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mercredi 10 juillet 2013

Soigner, parce qu'il le faut ?

C'est un samedi soir. Il est 19h00, j'aimerais bien rentrer chez moi, mais, pas de bol, j'ai eu quatre appels entre 18h45 et 19h00.

Le premier a été vite expédié. Un chien qui s'étranglait avec un os, mais qui l'a vomi dans la voiture (technique à retenir pour quand je n'aurai plus d'apomorphine).

Le second, je l'ai mis sous perf' et hospitalisé direct, dans la cage à côté de son frère qui est là depuis hier. Une portée de chiots, un parvovirus, un week-end à nettoyer et désinfecter cages et chenil, histoire de mieux apprécier la valeur de nos assistantes.

Le troisième ne m'a pas pris bien longtemps non plus. Plus de peur que de mal sur un accident de la route, le conducteur a pilé, le pare-choc a juste bousculé le chien.

Le quatrième m'a occupé jusqu'environ minuit.

C'est une cliente que je ne vois pas souvent, mais régulièrement et depuis longtemps, qui me l'a amené. Mme Baïs. Sa fille l'accompagnait. Je soigne leurs chevaux, et leurs chiens à l'occasion. Ils ne sont pas très véto. Leurs animaux vivent leur vie, plus ou moins en liberté autour de la maison. Ils les nourrissent bien, s'en occupent, mais les chiens, les chats ou les autres bestioles ne sont que ça : des chiens, des chats, des bestioles. Pas des enfants de remplacement, des confidents ou des compagnons de vie.

Je les aime bien : ils sont clairs et cohérents.

Leur jack russel a déconné. Dans les grandes largeurs. Il n'a rien trouvé de plus intelligent qu'attaquer un chien qui passait avec une joggeuse sur la route devant la maison. Un jack russel, c'est un petit chien. Un terrier. Un genre de fox, si vous voulez (là, normalement, les fans de jack russel ET de fox devraient me sauter dessus). Le chien qui passait, c'était un leonberg. 60kg. Le jack russel est vite rentré chez lui, avec quelques trous dans la peau.

Une fois l'émoi de la bagarre passé, chacun est retourné à ses occupation. Les trous, ce n'était objectivement pas grand chose. Ils ont désinfecté et espéré que "ça lui apprendrait" - sans trop y croire. Puis oublié.

Le lendemain soir, ce samedi, à 18h30, le chien a vomi du sang.

Une bonne partie de son aine droite était tuméfiée. Il y avait un petit coup de croc. Pas grand chose. La peau avait pris une vilaine teinte violacée, nuancée de noir. C'était gonflé, mais la douleur était impossible à estimer. Le chien n'était vraiment, vraiment pas bien. Très abattu, un peu déshydraté. Il endurait.

Un examen rapide à l'échographe m'a rapidement confirmé ma suspicion : le muscle abdominal était déchiré, les intestins était sous la peau. Avec les vomissements, j'imaginais une occlusion liée à une hernie étranglée : l'intestin faisant une boucle par la déchirure abdominale, trop serré, étranglé par l'étroitesse de la plaie d'éventration. Le sang ne circule plus, l'intestin meurt.

C'est évidemment une urgence, c'est évidemment très grave. Je démarrerai l'opération environ une demi-heure plus tard. Finalement, le croc avait même percé l'intestin, qui déversait son contenu dans la poche entre la peau et le muscle abdominal. Il m'a fallu enlever environ 30cm d'intestins. C'est la chirurgie la plus complexe que je sache faire.

Tout s'est très bien passé.

Lorsque j'ai établi mon diagnostic, avec la propriétaire du chien et sa fille, j'ai évidemment expliqué les tenants et aboutissants du problème. Que j'ai eu tort sur la nature exacte de la blessure n'y changeait finalement rien : la prise en charge était la même.

Elles étaient évidemment d'accord pour que j'opère. Madame s'est d'ailleurs excusée, plusieurs fois, pour la soirée que j'allais passer. J'ai eu beau lui expliquer que j'étais là pour ça, elle avait bien conscience que mon samedi soir se passerait en tête à tête avec les intestins de son chien et pas avec ma famille. Elle avait compris que c'était une chirurgie complexe, et que le risque anesthésique était relativement important. Qu'il faudrait sans doute quelques jours d'hospitalisation, et une alimentation spéciale pendant deux semaines au moins.

J'ai donc recueilli dans les règles de l'art son consentement éclairé.

Je n'ai pas fait signer de demande de soin, ou de document prouvant le consentement éclairé. Ici, ça ne se fait pas. Nous n'avons pas de problème à ce niveau. Les gens sont d'accord ou pas, mais nous n'avons pas (encore ?) formalisé cette étape indispensable de la relation de soins. La parole donnée, la confiance et le respect mutuel entre client et vétérinaire fonctionnent bien. J'ai bien conscience que ce n'est plus le cas partout, et je chéris cette relation précieuse.

Nous n'avons pas parlé d'argent. Parce qu'avec eux, ça ne se fait pas. C'est monsieur qui gère, et, ce soir-là, il n'était pas là. Je le connais, il me connaît, je sais qu'il serait d'accord. N'y voyez aucun sexisme, ou mépris, ou catégorisation : c'est comme ça que leur famille fonctionne. Je n'ai pas abordé le sujet, elles non plus. Elles avaient pourtant parfaitement conscience que ça risquait de coûter cher.

J'ai préféré ne pas le mettre sur la table pour me concentrer sur le plus urgent : enlever ses intestins pourris à ce chien.

Elles ont préféré ne pas aborder la question pour des raisons qui leur appartiennent.
Ce n'était certainement pas parce que ça n'avait pas d'importance. Ce sont des gens modestes.
Ce n'était pas parce qu'il n'y avait pas le temps, ou que l'occasion a manqué.
C'était peut-être parce qu'on ne parle pas de ces choses là, et encore moins au docteur. Cela, j'en avais conscience, ce n'était peut-être pas à mon honneur de n'avoir pas brisé le silence sur cette question. On flirtait sans doute à la limite de la manipulation, comme c'est souvent le cas dans la relation entre le soignant et le soigné (ou le propriétaire du soigné, dans le cas d'un animal...).

D'habitude, je mets les pieds dans le plat. Je sais le problème de la valeur de la vie, je sais que les soins que je prodigue peuvent être chers. Je connais également leur coût. Je me suis dit qu'il était plus pertinent de ne pas aborder la question. Je ne sais pas exactement pourquoi.

La facture s'est finalement élevée à 700 euros, pour une entérectomie sur éventration souillée (anesthésie gazeuse, environ deux heures et demie d'intervention, seul, un samedi soir, deux boîtes de chirurgie...), surveillance du réveil (environ 3/4 h de plus dont j'ai profité pour nettoyer le bloc et les boîtes de chirurgie), trois jours d'hospitalisation dont un dimanche, des tas de médicaments (analgésiques surtout, anti-inflammatoires, antibiotiques), un petit sac de croquettes et tous les petits soins qui accompagnent une telle intervention.

Objectivement, je pense que ce n'est pas cher. Comme me le disait un confrère très spécialisé, habitué des grosses factures : "c'est pas cher, mais c'est beaucoup d'argent."

Nous n'avons abordé la facture que lors du retrait des points, deux semaines plus tard. Tout s'était très bien passé, quoique cette précision ne soit théoriquement pas pertinente concernant le prix des soins.

Cette fois-ci, c'est M. Baïs qui était venu, avec sa fille. Lorsque j'ai abordé la question de la facture, prévenant et anticipant sur une possibilité d'étalement de paiement, il se doutait bien que ce serait cher. Mais il ne pensait manifestement pas que ce serait autant. Je savais que, pour eux, c'était une somme très importante. Pour certains, ce serait une somme insurmontable (qui condamnerait leur animal ?). Pour d'autres, un simple détail.

M. Baïs n'a pas du tout contesté le prix. Mais il s'est visiblement décomposé. Du coup, j'étais encore moins fier de n'avoir pas abordé la question avant. Je ne sais toujours pas si c'était une erreur de ne l'avoir pas fait. Il m'a fait confiance, par procuration certes, mais peu importe. Il a apprécié la réussite de mon travail, et réalisé en voyant avec moi le détail de la facture, que d'une part le prix était "juste", et que d'autre part je lui avais "remisé" certains actes dans une logique de forfait de soins.

M. Baïs a eu très précisément les mots suivants :

"Je paierai, oui, bien sûr.
C'est normal, c'est mon chien, il faut bien le soigner.
Mais quand même, c'est sûr, ça fait beaucoup d'argent.
Mais quand on a un animal, c'est sûr, on le soigne, il le faut."

Je n'ai pas oublié ses mots.

J'ai entendu l'idée, considérée mais vite évacuée, de ne pas me payer. Il savait qu'il n'avait aucune raison de ne pas me payer, et c'est un homme honnête qui me considère comme un homme honnête.

J'ai entendu ce que je savais : c'était vraiment beaucoup d'argent. Il l'énonçait sans honte, ni comme un aveu, ni comme un reproche, et d'autant plus facilement sans doute que je l'avais déjà précisé. J'ai conscience du prix, de ce que représente cette somme pour une famille modeste. J'ai aussi conscience des coûts et de la valeur des soins, ce qui me permet de présenter sans honte mes factures (et il m'a fallu beaucoup de temps pour apprendre à assumer mes factures).

J'ai surtout entendu cette obligation morale à laquelle je n'avais pas vraiment réfléchi. J'avais bien sûr déjà entendu la formule "quand on a un animal, on l'assume", et ses diverses variantes. Mais cette phrase, jusque là, était restait pour moi une idée prête à penser, une formule toute faite. Je m'interroge encore régulièrement sur les questions liées à la valeur de la vie animale, évitant autant que possible ses dilemmes inhérents à mon métier. Là, ce n'était pas la question.

M. Baïs interprétait devant moi, avec beaucoup d'honnêteté, cette contrainte morale.

Il faut soigner son animal.

Pourquoi ?

Parce qu'on en a la responsabilité, et qu'avec elle vient une obligation morale qui n'existe pas s'il s'agit de réparer une voiture.

Cette obligation morale envers un animal n'existait pas, ou en tout cas n'était pas la règle, il y a quelques décennies. Elle ne vaut d'ailleurs que pour notre société et celles qui lui ressemblent. Elle sous-tend l'essentiel de mon activité professionnelle, surtout avec la baisse de l'activité "rurale" depuis quelques années. Elle est même entrée dans la loi avec la notion d'obligation de soins.

Dans le même temps, les progrès de la médecine vétérinaire, sur les traces de la médecine tout court, sont fulgurants. L'augmentation des moyens financiers consacrés aux animaux accompagne l'augmentation des moyens médicaux disponibles. Pharmacopée, imagerie, chirurgie, compétence... Les vétérinaires d'aujourd'hui ne font plus le même métier que les vétérinaires de la génération qui les a précédés.

Dans le même temps, les vétérinaires, comme les propriétaires des animaux, deviennent un enjeu financier pour les labos, les assureurs et les affairistes divers et variés.

Puisqu'il faut soigner l'animal, puisqu'on le doit, autant s'en donner les moyens.

Jusqu'où ?

Et comment devons-nous désormais comprendre l'obligation de moyens inhérentes à l'exercice loyal de la médecine ?

Parce qu'un moyen existe, faut-il l'utiliser ? Doit-on l'utiliser ? Le proposer, oui, on le doit, et c'est finalement ici que s'achève a priori le principe de l'obligation de moyens, réduite à une obligation d'informer sur l'existence des moyens. Ensuite, il faut composer avec les contraintes, les attentes, les limites et possibilités financières et techniques de chacun - aussi bien vétérinaire que propriétaire. De cette confrontation entre le "possible" et le "disponible" renaît l'obligation de moyens, définie cette fois par un devis qui tient lieu de contrat de soins.

Un médecin me disait l'autre jour : "nous, quand on ne sait pas, on fait un scanner." Curieuse logique, d'un point de vue médical d'une part, mais d'un point de vue économique également. Le moyen existe, on doit l'utiliser, d'autant plus qu'on pourrait lui reprocher de ne pas le faire. En médecine "humaine", la question économique est pour l'instant évacuée (du point de vue du patient en tout cas). Pour le meilleur et pour le pire, notamment l'insupportable "j'y ai droit, je cotise", à la fois parfaitement logique et totalement vicié. Je commence à le voir apparaître avec les mutuelles de santé pour animaux de compagnie, qui permettent de fausser la décision médicale d'une manière inédite : avant, on était contraint par défaut de moyens, nous dirigeons-nous nous aussi vers une contrainte par excès ?

Jusqu'où faut-il aller ? Et puisque la question est par essence morale, quel est le seuil immoral ? Celui qui rabaisse l'homme sous le niveau de l'animal de compagnie ?

vendredi 25 janvier 2013

Mutuelle de santé pour animaux de compagnie

Prendre une assurance-santé pour son chien, son chat ou tout autre animal de compagnie : l'idée n'est pas nouvelle, et creuse lentement son sillon en France. Elle peut sembler excellente, on peut imaginer ses limites...

De quoi parle-t-on ?

Une société d'assurance (il y en a plusieurs sur le marché, évidemment), vous propose de rembourser tout ou partie des frais vétérinaires de votre animal de compagnie. Vous payez une cotisation mensuelle, qui évolue, ou pas, avec l'âge de votre animal. Cette cotisation est plus ou moins élevée selon l'âge de l'animal, selon sa race, selon, éventuellement, le nombre de fois où vous avez fait appel à cette assurance santé.
Il y a en général une franchise, ou plancher : vous avez une facture de 100 euros, la franchise est de 20, l'assurance ne rembourse que 80.
Il y a en général un plafond, annuel ou par facture. Vous avez une facture de 2000 euros, un plafond de 1000, une franchise de 20 : l'assurance vous rembourse 2000-1000=1000 euros.
Les conditions définissent les actes ou produits remboursés ou pas : la liste peut être longue, il faut la regarder de près. Souvent, les vaccins ne sont pas remboursés, et les maladies qui auraient pu être vaccinées non plus (que l'animal soit vacciné ou pas, c'est aussi à vérifier). Bref, beaucoup de détails compliqués et essentiels.
Les cotisations mensuelles couramment rencontrées s'échelonnent entre 15 et 50 euros.

Le point de vue du propriétaire de l'animal

Les avantages semblent évidents : payer moins de frais vétérinaires, et avoir la possibilité d'offrir des soins plus onéreux à votre animal.

Mais il y a quand même quelques limites à garder à l'esprit :

Nous sommes tous pareils, et nous voulons qu'un investissement soit rentable. Ce n'est pourtant pas le but d'une assurance, par définition, et c'est un très gros frein à la motivation des maîtres. La plupart du temps, lorsque j'aborde le sujet, le dialogue est à peu près le suivant :
- Mais, docteur, est-ce que c'est rentable ?
- Rentable ? Non. L'idée, c'est de vous permettre de soigner votre animal en cas de coup dur. Mais s'il n'y a pas de coup dur, s'il ne tombe pas malade, s'il n'a pas d'accident, cet argent aura été investi "pour rien".
- Pour rien ?
- En réalité, non : vous aurez acheté une sécurité, à vous de voir si cela en vaut la peine. Car par contre, si votre chien est renversé par une voiture et que le chirurgien orthopédiste fait un devis à 2000 euros, vous allez y gagner énormément.

Les assurances, c'est comme les vaccins : quand on n'en a pas besoin, ils ne servent à rien.

Pourtant, il ne me semble pas que ce soit une bonne façon de réfléchir...

Il faut également tenir compte des avantages et inconvénients de chaque contrats. Et là, c'est la jungle : ils sont tous différents, difficiles à comparer au vu du nombre de paramètres, l'augmentation des tarifs selon le nombre de "sinistres" est imprévisibles dans les contrats qui prévoient ce paramètre...

Le point de vue de l'assureur

Son but est de gagner de l'argent.

Mais...

Je note presque systématiquement une augmentation du nombre de consultations pour les animaux assurés. cela semble évident : on hésite moins à aller voir le véto si l'on sait que l'on ne perdra "rien" si l'on y va finalement "pour rien".
La règle des trois jours, du coup, est faussée. Oui, vous savez, quand je demande depuis combien de temps l'animal est malade, en général, la réponse est "trois jours". Le premier jour, se rendre compte que quelque chose ne va pas. Le second, se dire que cela ne semble pas être juste un pet de travers. Le troisième, aller chez le véto.

Et puis il y a les maîtres qui veulent absolument passer leurs 5 chiens sur le compte du seul assuré. Et qui ne voient pas du tout en quoi cela pose un problème.

Il y a également ceux qui font assurer leur chien en prévision d'une grosse tuile diagnostiquée par le véto : "votre chien est dysplasique, dans 6 mois au plus, il va avoir besoin, d'une chirurgie lourde".

Vite, assurons-le.

C'est de la fraude, oui. Les assureurs sont conscients de ces limites, et certains se sont même retirés du marché en voyant la faible rentabilité de l'histoire. Une cliente, courtière en assurances, m'a un jour expliqué que lorsqu'elle assurait un chien de chasse, elle était sûre à 100% d'avoir un sinistre dans l'année. Elle a arrêté.

Je vous entends me répondre que les assureurs ne sont pas à plaindre. Ce n'est pas mon problème : je me contente de vous expliquer les enjeux. Il me semble que c'est un point essentiel lorsque l'on essaie de saisir les tenants et aboutissants de ces assurances-santé.

Et puis, cela incite à la réflexion sur notre assurance-santé, non ? je vous invite à écouter cette émission, avec ou sans rendez-vous, qui aborde bien le sujet.

S'il y a des assureurs qui me lisent, leur point de vue m'intéresse beaucoup.

Pour le vétérinaire

Au début, je ne voyais que des avantages à l'assurance-santé des animaux de compagnie.

Elles allaient me permettre de proposer un panel de soins complet, sans être bridé par des considérations financières. Depuis 2-3 décennies, l'offre de soin gagne énormément en qualité. Progrès de la science, progrès de la technologie, nous diagnostiquons plus de choses, avec beaucoup plus de moyens, nous pouvons également en traiter bien plus qu'avant.

Mais combien de chirurgies lourdes avortées faute de moyens financiers ?
Combien de chimiothérapies, d'immunosuppresseurs ou d'antiviraux laissés dans les frigos faute d'argent pour les payer ?
Quelle qualité de suivi pour les maladies chroniques lorsque le temps devient, forcément, de l'argent ?

Combien d'euthanasies pourrions-nous éviter ?

Ma clinique a investi lourdement. Bâtiments, renforcement de l'équipe (nombre d'ASV plus que doublé en moins de dix ans !), formation, matériel, temps. Et j'ai une conscience aiguë des limites financières de mes clients. Je sais que je ne peux pas faire correspondre les tarifs à l'offre de soin. Nous avons choisi de nous lancer à corps perdu dans la qualité, parce que c'est ce qui nous fait avancer, mes collaborateurs et moi, mais était-ce financièrement une bonne idée ?

En l'état actuel des choses, non. Nous gagnerions bien mieux notre vie si nous avions fait d'autres choix. Je ne pleure pas sur mon sort, soyons clairs, mais il n'y a pas de quoi pavoiser. Les vétérinaires ne sont plus du tout les notables qu'ils étaient dans les décennies 60-80, et nous trustons désormais les dernières places des classements en terme de rentabilité et de revenus dans les dossiers des organismes de gestion agréés. Des vétos font faillites, d'autres vivent décemment. Certains s'en sortent très bien.

Du coup, l'assurance-santé animale représente un espoir non négligeable pour notre profession.

Mais il n'empêche que cette problématique me file des nœuds à l'estomac.

De la pub ?

Je ne suis pas courtier en assurance. Les assurances ne me paient pas pour que je les vende, et il n'est pas non plus question que je distribue leurs flyers gratuitement. Je reçois très souvent des enveloppes pleine de pub à laisser en salle d'attente. Je fous tout à la poubelle.

D'ailleurs, chers assureurs, le code de déontologie interdit le courtage (article R242-62 du code rural). Je précise, car certains ont essayé, avec leurs gros sabots, en me proposant carrément un pourcentage. Youhou !

Tout courtage en matière de commerce d'animaux, la collecte ou la gestion de tous contrats d'assurance en général, y compris ceux qui couvrent les risques maladie, chirurgie ou mortalité des animaux, sont interdits aux vétérinaires exerçant la médecine et la chirurgie des animaux.

Et si je dois mettre la com' d'un assureur dans ma salle d'attente, j'aimerais autant mettre la com' de tous les assureurs. Distribuer ces pubs implique un message à mes clients : "cet assurance est bien foutue, allez-y".

Je ne suis pas là pour ça.

Et je n'ai pas non plus envie que mes clients pensent que ces assureurs me filent un pourcentage, ou je ne sais quoi. Je n'ai pas envie de prêter le flanc à ce type de critique.

Par contre, quand un client me demande mon avis sur un contrat, si j'en ai le temps, je le donne. Je regarde avec lui, je discute ses besoins, et vérifie les pièges les plus courants. Ce n'est pas vraiment mon boulot, mais je suis là pour conseiller, après tout.

Inéluctable ?

Je n'apprécie pas non plus le discours ambiant : on nous vend ces assurances comme "inéluctables". Une chance, une opportunité, et de toute façon une évolution nécessaire et souhaitable. Et si vous n'en voulez pas, vous l'aurez quand même.

Sans doute. Mais dois-je pour autant vendre mon stéthoscope aux assureurs ?

Je n'apprécie pas que certains assureurs s'appuient avec un message quasi-institutionnel sur la profession. J'ai l'habitude des messages du genre "formulé par un vétérinaire". "Créé par des vétérinaires." "Approuvé par des vétérinaires." Les gens ont, je l'espère, assez d'esprit critique pour ne pas se jeter béatement dans tout ce qui porte ce genre d'étiquette. Mais cela commence à aller plus loin, de nouveaux assureurs communiquant assez finement sur le sujet avec les vétérinaires : "fondée par trois vétérinaires, blablabla, du coup nous sommes plus pertinents, plus indépendants, nous ne voulons que votre bonheur." Sans déconner.

Et vas-y que j'installe mes fiches de remboursement dans ton logiciel vétérinaire, mais pas celles de la concurrence. Voilà un truc que je trouve profondément anormal : lors d'une mise à jour apparait un nouveau bouton qui permet de remplir automatiquement la fiche standard d'une mutuelle. D'une seule. je vous assure, vu comme c'est chiant de remplir ces fiches, ça donne forcément envie de pousser les clients vers cette mutuelle. Bien joué. Et puis, ça met son nom à l'esprit en permanence.

Vous trouvez ça normal ?

Pas moi.

Et après ?

J'en discutais il y à peu avec un dentiste, confronté à certaines de ces problématiques, mais avec beaucoup d'avances sur nous. Certaines mutuelles conseillent à leur client un cabinet plutôt qu'un autre, assurant un meilleur remboursement dans ce cas. Avons-nous vraiment envie de ça ? En tant que patients (ou clients pour les vétérinaires), ou en tant que praticiens ? La liberté, pour chacun, de choisir son vétérinaire (ou son dentiste, son kiné, bref...), remise en question ? Sur des critères financiers, puisque tout va se résumer à cela ?

Un vétérinaire anglais me décrivait un jour le système des mutuelles dans son pays, bien plus développé que dans le nôtre. Un détail m'avait frappé : la mise en place de protocoles liés à diverses situations médicales ou chirurgicales : si le protocole a été respecté, l'assurance rembourse. Sinon, allez vous faire foutre. Sans déconner ? Un assureur, m'expliquer comment je dois travailler ? Refuser de rembourser des soins, mettons, pour une parvo, parce que je n'ai pas fait le test-qui-va-bien en me contentant de traiter en fonction des symptômes observés, amplement suffisants dans la majorité des cas pour cette maladie ?

Et alors ?

Le moins que l'on puisse dire, c'est que je ne suis pas enthousiaste. Je me réjouis de la "solvabilité nouvelle" de ma clientèle assurée. Je râle sur la paperasse, mais je sais que l'on n'a rien sans remplir de papiers. Je comprends bien que l'augmentation du coût des soins vétérinaires ne peut pas être assumée par tous mes clients, que la situation n'est plus celles des années 80.

Mais je suis foutrement inquiet.

Parce que mon indépendance risque, une fois de plus, d'être mise à mal.

Parce que l'argent vient un peu plus s'insérer dans mes problématiques quotidiennes.

Parce que j'ai l'impression que la profession s'en fout, ou ne réalise pas les dangers qui nous guettent.

Je ne veux pas jouer à l'oiseau de mauvaise augure, passer pour le vieux con qui refuse le progrès, pour un chantre du "c'était-mieux-avant". Je suis persuadé que l'âge d'or est devant nous. Je ne suis pas un nostalgique.

Mais vous, mes confrères installés, les étudiants, les vieux briscards, les retraités, qu'en pensez-vous ?

Et vous, qui venez sur ce blog pour lire mon quotidien de vétérinaire, vous qui payez nos factures, quel est votre avis sur ces questions ?

Des sources pour aller plus loin

Union nationale d'associations de gestion agréées : vétérinaire 2008, consultez la ligne bénéfice tout en bas. Attention, ce bénéfice n'est pas le "net" d'un salarié : retirez 40-50% d'URSSAF, RSI et retraite pour avoir le net avant impôt. Notez la forte disparité entre les 4 quartiles de revenus.

UFC Que choisir ? : Dossier sur les tarifs des vétérinaires et sur les mutuelles de santé pour animaux de compagnie (pour abonnés)

AVERTISSEMENT : ce billet parle d'argent. Si vous venez troller en commentaire, pas la peine de venir crier à la censure, je virerai vos commentaires sans préavis. Je suis ouvert aux critiques et aux remarques si elles sont constructives. Le fiel n'est pas constructif.

jeudi 7 juillet 2011

Prescription et délivrance du médicament vétérinaire

S'il y a bien une thématique à la mode en ce moment, c'est celle du conflit d'intérêt. Et celle-ci s'entrechoque actuellement avec celle de l'antibiorésistance, ce qui place les vétérinaires sous les feux de la rampe...

Pourquoi ?

Petit préambule

Pour bien comprendre ce dont je souhaite vous parler aujourd'hui, il faut savoir que les vétérinaires, en France (ce n'est pas le cas partout dans le monde) sont à la fois prescripteurs (ils rédigent une ordonnance après une consultation ou tout acte permettant de poser un diagnostic sur un animal ou un lot d'animaux) et délivreurs de médicaments (ils peuvent exécuter l'ordonnance, c'est à dire délivrer - vendre - le médicament). En ce qui concerne ce dernier point, nous différons des pharmaciens par une limitation très importante : nous ne pouvons exécuter que nos propres ordonnances, et non celles d'un confrère qui ne travaillerait pas au sein de notre clinique. Nous ne pouvons évidemment délivrer de médicaments à l'intention des humains.

Il est très important de rappeler également qu'un médicament, hors liste très limitée, ne peut être délivré que sur ordonnance, elle-même rédigée après l'établissement d'un diagnostic. Nous n'avons pas le droit de vous vendre un médicament pour un animal que nous n'avons pas soigné. Cette règle, autrefois peu respectée, l'est de plus en plus. Au risque de se faire traiter de profiteur par certains clients qui "veulent juste une pommade pour les yeux du chaton"... alors que l'idée qui a présidée à l'établissement de cette règle par le législateur est d'éviter la délivrance "sauvage" de médicaments.
Notez que cette règle de délivrance d'un médicament uniquement lors de l'exécution d'une ordonnance vaut également pour les pharmaciens (sauf exceptions), y compris pour des médicaments vétérinaires.

Un pharmacien, pas plus qu'un vétérinaire, ne peut donc vous délivrer une pommade pour les yeux du chaton s'il n'y a pas eu examen clinique, diagnostic puis ordonnance.

Un vétérinaire ne peut prescrire, et délivrer (cela vaut également pour le pharmacien) que des médicaments vétérinaires disposant dune Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) pour l'espèce concernée. Si je veux qu'un chien prenne de l'acide carbonifonique, connu sous le nom commercial vétérinaire Dragonal ("mais si, vous savez bien docteur, la pilule rose !"), mais également, sous forme de générique vétérinaire, sous le nom de Carbonix (plus appétant que le princeps, d'ailleurs), je rédige mon ordonnance, et j'exécute l'ordonnance en délivrant du Dragonal ou du Carbonix, selon ce que j'ai dans ma pharmacie. Je peux aussi envoyer mon client chez le pharmacien (ou mon client peut préférer y prendre le médicament, d'ailleurs), et le pharmacien pourra lui délivrer du Dragonal ou du Carbonix. Par contre, le pharmacien n'aura pas le droit de délivrer du Dragonix, l'équivalent humain contenant de l'acide carbonifonique, même si je prescrivais ce nom commercial, ce que je n'ai pas le droit de faire puisque cette molécule est disponible sous forme de spécialités vétérinaires.

Quand la molécule n'existe pas sous forme vétérinaire, et que son utilisation est justifiée et documentée, il y a des règles de dérogation, mais ce n'est pas le sujet.

Les enjeux

De nombreux intérêts gravitent autour de la délivrance du médicament vétérinaire.

Les premiers, soyons optimistes, sont sanitaires : les vétérinaires utilisent des molécules importantes, des antibiotiques notamment, qui peuvent être également utilisés en médecine humaine.

Les seconds sont évidemment financiers : le médicament vétérinaire est un marché qui pèse lourd. Il représente une partie de nos revenus, plus ou moins importante selon notre activité (chiens, chats ou bovins, voire productions industrielles). Et les pharmaciens aimeraient bien récupérer la délivrance du médicament vétérinaire, c'est une vieille bagarre au cours de laquelle les coups les plus bas sont régulièrement portés par l'une ou l'autre partie. Actuellement, les pharmaciens sont ravis de souligner que nous mettons en danger les antibiotiques. Bref...

Antibiorésistance ?

Le rôle de ces antibiotiques utilisés notamment dans les filières de production animale, dans l'apparition de souches de bactéries résistantes parfaitement capables de se développer chez l'homme, est sérieusement envisagé comme l'un des risques majeurs de l'apparition de ces antibiorésistances.
Utiliser des antibiotiques chez l'animal compromettrait donc la santé humaine en mettant en danger l'arsenal thérapeutique.
Je reste au conditionnel car les études sont contradictoires, mais je ne m'avancera pas plus sur ce sujet. Je préfère admettre que l'antibiothérapie chez l'animal est un facteur de risque, pour pouvoir plus tranquillement me concentrer sur ce qui m'intéresse vraiment : l'analyser un peu dans ses aspects pratiques, et voir comment le limiter au mieux.

J'évacue immédiatement la solution qui consisterait à interdire les antibiotiques chez les animaux. Personne n'y croit vraiment, et outre qu'une interdiction aboutirait au développement d'un spectaculaire marché noir, outre également les considérations liées au bien-être animal, il ne me semble pas plus judicieux de laisser des bactéries se développer librement chez des animaux de compagnie qui vivent, par définition, très près de nous, que chez des animaux de production que nous allons manger. Cela ne signifie évidemment pas qu'il faut faire n'importe quoi avec les antibios et les utiliser à tort et à travers, mais que les interdire purement et simplement est inenvisageable.

Interdire certaines molécules ? C'est déjà le cas. Les antibiotiques de réserve hospitalières nous sont inaccessibles, c'est très bien comme cela, et certaines molécules pourraient, pourquoi pas, être ajoutées à cette liste et "sorties" du régime commun.

Conflit d'intérêt

Là où je souhaite nuancer les prises de position extrémistes entendues ces dernières semaines, c'est sur le conflit d'intérêt qu'engendre notre double statut de prescripteurs et de délivreurs de médicaments. On nous reproche d'avoir intérêt à vendre, donc à prescrire, le plus possible, pour gagner plus de sous. Nous avons également intérêt à choisir les médicaments qui nous rapportent le plus d'argent au détriment de ceux qui nous en rapportent moins. Ça, c'est le discours de ceux qui sont préoccupés par les enjeux sanitaires, et de ceux qui prennent le train en route, mais pour des enjeux financiers.

Notre président de l'Ordre des Vétérinaires a une formule intéressante, mais un peu courte pour évacuer ce qui nous est reproché : "bien sûr qu'il y a un conflit d'intérêt, c'est pour cela que nous sommes une profession réglementée". C'est à dire : une profession qui n'a pas le droit de tenir officine ouverte (exécuter les ordonnances d'autres vétérinaires, avoir une vitrine), qui n'a pas le droit de faire de la publicité (même pas une insertion payante dans un annuaire, ou un panneau pour indiquer le cabinet dans le village), dont les médicaments doivent être tenus hors de vue du public, etc. Sans parler des règles déontologiques.

Oui, vendre plus de médicaments nous rapporte plus d'argent. Comme un pharmacien, d'ailleurs, mais qui arguera, avec raison, qu'il n'a pas le droit de prescrire et s'en tient donc à nos ordonnances (je serai vertueux et admettrai, par principe, que les pharmaciens comme les vétérinaires respectent parfaitement les règles relatives à la pharmacie vétérinaire... alors que tout le monde sait bien qu'il y a des "affairistes" - et des ignorants - partout). Cependant, dans un univers où les propriétaires d'animaux n'ont pas des moyens illimités (qu'il s'agisse d'animaux de compagnie ou de production), nous devons justifier la pertinence de nos prescriptions en regard de leur coût. Si j'ai le choix entre une vieille tétracycline (pas chère) et une quinolone de dernière génération (chère), et que j'en attend la même efficacité sur une indication précise, la première doit l'emporter. D'une part parce qu'elle est moins importante en santé humaine, d'autre part parce que cela coûte moins cher au propriétaire. Et les éleveurs sont très attentifs à nos factures ! Hors de question de facturer 60 euros d'antibios pour un panaris alors qu'on aura aussi bien pour 20 euros...

En fait, la question est de savoir si des considérations financières orientent nos choix. J'aurais tendance à penser que oui, mais pas dans le sens systématiquement "opportuniste" que l'on nous reproche. Oui, je cherche le traitement le moins cher pour une vache comme pour un chien. Et si j'ai le choix entre plusieurs, je choisis, une fois la question de l'efficacité évacuée, selon un équilibre entre le prix et la galénique (la présentation) du médicament.

Les labos nous suivent lorsque nous leur demandons des présentations qui nous permettent de vendre trois comprimés et non une boîte de dix, quand le chien n'en a besoin que de trois. Les labos nous suivent lorsque nous leur demandons des flacons de vaccins les plus petits possible pour coller à la réalité de la taille des lots de veaux dans les élevage. Bien sûr : celui qui sera le plus pratique et le plus avantageux gagnera le marché. Parce qu'ils savent que nos prescrivons et vendons ce qui est pratique et peu onéreux pour celui qui paye la note !

Non, nous ne vendons pas des médicaments pour vendre des médicaments. Oui, certains abusent : faut-il jeter le bébé avec l'eau du bain ?

Incompétence ?

Là où je suis, comme mes confrères, très amer, c'est que le discours ambiant, en plus de nous présenter comme des affairistes, tend à nous taxer d'incompétence. Il y a toujours là ce relent de supériorité des médecins envers les vétérinaires, patent dans un certain type de discours... ce qui a tendance à nous faire sortir de nos gonds, évidemment. Notre formation en pharmacie et législation n'es pas une simple formalité. Nous savons établir un diagnostic, et nous avons une connaissance étendue et attentive des relations entre pathologie humaine et animale. Nous avons nous aussi d'énormes modules de bactério, de génétique, nous ne sommes pas des sous-médecins, ni des sous-pharmaciens. Nous ne sommes pas non plus des surhommes. Nous sommes vétérinaires et nous aspirons à autre chose qu'une condescendance mêlée de mépris.
Chers médecins, aimez-vous que l'on vous caricature en usines à ordonnances-faites-en-quinze-minutes, esclaves de la communication des labos ?
Chers pharmaciens, comment prenez-vous ce qualificatif d'épicier qui vous colle souvent aux basques ?

Mon boulot, c'est le vôtre, et moi je dois justifier ma facture devant mon client. Je n'ai pas de sécu. Je ne vous reproche pas de l'avoir pour vous permettre de travailler tranquillement, je vous demande simplement de comprendre que cela oriente fortement nos choix diagnostics (examens réalisables notamment) et, pour ce qui nous intéresse aujourd'hui, thérapeutiques.

Un vétérinaire prescripteur, mais sans la délivrance ?

Cela existe dans d'autres pays européens, mais la comparaison directe n'est pas forcément pertinente.

J'en rêve souvent. J'y pense depuis des années.
Je veux dire : j'aimerais ne pas avoir à gérer ce foutu stock de médocs qui immobilise d'importantes sommes d'argent.
Devoir jeter les périmés, que j'ai évidemment payés.
Devoir "chasser" les impayés de mes clients quand je règle mes factures aux grossistes dans le mois qui suit.
Devoir me coltiner toute la législation qui va avec la délivrance du médicament.
Devoir immobiliser et payer une ASV pour réceptionner les commandes, les contrôler, les ranger.
Devoir me coltiner les reproches de clients "mais c'est moins cher à la pharmacie, mais celui là il l'aime pas je veux l'autre, mais si je vous rapporte la moitié du flacon de collyre, vous me la remboursez ?"
Nan parce qu'en plus, si un chien décède en cours de traitement, ou que je change de molécule en cours de route, je reprend et rembourse ce que je peux reprendre (avantage et inconvénient des médicaments vendus au comprimé...).
Je doute que le pharmacien le fasse. Non en fait, je sais qu'il ne le fait pas, puisque certains client sont essayé de me faire racheter des antibios vendus par le pharmacien...

J'aimerais que mes factures soient des notes d'honoraires relatives à mes actes. Je pourrais valoriser mon travail au lieu de consentir des remises sur une chirurgie d'un gros chien parce qu'avec les antibios pour 50kg, les gens ne peuvent plus se le permettre.
Ah oui, si c'est le pharmacien qui délivre et qu'il y a deux factures, je doute que les propriétaires d'animaux s'y retrouvent, financièrement. Car oui, j'augmenterai relativement le prix de mes actes... et le pharmacien ne vous fera pas 10% parce que vous prenez 5 vermifuges. Enfin, si j'ai des lecteurs pharmaciens, qu'ils ne le prennent pas mal et me détrompent si je suis dans l'erreur.

En plus, j'aurais peut-être moins de chèques différés et de paiements en 3, 5 ou 10 mois. mais au fait, le pharmacien, il acceptera ces arrangements ?

Et puis en fait, j'aimerais qu'on arrête de croire que j'essaie de profiter des gens au mépris de la qualité des soins et de la sécurité sanitaire. Alors, oui, j'aimerais que ce conflit d'intérêt disparaisse. Mais je ne crois pas que mes clients y gagneraient, je ne suis pas sûr que la sécurité sanitaire non plus. Et oui, à court terme, j'y perdrais sûrement. En tout cas, ça fait peur, et c'est pour cela que les vétérinaires montent au créneau, anticipent et mettent en place des nouveaux systèmes pour gérer ces risques (mise en place d'une super centrale de référencement dans le but de faire sauter les marges arrières, mise en place des visites sanitaires d'élevage pour encadrer la délivrance au comptoir...).

Je suis assez fier des vétérinaires, en fait. J'adore quand un client me dit que je suis plus sérieux que son radiologue sur la radioprotection, plus clair que son médecin sur une prescription, plus souple que son pharmacien dans la délivrance du médicament. Cela pourrait paraître mesquin, mais cela ne l'est pas, car ce ne sont pas des reproches que j'adresse à ces professionnels, que je respecte sincèrement et dont j'attends la même sincérité.

Je voudrais juste que l'on arrête de me considérer comme un irresponsable, un incompétent et un opportuniste, or notre profession a le chic pour se faire attaquer de toute part (et se tirer des balles dans le pied) : dans la définition de l'acte vétérinaire (conflits sur l'ostéopathie, la dentisterie équine, le comportement), dans le cadre de la délivrance... et nous avons, globalement, l'impression de récolter toutes les contraintes et bien peu d'avantages. Le tout pour un revenu qui stagne ou se casse la gueule, alors que le marché vétérinaire, au sens large du terme, n'a jamais été aussi florissant. Alors oui, je me plains, je sais que l'on va me le reprocher.

J'aimerais juste pouvoir continuer à faire mon boulot en paix, et à être respecté pour cela et pour les efforts que nous déployons dans le cadre de notre qualité de soins.

PS : je sais qu'il y a plein de trucs que j'aimerais ajouter à ce billet, déjà fort long. On verra en commentaires, ou alors j'éditerai selon vos remarques et questions.

mardi 26 octobre 2010

Mais comment a-t-il pu passer à côté de ça ?

Mais c'est du foutage de gueule ?

Mais il avait bu ?

Qu'est-ce que je vais dire au propriétaire ? Que son véto est un con et que son chien va en mourir ?

Ces questions, nous nous les sommes tous posées. Quand je dis nous, je veux dire : les vétos. Un jour ou l'autre, nous sommes tous consultés pour un second avis, voire un troisième, ou nous prenons tout simplement la suite d'un confrère suite à un déménagement du client. Bref : nous passons après quelqu'un d'autre.

Article R.* 242-39 : Confraternité.
Les vétérinaires doivent entretenir entre eux et avec les membres des autres professions de santé des rapports de confraternité. Si un dissentiment professionnel surgit entre deux confrères, ceux-ci doivent d'abord chercher une conciliation, au besoin par l'intermédiaire du conseil régional de l'ordre.
Lorsqu'un vétérinaire intervient après un confrère, il doit s'abstenir de tout dénigrement.
Les vétérinaires se doivent mutuellement assistance, conseil et service.

Ça, c'est la théorie. Et soyons honnêtes : je l'aime bien. Il n'y a rien qui soit plus désagréable que de se faire chier dans les bottes par un type qui exerce la même profession que vous, surtout lorsque l'objectif est de "piquer" un client. J'ai assez de boulot comme ça pour ne pas vouloir celui des autres, et j'ai assez de tensions professionnelles pour me passer de cette catégorie là.

J'entends déjà les chantres du libéralisme effréné et de la libre concurrence crier au corporatisme et à l'hypocrisie. Halte-là : non, l'univers du tout concurrentiel ne me convient pas, et ce n'est pas pour défendre mon pré carré. J'éprouve une certaine fierté à l'idée d'appartenir à une profession qui encourage des valeurs désuètes telles que la confraternité, la probité et, bref, une élémentaire déontologie. Ça ne coûte rien, et même si je sais qu'une partie de mon activité tient de l'épicerie, un épicier peut aussi être fier de vendre de bons produits de qualités, et de bien conseiller son client.

Mais je digresse salement.

Mon propos ce jour, c'est cette réaction mêlant incrédulité, sarcasme et agacement lorsque l'on pose en consultation un diagnostic "évident" alors qu'un confrère est passé à côté.

Le pire, pour ça, c'est l'étudiant véto à l'école. Je le sais, j'en étais. Tellement sûr de moi, tellement pétri de cours et de de connaissance, fier comme un setter qui a levé sa première caille lorsque j'ai posé mon premier diagnostic. Quoi, il a raté une démodécie ? Mais enfin, il a fait de l'ivomec à un cheval ? Comment, il a confondu un glaucome avec une uvéite hypertensive ?

Quel blaireau !

Et moi, derrière mon écran, avec mon pantalon plein de tâches douteuses, mes cheveux rares et mes premières rides, je regarde ce jeune étudiant qui croit tout savoir d'un air effaré, à la fois amusé et consterné.

Petit con.

Comme le gosse qui croit duper son monde lorsqu'il se glisse en douce derrière la porte pour regarder le film à la télé tandis que ses parents lui tournent le dos, trop absorbés (haha) par l'écran. Comme l'ado qui n'imagine pas un seul instant que tous ceux qui l'entourent ont très bien compris pourquoi il s'était mis à aider une fille de sa classe qui avait du mal en math'...

Nous sommes tous passés à côté de diagnostics évidents. Si un confrère a rattrapé le coup, tant mieux. S'il a été sincère sans chercher à trop nous protéger, tout en évitant de nous enfoncer le nez dans la bouse, alors parfait.

Parce que bon, les gars, un demodex ou un sarcopte, il faut le trouver ! Parce que le piroplasme qui infectait un globule rouge sur 100000 hier, et qui en infeste un sur 10000 aujourd'hui, est bien plus facile à détecter. Parce que si quelqu'un est déjà passé avant vous, il est facile de déduire des effets des traitements mis en place tout un tas d'informations que votre prédécesseur n'avait pas. Quand le chien traité pour une allergie cutanée avec de la cortisone voit ses symptômes empirer, il faudrait être couillon pour ne pas s'orienter vers une démodécie (oui, j'en parle beaucoup : le demodex est un parasite canin plutôt difficile à détecter, provoquant une maladie qui peut être typique mais avec de nombreuses formes moins reconnaissables).

Parce que les maladies ne font pas comme dans les bouquins, parce que les chiens comme les vaches sont nuls en physiologie, en anat', en médecine et en parasitologie. Faut pas leur en vouloir : personne ne leur a appris à lire. Et le vieux véto va trop vite sauter sur le diagnostic d'une maladie qu'il a déjà vu 1000 fois, et le jeune va s'enferrer dans un diagnostic différentiel en oubliant le truc capital parce qu'un détail ne collait pas.

Et puis il y a les moyens : moi, avec mon microscope de compétition et mon goût pour la cytologie, je pose des diagnostics que des confrères seraient bien en peine de trouver sans de grosses errances. Et j'ai bien conscience que les spécialistes en anapath', et les confrères cancérologues, seraient consternés par mon incapacité à voir ce qui pourtant se trouve là, sous mes yeux, sur ma lame mal colorée...

Bref. Nous sommes tous l'incapable de quelqu'un. Le plus dur reste de trouver ses limites, et d'accepter que des confrères puissent faire mieux, ou différemment, sans pour autant chercher à nous enfoncer. Les plus jeunes d'entre nous ont bien plus que les anciens une mentalité de "réseau", acceptant et appréciant d'avoir l'avis de confrères, de se remettre en question, au prix sans doute d'une perte d'autonomie ? Un vieux con m'avait dit que je manquais d'ambition.

Le problème va, cependant, bien au-delà d'une question de générations. Sommes-nous prêts à accepter le regard critique d'un confrère, à accepter que, sur ce coup-là, et peut-être d'une manière générale, il soit meilleur, surtout s'il prétend au même "niveau" de compétence que nous (j'exclue de cette question la problématique des cas envoyés à des spécialistes, dont on attend justement un diagnostic là où l'on bloque) ? Et si en plus c'est un client, habitué ou non, qui va de lui-même voir le confrère ? Comment accepter ce qui, à juste titre ou non, peut être perçu comme une ingérence ?

J'ai personnellement très mal vécu un diagnostic raté sur un cheval maigre. Le confrère a posé le bon diagnostic, sans tambours ni trompettes, la propriétaire est venue m'engueuler, fin de l'histoire. J'ai perdue une cliente, je serai meilleur une autre fois.

Intuitivement, je pense que nous savons tous que nous n'avons aucun intérêt à casser du sucre sur le dos d'un confrère.

Ahaha M. Martin, c'est pourtant facile, votre chien a une straelensiose. Ce traitement ne sert vraiment à rien, c'est n'importe quoi, vous allez plutôt lui donner ceci. Bon, vous savez, je comprends le collègue, hein, c'est pas une maladie si fréquente, il faut connaître.

Vous croyez vraiment que la cliente va nous regarder d'un air béat, et, telle la groupie moyenne, se jeter éperdue de reconnaissance à nos pieds comme à ceux du Dr Ross ?

Elle risque plutôt de nous trouver sacrément prétentieux.

What else ?

Moi, il me semble qu'un :

C'est une leishmaniose. Pas fréquent dans le coin, on en voit vraiment rarement, c'est une maladie qui se voit surtout sur le pourtour méditerranéen. Vous aviez dit au Dr Roussine que vous aviez été en vacances sur la côte d'Azur cette été avec le chien ? Sans cette information, c'était pas évident d'y penser...
- Oui mais vous me l'avez demandé, vous !
- C'est vrai, vues les hypothèses écartées suite à la consultation avec lui, et l'échec de son traitement, il fallait que j'aille chercher plus loin.

La modestie, ça permet souvent de s'en sortir avec élégance, personne ne nous en voudra, et, en plus, la plupart du temps, il ne devrait pas y avoir à la feindre.

C'est toujours plus facile de "parler en second." C'est comme ça que disait un prof lorsqu'on lui présentait un cas en consultations, à l'école : le premier étudiant présentait le cas, le second observait les réactions du prof, puis présentait sa version.

Alors, pour répondre à ma question d'introduction : Qu'est-ce que je vais dire au propriétaire ? Que son véto est un con et que son chien va en mourir ?

J'en reste aux faits. A ce que j'ai trouvé, pourquoi, comment, et pourquoi, s'il me le demande - il me le demandera si la vie de son animal est en jeu - mon confrère s'est planté. Sans porter de jugement, mais sans protéger indûment. Ne pas en rajouter, ni dans un sens ni dans l'autre. Notre crédibilité en dépend, et le propriétaire en voudrait trop facilement "à ces salauds de vétos". Surtout s'il est perdu, choqué, dégoûté. Si le confrère a bien fait son boulot, s'il n'a rien à se reprocher même s'il s'est planté, il aura peut-être perdu un client, mais nous en perdons tous tous les jours (ouais, peut-être pas tous les jours, mais bon...). S'il a déconné... à lui de gérer, sans qu'il soit nécessaire d'en rajouter. Mais je ne me mettrais pas dans la merde pour lui.

Nous sommes trop attaqués de tous les côtés pour nous permettre de prêter le flanc aux accusations de corporatisme, et nous avons suffisamment d'emmerdes pour accorder une vraie valeur à la solidarité.

En plus, des fois, le confrère avait raison, et il n'y a rien à rajouter.

Alors, tiens, parce que je le sens venir, on va encore me dire un truc du genre : "Un peu Gauchisant, Robin des Bois à la petite semaine ... mais avec un jugement dur sur par mal de points et de toute façon un avis qui semble ne pas prêter à discussion tant il est proféré !".
Je vais la jouer préventive : ouais, je donne mon avis, ma façon de percevoir les choses, vous avez le droit de ne pas être d'accord et de trouver que je suis un poseur et un donneur de leçons. Mais le conditionnel et les formules alambiquées pour ménager les susceptibilités, parfois, m'insupportent.

dimanche 20 avril 2008

Obligations et responsabilité du blogueur vétérinaire

Maître Eolas, avocat et blogueur, a réalisé un billet particulièrement complet sur les responsabilités du blogueur. D'autres points plus spécifiques à la profession vétérinaire, et notamment à nos obligations déontologiques, me poussent aujourd'hui à récapituler.

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dimanche 6 avril 2008

De l'usage de ce blog

Quelques commentaires me poussent aujourd'hui à écrire ce billet... Pour clarifier les choses.

Lorsque j'ai créé ce blog, mon idée était - et reste - de faire découvrir le métier de vétérinaire en zone rurale.

Je me rends compte que ce n'est pas ce que recherchent tous les lecteurs qui viennent ici : certains cherchent un avis, des conseils, voire une consultation.

Ma boule de cristal est cassée

Vous pouvez bien essayer de décrire au mieux ce qui arrive à votre animal, vous ne remplacerez jamais l'examen clinique. Il est tout simplement impossible d'établir un diagnostic à distance. Bien entendu, on pourrait chercher des probabilités.
Si votre chien à de la fièvre, les muqueuses pâles, qu'il est très abattu et que ses urines sont couleurs café, il a probablement une piroplasmose. Ou une ehrlichiose. Ou alors, il s'est intoxiqué. A moins que ce ne soit... etc. Vous comprenez ce que je veux dire, je suppose.
Donc : pas de diagnostic possible à distance, et pas de boule de cristal : il est donc inutile de me solliciter sur ce point.

Par ailleurs, il est curieux que vous puissiez accorder votre confiance à mon avis ou à celui de toute autre personne que vous ne connaissez pas, et qui n'a pas vu votre animal, quand votre vétérinaire, lui, l'a examiné et a établi un diagnostic. Si pour une raison quelconque, l'avis de ce vétérinaire ne vous convient pas, consultez en un autre ! Mais pas sur internet, ni par téléphone...

Enfin, si vous cherchez plutôt du réconfort suite à un deuil, comprenez bien que, d'une, je ne suis pas là pour ça, de deux, cela rejoint la boule de cristal cassée. Même si c'est assez délicat en raison de la difficulté d'un tel moment, je renverrai désormais de telles demandes vers ce billet.

Mon code de déontologie est clair

Article R. 242-43 - Le vétérinaire établit un diagnostic vétérinaire à la suite de la consultation comportant notamment l'examen clinique du ou des animaux.

L'idée n'est pas de me cacher derrière ce code. Je le respecte, et apprécie ses nuances comme sa rigueur. Il protège la qualité de mon travail, et me protège donc, tout comme mes clients. Tout comme vous.

Il interdit donc les consultations à distance, la "télé-médecine" par exemple.

Si j'en avais l'envie, je n'aurais donc pas le droit de vous répondre ici.

Et mes envies ?

J'écris ici pour mon plaisir. Poussé par une certaine sorte de sens du devoir aussi, mais pour mon plaisir. Je suis donc heureux de vous faire partager mon quotidien ou mes réflexions, comme de contribuer à votre information sur la médecine vétérinaire.

Répondre à vos questions sur votre animal ne me plaît pas. Je ne suis pas là pour ça, en dehors des considérations éthiques ou légales soulevées. Pour ça, il y a votre vétérinaire, à qui vous pouvez téléphoner si vous avez besoin d'un conseil, ou avec lequel vous pouvez prendre un rendez-vous pour une consultation.
C'est ce que je fais tous les jours avec mes clients. C'est mon métier. Mes conseils sont gratuits, et mes consultations payantes. Comme chez mes confrères. Ni plus, ni moins. Et je n'ai pas l'intention de faire des heures supplémentaires ici : je suis là pour mon plaisir, comme je vous le disais. Je me connecte quand j'en ai envie, je parle de ce que je veux, quand je veux. Le jour où je me sentirai obligé d'écrire, je ferai une pause.

mardi 18 mars 2008

Obligation de soins ?

Un vétérinaire peut-il refuser de soigner votre animal ?

Est-il obligé d'accepter une consultation en pleine nuit, voire d'opérer votre chat s'il s'est cassé la patte, ou s'il a une allergie aux piqûres de puces ?

Et si vous n'avez pas d'argent, doit-il quand même lui détartrer les dents ? Soigner ses blessures ?

Peut-il le laisser souffrir, ou mettre sa vie en danger en refusant de le soigner ?

Je vous laisse réfléchir aux questions, avant d'aborder les explications.

Ca y est, vous avez vos réponses ?

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