Mot-clé - obligation de soins

Fil des billets Fil des commentaires

mercredi 10 juillet 2013

Soigner, parce qu'il le faut ?

C'est un samedi soir. Il est 19h00, j'aimerais bien rentrer chez moi, mais, pas de bol, j'ai eu quatre appels entre 18h45 et 19h00.

Le premier a été vite expédié. Un chien qui s'étranglait avec un os, mais qui l'a vomi dans la voiture (technique à retenir pour quand je n'aurai plus d'apomorphine).

Le second, je l'ai mis sous perf' et hospitalisé direct, dans la cage à côté de son frère qui est là depuis hier. Une portée de chiots, un parvovirus, un week-end à nettoyer et désinfecter cages et chenil, histoire de mieux apprécier la valeur de nos assistantes.

Le troisième ne m'a pas pris bien longtemps non plus. Plus de peur que de mal sur un accident de la route, le conducteur a pilé, le pare-choc a juste bousculé le chien.

Le quatrième m'a occupé jusqu'environ minuit.

C'est une cliente que je ne vois pas souvent, mais régulièrement et depuis longtemps, qui me l'a amené. Mme Baïs. Sa fille l'accompagnait. Je soigne leurs chevaux, et leurs chiens à l'occasion. Ils ne sont pas très véto. Leurs animaux vivent leur vie, plus ou moins en liberté autour de la maison. Ils les nourrissent bien, s'en occupent, mais les chiens, les chats ou les autres bestioles ne sont que ça : des chiens, des chats, des bestioles. Pas des enfants de remplacement, des confidents ou des compagnons de vie.

Je les aime bien : ils sont clairs et cohérents.

Leur jack russel a déconné. Dans les grandes largeurs. Il n'a rien trouvé de plus intelligent qu'attaquer un chien qui passait avec une joggeuse sur la route devant la maison. Un jack russel, c'est un petit chien. Un terrier. Un genre de fox, si vous voulez (là, normalement, les fans de jack russel ET de fox devraient me sauter dessus). Le chien qui passait, c'était un leonberg. 60kg. Le jack russel est vite rentré chez lui, avec quelques trous dans la peau.

Une fois l'émoi de la bagarre passé, chacun est retourné à ses occupation. Les trous, ce n'était objectivement pas grand chose. Ils ont désinfecté et espéré que "ça lui apprendrait" - sans trop y croire. Puis oublié.

Le lendemain soir, ce samedi, à 18h30, le chien a vomi du sang.

Une bonne partie de son aine droite était tuméfiée. Il y avait un petit coup de croc. Pas grand chose. La peau avait pris une vilaine teinte violacée, nuancée de noir. C'était gonflé, mais la douleur était impossible à estimer. Le chien n'était vraiment, vraiment pas bien. Très abattu, un peu déshydraté. Il endurait.

Un examen rapide à l'échographe m'a rapidement confirmé ma suspicion : le muscle abdominal était déchiré, les intestins était sous la peau. Avec les vomissements, j'imaginais une occlusion liée à une hernie étranglée : l'intestin faisant une boucle par la déchirure abdominale, trop serré, étranglé par l'étroitesse de la plaie d'éventration. Le sang ne circule plus, l'intestin meurt.

C'est évidemment une urgence, c'est évidemment très grave. Je démarrerai l'opération environ une demi-heure plus tard. Finalement, le croc avait même percé l'intestin, qui déversait son contenu dans la poche entre la peau et le muscle abdominal. Il m'a fallu enlever environ 30cm d'intestins. C'est la chirurgie la plus complexe que je sache faire.

Tout s'est très bien passé.

Lorsque j'ai établi mon diagnostic, avec la propriétaire du chien et sa fille, j'ai évidemment expliqué les tenants et aboutissants du problème. Que j'ai eu tort sur la nature exacte de la blessure n'y changeait finalement rien : la prise en charge était la même.

Elles étaient évidemment d'accord pour que j'opère. Madame s'est d'ailleurs excusée, plusieurs fois, pour la soirée que j'allais passer. J'ai eu beau lui expliquer que j'étais là pour ça, elle avait bien conscience que mon samedi soir se passerait en tête à tête avec les intestins de son chien et pas avec ma famille. Elle avait compris que c'était une chirurgie complexe, et que le risque anesthésique était relativement important. Qu'il faudrait sans doute quelques jours d'hospitalisation, et une alimentation spéciale pendant deux semaines au moins.

J'ai donc recueilli dans les règles de l'art son consentement éclairé.

Je n'ai pas fait signer de demande de soin, ou de document prouvant le consentement éclairé. Ici, ça ne se fait pas. Nous n'avons pas de problème à ce niveau. Les gens sont d'accord ou pas, mais nous n'avons pas (encore ?) formalisé cette étape indispensable de la relation de soins. La parole donnée, la confiance et le respect mutuel entre client et vétérinaire fonctionnent bien. J'ai bien conscience que ce n'est plus le cas partout, et je chéris cette relation précieuse.

Nous n'avons pas parlé d'argent. Parce qu'avec eux, ça ne se fait pas. C'est monsieur qui gère, et, ce soir-là, il n'était pas là. Je le connais, il me connaît, je sais qu'il serait d'accord. N'y voyez aucun sexisme, ou mépris, ou catégorisation : c'est comme ça que leur famille fonctionne. Je n'ai pas abordé le sujet, elles non plus. Elles avaient pourtant parfaitement conscience que ça risquait de coûter cher.

J'ai préféré ne pas le mettre sur la table pour me concentrer sur le plus urgent : enlever ses intestins pourris à ce chien.

Elles ont préféré ne pas aborder la question pour des raisons qui leur appartiennent.
Ce n'était certainement pas parce que ça n'avait pas d'importance. Ce sont des gens modestes.
Ce n'était pas parce qu'il n'y avait pas le temps, ou que l'occasion a manqué.
C'était peut-être parce qu'on ne parle pas de ces choses là, et encore moins au docteur. Cela, j'en avais conscience, ce n'était peut-être pas à mon honneur de n'avoir pas brisé le silence sur cette question. On flirtait sans doute à la limite de la manipulation, comme c'est souvent le cas dans la relation entre le soignant et le soigné (ou le propriétaire du soigné, dans le cas d'un animal...).

D'habitude, je mets les pieds dans le plat. Je sais le problème de la valeur de la vie, je sais que les soins que je prodigue peuvent être chers. Je connais également leur coût. Je me suis dit qu'il était plus pertinent de ne pas aborder la question. Je ne sais pas exactement pourquoi.

La facture s'est finalement élevée à 700 euros, pour une entérectomie sur éventration souillée (anesthésie gazeuse, environ deux heures et demie d'intervention, seul, un samedi soir, deux boîtes de chirurgie...), surveillance du réveil (environ 3/4 h de plus dont j'ai profité pour nettoyer le bloc et les boîtes de chirurgie), trois jours d'hospitalisation dont un dimanche, des tas de médicaments (analgésiques surtout, anti-inflammatoires, antibiotiques), un petit sac de croquettes et tous les petits soins qui accompagnent une telle intervention.

Objectivement, je pense que ce n'est pas cher. Comme me le disait un confrère très spécialisé, habitué des grosses factures : "c'est pas cher, mais c'est beaucoup d'argent."

Nous n'avons abordé la facture que lors du retrait des points, deux semaines plus tard. Tout s'était très bien passé, quoique cette précision ne soit théoriquement pas pertinente concernant le prix des soins.

Cette fois-ci, c'est M. Baïs qui était venu, avec sa fille. Lorsque j'ai abordé la question de la facture, prévenant et anticipant sur une possibilité d'étalement de paiement, il se doutait bien que ce serait cher. Mais il ne pensait manifestement pas que ce serait autant. Je savais que, pour eux, c'était une somme très importante. Pour certains, ce serait une somme insurmontable (qui condamnerait leur animal ?). Pour d'autres, un simple détail.

M. Baïs n'a pas du tout contesté le prix. Mais il s'est visiblement décomposé. Du coup, j'étais encore moins fier de n'avoir pas abordé la question avant. Je ne sais toujours pas si c'était une erreur de ne l'avoir pas fait. Il m'a fait confiance, par procuration certes, mais peu importe. Il a apprécié la réussite de mon travail, et réalisé en voyant avec moi le détail de la facture, que d'une part le prix était "juste", et que d'autre part je lui avais "remisé" certains actes dans une logique de forfait de soins.

M. Baïs a eu très précisément les mots suivants :

"Je paierai, oui, bien sûr.
C'est normal, c'est mon chien, il faut bien le soigner.
Mais quand même, c'est sûr, ça fait beaucoup d'argent.
Mais quand on a un animal, c'est sûr, on le soigne, il le faut."

Je n'ai pas oublié ses mots.

J'ai entendu l'idée, considérée mais vite évacuée, de ne pas me payer. Il savait qu'il n'avait aucune raison de ne pas me payer, et c'est un homme honnête qui me considère comme un homme honnête.

J'ai entendu ce que je savais : c'était vraiment beaucoup d'argent. Il l'énonçait sans honte, ni comme un aveu, ni comme un reproche, et d'autant plus facilement sans doute que je l'avais déjà précisé. J'ai conscience du prix, de ce que représente cette somme pour une famille modeste. J'ai aussi conscience des coûts et de la valeur des soins, ce qui me permet de présenter sans honte mes factures (et il m'a fallu beaucoup de temps pour apprendre à assumer mes factures).

J'ai surtout entendu cette obligation morale à laquelle je n'avais pas vraiment réfléchi. J'avais bien sûr déjà entendu la formule "quand on a un animal, on l'assume", et ses diverses variantes. Mais cette phrase, jusque là, était restait pour moi une idée prête à penser, une formule toute faite. Je m'interroge encore régulièrement sur les questions liées à la valeur de la vie animale, évitant autant que possible ses dilemmes inhérents à mon métier. Là, ce n'était pas la question.

M. Baïs interprétait devant moi, avec beaucoup d'honnêteté, cette contrainte morale.

Il faut soigner son animal.

Pourquoi ?

Parce qu'on en a la responsabilité, et qu'avec elle vient une obligation morale qui n'existe pas s'il s'agit de réparer une voiture.

Cette obligation morale envers un animal n'existait pas, ou en tout cas n'était pas la règle, il y a quelques décennies. Elle ne vaut d'ailleurs que pour notre société et celles qui lui ressemblent. Elle sous-tend l'essentiel de mon activité professionnelle, surtout avec la baisse de l'activité "rurale" depuis quelques années. Elle est même entrée dans la loi avec la notion d'obligation de soins.

Dans le même temps, les progrès de la médecine vétérinaire, sur les traces de la médecine tout court, sont fulgurants. L'augmentation des moyens financiers consacrés aux animaux accompagne l'augmentation des moyens médicaux disponibles. Pharmacopée, imagerie, chirurgie, compétence... Les vétérinaires d'aujourd'hui ne font plus le même métier que les vétérinaires de la génération qui les a précédés.

Dans le même temps, les vétérinaires, comme les propriétaires des animaux, deviennent un enjeu financier pour les labos, les assureurs et les affairistes divers et variés.

Puisqu'il faut soigner l'animal, puisqu'on le doit, autant s'en donner les moyens.

Jusqu'où ?

Et comment devons-nous désormais comprendre l'obligation de moyens inhérentes à l'exercice loyal de la médecine ?

Parce qu'un moyen existe, faut-il l'utiliser ? Doit-on l'utiliser ? Le proposer, oui, on le doit, et c'est finalement ici que s'achève a priori le principe de l'obligation de moyens, réduite à une obligation d'informer sur l'existence des moyens. Ensuite, il faut composer avec les contraintes, les attentes, les limites et possibilités financières et techniques de chacun - aussi bien vétérinaire que propriétaire. De cette confrontation entre le "possible" et le "disponible" renaît l'obligation de moyens, définie cette fois par un devis qui tient lieu de contrat de soins.

Un médecin me disait l'autre jour : "nous, quand on ne sait pas, on fait un scanner." Curieuse logique, d'un point de vue médical d'une part, mais d'un point de vue économique également. Le moyen existe, on doit l'utiliser, d'autant plus qu'on pourrait lui reprocher de ne pas le faire. En médecine "humaine", la question économique est pour l'instant évacuée (du point de vue du patient en tout cas). Pour le meilleur et pour le pire, notamment l'insupportable "j'y ai droit, je cotise", à la fois parfaitement logique et totalement vicié. Je commence à le voir apparaître avec les mutuelles de santé pour animaux de compagnie, qui permettent de fausser la décision médicale d'une manière inédite : avant, on était contraint par défaut de moyens, nous dirigeons-nous nous aussi vers une contrainte par excès ?

Jusqu'où faut-il aller ? Et puisque la question est par essence morale, quel est le seuil immoral ? Celui qui rabaisse l'homme sous le niveau de l'animal de compagnie ?

samedi 16 octobre 2010

Répondeur téléphonique : notice d'utilisation, et autres brèves d'urgences

Madame, mademoiselle, monsieur,

Vous venez de composer le numéro du service vétérinaire de garde. Nous sommes probablement la nuit, peut-être dimanche, voire un jour férié, ou tout cela à la fois. Nous, sommes, en tout état de cause, en dehors des horaires d'ouverture.
Je n'ai pas répondu lorsque vous avez sonné. Peut-être parce que j'avais les mains dans un chien, parce que je faisais un vêlage, voire parce que je me douchais, ou que j'étais aux cabinets et non au cabinet. Bref, parce qu'il m'arrive aussi de vivre.
Peut-être même n'ai-je pas eu le temps d'atteindre mon téléphone.

Vous vous êtes donc retrouvé face au répondeur honni, à la messagerie infâme, au message pré-enregistré.

Qui, en substance, vous a indiqué ceci : "Vous êtes bien sur le répondeur du Dr Fourrure, vétérinaire. En cas d'urgence, merci de me laisser un message, je vous rappellerai dès que possible."

Madame, mademoiselle, monsieur.

Ce répondeur, dont j'ai voulu le message court (l'ancien était sans doute plus complet mais aussi trop long), vous invite à me laisser un message afin que je puisse vous recontacter pour vous conseiller, ou même vous recevoir en cas d'urgence. Si vous ne me laissez pas de message, j'imagine qu'il n'y avait pas urgence. Parfait. Rappelez pendant les horaires d'ouverture.

Mais vous semblez oublier assez souvent que quand vous parlez à la personne qui se trouve près de vous, le répondeur enregistre aussi, même si vous ne vous adressez pas à lui.

- Oh putain Monique c'est un répondeur, je fais quoi ?

Laissez un message, monsieur.

- Géraaaaard ! Le répondeur il dit de laisser un messaaaaaage !

Faites donc.

- Robert le répondeur il dit de laisser un message, je lui dis quoi ?
- Ben que le chien il est malade, qu'il se lève pas, qu'il a sûrement une piro ?
- Bonjour docteur, le chien il est malade, il se lève pas, il a sûrement une piro, vous pourriez le voir de toute urgence ?

Avec plaisir, je suis là pour ça, et vous au moins vous n'insultez pas ma boîte vocale.

Car le répondeur, et le vétérinaire qui est derrière, apprécient aussi vos commentaires directs. Je note qu'ils sont forts rares, ce qui me rassure sur le niveau de connerie moyen de l'humanité. Oui, je sais, nous sommes tous le con de quelqu'un, et, à l'instant où vous me laissez ce message, je suis le vôtre.

- Bordel vous êtes même pas foutu de répondre alors que vous dites que vous êtes de garde, vous vous foutez de moi ?

Ou bien :

- Vous dites que vous êtes de garde et vous n'êtes même pas à la clinique, je suis devant la porte et il n'y a personne, je le vois bien !

Avec le ton glacial qui va bien. Ceci étant, vous avez raison, en réalité je fais des astreintes, pas des gardes : je ne suis pas en permanence sur site, mais chez moi. Ce qui est plus sympa c'est qu'au moment de cet appel là j'étais en visite chez un éleveur, mais bon. Et si vous m'aviez appelé avant ?

En passant, vous ne me laissez pas votre nom, mais j'ai votre numéro, et en plus, il y a une chance non négligeable que je reconnaisse votre voix.

Ah et puis regardez un peu qui vous appelez, écoutez au moins mon message, bordel !

- Bonjour Claudine, je t'appelle pour te donner des nouvelles de Pierre, c'est l'enfer, cette nuit il a pleuré de deux heures à cinq heures du matin, je crois qu'il fait ses dents et je lui ai passé de la pommade, là, mais ça ne faisait rien et il ne se calmait que quand je l'avais dans les bras. Pfiou je suis épuisée. Bon sinon on se voit demain comme prévu chez le coiffeur ? Bises !

Le pire était quand même :

- Dr Roussine, vous êtes un incapable et un sale con. Coconut est mort couvert de bave, de sang, de pisse et de merde, et c'est ma fille qui l'a trouvé dans son panier ce matin en se levant. Évidemment vous ça ne vous empêchera pas de vous regarder dans votre miroir, hein, parce que de toute façon, vous n'alliez pas gâcher votre soirée pour ça, hein ?

Le Dr Roussine est un confrère qui travaille à une trentaine de kilomètres de là. Il n'assure aucune garde, et transfère vers les cabinets voisins, parfois le mien, même si c'est rare vue la distance. Je n'ai jamais eu le fin mot de cette histoire vu que le Dr Roussine m'a envoyé balader lorsque je l'ai appelé pour lui donner la teneur du message. Je ne sais pas pourquoi il a fini sur mon répondeur, d'ailleurs, vu que cet homme n'avait pas cherché à me joindre.

Je souris gentiment aux messages plus amusants, ou attendrissants. Croyez-bien que je ne me moque pas un instant. Sincèrement.

- Bonjour docteur, je vous appelle parce que mon chien est malade, je peux venir ?
...
- Docteur ?
...
- Pourquoi vous ne me parlez pas ?

Parce que c'est un répondeur. Mais je vous ai rappelée, et le chien va bien.

Il y a aussi eu cet extraordinaire message qui méritera un billet à lui tout seul, parce qu'il était à la fois lumineux et profondément attristant. Pour une prochaine fois.

Pour finir, au sujet du répondeur, sur une note plus utile : quand vous me laissez un message, faites court. pas la peine de me raconter la vie du chien pendant dix minutes, surtout si vous oubliez de me laisser votre numéro de téléphone. Je vais sans doute écouter ce message dans la voiture, faites bref et précis, de toute façon je vous rappellerai ! Les plus habitués sont évidemment les professionnels (les messages des éleveurs sont en général des modèles de sobriété, du genre : Louge au alouettes, pour un vêlage, merci).

Peu importe : la philosophie de l'urgence (chez nous en tout cas), c'est "tout accepter, on triera après". Nous savons bien que vous n'êtes pas forcément à même de juger de l'urgence réelle d'une situation. Le délai que nous nous imposons est de 20 minutes. Et nous nous y tenons de façon très satisfaisante. Au pire, si pour une raison ou une autre, nous ne pouvons vous aider immédiatement, nous aurons toujours un conseil ou un confrère vers qui vous renvoyer, comme ils nous envoient aussi lorsqu'ils ne peuvent tout assumer. En tout cas, dans notre coin, nous nous entendons suffisamment bien pour que cela ne pose aucun problème. Je fais ton poulinage parce que tu es en pleine opé, est-ce que je peux t'envoyer deux chiens de chasse éventrés, etc.

Plus prosaïquement, je ne réponds plus à mon téléphone dans la demi-heure qui précède l'ouverture de la clinique, vu que les appels à ce moment sont essentiellement des prises de rendez-vous.

Mention spéciale à ce client avec lequel j'ai eu une conversation un peu enlevée l'autre jour : il m'amenait, un dimanche matin, un chien certes malade mais sans aucune urgence. Il aurait pu être vu la veille, l'avant-veille, ou le lendemain, voire le surlendemain. Mais il est venu dimanche.

- Mais pourquoi est-ce que vous m'avez appelé un dimanche ?
- Ben c'est que je travaille, les autres jours.
- Mais pas tout le temps quand même ! En plus, nous sommes ouverts jusqu'à 19h00, même le samedi.
- Ouais mais le dimanche je sais que je ne devrais pas attendre.
- Mais c'est un service de garde, pour les urgences !
- Ouais mais il est malade mon chien !
- Mais ce n'est pas une urgence, et vous en aviez parfaitement conscience.
- Je préfère payer le supplément hors ouverture et passer sans attendre.
- Nous travaillons uniquement sur rendez-vous, et il n'y a quasiment jamais d'attente !
- Ouais mais c'est plus calme, là.

Il y a aussi eu :

- Comment ça c'est le service de garde ? Vous n'êtes pas ouverts dans l'heure de midi ?
- Ben non, on mange.
- Ouais mais moi je travaille le reste du temps.
- Ben moi aussi...
- Oui mais je peux pas venir !
- Et vous faites vos courses quand ?
- Ben c'est ma femme qui y va.
- Et elle peut pas amener le chien ?
- C'est pas pareil.
- Et quand vous allez à la Poste, ou à la banque, ils sont pas ouverts non plus dans l'heure de midi !
- Ouais mais eux c'est des feignasses !

Les plus culottés sont rares :

- Service de garde bonsoir ?
- Ouais, ce serait pour une prise de sang d'achat.
- Il est vingt heures...
- Ouais mais vous êtes encore là, je peux passer avec le camion.
- OK, mais avec le supplément de garde alors. Ça fait 25 euros de plus.
- Ouais c'est ça, vous rigolez ou quoi, ça prend cinq minutes.
- Et ben passez demain alors, puisque ça prend que cinq minutes !

Ouais, toi tu m'as raccroché au nez, mais j'ai parfaitement reconnu ta voix.

lundi 6 septembre 2010

Répit

C'était devenu une urgence, une nécessité. M'enfuir vite et loin, en tout cas tout briser dans une indispensable, bien que trop brève, éclipse. Le boulot recèle parfois ces atroces périodes d'apnée : attendues ou non, elles incarnent à la perfection le cliché du tunnel, de la galère dont on ne peut en aucun cas s'échapper, et dans laquelle, en plus, il faut pédaler.

Cette fois-ci, la plongée a duré trois semaines. 20 jours d'astreinte sans discontinuer, 20 jours de présence permanente au cabinet, soit, quand les horaires sont respectés, 48 heures de boulot "en heures d'ouverture" par semaine, vite muées en 60 heures environ, plus les urgences. Je sais que bien des confrères se démerdent, en temps "sur le pont", avec bien pire : quand on bosse seul, c'est en permanence si on assure les astreintes, et le rythme est pire que le mien si c'est dans une zone de forte densité d'élevage. Je le sais, j'ai donné. Dans mon cas, par rapport à eux, la difficulté est la gestion de l'entreprise : faire, ce coup-ci en tout cas, le boulot de trois vétos en solo, assumer la clinique et sentir, pesant de tout leur poids, toutes ses responsabilités.

  • La continuité des soins. L'accueil du client. Gérer les bobos comme les graves accidents, suivre des cas lourds sur une semaine ou plus, les analyses, contacter les confrères pour des cas que j'ai référés, assurer le lien pour ceux qui m'ont été référés. Répondre aux mille questions, sauter du coq à l'âne puis au chien et au veau, jongler entre chirurgie, médecine, dermato... Changer à chaque fois de mode de pensée, sans se laisser le temps de rien oublier.
  • La gestion administrative, les stocks, les factures, les fournisseurs et les labos. Pour tout ça, comme pour une partie des soins ou de l'accueil, heureusement, je ne suis pas seul. Mais je dois aussi assumer la frousse que me confère mon statut d'employeur, quand, sur cette courte période, se fait sentir l'impression que si je déraille, ce sera avec tout le monde à bord.

Finalement, dans l'instant, cette course se fait naturellement, sans heurt ni cahot. Anticiper, s'organiser, noter, tout noter, déléguer. Les journées passent vite, très vite. Levé à huit heures, au boulot à neuf, de retour vers treize heures, reparti pour quatorze, rentré à vingt, couché à vingt-et-une, ou vingt-deux. Les consultations et les chirurgies s'articulent et s'organisent, se hiérarchisent. Je suis bien secondé. Parfois, cependant, je me sens ralentir. Je ne pense plus assez vite, plus assez bien. Je sais que je peux mieux faire, et dans ces cas là j'appelle. Une consœur, un confrère. Ou je prends un livre, ou j'en discute avec une ASV. Pour confronter, démonter, repenser. Et surtout ne pas déconner.

Mais la tension monte, et je finis par ne plus me ressembler. L'agressivité s'échappe par bouffées, parfois sans méchanceté, parfois hors de tout contrôle. Je me hais lorsque je me sens déconner, plus encore lorsque mes proches en font les frais. Évidemment, cela ne m'aide pas à relativiser, et encore moins à me relaxer. Contrôler, contrôler.

Les nuits raccourcissent, même lorsque je ne suis pas appelé. Je me couche à 22 heures, me réveille vers trois, ou quatre. Les yeux grands ouverts dans le noir, à psychoter sur des cas ou des symptômes, sans cohérence, sans même de matérialité. Périodes de sommeil fragiles et embrumées, d'errances mal contrôlées, puis je me rendors avant de m'éveiller à nouveau, bien trop tôt. Je me force à rester au lit, espère m'endormir avant d'entendre le réveil sonner. En vain.

Et là-dessus, je dois continuer à assurer, parce qu'en fait, je n'ai tout simplement pas le droit de craquer.

Dans ces conditions, rien ne veut plus fonctionner. Si ce n'est pas ma voiture qui plante, c'est la développeuse qu'il faut bricoler, un pc à nettoyer, le comptable qui se trouve des lubies d'arriérés de TVA, la compagnie d'incinération que ne peut pas venir à temps alors que le congélateur va déborder, ou un fournisseur qui a une promo à caser, que je ne peux pas laisser passer mais pour laquelle je ne veux pas engager mon associé.

Des montagnes de petits riens accumulés.

Et la chaleur, la chaleur... à ne plus pouvoir respirer.

Alors, lorsqu'il revient, mon confrère, mon frère, mon sauveur, je m'enfuis et m'éparpille, charge la voiture, largue mes animaux aux voisins, ferme le coffre et embarque ma moitié. Direction l'appart' d'un copain, rien de planifié, surtout rien d'organisé. Loin des bestiaux, loin du boulot, loin du net et du blog. Restos, bouquins, plongées.

La parenthèse n'aura duré que trois jours, mais la réussite de cette coupure lui donne des allures de longs congés d'été. Même si le sommeil n'est pas revenu, même si les cas sont les mêmes qu'avant de partir, même si les problèmes laissés en suspens ne se sont, curieusement, absolument pas réglés.

Je ne suis plus seul, et le tunnel s'est achevé. Je ne suis pas parti assez longtemps pour qu'il se soit à son tour épuisé, je vais pouvoir me remettre à respirer.

mardi 18 mars 2008

Obligation de soins ?

Un vétérinaire peut-il refuser de soigner votre animal ?

Est-il obligé d'accepter une consultation en pleine nuit, voire d'opérer votre chat s'il s'est cassé la patte, ou s'il a une allergie aux piqûres de puces ?

Et si vous n'avez pas d'argent, doit-il quand même lui détartrer les dents ? Soigner ses blessures ?

Peut-il le laisser souffrir, ou mettre sa vie en danger en refusant de le soigner ?

Je vous laisse réfléchir aux questions, avant d'aborder les explications.

Ca y est, vous avez vos réponses ?

Lire la suite...