Projet de loi... renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux

Les députés ont adopté, mercredi soir 28 novembre, le projet de loi sur les chiens dangereux (source)

Ce texte va peut-être - sans doute - modifier nombre de choses dans ma pratique quotidienne, mais, au-delà de ses conséquences directes et indirectes, il m'a amené à me poser beaucoup de questions sur la manière dont fonctionnait notre beau pays...

J'ai retrouvé le projet de loi, juste ici. Celui-ci vient compléter un dispositif déjà étoffé, le processus entamé en 1999 (loi 99-5 du 6 janvier 1999), qui créait deux catégories de chiens dits dangereux, arsenal législatif déjà renforcé en mars 2007 par la loi relative à la prévention de la délinquance (loi 2007-297).

Je vous propose de découvrir ce projet de loi dont la version finale achève ses navettes entre parlement et sénat, avant de regarder ce que nous avions avant et ce que nous offrira désormais le législateur... Ca prendra bien plusieurs jours et plusieurs billets, autant commencer tout de suite.

L'exposé des motifs

L’apparition du « phénomène pitbull », au début des années 90, et le développement de cet animal dans les quartiers sensibles, accompagnés d’une progression spectaculaire des accidents recensés,

Progression spectaculaire par son retentissement médiatique ou par l'importance réelle (qualitativement et quantitativement) de ces morsures ?

loi 99-5 du 6 janvier 1999 ... qui encadrait strictement la propriété et la garde de l’ensemble des chiens potentiellement dangereux de première et deuxième catégories.

Vous avez remarqué ? les chiens étaient alors potentiellement dangereux. Ils sont devenus dangereux (c'est dans le titre).

Si le nombre des chiens de première catégorie semble avoir considérablement diminué,

Grâce à la loi du 6 janvier 1999 ? Humf, en voilà une belle affirmation. Il me semblait lire à droite et à gauche que leur nombre avait explosé, ou que personne n'en savait rien. Evidemment, avant, ils n'étaient pas déclarés, alors même si seulement 20% des propriétaires de chien de première et seconde catégorie les déclarent en mairie, ça en fait toujours plus qu'aucun... A vérifier.

la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a modifié le code rural en confiant des pouvoirs supplémentaires au maire et, par substitution, au préfet en aggravant les sanctions pénales

On a voulu favoriser l'application de la loi de 1999... en passant on a augmenté l'arsenal répressif, nous verrons ça plus en détail plus tard.

Les accidents dramatiques qui se sont produits ces dernières semaines, aux cours desquels deux enfants en bas âge ont perdu la vie et plusieurs personnes ont été grièvement blessées, ont toutefois montré qu’il était nécessaire de faire évoluer les dispositions légales applicables à la détention des chiens dans plusieurs directions

Et là... TADAAAAAM !
Au moins c'est assumé. C'est bien à cause de faits divers, certes dramatiques, que ce projet de loi apparaît. Pas à cause d'une tendance de fond et d'une réflexion menées sur l'impact de la loi 99-5, sur la relation entre l'homme et le chien ou l'intégration du chien dans la ville...

Et ça nous donne les propositions suivantes :

Un renforcement de la prévention des accidents reposant, d’une part, sur l’obligation pour tous les détenteurs de chiens d’attaque et de défense de suivre une formation sanctionnée par la délivrance d’une attestation d’aptitude à la détention de ces chiens et, d’autre part, sur l’intervention d’un vétérinaire lors de toute cession de chiens à titre gratuit ou onéreux, qui délivrera aux acquéreurs les conseils de sécurité appropriés. Les propriétaires de chiens mordeurs, quelle que soit la race de ces derniers, seront également tenus de suivre une formation identique

Ca partait mal, mais tout cela semble pour le moins intelligent. On ne va pas ressortir le passionnant débat sur l'intérêt de la catégorisation des chiens (mais on pourra en reparler ailleurs), mais ces mesures semblent aller vers la prévention :
- éduquer et responsabiliser le maître (comment, ça on verra, mais n'enterrons pas les bonnes intentions)
- se concentrer sur des chiens ayant mordu et pas seulement sur ceux qui ont une sale tronche.
Je note que le vétérinaire devra intervenir sur toute cession de chien, ça me promet du travail, et intéressant en plus. Encore une fois, reste à savoir comment appliquer ça, qui paiera, tout ça tout ça, mais l'idée est intéressante.

Un contrôle plus strict de l’état de dangerosité des chiens, de leur identification, des produits issus de leur croisement, et du respect de leur obligation de déclaration.

On va faire une nouvelle loi pour mieux faire appliquer la précédente !? Bon...

L’interdiction de détention des chiens de première catégorie, nés après le 7 janvier 2000 sera désormais inscrite dans la loi

On comprend un peu mieux de quoi il s'agit lorsque l'article 5 est évoqué, un peu plus bas.
Voilà une phrase qui peut sembler anodine, mais qui provoqua une levée de bouclier unanime dans la profession vétérinaire.
La loi de 1999 impose la déclaration en mairie et la stérilisation de tous les chiens de première catégorie, soit, pour simplifier, les fameux pitbulls. Il ne peut donc y avoir de chien de première catégorie de moins de, disons, 6 ans (laissons généreusement quelques mois aux propriétaires de ces chiens pour se mettre en conformité avec la loi).
Or, nous voyons tous les jours des chiens qu'un examen morphologique permettrait de catégoriser en "chiens dangereux". Des "pitbulls", certes issus de parents qui leur ressemblent bien, comme l'imaginait le législateur. Mais le joyeux fruit des amours illégitimes de Rackam, splendide boxer, incarnation canine de son collègue pirate des caraïbes, et de Lulu, mignonne labrador un peu boudinée, est concerné également ! Les pitbulls sont définis par des critères physiques, rien d'autre. Ils seraient 100 000 en France, ces chiens dangereux âgés de moins de sept ans.
"L'interdiction de détention" : comprenez l'euthanasie. Tuer 100 000 chiens dont l'extrême majorité jouit d'une paisible vie de famille dans la maison d'heureux maîtres qui n'imaginent pas un seul instant que leur chien est un criminel, puisqu'il en a la tronche (il n'est même pas présumé dangereux, c'est la loi sur les chiens dangereux, pas les chiens potentiellement dangereux, suivez un peu). A une époque, on palpait les bosses du crâne à la recherche des signes certains de mauvais penchants...

L’article 4 prévoit que les détenteurs de chiens ayant mordu une personne devront obligatoirement le déclarer au maire

En fait, la déclaration d'une morsure est déjà obligatoire (mais pas au maire directement), entraînant la mise sous surveillance, strictement codifiée, dudit chien par un vétérinaire sanitaire dans le cadre de la lutte contre la rage. Les résultats de cette surveillance sanitaire étant transmis aux services vétérinaires, autant dire à la préfecture. Il est curieux de constater que ce nouveau dispositif s'ajoute simplement à celui qui existait déjà sans qu'aucune passerelle ne semble prévue entre les deux.

Les articles suivants développent les principes énoncés plus haut... quoique le curieux article 12 vient cavalièrement introduire des dérogations à "(l)'acquisition, (la) détention et (l)’utilisation des médicaments vétérinaires nécessaires à la réalisation des actes vétérinaires dispensés gratuitement dans l’enceinte des dispensaires". Un article qui n'a rien à voir introduit en douce dans un projet de loi ? Ces méthodes ne devaient-elles pas être bannies du fonctionnement de nos institutions ? Il me semble en avoir entendu parler pendant la campagne présidentielle...

Voilà pour le projet. De navettes parlementaires en nouveaux faits divers, le texte a été bien modifié et vient donc d'être adopté par nos députés, après les sénateurs. Nous verrons dans quelques jours dans le Journal Officiel... D'ici là j'espère avoir le temps de vous présenter la loi du 6 janvier 1999, discuter de ses conséquences, et suivre un peu les débats qui ont animé la rédaction de cette nouvelle loi sur les chiens dangereux, au-delà de ce projet.

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