Répit
lundi 6 septembre 2010, 20:36 Un peu de recul Lien permanent
C'était devenu une urgence, une nécessité. M'enfuir vite et loin, en tout cas tout briser dans une indispensable, bien que trop brève, éclipse. Le boulot recèle parfois ces atroces périodes d'apnée : attendues ou non, elles incarnent à la perfection le cliché du tunnel, de la galère dont on ne peut en aucun cas s'échapper, et dans laquelle, en plus, il faut pédaler.
Cette fois-ci, la plongée a duré trois semaines. 20 jours d'astreinte sans discontinuer, 20 jours de présence permanente au cabinet, soit, quand les horaires sont respectés, 48 heures de boulot "en heures d'ouverture" par semaine, vite muées en 60 heures environ, plus les urgences. Je sais que bien des confrères se démerdent, en temps "sur le pont", avec bien pire : quand on bosse seul, c'est en permanence si on assure les astreintes, et le rythme est pire que le mien si c'est dans une zone de forte densité d'élevage. Je le sais, j'ai donné. Dans mon cas, par rapport à eux, la difficulté est la gestion de l'entreprise : faire, ce coup-ci en tout cas, le boulot de trois vétos en solo, assumer la clinique et sentir, pesant de tout leur poids, toutes ses responsabilités.
- La continuité des soins. L'accueil du client. Gérer les bobos comme les graves accidents, suivre des cas lourds sur une semaine ou plus, les analyses, contacter les confrères pour des cas que j'ai référés, assurer le lien pour ceux qui m'ont été référés. Répondre aux mille questions, sauter du coq à l'âne puis au chien et au veau, jongler entre chirurgie, médecine, dermato... Changer à chaque fois de mode de pensée, sans se laisser le temps de rien oublier.
- La gestion administrative, les stocks, les factures, les fournisseurs et les labos. Pour tout ça, comme pour une partie des soins ou de l'accueil, heureusement, je ne suis pas seul. Mais je dois aussi assumer la frousse que me confère mon statut d'employeur, quand, sur cette courte période, se fait sentir l'impression que si je déraille, ce sera avec tout le monde à bord.
Finalement, dans l'instant, cette course se fait naturellement, sans heurt ni cahot. Anticiper, s'organiser, noter, tout noter, déléguer. Les journées passent vite, très vite. Levé à huit heures, au boulot à neuf, de retour vers treize heures, reparti pour quatorze, rentré à vingt, couché à vingt-et-une, ou vingt-deux. Les consultations et les chirurgies s'articulent et s'organisent, se hiérarchisent. Je suis bien secondé. Parfois, cependant, je me sens ralentir. Je ne pense plus assez vite, plus assez bien. Je sais que je peux mieux faire, et dans ces cas là j'appelle. Une consœur, un confrère. Ou je prends un livre, ou j'en discute avec une ASV. Pour confronter, démonter, repenser. Et surtout ne pas déconner.
Mais la tension monte, et je finis par ne plus me ressembler. L'agressivité s'échappe par bouffées, parfois sans méchanceté, parfois hors de tout contrôle. Je me hais lorsque je me sens déconner, plus encore lorsque mes proches en font les frais. Évidemment, cela ne m'aide pas à relativiser, et encore moins à me relaxer. Contrôler, contrôler.
Les nuits raccourcissent, même lorsque je ne suis pas appelé. Je me couche à 22 heures, me réveille vers trois, ou quatre. Les yeux grands ouverts dans le noir, à psychoter sur des cas ou des symptômes, sans cohérence, sans même de matérialité. Périodes de sommeil fragiles et embrumées, d'errances mal contrôlées, puis je me rendors avant de m'éveiller à nouveau, bien trop tôt. Je me force à rester au lit, espère m'endormir avant d'entendre le réveil sonner. En vain.
Et là-dessus, je dois continuer à assurer, parce qu'en fait, je n'ai tout simplement pas le droit de craquer.
Dans ces conditions, rien ne veut plus fonctionner. Si ce n'est pas ma voiture qui plante, c'est la développeuse qu'il faut bricoler, un pc à nettoyer, le comptable qui se trouve des lubies d'arriérés de TVA, la compagnie d'incinération que ne peut pas venir à temps alors que le congélateur va déborder, ou un fournisseur qui a une promo à caser, que je ne peux pas laisser passer mais pour laquelle je ne veux pas engager mon associé.
Des montagnes de petits riens accumulés.
Et la chaleur, la chaleur... à ne plus pouvoir respirer.
Alors, lorsqu'il revient, mon confrère, mon frère, mon sauveur, je m'enfuis et m'éparpille, charge la voiture, largue mes animaux aux voisins, ferme le coffre et embarque ma moitié. Direction l'appart' d'un copain, rien de planifié, surtout rien d'organisé. Loin des bestiaux, loin du boulot, loin du net et du blog. Restos, bouquins, plongées.
La parenthèse n'aura duré que trois jours, mais la réussite de cette coupure lui donne des allures de longs congés d'été. Même si le sommeil n'est pas revenu, même si les cas sont les mêmes qu'avant de partir, même si les problèmes laissés en suspens ne se sont, curieusement, absolument pas réglés.
Je ne suis plus seul, et le tunnel s'est achevé. Je ne suis pas parti assez longtemps pour qu'il se soit à son tour épuisé, je vais pouvoir me remettre à respirer.
Commentaires
oh là doc, c'est plus que du surmenage! faut prendre plus de 3 jours de congés sinon vous allez pêter!!
3 jours ? Ce n'est pas sérieux !!! Tu vas repartir non ?
Ici, il n'y plus depuis longtemps de cabinet en solo ! En hiver, il y aurait de quoi devenir fou !!!
Qu'est ce que je comprends tout ça ! Même si je ne suis que salariée, je ressens cette pression à un niveau moindre...Et c'est ça qui me fait dire que je ne serais pas capable "d'endurer" le profil d'installé/associé...
Ho pinaise vous avez frôlé le "burn-out" comme on dit le surmenage !
A vous lire j'ai l'impression d'entendre mon beau père ! Veto de campagne, tout comme vous, dans le beaujolais!
Il a failli craqué plus d'une fois lui aussi.
Reposez vous ! Détendez vous sinon c'est vous qui devrait appeler le docteur en urgence au milieu de la nuit !
Et pis qu'est ce qu'on aurait à lire nous ! si vous tombez malade !!??
hein ! ;)
@Amon a tout dit, cher Fourrure, le "Burnout" vous guette à force de trop faire. Faites attention à vous, vos patients en ont besoin de vous à long terme.
Bonne journée
Burn out, c'est le mot. Vous avez mille fois raison de témoigner de la sorte. Notre métier est difficile nerveusement, exigeant, ce d'autant plus que nous n'avons que peu de possibilités de récupération.
(C'est aussi pour ça que j'ai arrêté).
Un lien vers un autre article intéressant sur le même sujet :
http://martinwinckler.com/article.p...
Bon courage pour la reprise, prévoyez de longues vacances !
cooooooooooolllll fourrure !!!! vive les vacances surtout avec votre moitié !!! 3 jours c'est peu. Snif elle doit pas être très contente. Enfin merci 10 000000000000 de fois pour nous faire vivre le métier de véto de campagne à travers les posts.... j'en redemande... j'adore..... tombez pas malade... qu'est ce qu'on devient NOUS les petits internautes ?????
Sans rigoler, avec 3 jours de vacances, à la Toussaint vous en êtes au même point, ou pire. Votre confrère n'a pas pris que 3 jours, rassurez-moi ? Alors prenez 3 semaines pour vraiment couper, vous nous éviterez, en plus de l'insomnie, la déprime, l'infarctus, les tendinites multiples... Et un gros chagrin !
Les patients et leur maîtres seront toujours là et se seront débrouillés.
J'admire les gens qui font ce métier, mais en effet le repos est très important. Merci de nous faire partager tout ça.
Coupure salutaire, mais au vu de la longueur du tunnel bien trop brève :/.
Le boulot c'est bien, la conscience professionnelle aussi, mais tout cela vaudra peanuts pour vous et votre moitié quand vous y aurez laissé la santé... Déjà qu'à vous lire, la vie personnelle d'un vétérinaire est pleine de contraintes, ne laissez pas passer une occasion de prendre VOUS AUSSI 3 semaines loin de tout.
Bon courage à vous pour la reprise en tout cas, en espérant que vos prochaines vacances seront pour bientôt, car même si égoïstement vos internautes aiment vous lire le plus possible, ils seront encore plus heureux de vous savoir en meilleure forme ;) !
Fourrure :
Je ferme les commentaires, la suite est dans le billet d'après !