Chiens dangereux : lecture du Sénat le 7 novembre 2007

Je vous ai déjà parlé du rapport Courtois, mais j'ai esquivé l'avis n°58 de M. Dominique BRAYE, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 24 octobre 2007. Je ne vais pas vous assommer avec un nouveau billet de la longueur de celui consacré au rapport Courtois, d'autant qu'il va globalement dans le même sens en soulignant les insuffisances et limites de la loi de 1999.

La lecture du Sénat du 7 novembre 2007 permet de toute façon de voir l'impact positif de ces rapports, dont je vous recommande encore une fois la consultation. Je n'imaginais pas la qualité du travail de fond que les sénateurs pouvaient fournir... Le dossier législatif du Sénat peut être consulté ici.

Je cite donc M. Dominique Braye, après une brève introduction de Mme Michèle Alliot-Marie et une intervention de M. Courtois, reprenant son rapport.

Mais si elle a été une loi de police efficace, la loi de 1999 n'a rien apporté à la prévention des morsures canines. C'est là que nous retrouvons l'erreur originelle de sa conception, fondée sur la définition de deux catégories de chiens présumés plus dangereux que d'autres, définition artificielle et scientifiquement infondée. Les imperfections techniques du texte, qui s'est révélé à peu près inapplicable, n'ont rien arrangé.
On espérait responsabiliser les propriétaires et contrôler, grâce à la déclaration, tous ces chiens présumés dangereux. Comme souvent, on n'a responsabilisé que les gens déjà responsables alors que la majorité de ces chiens n'appartiennent pas à des citoyens modèles. C'est ainsi qu'on ne dénombrait au 1er octobre 2006 que dix-sept mille déclarations pour la première catégorie et cent dix sept mille pour la deuxième, chiffres sans commune mesure avec la réalité. Autant dire que la très grande majorité des propriétaires de chiens de première et deuxième catégories ont tranquillement bravé la loi.
La loi de 1999 a-t-elle réduit le nombre des chiens dangereux ? Tout prouve le contraire : la fourchette haute des évaluations avancées lors de l'examen de la loi de 1999 était de 400 000 chiens dangereux. Il y en aurait aujourd'hui 680 000, dont 270 000 de première catégorie. Certains trouvent rassurant ou valorisant de posséder un chien que je qualifierai de « méchant par détermination de la loi » : la classification, loin d'être dissuasive, a été attractive, elle a fait office de label de qualité, ainsi qu'en témoigne la mode de chiens de deuxième catégorie comme les rottweilers.
Ceux qui ont voulu échapper légalement aux contraintes liées aux chiens classés ont constitué une clientèle pour des chiens largement aussi dangereux mais non classés en France, comme le dogue argentin, le cane corso, les mastiffs. Cela démontre une fois de plus l'inanité des catégories créées par la loi de 1999 !
Si l'on n'a guère responsabilisé les propriétaires de chiens définis comme dangereux, on a en revanche déresponsabilisé tous ceux que l'on a confortés dans l'idée évidemment absurde qu'un berger allemand, un dogue ou un doberman ne sont pas dangereux, puisque la loi ne les définit pas comme tels !
Vous l'aurez compris, je reste persuadé, comme tous les spécialistes canins, que la catégorisation a été une ineptie. Pour autant, je suis bien conscient qu'il est impossible d'y renoncer car un tel revirement serait incompris et pourrait être interprété comme le signal d'un retour possible à des pratiques inacceptables. Ce qui est impératif, c'est de prendre enfin le problème par le bon bout de la laisse, en se fondant sur des évidences hélas ! trop méconnues.

Pas grand chose à commenter, tiens...

Les propositions :

Plus d'euthanasie massive

L'article 5 prévoit l'interdiction pure et simple des chiens de première catégorie nés après le 7 janvier 2000. Quoique nous souscrivions à sa philosophie, nous préconisons de le supprimer, ainsi que les articles 7 et 14 par coordination, car il semble inapplicable. En effet, aux dires des spécialistes, dont le secrétaire général du conseil supérieur de l'ordre des vétérinaires, les chiens de première catégorie sont souvent issus de chiens de la deuxième catégorie, mais également de croisement de chiens non classés, comme un labrador et un boxer. Le dispositif prévu frapperait donc indifféremment les véritables contrevenants et des personnes de bonne foi. L'amendement de Mme Debré permettrait d'éliminer plus efficacement les chiens dangereux.

Interdiction : comprenez euthanasie. Vous imaginez l'émotion dans les cliniques vétérinaires.

Augmenter la répression

Reste l'amendement n°58 du Gouvernement dont la commission partage les objectifs. Il était urgent de sanctionner plus fermement l'homicide involontaire ou les blessures résultant de l'agression par un chien, conformément à la promesse du Président de la République. Depuis le début de l'été, au moins quatre personnes ont été victimes d'attaques mortelles. Afin de mieux insérer cette disposition dans le code pénal, la commission propose d'aligner les peines prévues sur celles visant les conducteurs de véhicules auteurs d'un homicide involontaire ou de blessures.

Les journalistes de presse vétérinaire l'ont baptisé "amendement Sarkozy", puisqu'il trouve son origine dans ses déclarations à la presse et à une famille de victime. La contribution directe du gouvernement se limite donc ici à un accroissement exponentiel des peines encourues, dont voici le résumé :

De même qu'il était apparu nécessaire de sanctionner plus sévèrement l'homicide involontaire commis par un conducteur de véhicule automobile face au nombre de morts sur les routes, de même doit être stigmatisé le détenteur imprudent ou négligent d'un chien dont les morsures ont provoqué des blessures ou la mort de la victime. En effet, si l'on peut considérer que la voiture est susceptible de devenir une arme par destination entre les mains du conducteur, il est tout aussi logique d'admettre que le chien peut devenir une arme par destination entre les mains d'un détenteur irresponsable. C'est ainsi que le présent amendement prévoit la peine maximale en matière délictuelle de 10 ans d'emprisonnement lorsque l'agression du chien a provoqué la mort de sa victime. En outre, par analogie avec le dispositif existant dans le domaine de la conduite de véhicules terrestres à moteur, le présent amendement prévoit une gradation dans l'échelle des peines en cas de blessures involontaires ayant provoqué une incapacité totale de travail supérieure à trois mois et lorsque certaines circonstances aggravantes sont réunies, portant ainsi la peine maximale à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende, et quand les blessures ont provoqué une incapacité de travail inférieure à trois mois, une peine de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Là, mon avis est clair : je ne crois pas un seul instant que la lourdeur de ces peines rende plus efficace le respect de cette loi. Que la mort d'un enfant soit un drame, c'est une évidence. Qu'un accident, même du à une négligence, vous condamne à passer dix ans derrière les barreaux... ? Il me semble que c'est un peu trop pour vous dire que vous êtes un imbécile, que la protection conférée à la société ne sera pas notable et que l'effet "dissuasif" de ces peines très lourdes n'est d'aucune utilité contre des gens négligents ou "ignorants".
Mon côté optimiste espère que c'est une concession du Sénat faite au gouvernement afin de mieux avancer ses pions sur le reste...

Je cite Eolas :

Soit le sommet de l'échelle des délits, à l'égal du trafic de stupéfiants, de l'association de malfaiteurs, et plus que l'agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans (passible de sept années d'emprisonnement "seulement"). Votre chien vous échappe et tue un enfant qui passe, vous êtes assimilé au chef de la French Connection.

L'évaluation comportementale

L'évaluation comportementale doit, j'y insiste, porter à la fois sur l'animal et sur ses relations avec son maître. Elle deviendrait obligatoire pour tous les chiens de première et deuxième catégories et pour les chiens mordeurs. Pour lui donner l'efficacité indispensable à ce dispositif, nous vous proposerons d'une part de l'étendre à tous les chiens que leur poids rend plus dangereux que d'autres, d'autre part, de transmettre les résultats à l'autorité de police compétente pour prendre les mesures qui s'imposeraient. Dès lors qu'il est reconnu par tous les spécialistes canins que la dangerosité d'un chien réside d'abord dans sa force et donc dans son poids, il est impératif de soumettre à l'évaluation comportementale tous les chiens que leur poids désigne comme susceptibles d'infliger de lourdes, voire de fatales blessures. Cette proposition est d'autant plus pertinente que cette évaluation serait, dans la quasi-totalité des cas, une procédure légère et peu coûteuse.
Le seuil de poids pourrait être fixé par arrêté, ce qui permettrait d'appliquer progressivement cette mesure, en commençant, par exemple, par tous les chiens de plus de 40 kg. Laissons aux éminents spécialistes canins le soin de définir ces seuils de poids.

Peu coûteuse, c'est vite dit. Pour l'Etat, certainement, pour le propriétaire... une vraie évaluation comportementale, bien réalisée, devrait pouvoir être menée à la fois chez le vétérinaire, dans un lieu public et au domicile. Elle s'assortirait évidemment de longues discussions avec le maître. Je n'imagine pas que cela prenne moins de trois heures. Or, trois heures du temps d'un vétérinaire qui aura investit dans une formation en comportement canin, ça représentera un investissement pour le propriétaire... Je sens également les coups de fil pour connaître le tarif de la clinique concernant ces évaluations. Ca mérite un billet sur le sujet, on en reparlera.
La limite de poids, c'est une nouvelle absurdité. On peut considérer qu'un chien pesant une quinzaine de kilos devient vraiment dangereux, soumettre tous les chiens de ce poids à cette évaluation alors que tant d'entre eux ne sont même pas vaccinés, ça paraît utopique. Et j'imagine déjà un chasseur avec sa meute de 20 bleus de Gascogne devant ma porte...
Et si le propriétaire d'un rottweiler de 50kg décide de le faire maigrir à 39, ça ne va sans doute pas le rendre plus gentil (sans même parler de bien-être animal).

La formation du maître

En ce qui concerne la formation des détenteurs de chiens, le projet de loi prévoit un dispositif à trois étages : tous les détenteurs de chiens de première et deuxième catégories devront subir une formation et être titulaires d'une attestation de capacité ; ensuite, tous les détenteurs de chiens mordeurs devront suivre la formation ; enfin, le maire pourra imposer cette formation au cas par cas. À notre sens, pour les chiens mordeurs, c'est à partir du résultat de l'évaluation que l'on peut décider si une formation sera ou non nécessaire. En revanche, il faut pouvoir imposer l'obtention de l'attestation à tout propriétaire de chien si l'évaluation révèle que l'animal présente un réel danger.

Voilà un système bien pensé, sachant que le principe de cette formation ne sera pas d'apprendre "assis-couché" au chien mais d'apprendre au maître à reconnaître les signes imminents d'une agression, à comprendre le système hiérarchique d'une meute, etc.

Un observatoire des morsures ?

Les discussions sous-entendent la création d'un organisme chargé de recenser les morsures canines afin de donner une chance à ces projets d'aboutir. Ses objectif seront :

- de recueillir et de centraliser les données permettant de constituer une source d'information sur les cas d'agressions canines et leurs conséquences
- de proposer des standards d'évaluation des morsures à partir des données épidémiologiques sue les morsures de chien - de produire et de faire produire des analyses, études et recherches sur l'évolution des comportements canins
- de favoriser des campagnes de sensibilisation et de formation aux relations de l'homme et du chien
- d'éclairer les pouvoirs publics ainsi que les acteurs politiques et sociaux dans leurs décisions
- de faire toutes recommandations et propositions de réformes législatives et règlementaires.

Encore une excellente idée afin de contrer les idées reçues et d'affiner nos connaissances sur ce grand flou des morsures canines.

Le texte a été voté avec tous ses amendements, rendez-vous à l'Assemblée Nationale le 28.

Fil des commentaires de ce billet