dangereux : deuxième lecture au Sénat

Globalement, les débats au Sénat du 25 mars ont encore une fois été de bonne qualité : les interventions étaient pertinentes, et les amendements qui en sont issus aussi. J'ai un doute sur quelques points de détail mais dans l'ensemble, le dispositif est cohérent. De là à affirmer qu'il sera fonctionnel, il y a un pas que je n'ose franchir.

Je vais d'abord faire un petit récapitulatif des mesures retenues, avant de reprendre les choses dans le détail pour les lecteurs les plus intéressés. N'oubliez en aucun cas qu'il ne s'agit pas de la loi définitive, qui doit encore une fois passer à l'Assemblée Nationale (la date de cette lecture n'est pas encore annoncée).

Je rappelle à toutes fins utiles à mes aimables visiteurs que ce billet s'inscrit dans un ensemble plus vaste compris dans la catégorie "chiens dangereux" de ce blog.

Les principales nouveautés de cette seconde lecture

  • Le Sénat entend réintroduire la création d'un observatoire indépendant du comportement canin, chargé de fournir des données et analyses sur... le comportement canin, et donc les morsures, mais pas seulement. Cette proposition avait été supprimée par l'assemblée.
  • Le barème d'évaluation de la dangerosité des chiens ne sera pas fixé par décret, mais laissé à l'appréciation des professionnels (donc des vétérinaires).
  • L'évaluation comportementale et la formation du maître seront obligatoires pour les chiens de première et seconde catégorie.
  • Le résultat de l'évaluation comportementale devra être transmis au maire afin de délivrer, ou non, le permis de détention d'un chien.
  • Les détenteurs temporaires d'un chien de catégorie I ou II ne seront pas tenus de posséder un permis de détention, ceci permettant a un voisin ou à un membre de la famille de s'occuper du chien pendant un week-end ou une promenade. Sans parler des vétérinaires ou pensions pour chiens qui s'éviteront aussi ce système.
  • Un fichier national sera créé pour recenser les propriétaires des animaux dont l'identification est obligatoire.
  • La déclaration au maire des morsures aux personnes sera obligatoire, non seulement pour le propriétaire ou détenteur de l'animal, mais aussi pour toute personne en ayant connaissance dans l'exercice de son métier (vétérinaire, médecin, etc).
  • L'évaluation comportementale par un vétérinaire sera obligatoire pour tous les chiens dépassant un certain poids, qui reste à définir.
  • Le prix de l'évaluation comportementale n'est pas fixé (et, en l'état, reste à la discrétion des vétérinaires), mais la discussion reste ouverte.
  • L'encadrement des chiens "de travail" est réaffirmé. Un vigile avec un chien devra avoir suivi une formation et le comportement de son chien devra avoir été évalué.
  • Toutes ces obligations (évaluation, permis de détention, etc) devront avoir été remplies avant le 31 décembre 2009.

Certaines de ces nouveautés n'en sont d'ailleurs pas, elles ne sont que le retour de proposition du Sénat refusées par l'Assemblée Nationale.

Autres points de débats, ou d'informations

A plusieurs reprises, l'inanité de la catégorisation des chiens a été relevée. Les parlementaires souhaitent donc s'en affranchir mais ne vont pas jusqu'à proposer sa suppression, sans doute par peur d'une incompréhension du public. Dommage...

La sévérité des peines rajoutées au code pénal pour l'homicide ou les blessures causées par un chien a été confirmée malgré certaines protestations (la plus sérieuse étant l'existence d'un arsenal répressif déjà bien suffisant).

L'article sur la pharmacie vétérinaire dans les dispensaires est une nouvelle fois exclu du cadre de cette loi, avec laquelle il n'a rien à voir.

Quelques informations ont été données sur la formation (le texte des décrets a été transmis aux commissions) :

La formation se déroulerait sur une journée, dont la moitié serait consacrée à la théorie et l'autre à la pratique. Nous savions que cette formation devrait, par la force des choses, être brève et nous étions conscients de la difficulté de l'organiser, et sur l'ensemble du territoire, dans des délais très courts. Il semble cependant difficile que cette unique journée permette à un maître novice de maîtriser parfaitement un chien considéré comme dangereux. Il faut donc compléter rapidement cette formation de base par des actions d'information du grand public, et en particulier des enfants. En tout cas, ce projet de décret me conforte encore davantage dans la conviction que l'évaluation comportementale sera l'élément fondamental de notre politique de prévention.

Dans le détail, avec mon avis

  • Le Sénat entend réintroduire la création d'un observatoire indépendant du comportement canin, chargé de fournir des données et analyses sur... le comportement canin, et donc les morsures, mais pas seulement. Cette proposition avait été supprimée par l'assemblée.

J'étais déjà assez favorable à la création de cet observatoire lors de la première lecture, et j'avais regretté sa suppression par l'assemblée qui souhaitait d'abord mettre en place une mission parlementaire. Nous manquons sérieusement de données sur le comportement et la place du chien dans notre société, les morsures n'en étant que le morceau le plus médiatique. J'espère que les députés ne le refuseront pas à nouveau.

  • Le barème d'évaluation de la dangerosité des chiens ne sera pas fixé par décret, mais laissé à l'appréciation des professionnels (donc des vétérinaires).

Ca, c'est une excellente nouvelle : rien n'aurait été pire qu'une espèce de grille avec des cases à cocher, formatée pour convenir à la plupart des cas, et donc à aucun en particulier. Plusieurs groupes de vétérinaires réfléchissent à des formations et des documents pour accompagner ce travail d'évaluation qui sera le pivot de cette nouvelle loi (certains ont d'ailleurs déjà été publiés, et des formations déjà organisées).

  • Collectivités territoriales : groupe de travail pour le contrôle des chiens dangereux

Un amendement, qui a été retiré, visait à forcer la création d'un tel groupe de travail dans les collectivités territoriales. La proposition a été abandonnée dans le but de laisser toute latitude aux élus locaux. Cela me semble pertinent, puisque de telles initiatives relèvent réellement de la compétence locale. Une nouvelle obligation, non assortie de moyens adaptés, n'aurait probablement pas été suivie d'effets réels, d'autant qu'il vaut mieux, à mon sens, que ces réflexions relèvent d'initiatives locales, comme c'est déjà le cas dans certaines agglomérations.

  • Les pièces nécessaires à l'enregistrement d'un chien de première ou seconde catégorie sont précisées

On ajoute à ce qui été déjà prévu dans le loi du 6 janvier 1999, le résultat de l'évaluation comportementale, et l'attestation de formation suivie par le maître.

Attention : ce n'est donc pas l'attestation d'évaluation comportementale qui sera transmise, mais le résultat, la nuance est de taille : c'est le maire qui décidera ou non d'accorder le permis.
Une attestation provisoire sera délivrée par le maire en attendant que le chien ait l'âge de subir l'évaluation comportementale (en l'état actuel des choses, 8 à 12 mois).

Je suppose que les maires sauront suivre la logique, car apparemment nul recours n'est prévu pour un permis refusé malgré une évaluation favorable, c'est un sacré pouvoir qui réside en leurs mains. N'y aura-t-il pas un risque d'abus avec une confusion entre le chien et son maître, dont la tête pourrait ne pas "revenir" au maire ?

  • Les détenteurs temporaires d'un chien de catégorie I ou II ne seront pas tenus de posséder un permis de détention

Cette précision permet a un voisin ou à un membre de la famille de s'occuper du chien pendant un week-end ou une promenade, sans parler des vétérinaires ou pensions pour chiens qui s'éviteront aussi ce système. Dans le dispositif initial, toute personne ayant la détention du chien, même temporaire, aurait du posséder un permis, délivré par le maire. Un permis par personne et par chien !

C'est donc une excellente nouvelle. Non seulement c'est bien plus réaliste, mais la responsabilité du chien reposera donc toujours sur son propriétaire ou détenteur habituel, et non sur son détenteur temporaire. Il ne devrait donc pas laisser son chien à n'importe qui.

  • Un fichier national sera créé pour recenser les propriétaires des animaux dont l'identification est obligatoire.

Pour assurer le suivi statistique et administratif des animaux dont l'identification est obligatoire en application des dispositions de la présente section et pour permettre d'identifier leurs propriétaires, les données relatives à l'identification de ces animaux, le nom et l'adresse de leurs propriétaires successifs et la mention de l'exécution des obligations administratives auxquelles ces derniers sont astreints peuvent être enregistrés dans un fichier national et faire l'objet d'un traitement automatisé dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Alors là, par contre, j'ai un doute sérieux. Un ficher de plus, super. Mais au-delà de cette problématique du fichage, la clef est animaux dont l'identification est obligatoire.
Cela concerne donc les chiens, mais également les bovins, ovins, caprins, porcins et équins, comme le note le sénateur qui propose cet amendement. Il oublie d'ailleurs les chats et les furets. J'aimerais bien savoir ce que l'Etat entend faire d'une telle base de données ?

  • La déclaration au maire des morsures aux personnes sera obligatoire, non seulement pour le propriétaire ou détenteur de l'animal, mais aussi pour toute personne en ayant connaissance dans l'exercice de son métier (vétérinaire, médecin, etc).

Cette proposition semble de bon sens... au-delà de l'appel à la délation, car dénoncer est nécessaire pour protéger nos concitoyens (si, si, car si vous refusez, c'est que vous avez quelque chose à cacher, c'est bien connu), l'idée est de déceler au plus tôt les morsures même peu graves afin de prévenir la survenue d'accidents éventuellement plus sérieux.
Cela part d'un bon sentiment.

Je vois deux écueils :
Le premier est un principe : la notion de secret professionnel est bafouée sur l'autel de la sécurité
Le second est plus pratique : et si les gens se mettaient à cacher ces accidents "bénins" pour que leur chien n'ait pas d'ennuis ?
En outre, il existe déjà un dispositif concernant les animaux mordeurs ou griffeurs, qui relève du mandat sanitaire et de la lutte contre la rage. Il est évident qu'il ne fonctionne pas bien, mais au lieu de le recadrer, on le laisse tel quel et on rajoute un nouveau système par-dessus, les deux étant donc appelés à se cumuler.

  • L'évaluation comportementale par un vétérinaire sera obligatoire pour tous les chiens dépassant un certain poids, qui reste à définir.

Le seuil évoqué est de 30kg, l'idée étant de l'abaisser progressivement si le système fonctionne. Le principe : les blessures les plus graves sont causées par les animaux les plus puissants. Écueils pratiques : le gars vraiment mal intentionné, ou qui n'a pas envie de se soumettre au système, et qui va se débrouiller pour que son chien reste sous le seuil. Nous serons également supposés fournir un poids adulte estimatif en voyant le chiot (et je vous assure que ça relève souvent de la divination).

La justification (Dominique Braye):

Il ne faut pas non plus encourager la demande de chiens au moins aussi dangereux que ceux qui ont été « catégorisés » par la loi de 1999, mais dont la détention n'est soumise à aucune contrainte et qui se multiplient sur notre territoire, comme les dogues de toute variété ou les cane corso. A ce sujet, nous nous opposons aux députés sur une mesure de prévention qui nous semble essentielle : l'évaluation comportementale, lorsqu'ils atteignent l'âge adulte, des chiens qui peuvent être dangereux en raison de leur puissance et donc de leur poids. Cette évaluation est le moyen le plus léger et le plus efficace pour dépister les chiens à risque et c'est la seule mesure préventive efficace dans des délais relativement brefs. Or, seuls seraient soumis à une évaluation comportementale systématique les chiens de première et deuxième catégories déclarés, alors qu'il y aurait eu, entre 1999 et 2007, environ 185 000 déclarations, soit 2 % seulement de la population canine. Peut-on mener une politique de prévention efficace en limitant aussi étroitement le champ de l'évaluation obligatoire, sachant que 93 % des morsures et que 75 % des accidents mortels recensés entre octobre 2006 et octobre 2007 étaient le fait de chiens non catégorisés ?

Cela dit, c'est toujours mieux que les catégories raciales. Mais faut-il se contenter d'un "moins pire" ? A dire vrai, je n'ai pas de meilleure proposition, mais je ne suis pas convaincu.

  • Le prix de l'évaluation comportementale n'est pas fixé (et, en l'état, reste à la discrétion des vétérinaires), mais la discussion reste ouverte.

Le rapporteur, vétérinaire, se sent manifestement pris entre ses envies (fixer le prix, ou un prix de référence) et le rejet de cette idée par la profession. Pour ma part, je suis favorable à cette harmonisation des tarifs sur ce point :
L'objet et la teneur de l'évaluation sont fixés.
Le vétérinaire aura une obligation de moyens, peut-être renforcée (pour la signification précise de cette notion, on verra dans un prochain billet).
Le prix libre, dans ce cas, induit deux risques : un prix excessif demandé par certains confrères, ou une sous-tarification par d'autres. Pour quelle répercussion dans la qualité de cette évaluation ?

Je préférerais que mes clients sachent que cette évaluation coûtera x euros, que ce soit chez moi ou chez un confrère. Au moins, cette problématique là serait évacuée, pour se concentrer sur l'essentiel, c'est à dire le chien, et son maître.

Les deux derniers points (délais et obligation d'évaluation des chiens de travail), me semblent se passer de commentaires.

En conclusion

Le projet s'affine et les points de discorde entre le Sénat et l'Assemblée Nationale s'amenuisent, grâce à l'important travail de fond des rapporteurs et des commissions. Ce débat ne suscite plus trop de passions, et c'est tant mieux : la réflexion prend le dessus.
Il est évident que le dispositif sera difficile à mettre en oeuvre, car il est lourd, très lourd. Les expériences semblables menées dans d'autres pays semblent, d'après les rapporteurs, porter leurs fruits (ils citent notamment le canton de Bâle en Suisse), et je dois dire que l'ensemble, dans son principe, me semble aller dans le bon sens.

Mon inquiétude, c'est que le volet répressif prenne le pas sur le préventif. La loi aborde les deux aspects, mais seul le répressif semble simple et facile à appliquer.

A suivre, donc.

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