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dimanche 28 mars 2010

La mort des petits vieux

Les petits vieux ne meurent jamais tranquillement dans leur panier. C'est un mensonge. Un doux rêve que caressent leurs propriétaires lorsque viennent les vieux jours, les premières alertes, les frémissement du taux de créatinine ou la baisse de la densité urinaire. Selon leur espèce et leur race, les vieux ont entre huit et dix-huit ans. Huit ans pour les grands chiens - papy leonberg et ses 70kg - ou dix-huit ans pour les chats et les chiens à grande longévité, les caniches, cockers et autres...

Ces petits vieux là, je les suis depuis longtemps. Ils sont lourdement médicalisés (ou pas), ont été vaccinés régulièrement (ou pas). Peu importe : au fil des années, j'ai appris à les connaître, ainsi que leurs maîtres. J'ai vu naître leurs chiots ou chatons, mourir leurs parents, je les ai opéré, grattés, caressés, spéculumés ou radiographiés, je suis entré, un petit peu ou beaucoup, dans leur intimité et celle de leurs maîtres. Le plus souvent, une vraie relation de confiance s'est construite, au gré des petits bobos ou des gros pépins, peu importe.

Certains ont insisté pour que je devienne leur "vétérinaire traitant". Ce n'est pas du tout dans la politique de la maison : nous sommes trois vétérinaires dans notre structure, à peu près interchangeables en ce qui concerne nos compétences, hormis quelques "domaines plus ou moins réservés". Le comportement et l'endocrinologie pour moi (tendance cas de merdes), la chirurgie pour un autre, etc. Mais sans plus. Notre carnet de rendez-vous est donc commun et nous nous appliquons à ne pas "personnaliser la clientèle". C'est beaucoup plus simple pour s'organiser, ça évite la routine et surtout les dérives, les malentendus et, globalement, les ennuis. En plus, ça permet souvent de croiser les points de vue sur certains cas. Évidemment, certains clients n'aiment pas : ils veulent me voir moi, ou un autre, le font clairement comprendre à notre secrétaire et peuvent être franchement désagréables lorsqu'ils ne sont pas satisfaits. Ceux-là, on s'en passe très bien. D'autres sont plutôt déçus, ce qui aurait tendance à nous faire culpabiliser, mais pas longtemps. On gèrera la prochaine fois. Et puis parfois, on laisse faire, et nous nous construisons, peu à peu, une espèce de petit "parc" de clients dédiés, sans forcément en être ravis : ce ne sont pas forcément les plus faciles. Lorsque cela ressemble trop à un piège, nous nous débrouillons pour faire exploser cette routine et passant un client d'un véto à l'autre, quitte à le faire au cours d'une consultation commune. Évidemment, tout ceci demande une rigueur d'enfer sur la tenue des fiches et des dossiers, mais après tout, nous sommes informatisés, autant en profiter.

Le problème, c'est que, véto "personnalisé" ou pas, nous finissons forcément par nous attacher. Certains reviennent à la clinique comme ils rentreraient à la maison, nous connaissons leur nom, celui de leur propriétaire. Lorsque je connais le nom d'un chien, d'un chat, ou pire, que je reconnais la voix de son maître au téléphone, je sais que les choses deviennent dangereuses. Nous entrons là dans le domaine trouble de la relation de confiance établie, fructueuse et constructive, intelligente et destructrice. Celui où il devient de plus en plus difficile de séparer l'empathie de la sympathie.

Relation de confiance, fructueuse, constructive, intelligente, je ne vous surprends sans doute pas. Il paraît évident que l'on fait du bien meilleur travail dans ces conditions. Après tout, si l'on connaît bien l'animal et, plus encore, son maître, on est bien plus à même de lui proposer les soins ou le suivi qu'il souhaite, d'anticiper ses demandes ou d'éviter de chatouiller sa susceptibilité. De savoir amener une intervention coûteuse ou un traitement pénible.

Destructrice, vous pouvez aussi l'imaginer, après tout : Il sera bien plus difficile d'annoncer, dans ce cadre, une pathologie très grave, ou à terme, de pratiquer l'injection létale. Dangereuse aussi parce que la force de l'habitude reste le meilleur moyen de se planter, de ne plus observer objectivement, de modifier ses arbres diagnostiques sans même s'en rendre compte. Le fait de travailler à plusieurs permet de limiter ce dernier écueil, mais... J'ai remarqué dans mes jeunes années, lorsque je remplaçais un véto, que je démultipliais son taux d'euthanasie. L'un d'entre eux avait d'abord été choqué, me livrant, très spontanément, un "mais tu m'as tué toute ma clientèle ?!" après deux semaines de remplacement. Il travaillait seul, toujours seul, et mon regard plus distant, plus clinique, avait été l'occasion de prendre un certain nombre de décisions. Il était sans doute plus facile pour les maîtres de se décider en remettant les choses à plat avec quelqu'un qui avait en main le dossier de leur compagnon, mais qui n'était pas encombré de souvenirs et d'histoires. Euthanasieur itinérant, un métier d'avenir ?

Dans un certain nombre de cas, le fait de s'en remettre à l'analyse d'un étranger "de confiance" (puisque choisi par leur vétérinaire habituel) permettait sans doute aussi d'évacuer une certaine charge de culpabilité, comme si choisir l'euthanasie était une sorte de désaveu des soins attentifs et consciencieux prodigués par leur véto. Comme s'il se serait alors agi de lui signifier son échec, de renier son travail, de l'amener, pourquoi pas, vers un sentiment de culpabilité. Je ne prétends pas que ces clients poussaient aussi loin l'analyse, pas plus que les véto que je remplaçais, ou moi-même. Mais je crois fermement à ces réactions complexes qui ne nécessitent nulle analyse pour se construire, hors de toute conscience, ou sous de faux prétextes.

Dans ma situation actuelle de vétérinaire désormais installé dans ses pantoufles, la mort des petits vieux est celle que je crains le plus. Pas celle de leurs maîtres, qui m'attriste mais suit, hors de mon regard, sa logique naturelle, mais celle de leurs compagnons, car je suis autant celui qui donne la vie que celui qui la retire... après, parfois, l'avoir sauvée. Je ne souhaite pas ici évoquer la difficulté de l'injection ou celle de ces derniers instants, solitaires ou entourés. Nous discutons souvent, le soir à la clinique, parfois autour d'un chien ou d'un chat hospitalisé, de la mort d'un patient. D'une mort à venir : comment cela se passera-t-il ? Résignation, cris, hurlements, colère ou larmes ?

Les plus dangereux sont les plus médicalisés. Cardiaques, sub-insuffisants rénaux, arthrosiques, plus ou moins aveugles, ils vivent leur petit train-train quotidien sur le fil de la seringue, ils ne mourront pas tranquillement dans leur panier, ils décompenseront assez brutalement avant d'agoniser pendant des heures et des jours. Ils ont un, deux, trois, parfois cinq traitements quotidiens ou bi-quotidiens, occupent leurs maîtres - souvent des personnes âgées, qui n'ont plus qu'eux - pendant le plus clair de leur temps. Ils sont parfois l'incarnation d'une sorte de lutte contre l'âge ou la maladie, et l'échec du maître n'est pas envisageable : trop intime, trop violent, il aurait d'inacceptables relents de défaite. Il devient difficile de leur expliquer que l'on ne maîtrise plus grand chose des interactions médicamenteuses à ce stade, qu'il est pourtant compliqué de choisir un médicament à sacrifier sur l'autel des bonnes pratiques. Le risque est pris en toute conscience, les ordonnances s'allongent, piluliers, contrôles, analyses, sans acharnement, mais avec une rigueur parfois obsessionnelle.

Il naît de ces vieilles années un attachement parfois - souvent - trop intense du chien envers son maître, qui lui sacrifie alors ses vacances et ses loisirs, acceptant le fardeau le plus souvent sans remords ni regrets avoués. Le chien ne devient pas une raison de vivre, mais parfois, un motif de lutte. Si les résultats sont au rendez-vous, ils sont souvent très visibles, objectifs et reconnaissables même pour un profane. La réussite de ces traitements ne devient-elle pas alors un facteur d'observance pour toutes ces personnes qui ont oubliées pourquoi elles devaient se soigner ? Peu importe : nous montons sur un piédestal, on nous compare souvent à ces médecins qui eux, n'arrêtent pas de poser des questions, et qui sont tous des tire-au-flanc et des incapables. Il faudrait qu'un jour un médecin me confie les commentaires de ses patients sur leurs vétérinaires. Je suppose que je ne serais pas déçu...

Le véto, ce héros, qui a sauvé Louloute, qui a opéré Pimprenelle de son cancer, qui a trouvé la maladie du cœur, qui a fait une prise de sang, qui l'a ressuscitée le jour où elle allait mourir d'une piro... celui qui l'a envoyé au bon moment chez ce spécialiste, qui a su expliquer. Des actes tantôt très lourds, mais parfois ridiculement anodins et qui se parent malgré tout d'un lustre sans pareil aux yeux de nos clients. Le véto, ce héros sur son podium, qui a toujours débusqué le microbe, détecté la tumeur, tué les puces et vaincu le diabète. Cette aura prend parfois des dimensions disproportionnées, et il semble que nous ne disposions d'aucun levier pour la tempérer : trop modestes ! Il est alors temps de changer de vétérinaire, de faire très attention au cahier de rendez-vous et d'espérer que Minette mourra gentiment dans son panier, ou sous une voiture.

Car forcément, un jour, quelque chose va lâcher. Ou parfois ne pas lâcher.

Milton avait 17 ans. Il traînait, et c'était le moindre mais le plus gênant de ses problème, une grave dermatite allergique aux piqûres de puces. Il était gravement cardiaque, avec de fréquentes complications d'œdèmes du poumon. Sa cataracte le rendait aveugle, les rares crocs qui lui restaient étaient pourris, il était perclus d'arthrose mais restait le soleil de son couple de maîtres âgés d'un peu plus de cinquante ans, et sans enfants. Nous le voyions au moins une fois par semaine, ils faisaient 70km pour venir chez nous, n'arrivaient jamais avant 19h30 vue la distance et étaient prêt à tout pour lui. Ils suivaient scrupuleusement nos prescriptions et nos conseils, attendaient, à chaque complication, l'injection salvatrice, et n'entendaient jamais nos mises en garde et nos réserves. Milton ne pouvait pas mourir.
Le jour où Milton a contracté, malgré son vaccin, une piroplasmose, nous sommes devenus des monstres ; sa pré-insuffisance rénale s'est transformée en crise d'urée, les médicaments étaient tous contre-indiqués, la spirale de la décompensation générale s'entamait. Nous avons proposé l'euthanasie, ils se sont enfuis. Milton est mort chez un confrère après deux jours de perfusion.
Nous nous sommes quittés sous une pluie de mots durs et méchants, avec une facture impayée, qui, suite à une relance, nous a valu une lettre acide et mesquine. Je garde un très mauvais souvenir de cette épisode, car si je n'avais pas une grande affection pour ces clients anxieux et stressants, nous avions consacré énormément d'énergie à leur compagnon et à leurs angoisses. Mais nous savions que cela finirait, forcément, très mal.

Cachou avait quatorze ans. Sa propriétaire reste, à mes yeux, la plus gentille et la plus lucide des mamies à caniche que j'ai jamais rencontré. Guère épargnée par l'existence, elle nous a toujours fait confiance, nous suivant dans nos diagnostics et nos traitements, avec toujours un mot gentil, toujours un cadeau pour Noël, des chocolats, une attention, une petite lettre. nous ne craignions pas, dans son cas, un drame à la Milton. Mais toute la clinique suivait les déboires de Cachou, les larmes de sa maîtresse, ses espoirs - nos espoirs. J'ai euthanasié Cachou chez elle, dans son refuge que je n'avais jamais pénétré, devant sa cheminée. Entouré de son mari handicapé, de ses proches, puis je suis resté pour une étrange veillée, autour d'une tasse de café.

Madame Lampernot nous a envoyé une lettre recommandée avec accusé de réception, destinée au Conseil Régional de l'Ordre afin de dénoncer les souffrances inacceptables infligée à son chien que nous venions de suturer, suite à une bagarre, pour la huitième fois. Mais sans succès en ce qui concernait le sauvetage de son oreille, ce qui avait été très clairement souligné auprès de son mari qui nous avait apporté le chien. Nous n'avions pas grand espoir, mais nous supposions qu'elle aurait préféré un essai, même manqué, à une disgracieuse amputation. Elle n'a pas amené son chien pour le contrôle - alors que les rendez-vous avaient été donnés - le vendredi matin, ni le samedi matin, puis a appelé le dimanche matin pour que nous puissions contrôler, en urgence, le pansement. Ce que mon confrère a refusé, occupé qu'il était à gérer de vraies urgences. La plaie de l'oreille avait mal évolué, il a fallu une nouvelle intervention chez un confrère, qui ne s'est pas privé de confier à Mme Lampernot ses confraternels préjugés sur les vétérinaires de campagne. L'Ordre l'a envoyée bouler après avoir entendu les parties, et, satisfaction suprême, s'est même fendu d'une admonestation paternaliste envers notre délicat confrère.

Ces vieux ne sont pas une angoisse permanente, mais nous observons et vivons avec plus de plus de méfiance ces relations trop intenses, ces réussites trop insolentes ou ces petits succès accumulés. Au risque de finir blasés ?

dimanche 20 avril 2008

Obligations et responsabilité du blogueur vétérinaire

Maître Eolas, avocat et blogueur, a réalisé un billet particulièrement complet sur les responsabilités du blogueur. D'autres points plus spécifiques à la profession vétérinaire, et notamment à nos obligations déontologiques, me poussent aujourd'hui à récapituler.

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