Commission des lois du Sénat : le rapport Courtois

Le rapport Courtois de la commission des Lois du Sénat a été adopté à l'unanimité, ainsi que ses amendements, le 24 octobre 2007.

Ce rapport est très intéressant car il nous éclaire sur le raisonnement du législateur (et moi, dans ce cas précis, ça me rassure) et nous fournit plein de chiffres que je n'avais jamais trouvé (des statistiques sur les chiens de première et seconde catégories, par exemple !). L'historique de cette loi est également passionnant.

Historique et données générales

Ce dispositif, complété en 2001 et en 2007, a permis de limiter le nombre de chiens d'attaque et de mieux assurer leur suivi. Les animaux représentant un danger grave et immédiat ont pu être maîtrisés et euthanasiés et les infractions pénales sanctionnant une utilisation illicite de ces chiens apparaissent dissuasives.
Toutefois, les tragiques accidents qui ont endeuillé l'année 2007, ont mis à jour l'impact trop limité du droit en vigueur pour lutter contre les chiens « mordeurs », à l'origine d'un nouveau sentiment d'insécurité dans la population.
Si elle a pu enrayer la délinquance utilisant des chiens, la loi de 1999 n'a pas permis de faire disparaître l'ensemble des chiens les plus dangereux, dits de « première catégorie », comme le souhaitait le législateur de l'époque. De plus, le nombre de chiens de deuxième catégorie demeure très important.
Certains propriétaires de chiens dangereux irresponsables ont pu refuser de les déclarer à la mairie et, pour les chiens de première catégorie, de les stériliser.
Mais surtout, ce sont des chiens non classés comme dangereux par la loi qui sont à l'origine des drames récents, qui, en outre, ont été moins le fait de délinquants que d'animaux non contrôlés dans un contexte familial ou de voisinage. Ces évènements ont malheureusement souligné l'incapacité de certaines personnes à maîtriser leur animal de compagnie.
Ce constat rappelle que tout chien peut être dangereux à cause de ses modalités de détention.
Une nouvelle adaptation de la législation semble donc aujourd'hui nécessaire, tant pour mieux contrôler la population des chiens dangereux, que pour responsabiliser leurs détenteurs.

Cette introduction enfonce des portes ouvertes mais ça me rassure ! Vu de la fenêtre de mon cabinet, je me disais que personne ne semblait énoncer les bonnes raisons de réformer la loi de 1999 !

L'historique reprend ensuite les points suivants :

en 1996, le législateur a assimilé à l'usage d'une arme l'utilisation d'un animal pour tuer, blesser et menacer.
« cette assimilation emporte deux conséquences : - tout d'abord, elle entraîne une aggravation de la peine encourue en cas de violences graves, l'usage ou la menace d'une arme constituant une circonstance aggravante ; - surtout, l'assimilation de l'animal à une arme conduit à transformer en délits des comportements qui, sans cette assimilation, constitueraient de simples contraventions. »

Au temps pour les déclarations de M. Sarkozy...

M. Courtois reprend ensuite l'essentiel de la loi du 6 janvier 1999, créant deux catégories de chiens d'attaque et de défense et offrant des moyens de maîtriser leur détention, leurs mouvements et de limiter leur population.

Il cite ensuite la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007, qui renforce les pouvoirs du maire en la matière et l'arsenal répressif.

Suit un tableau sur les statistiques des préfectures concernant les chiens de première et seconde catégorie, et un ensemble de données dont je ne résiste pas à transcrire ici l'essentiel :

Les contrôles réalisés par les services de police et de gendarmerie dans la plupart des départements révèlent souvent l'existence de chiens de première catégorie non déclarés et non stérilisés.
Comme l'indiquait un rapport des ministères de l'intérieur et de l'agriculture de décembre 2006 établissant un bilan de l'application de la loi du 6 janvier 1999, « il est (...) vraisemblable qu'un certain nombre de chiens de première catégorie aient été classés en deuxième catégorie, soit en raison de la difficulté à établir ce classement s'agissant de jeunes chiots, soit en raison de pressions exercées sur les vétérinaires ».
Les contrôles de l'identification (par tatouage) des chiens par les vétérinaires sont effectués en général vers six semaines, c'est-à-dire un âge où il est très difficile d'apprécier de manière certaine son appartenance à un type ou à une race. Par ailleurs, les praticiens ont pu parfois être contraints par des propriétaires violents à classer leur animal de première catégorie dans la deuxième catégorie.

Je n'ai pour ma part jamais ressenti de tels contraintes, sans doute parce que je vis en zone rurale, mais jamais aucun des confrère que je connais ne m'a dit avoir subi de telles pressions. De toute façon, cela paraît impossible : soit on est inscrit au LOF est l'on est de seconde catégorie, soit on n'est pas inscrit au LOF et on appartient à la première catégorie, ou à aucune... Cette erreur se retrouve en plusieurs points du rapport. La remarque sur l'âge est très importante : difficile de dire à quoi ressemblera l'adulte quand on a la peluche dans les mains, même pour un vétérinaire expérimenté (ça me rappelle une histoire de teckel soit disant doberman, mais je m'égare...).

A contrario, comme le constatait notre collègue Jean-René Lecerf lors des débats sur la loi de prévention de la délinquance, le problème des morsures et des attaques de personnes par des chiens ne concerne pas que les animaux des première et deuxième catégories définies en 1999 :
« Les spécialistes estiment en effet qu'il n'est pas fondé scientifiquement de limiter le contrôle à ces chiens. N'importe quel chien peut en effet s'avérer dangereux. Les labradors sont responsables d'un plus grand nombre de morsures que les pitbulls. »
Au cours des derniers mois, la répétition d'attaques graves contre des personnes a permis de souligner les limites de ces catégories, d'ailleurs remises en cause par les professionnels de la filière canine, les vétérinaires et les associations de protection des animaux. En effet, nombre de chiens impliqués n'étaient pas des chiens dangereux au sens de la loi. Ce constat effectué, il est évident que les morsures et griffures de chiens puissants tels que les bergers allemands ou les dogues provoquent plus de dégâts que celles de chiens de moindre corpulence.
Ces agressions, qui ont souvent eu pour victime des enfants en bas âge, ont confirmé l'estimation des vétérinaires selon laquelle 80 % des accidents ayant pour cause des morsures de chiens ont lieu aujourd'hui dans la sphère familiale (environ 28 % des foyers français ont un chien).
En revanche, là encore, si des estimations portant à 250.000 le nombre annuel de morsures de chiens ont été portées à la connaissance de votre rapporteur lors de ses auditions, il ne peut que constater la difficulté à rendre compte de l'ampleur du phénomène : en effet, le ministère de l'agriculture évalue plutôt ce nombre de morsures à 10.000 (nombre lié aux déclarations de vaccinations antirabiques). De plus, nombre de victimes, en particulier dans le milieu familial, ne signalent pas les morsures.
Ces attaques, qui sont à l'origine d'un nouveau sentiment d'insécurité, ont en fait souligné l'impact déterminant du comportement du chien et de son éducation sur son potentiel d'agressivité, la difficulté éprouvée par de nombreux détenteurs de chiens pour les maîtriser mais également, l'absence de réflexes de bon sens de certains d'entre eux : laisser sans surveillance un bébé en compagnie de chiens à fort gabarit apparaît tout simplement irresponsable.

C'est clair, concis et bien dit. Je me prends d'un fol espoir de voir une loi intelligente sortir de tout cela !

Suivent un rappel du projet de loi et de la proposition de loi originels, présentés dans un précédent billet.

Les commentaires de la commission :

L'introduction enfonce encore une fois des portes ouvertes, mais cela semble nécessaire ces temps-ci :

En effet, comme l'exprimait le 23 septembre dernier Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, le projet de loi prend acte de l'impact déterminant des modalités de garde et d'éducation des chiens par leurs détenteurs sur leur potentiel d'agressivité, en prévoyant la mise en place d'une formation pour les maîtres de chiens dangereux :
« ...il y a une chose que je voudrais surtout dire, c'est qu'avoir un chien, certes, c'est un plaisir, mais c'est aussi une responsabilité. Et je voudrais en appeler à la responsabilité des propriétaires et des possesseurs d'un certain nombre de chiens en leur disant qu'ils doivent rester vigilants. Vous savez, il y a des chiens réputés dangereux qui de leur vie ne feront jamais de mal à personne. Et puis vous pouvez avoir des chiens qui ne sont pas dans ces catégories, et c'est ce qui s'est passé avec cette petite fille, et qui brusquement, parce qu'il y a des circonstances particulières, ou parce qu'ils ont le sentiment d'être agressés vont faire du mal, vont blesser, voire vont tuer. Là, il faut à la fois que les parents notamment de jeunes enfants mais également les propriétaires se disent qu'ils ont une responsabilité. La loi, la réglementation ne peuvent pas tout faire. Il faut aussi que chacun se sente responsable et vigilant, notamment dans des cas comme ceci ».
Cette philosophie semble partagée par les vétérinaires et les associations de protection des animaux.

Le fait que je vous parle d'enfoncer des portes ouvertes devrait vous donner mon avis de vétérinaire sur la question.

La commission propose de compléter le projet de loi par les dispositions suivantes :

– préciser que l’autorité de police ne pourrait prescrire une formation à un propriétaire de chien pouvant présenter un danger qu’au vu des résultats d’une évaluation comportementale, et qu’elle pourrait aussi lui imposer d’obtenir l’attestation d’aptitude (article premier) ; – imposer la transmission de l’évaluation comportementale au maire, ce qui paraît de bon sens, mais aurait pu se heurter aux dispositions réglementaires relatives au secret professionnel des vétérinaires (article premier) ;

Et de supprimer certaines autres dispositions :

supprimer les dispositions du texte relatives à l’interdiction de la détention des chiens de la première catégorie nés après le 7 janvier 2000, compte tenu, d’une part, de la difficulté d’éviter les naissances de chiens de la première catégorie issus d’animaux de la deuxième catégorie ou « non classés », à moins d’interdire la reproduction de nombreuses races de chiens, et, d’autre part, des problèmes qui en résulteraient pour les personnes de bonne foi qui possèdent de tels chiens sans le savoir. Toutefois, elle n’a pas exclu d’examiner à nouveau la question sur la base d’une rédaction différente si celle-ci pouvait être proposée d’ici à la séance publique (articles 5, 7 et 14) ;

Je respire mieux...

– prévoir que les agents de surveillance ou de gardiennage utilisant un chien dans l’exercice de leur activité devraient suivre la formation destinée aux maîtres de chiens « classés », cette utilisation étant toujours susceptible de présenter des dangers. La formation devrait être prise en charge par l’employeur (article additionnel après l’article 5) ;

Un vide juridique comblé, ça peut être intéressant.

– supprimer l’article qui permettrait aux dispensaires des associations de protection des animaux, qui ont pour mission d’effectuer des actes vétérinaires gratuits au profit des animaux des personnes les plus pauvres, d’acquérir et de délivrer directement des médicaments vétérinaires (alors qu’ils doivent aujourd’hui accomplir ces tâches par l’intermédiaire d’un pharmacien), car ces dispensaires semblent en fait souvent solliciter et « tarifer » les dons en fonction de leurs prestations (article 12) ;

C'est un autre débat qui n'a rien à faire dans ce projet de loi !

L'examen des articles et les amendements

Partie longue et qui demande un peu de concentration, mais très instructive, elle reprend les principes énoncés ci-dessus et les détaille, arguments à l'appui. Je comptais vous livrer des morceaux choisis mais l'essentiel a déjà été discuté plus haut, pas la peine d'alourdir.

L'étape suivante, c'est la lecture au Sénat, qui a eu lieu lieu le 7 novembre 2007. Le drame, c'est l'accident qui éveilla la fièvre de grandes déclarations de notre président... On verra ce qu'il en ressort dans un prochain billet.

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