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mardi 26 août 2008

Chirurgien ?

Dans un commentaire, Céline s'interrogeait :

Cela fait plusieurs fois que vous affirmez ne pas être chirurgien. Bêtement, je croyais jusqu'alors qu'un chirurgien était une sorte de médecin qui découpait des bouts de tissus mous ou durs ou entre les deux, puis recousait avec une aiguille tous ces bouts de telle façon que le résultat soit mieux après qu'avant... Vous avez décrit plusieurs interventions dans lesquelles vous avez découpé des ventres de vache et de chien. J'aurais juré que cela s'apparentait à de la chirurgie, mais il semble que je fasse fausse route. Puisqu'il ne s'agit pas d'une question d'instrument comme le bistouri et l'aiguille, ni d'une question d'anesthésie, comment définissez-vous le chirurgien ?

Tous les vétérinaires reçoivent une formation généraliste à la fois théorique et pratique. Durant la dernière année d'école (en tout cas en France), chacun choisit une dominante de cours qui va orienter sa carrière à venir, quoique choisir "équine" n'empêche nullement de pratiquer en "canine". C'est un approfondissement plus qu'autre chose, et certainement pas une spécialisation.
Mon diplôme, c'est une boîte à outil : j'ai été formé à la méthode diagnostique, j'ai acquis une quantité proprement monstrueuse de connaissances et suivi des travaux pratiques comme des cliniques de médecine et de chirurgie de tous les animaux "classique" ainsi que des cours sur l'hygiène alimentaire, la législation, un peu d'économie, etc.

A la sortie de l'école, chacun travaille à droite, à gauche. Certains restent un peu plus longtemps et deviennent internes, voire chargés de consultation. On raconte même qu'il y aurait certains étudiants qui ne quitteraient jamais le giron de l'école. Du coup, ils bizutent les nouveaux en leur assénant des "cours".

Premiers contrats, puis premiers remplas, premières galères, on découvre ce que c'est que de travailler sans filet, on développe le système D et, finalement, on se dit que notre formation n'était pas si mauvaise. On affine les choix déjà réalisés à l'école ou on goûte un peu à tout avant de se poser quelque part.

Pour ma part, éternel insatisfait, j'ai choisi de m'éloigner des bancs de l'école aussi vite que possible, pour aller voir à quoi ressemblait ce métier "en vrai". Un coup avec les vaches, une fois en Normandie, ou en Vendée. Voir comment sont les gens dans le Centre. Rendre visite aux chèvres. Et les porcheries, c'est intéressant ? Finalement, essayer un peu la médecine et la chirurgie des carnivores domestiques, sans bouse sur ma blouse. Tenter même l'aventure de l'équine de pointe. Enfin, ça, c'était en stage alors que j'étais encore à l'école. Remplaçant itinérant, assistant en contrat court, ou moins court, et puis, finir par trouver un nid où me poser.

A l'heure actuelle, et jusqu'à ce que je change d'avis, j'adore ma polyvalence et mon manque de spécialisation. J'assume donc mon statut de généraliste.

Ce qui ne m'empêche pas d'avoir certains domaines de prédilection, comme chaque vétérinaire. Ainsi, j'oriente ma formation continue et mes efforts sur le diagnostic, la médecine interne, le comportement et la cytologie. Le tout en entretenant avec soin mes connaissances en rurale, bovine essentiellement.

Mais je ne me sens pas du tout chirurgien. En fait, je n'aime pas la chirurgie, à part pour les césariennes et les coups de stress. Je n'aime pas les gestes parfaitement maîtrisés, la voie d'abord patiemment étudiée, et je suis proprement incompétent dès qu'il s'agit de gérer une boiterie complexe ou de réparer une patte cassée. Pire : je n'ai même pas envie de m'améliorer dans ce domaine, ça ne m'intéresse pas, ce qui arrange bien les vétérinaires avec qui je travaille régulièrement, qui aiment mettre les mains dans le cambouis les tripes et apprécient modérément les diagnostics à étages de maladies hormonales ou de FOI.

Vous ne les trouvez pas bizarres ? Moi si. Mais ça m'arrange.

Ceci étant, il est hors de question dans une clinique comme la nôtre que l'un des vétérinaires ne soit pas un généraliste polyvalent. Nous devons tous être capable de gérer tous les aspects "généraux" de notre métier : faire un vêlage, une chirurgie viscérale "simple", poser un diagnostic de difficulté "moyenne" dans tous les domaines de la médecine, dermatologie, ophtalmologie, etc... pour tous les animaux courants. Plus toutes les urgences.

Je réalise donc des césariennes, des castrations ou des ovariectomies, je recouds des chiens à sanglier explosés de partout, mais je ne touche pas aux pattes cassées et, si une chirurgie peut être réalisée par quelqu'un d'autre, je laisse faire (tout en mettant un coup de bistouri de temps en temps, histoire de ne pas perdre la main).

Voilà pourquoi je dis que je suis plus médecin que chirurgien : je fais de la chirurgie, mais je ne suis pas chirurgien.

Du coup, ça me donne envie de vous parler des différents "types" de vétérinaires de clientèle. Dans un prochain billet.

lundi 25 août 2008

Farfouillectomie

19h00 - Officiellement, la clinique ferme ses portes.

19h30 - Le dernier rendez-vous quitte la clinique alors que je rentre de ma tournée de rurale.

19h45 - Je commence la compta de la journée. Mon confrère reçoit un chien en urgence. Je ne suis la consult' que de loin, mais le cas à l'air lourd. Francesca, notre ASV, fait des heures sup' puisque la femme de ménage est en vacances.

19h50 - Olivier - mon confrère - passe la tête par la porte de la salle de consultation, m'avise en train de faire la remise de chèque et vient s'assoir un instant en face de moi, contre ce bureau où s'empilent les factures, les tickets de carte bancaire et tout un amas improbable de choses qui seraient plus à leur place... ailleurs !
"Il allait bien ce matin, ce soir il se tord de douleur. Un abdomen aigü. Il a pu manger des os, ni plus ni moins que d'habitude."
Un chasseur, qui, comme beaucoup, nourrit en partie ses chiens avec des carcasses de volailles, des aliments assez riches en viande (c'est fou ce que la découpe industrielle laisse sur les carcasses une fois les blancs et les cuisses enlevés !), et très riches en petits os pointus.

Olivier a l'air épuisé. Il faut dire qu'il n'a pas encore pris de vacances, lui - plus que quelques jours à tenir. Il sature clairement, comme moi hier.
Je laisse tomber la caisse : "température ?
- Non, normale.
- Dans le rectum ?
- De la diarrhée, pas de sang.
- Le coeur ?
- Le rythme est haché, selon les spasmes algiques.
- Vacciné ?
- Oui.
- Tu as fait une radio ?"

Il me lance un regard désespéré, les yeux au fond de deux puits trop sombres.

"OK, je fais une radio, fais ta copro et lance une bioch pendant ce temps."

20h00 - J'enfile le lourd tablier de plomb, charge la cassette avec un film et ajuste un peu l'antédiluvienne radio.

"Vous venez monsieur ? On file en salle radio."

Je connais bien M. Collaix. Chasseur de sanglier, il possède une meute assez importante et nous nous retrouvons régulièrement autour de chiens éventrés pendant la saison. Un gars sérieux, qui n'hésite pas à mettre le budget pour soigner ses chiens. Je sens qu'à la fin de cette histoire, il va devoir consacrer une partie de son budget aux croquettes en remplacement des carcasses de volailles.

Le chien, c'est un bleu de Gascogne manifestement pas tout jeune, qui a du voir passer une série de saisons de chasse. Et de coups de défenses ?

"On l'a déjà recousu celui là ?
- Des plaies sur les membres, jamais l'abdomen.
- Son nom ?
- Azur ?
- Quel âge ?
- 7 ans."

Azur est dans les bras de son maître. Il a l'abdomen terriblement tendu et gigote en agitant rapidement la queue, projetant ainsi des matières fécales un peu partout. Génial. C'est Francesca qui va être contente !

20h05 - Je couche le chien sur la table de radio, sur la cassette. La croix lumineuse projetée par la machine est centrée sur l'estomac du bleu, il me manquera la partie postérieure de l'abdomen. Je fais sortir M. Callaix, histoire de lui éviter une dose de rayons X, je maintiens Azur sur la table, et "clic".

20h10 - Le cliché est sur le négatoscope. Je passe la tête par la porte de la salle radio.

"Olivier, je l'ouvre !"

Les intestins, le gros intestin apparemment, sont extrêmement dilatés. Il n'y a pas de bouchon d'os visible, je crains donc un volvulus, c'est à dire une torsion des intestins sur eux-mêmes, une espèce de noeud qui tord les boyaux et interdit le transit intestinal (d'où une accumulation de gaz) mais surtout bloque l'afflux sanguin. Or un tissu non irrigué est un tissu qui se meurt et nécrose... très rapidement. Ce chien n'attendra pas demain. Olivier n'est pas en état, tant pis, je m'y colle. Il jouera les secondes mains en cas de besoin.

20h20 - Le chien est sur la table de la salle de préparation. Couché, en sphinx, il a une allure de mort en sursis. M. Callaix se mâchonne la lèvre inférieure. C'est la première fois que je remarque ce tic.

Curieusement, je me sens bien. J'étais pourtant complètement vanné une demi-heure plus tôt. J'aime cet instant juste avant la bataille. L'atmosphère est claire, les décisions sont simples, il y a l'adrénaline et la certitude des gestes maintes fois répétés. Tout en expliquant les tenants et aboutissants de la chirurgie que je m'apprête à réaliser, je prépare le chien pour l'opération. Tonte d'une patte avant, pose d'un cathéter, branchement de la perfusion, injection d'anti-spasmodiques - le chien est immédiatement soulagé.
Je pose la boîte de chirurgie n°4 sur la desserte roulante, avec les compresses stériles et les champs. Deux paires de gants, une lame n°22, un monofilament résorbable 3-0, aiguille ronde, si l'on suture du boyau. Un tressé résorbable 0 pour les muscles et les tissus sous-cutanés. Un nylon 2-0 pour la peau.

"Je vais lui ouvrir le ventre, et explorer toute la longueur des intestins. Je pense que les boyaux sont tordus sur eux-mêmes. Il pourrait aussi y avoir une hernie à travers le mésentère, ou une intussusception - c'est quand l'intestin se digère lui-même, comme une chaussette retournée sur elle-même."

D'habitude, je fais un petit dessin pour expliquer l'intussusception. Là, pas le temps.

J'injecte une partie des anesthésiques à Azur, qui dodeline très rapidement de la tête. Je tonds rapidement son abdomen, puis le désinfecte. Alcool, bétadine, 5 fois. Je sais, à l'école on faisait 7. Mais 5, c'est mieux que 3, non ?

20h35 - Le chien est transféré sur la table de chirurgie. Les quatre pattes ficelés, le chien gît crucifié sous le scialytique, un tube dans la trachée. J'ai placé les champs, je me suis désinfecté les mains, j'ai enfilé mes gants. M. Collaix attends derrière la porte - s'il y a une décision à prendre en cas de lésion grave, je pourrais directement lui exposer la situation. Olivier m'aide pour les derniers préparatifs.

J'incise. La peau s'ouvre et les deux bords de la plaie s'écartent dans un glissement parfait. Je n'entends que la respiration du chien, et le discret grésillement des néons. Toujours impressionnant, cet instant où les muscles et le gras sous-cutané se révèlent. Mes ciseaux dissèquent et cherchent la ligne blanche, ce point de suture des fibres musculaires abdominales. Je ponctionne, introduit ma sonde cannelée dans l'abdomen : elle va servir de glissière pour mon bistouri, protégeant les fragiles viscères en dessous.

Les intestins sont violacés. Mon incision mesure sans doute une bonne vingtaine de centimètres de long, ligne droite du sternum à l'approche du fourreau, qui dévie pour éviter le sexe, récliné et maintenu de l'autre côté par rapport à mon ouverture.

Le colon est terriblement distendu, c'est lui que je voyais sur ma radio. En regard de la valvule iléo-coecale, ce carrefour où se rejoignent l'intestin grêle, l'appendice et le gros intestin, il y a un œdème très important du mésentère, ce filet dans lequel courent les vaisseaux sanguins et qui suspend l'intestin dans la cavité abdominale (la crépine pour les habitués de la tuerie du cochon).

Je fais glisser quelques dizaines de centimètres de boyaux entre mes doigts, pour prendre la mesure de ce sac de nœuds. L'intestin est très congestionné, mais pas nécrosé. Par contre, il y a de très nombreux points abcédés un peu partout : probablement les cicatrices de micro-perforations dues aux pointes acérées des os de volailles. J'appelle M. Collaix pour lui montrer ces lésions. Il entre sans hésiter, en habitué des chirurgies à sanglier. Seulement, le spectacle n'est pas le même. Le contexte non plus. Là, il y a ces mètres d'intestins que j'ai péniblement extraits de la cavité abdominale, et étalés sur les champs verts disposés autour de la plaie béante. Il y a la chaleur, et l'odeur de selles mêlée à celle du sang, lourde à donner des vertiges au chasseur le plus endurci.

M. Collaix est pâle, je lui montre ces abcès de trois millimètres de diamètre. Je lui montre ce mésentère épais de plus de cinq centimètres, au lieu d'un ou deux millimètres.

20h55 - Je ne décèle pas de perforation intestinale qui ne soit cicatrisée. La péritonite est généralisée, les intestins sont congestionnés sur toute leur longueur, il y a des fragments d'os dans l'appendice, dans l'iléon et dans le colon. J'ai réussi à vérifier la perméabilité des boyaux en pressant leur contenu vers la sortie. Une diarrhée sanglante et des fragments d'os jonchent la table et son conduit d'évacuation, loin sous les champs. J'ai bien vérifié, il n'y a pas de torsion. Pas de hernie. Pas d'intussusception.

"Simplement" un arrêt du transit dû à une douleur abdominale intense, arrêt qui a lui-même favorisé le développement de bactéries et la distension des intestins par les gaz.

Je réintègre les intestins à leur place, après avoir vérifié l'aspect des autres organes abdominaux. La prostate est correcte, le foie aussi, pas de problème avec la rate, encore moins avec le pancréas, ce qui vient corroborer les analyses sanguines, toutes normales.

21h10 - Après un rinçage abdominal, je commence mes sutures musculaires.

21h35 - J'ai terminé la suture cutanée, après un surjet sous cutané et quelques points un peu plus acrobatiques pour remettre le fourreau en place. M. Callaix est rentré chez lui, nous le tiendrons au courant demain. Le traitement sera donc médical - antibiotiques, anti-inflammatoires, antalgiques, anti-spasmodiques, la valse des anti-.

21h50 - Le chien est dans sa cage, il dort encore. A sa patte, le métronome du goutte à goutte égrène les secondes. Il semble paisible, mais demain, ou même cette nuit, il souffrira... La farfouillectomie est terminée.

Demain matin, il y a une chirurgie prévue, une tournée de vaccins contre la fièvre catarrhale, les visites de suspicion pour cette même fièvre catarrhale, les rendez-vous classiques (vaccins, bobos et compagnie), et tout le reste. Il est 22h25, je rentre chez moi après avoir fini de dégrossir le nettoyage dans le bloc, la salle de préparation et le chenil.

Je suis crevé, je n'étais même pas de garde, je vais aller me coucher après plus de douze heures de boulot. Mais je suis satisfait, j'ai les idées curieusement claires. Je suis content du boulot accompli, des choix que j'ai faits. Je ne sais pas si Azur vivra, mais nous aurons essayé.
Je suis fier, aussi,
Fier d'avoir aidé Olivier, qui n'était pas du tout en état de gérer ce cas. Je plains les vétérinaires solitaires...
Fier aussi d'avoir accompli cette chirurgie alors que ce n'est pas du tout ma partie, la chirurgie.
Fier enfin d'avoir fait du bon boulot, et de l'avoir montré à M. Collaix. Que le chien survive ou pas, il s'en voudra de lui avoir donné des carcasses à manger, mais il sera content d'avoir choisi de nous laissé opérer, et satisfait du travail accompli.

lundi 14 avril 2008

Check-up de la stagiaire

La semaine dernière, il y avait un peu d'animation : une jeune stagiaire, plutôt sympathique, moins timide que la moyenne (elle parvient à articuler bonjour et à sourire, je leur fais peur d'habitude).
Elève en 4ème, le stage classique de découverte pendant une semaine. Fille d'éleveur, donc habituée aux vaches et plutôt dégourdie, ce sont celles que je préfère.

Dans la voiture, entre deux visites :

"Et donc, pourquoi avoir choisi le stage chez nous ? Tu veux faire véto ?
- Heu, je sais pas, je crois pas j'ai pas d'assez bonnes notes, mais j'avais envie de voir, c'est intéressant."

OK, déjà, c'est pas mal. La dernière, elle m'avait répondu que la coiffeuse avait déjà deux stagiaires et que le boulanger en avait une aussi. Super.

Evidemment, c'est encore une fille. Je crois que je n'ai jamais eu de stagiaire mâle. Je ne sais pas où ils vont, eux...

Comme d'habitude, il va falloir faire gaffe aux éleveurs pas malins, quoique elle doit avoir l'habitude avec les amis de son père. On va encore avoir droit à des grands moments d'humour fin et poétique s'il y a un vêlage ou un taureau avec des problèmes de reproduction. Ou en prophylaxie, quand on fait les prises de sang sous la queue des vaches, une réflexion du genre "ah la la moi pas besoin de me la lever pour qu'elle tienne."
Genre...

Mais pour les stagiaires, le plus important, c'est le check-up :

"OK, tu as ton attestation d'assurance ?
- Oui.
- Tes bottes ?
- Oui.
- Une blouse ou une combinaison pour les vaches ?
Elle me montre un sac.
- Tu as peur du sang ?
- Heu non.
Elle sourit.
- Tu as mangé ce matin ?"
Là, elle est un peu interloquée, mais elle hoche la tête : oui.

Parfait.

Sauf si...

Salle de chirurgie.
La chatte est attachée sur le dos, elle dort depuis peu, l'incision abdominale fait au moins... trois centimètres. Je vois que l'ovariectomie se mue en ovario-hystérectomie, ce qui n'est pas une mauvaise idée vu l'apparence de l'utérus. Pas une goutte de sang, tout se passe bien. Juste à côté de moi, il y a Adeline, la stagiaire. Il fait bon. Ni trop chaud, ni trop froid , et tout est très calme. C'est reposant.
Et puis tout d'un coup la lampe scialytique s'éloigne de moi, tandis qu'Adeline s'effondre littéralement et s'évanouit comme dans les films. Tout en douceur, au ralenti, c'est presque irréel ! Olivier se penche au-dessus de la chatte pour voir tandis que j'écarte la lampe et redresse un peu la tête de notre stagiaire. Elle est tombée doucement, elle n'a pas du se faire mal, d'autant qu'elle n'est pas très grande et que le sol n'est pas dur.
Il lui faut bien 30 secondes pour reprendre ses esprits et accepter le verre d'eau que notre ASV lui tend.
Je lui propose de venir avec moi en visite en rurale, histoire de prendre l'air.
Elle hoche la tête, un peu engourdie.

Bon, il faut que je retienne ça : la vérification du petit-déjeuner n'est pas suffisante.
Il faudra faire plus attention à la lampe la prochaine fois, elle aurait pu se faire mal sur son pied.

On va finir par être au point avec les stagiaires qui tombent dans les pommes !

Et pendant ce temps, Olivier se marre en douce. Adeline semble flotter dans du coton. On va attendre un peu pour partir en visite, hein ?

mardi 25 mars 2008

Improvisation

Deux chirurgies, des consultations et des visites en rurale jusqu'à midi : il y a de quoi occuper trois vétérinaires, on ne va pas s'ennuyer... Evidemment, il y aura des urgences au milieu, sinon les choses risqueraient d'être trop bien organisées, mais... on a l'habitude. Olivier part en visite, Juliette commence les consultations. Francesca, notre ASV (auxiliaire spécialisée vétérinaire), est noyée sous les coups de téléphone et les gens qui viennent chercher des médicaments, des renseignements ou un rendez-vous à l'accueil. Moi, je nettoie ma boîte à césarienne de vaches en attendant les chiens pour les chirurgies. Francesca me prévient : M. Candelle aura un peu de retard, il n'amènera son chien pour la castration que vers 9h30. Pas grave, il y a l'autre chirurgie... sauf que l'animal n'est pas là non plus. Il n'est que 9h10, ce n'est pas trop grave.

A 9h30, ma boîte à césarienne reluit, mais aucun des deux chiens n'est là. Le téléphone ne cesse de sonner, mais ce sont plutôt des consultations pour l'après-midi. Je souris : je ne travaille que ce matin ! J'ai prévu d'aller voir des amis, j'essaierai de partir tôt.

A 10h00, toujours pas de chien... Francesca essaie de joindre les propriétaires des animaux : M. Candelle a un empêchement, et l'autre ne répond pas. Il semblerait que j'ai ma matinée pour lire la pile de revue de formation continue qui m'attend, le site internet d'éthologie canine et féline qui vient d'ouvrir, en plus je dois téléphoner à l'école vétérinaire pour une vache et rappeler un labo pour une série d'analyses. Impeccable !

J'ai à peine raccroché le combiné que Francesca passe la tête par la porte du bureau. Le deuxième chien, je suppose... Perdu : "Docteur, c'est le GAEC des trois grenades. Il y a une vache qui maigrit depuis dix jours, et qui a vêlé il y a quinze jours."
Evidemment... Le GAEC des trois grenades, c'est un gros élevage laitier, situé à une bonne vingtaine de kilomètres. Vue la description, ça sent le déplacement de caillette jusqu'ici. Je soupire. Je n'aurais pas fini à midi, même si je pars de suite.

Cinq minutes plus tard, je suis dans ma voiture. J'ai ma boîte de chirurgie (elle reluit, même), du monopropylène glycol, tout le matériel, si tout va bien je pourrais peut-être revenir à l'heure ? Et puis ce ne sera peut-être pas une caillette, j'éviterais peut-être la chirurgie. On peut rêver.

Vingt minutes de route, sous un soleil radieux : la neige fait briller les Pyrénées, les prunus et autres cerisiers sont en fleur, l'herbe est très verte, le paysage est vraiment magnifique. C'est lors de ces moments de répit que j'apprécie le plus ma région. L'exploitation des trois grenades se trouve sur une crête, plein sud : la vue est absolument splendide.

Dans le boxe de droite, une vache solitaire. Elle a le dos voussé, les oreilles tombantes, elle est maigre, elle respire vite. J'ai trouvé ma malade. L'éleveur n'est pas encore là, mais il a du m'entendre. J'enfile mes bottes et ma blouse cachou, j'attrape un gant de fouille, un stéthoscope et un thermomètre. Je suis à peu près persuadé, vue l'allure de la vache, que mon intuition était la bonne. Je l'observe une ou deux minutes, sans bouger. Elle est prostrée dans un angle de son enclos, tête basse. Elle ne rumine pas, sa respiration est superficielle, sa panse ne se gonfle pas, cet animal souffre. Juste derrière moi, les jeunes génisses, rassurées par mon immobilité, tendent le cou pour essayer de me renifler, voire d'attraper ma blouse avec la langue. Lorsque je fais un pas vers ma "patiente", toutes bondissent en arrière en se cognant la tête à leur petit cornadis. Curieuses, mais pas courageuses !

Je commence à rabattre la vache vers les barrières où je pourrais la coincer pour l'examiner. J'aperçois, du coin de l'oeil, l'ombre de l'éleveur dans la travée centrale. Une poignée de main, pas de commentaire, il m'aide à l'attraper. Température : normale, presque basse. Auscultation cardiaque : rapide. Auscultation ruminale : calme plat. Je cherche le ping. Je le trouve immédiatement. J'enfile mon gant, puis enfonce mon bras dans le rectum de la vache. Je n'arrive pas à toucher la caillette, mais ça ne m'étonne pas outre mesure, on ne la sent pas à tous les coups.
"Caillette."
Je lâche le diagnostic dans un soupir. Je ne suis pas très motivé, encore prisonnier de mon espoir de tranquillité envolé. Je revois l'ordinateur et la pile de revues.
"Je m'en doutais", commente l'éleveur.

Bon, il n'y a pas à tortiller, il faut opérer, et autant le faire de suite. Je commence à préparer le matériel, et indique à l'éleveur comment assurer la contention de la vache. J'en profite pour reprendre mes explications sur cette pathologie, qu'il ne rencontre pas souvent. En plus, la dernière fois, c'était son ouvrier qui m'avait aidé, lui n'était pas là.

Les vaches ont quatre poches stomacales. Trois pré-estomac, et un véritable estomac.
Le premier pré-estomac, le réseau (ou reticulum), est assez petit, il sert de chambre d'entrée et d'expulsion. Il a un grand intérêt d'un point de vue médical, mais nous en parlerons un autre jour.
Le deuxième pré-estomac, la panse (ou rumen), est un immense tambour de machine à laver, plein de bactéries et autres protozoaires chargés de digérer les fibres végétales. Cet estomac malaxe ce bouillon de culture régulièrement (5-6 contractions par minute en temps normal), qui sera régulièrement renvoyé dans la bouche pour être mâché et remâché, en bref, ruminé : la vache assure un broyage mécanique et une imprégnation de salive pour faciliter le travail de ses hôtes. Les bactéries et protozoaires digèrent les molécules végétales, et notamment la cellulose, qui ne sont pas digestibles par les mammifères (seuls ces micro-organismes en sont capables), et la vache va les digérer, eux, et le produit de leur métabolisme. Les autres fibres, plus grossières, assureront simplement le transit. Ces dernières, accompagnées de contenu ruminal suffisamment digéré (des micro-organismes, donc), sont envoyées dans l'estomac suivant. D'un point de vue médical, la panse est le siège de nombreuses pathologies et représente un très bon indicateur de l'état général de l'animal. Une vache vraiment malade ne rumine pas...
Le troisième pré-estomac, le feuillet (ou omasum), a un rôle de triage et de pressage du bol digestif. Médicalement parlant, le feuillet n'a aucun intérêt, il n'existe qu'une seule pathologie le concernant, et on ne la diagnostique jamais.
La quatrième poche, le véritable estomac, s'appelle la caillette (ou abomasum). Elle joue un rôle essentiel chez le veau, car c'est là que le lait, mélangé aux acides gastriques, "caille", et où commence la digestion (semblable à la nôtre, pour le coup). En vieillissant, le veau devient un ruminant et la caillette perd son rôle central. Les pathologies de la caillette sont assez complexes chez les vaches adultes.

La principale est le déplacement de caillette à gauche : il faut imaginer que tous ces estomacs sont suspendus à la colonne vertébrale dans deux sacs nommés omentums (comme, pour les cochons, la crépine des charcuteries maisons, mais en beaucoup plus costaud). Pour le reste... tous ces estomacs ont des positions spatiales précises, mais mobiles, avec tous les organes abdominaux intercalés autour. C'est pour ainsi dire indescriptible et les schémas n'aident pas beaucoup (demandez aux étudiants vétérinaires). Heureusement, l'informatique est un outil miraculeux, et, en voyant ce qui suit, un vieux véto m'a un jour dit que les jeunes n'avaient plus aucun mérite : l'université de Montréal a modélisé un déplacement de caillette à gauche.
En gros, l'énorme truc rose, c'est la panse, et ce qui passe en dessous et se met à gonfler, la caillette. Celle-ci, une fois dilatée, produit un petit bruit caractéristique des poches de gaz sous pression lorsque l'on donne une pichenette sur le cuir en regard, avec le stéthoscope posé sur la vache. Ping' ping' ping' fait la caillette. Un bruit métallique assez amusant, sauf qu'il signifie en général que l'on doit opérer. Il y a bien d'autres causes de ping', mais elles sont plutôt rares.

Bref. La vache est maintenant attachée, l'éleveur a appelé son ouvrier, je rase une petite partie du flanc droit de la vache, puis je commence l'anesthésie locale.
Evidemment, ça ne plaît pas du tout à la bestiole qui essaye de placer son sabot postérieur droit dans mon estomac.
Heureusement, elle est attachée... Trois minutes plus tard, elle ne sent plus rien, et j'incise le cuir et les muscles sur une quinzaine de centimètres. Il faut bien réaliser que l'on opère debout, et que l'on n'endort pas la vache (pour des raisons pratiques, mais je vous rassure, l'anesthésie locale n'est pas là juste pour faire joli). Je vais donc réaliser une omentopexie par voie latérale droite. La classe, non ?

La vache est ouverte, elle ne gigote plus. J'enfonce mon bras gauche jusqu'à l'épaule dans son abdomen, je fais le tour de sa panse par l'arrière en passant sous le rein droit, et là, je touche la caillette, qui s'est dilatée comme sur la vidéo.

Ou pas.

Curieux. Il y a bien une grande poche de gaz mais elle a l'air cachée derrière le grand omentum (le sac qui suspend la panse). Je change de bras, je me dis que j'ai du mal suivre le trajet pour aller là-bas (imaginez l'angoisse la première fois que l'on fait ça et que l'on sent juste des poches et des membranes lisses partout).

Rien.

Je recommence. Toujours pas de caillette. Je me dis qu'elle doit être moins dilatée que d'habitude. Ca tombe bien, la vache n'est pas très grande, et moi j'ai des longs bras, je repousse un peu la panse pour enfoncer mon bras le long de sa paroi abdominale gauche, vers le point où la caillette passe sous la panse. Je tombe sur le foie.

Caramba !

Une magnifique erreur de diagnostic, docteur.

La classe, non ?

Je laisse tomber la caillette à gauche, et je pars la chercher à droite. Je suppose que c'est le gaz de la panse qui m'a fait ce ping' trompeur... Gagné, la caillette est bien à sa place, mais elle a un contenu très bizarre, très dur, presque du mastic. Ma main heurte un truc dur. Grmbl... Imaginez que je suis appuyé contre la vache, et que l'un de mes bras est entièrement à l'intérieur. Mon ouverture laisse juste la place pour le passer, je travaille à l'aveugle. L'éleveur me demande si je n'aurais pas une caméra comme à l'hôpital. Je lui propose de me sponsoriser, mais il n'a pas l'air motivé.
Je m'entends très bien avec cet éleveur, nous avons l'un pour l'autre une confiance réciproque. Je ne lui cache pas du tout que je me suis planté, mais qu'il y a quand même quelque chose d'anormal. Lui, ça ne le perturbe pas, il a manifestement ouvert un paquet de carambars récemment, et me livre le fruit de ses lectures. J'ai les pieds dans la paille, la vache est résignée à se faire tripoter les boyaux, les génisses tendent le cou à travers la barrière pour atteindre la petite table de camping sur laquelle sont posés mes instruments de chirurgie, et les Pyrénées sont toujours magnifiques. Mais la vache n'a pas lu les bouquins de pathologie digestive bovine, et me fait n'importe quoi.

Son feuillet est énorme. Deux ou trois fois le volume d'un ballon de rugby, plein d'un mastic extrêmement dur. Je reprends plusieurs fois le fil de mes explorations. L'abouchement de la panse sur le feuillet, mastiqué aussi. Le feuillet, énorme. La caillette, avec des "boules" de ce mastic, grosses comme des pamplemousses. J'essaye de fragmenter cette masse dure : peine perdue, c'est bien trop collant.

Cette bestiole me fait une surcharge de feuillet. Dans mes souvenirs, c'est une affection plutôt théorique... et de mauvais pronostic. Tout est bouché, et bien bouché. Je vérifie dix fois que c'est bien ce que je pense. Mes tripotages digestifs ne servent à rien, je décide donc de refermer la vache. Je vérifie quand même l'absence de corps étranger dans les pré-estomacs, en palpant à travers la paroi (pour la panse, c'est illusoire, sauf si quelque chose se plante dedans, mais je vérifie quand même). Déjà une heure que je l'ai ouverte !

Il est midi, et je vais faire un aller-retour à la clinique pour aller chercher du matériel. En attendant, j'injecte antibiotiques, anti-inflammatoires et anti-spasmodiques digestifs à la vache.

Il est midi et quart lorsque j'arrive au cabinet, où Francesca semble toujours crouler sous les appels téléphoniques et les gens à l'accueil. Juliette consulte, et Olivier a interrompu ses visites pour aller sur un vêlage, m'informe-t-on. Je récupère ce que je suis venu chercher, et je file en vitesse, avant que l'on me coince.

A 12h40, je suis de nouveau face aux Pyrénées, dans l'exploitation des trois grenades. J'ai moins profité du paysage sur la route...

Je commence à sonder la vache : j'utilise un espèce de tuyau que j'enfonce jusque dans la panse de la bête, qui apprécie peu la manœuvre. Ensuite, je branche une pompe à bras sur la sonde pour envoyer une vingtaine de litres d'eau tiède additionnée d'ions et de stimulateurs de la motricité ruminale. Je rajoute 5 litres d'huile de paraffine fluide, et dix litres d'eau supplémentaires : si c'est bouché et qu'on ne peut pas ouvrir, il ne reste plus que la pression et la lubrification... on verra bien. Je suis assez pessimiste.

lundi 18 février 2008

Coagulation

Dans tous les métiers, il y a des cauchemars professionnels. C'est en lisant celui d'un avocat que j'ai repensé à l'un des miens (en passant, Jeanne Brugère-Picoux est vétérinaire et prof à l'ENVA, et son propos a été discuté dès le lendemain par un autre témoin, mais bon, je disgresse).

La matinée semblait partie pour être tranquille. Nous allions donc être surchargés.

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