Prendre son temps
jeudi 29 décembre 2011, 20:03 Un peu de recul Lien permanent
Officiellement, les journées de travail durent 8h. De 9h à midi, de 14h à 19h. Classique, et bien suffisant. Surtout quand on dépasse presque toujours jusque 12h30 et 19h30, voire 20h. Hors astreintes.
Un rendez-vous toutes les demi-heures, sauf pour les trucs tout bêtes, comme les retraits de points. Vaccins, consultations médicales ou chirurgicales, contrôles "complexes", 30 minutes, en prévoyant les débordements sur les sujets qui sentent le CDM. Une demi-heure, ça permet de prendre son temps, de discuter prévention, et puis on finit souvent en 20-25 minutes, ce qui permet de passer les coups de fil aux confrères, de vérifier la commande suivante, de rédiger un certificat, de contrôler un animal hospitalisé, de rappeler un propriétaire d'animal pour vérifier que tout va bien, de lire un peu la presse professionnelle, de changer les bains de la développeuse radio, de discuter avec une ASV au sujet d'un client, d'un patient, de la compta ou des stocks, d'un pc qui déconne ou d'un débit de perf', d'un cas qu'elles n'ont pas compris ou d'un planning de visites, bref de toutes ces petites choses qui prennent parfois un peu de temps.
Beaucoup de temps.
Ça permet aussi d'absorber les inévitables clients sans rendez-vous, et les urgences qui viennent tout bousculer.
Mais j'ai réalisé il y a peu que nous ne prenions plus de pause.
Je veux dire : plus du tout. Pour un café, lire des mails persos, le fil twitter ou fumer une cigarette dehors. Juste pour raconter des conneries.
Au fils des mois, puis des années, notre équipe est devenue une mécanique exigeante et bien huilée, très efficace, en perpétuelle remise en question et réorganisation, sous les suggestions ou les intuitions des ASV comme des vétos. Parfois même des stagiaires.
Mais nous ne nous posons plus.
Ce qui est parfait pour arrêter de fumer.
Pas de management ou de méthodes existentielles. Nous avons réussi à monter une équipe harmonieuse, efficace, motivée. Pas sans couacs ni heurts, il y a des coups de gueule, des moments de découragement, les interactions entre le personnel et le professionnel. Pas vraiment des amis, bien plus que des employeurs et des employés, des confrères et des collaborateurs. Un groupe qui fonctionne.
J'ai comme l'impression d'une course folle.
Pour les vétos, un perpétuel mouvement, en équilibre entre les salles de consultations, les visites et le bloc, le chenil, le bureau et le téléphone. Penser à tout, tout le temps. Noter, se faire rappeler, ne rien oublier. Un oubli, c'est un client mécontent, un médicament qui manque, un animal en danger. Ou au moins négligé. Une pression permanente, sur tout le monde, partout. Combien de coups de fils passés de la maison un jour de congé ? Depuis l'hôpital quand on y a accompagné un proche ?
Bien sûr, il faut savoir prendre des jours de repos chaque semaine, prendre des vacances, tout couper. Facile à dire, moins à faire, c'est juste un coup de fil, hein, ou quelques dossiers qui peuvent être faits par mail, depuis la maison.
Ça, on le sait. On le fait plus ou moins bien, on se surveille les uns les autres. Jusqu'à dire aux ASV de ne plus décrocher si elles voient le numéro d'un confrère en congé s'afficher sur le téléphone de la clinique. C'est presque un jeu.
Pareil pour les ASV, avec les afflux permanents de clients venus chercher un renouvellement, un médicament pour les lapins, les poules, la vache, tamponner des cartes roses pour les vaccins FCO, commander les DAP, noter les produits pour les commandes, prendre les rendez-vous, mettre la seconde ligne en attente, la reprendre, aller aider le véto qui appelle au secours-que-c'est-urgent-bordel-laisse-le-téléphone, surveiller la fauche dans le rayons de laisses, colliers et jouets, conseiller pour des croquettes, passer un coup de balai, organiser le passage d'un véto itinérant, ou synchroniser une visite avec le maréchal-ferrant, aller vérifier les perfs au chenil, y faire une glycémie, repasser un coup de balai, mettre une fiche à jour, nettoyer les cages, encaisser un règlement, ouvrir le courrier, calmer un maître anxieux, donner des nouvelles du chat opéré, expliquer que le véto est déjà en visite et que, oui, il va arriver pour le veau à perfuser. En français, en anglais, en allemand, en néerlandais.
Mais quand est-ce qu'on le prend, le café ?
Quand est-ce qu'on débranche le téléphone, qu'on laisse la file devant le comptoir, qu'on crée un trou entre les consults, qu'on oublie un peu les hospitalisés ?
Est-ce qu'il faut une décroissance de l'efficacité, ou un coup de collier pour ménager une pause, qui ne vient jamais parce que le téléphone sonne sans répit ? Que les urgences ne cessent de débouler ?
Zapper, en permanence, des soins à la compta, de la commande à la prise de rendez-vous, des pansements au ménage, de la suture à l'endocrino, d'une euthanasie à un parage de pied, d'une césarienne à la coupe des dents d'un lapin nain. Je suis super fier de nous. Mais je suis super inquiet aussi.
Commentaires
Tout à fait d'accord, j'ai exactement les même interrogations car je fonctionne de la même manière, tant que j'ai du boulot je ne prends pas de pause, même pas pour manger à midi, je n'y arrive pas, je suis trop préoccupée par tout ce que je dois faire ensuite. Je pense que c'est dans l'air du temps, j'ai l'impression que 2 types d'évolution se profilent : ceux qui font des métiers de passion et qui ne vivent que pour ça (au détriment de leur vie personnelle parfois), et ceux qui font des métiers de "raison" qui laissent la part belle à leur vie personnelle. Je ne sais pas si l'un est plus heureux que l'autre... J'ai testé les deux, et pour ma part je peux dire que je me sens mieux dans mon métier de passionnée même s'il est parfois moins confortable.
Merci pour ce joli billet, encore un :)
Pas d'accord avec l'analyse ci-dessus sur "métier passion" et "métier raison" mais c'est un autre (vaste) sujet. Bon courage, c'est vrai qu'il faut (essayer, je sais que ce n'est pas évident lorsque l'on croule sous le boulot et que l'on est consciencieux et impliqué) de souffler un peu...A trop tirer sur la corde, elle finit parfois par casser. Mais tout ça vous le savez déjà. Bravo à votre équipe au complet!
Nous, on essaie de prendre le café à 3 ou 4 dans la matinée et en début d'après-midi, mais on n'arrive jamais à être tous ensemble (4 ou 5 vétos + 2 ASV + certains jours la comptable), parce que, bizarrement, verser le café dans les tasses fait invariablement sonner le téléphone ou la porte d'entrée...
bonsoir, je ne poste pas souvent de commentaires, mais je consulte régulièrement votre blog, toujours à l'affût d'un nouveau billet, avec une jolie histoire (qui fait souvent pleurer) ou un texte bien écrit qui redonne la pêche, parce qu'être passionné dans son métier (quel qu'il soit), des fois c'est décourageant quand autour de nous les autres ne sont pas "câblés " pareil et n'avancent pas aussi "vite" qu'on le voudrait :-)
Bonnes fêtes de fin d'année, prenez un peu de temps pour vous, et au plaisir de vous lire en 2012
Nous, on se bloque une heure par mois, un matin ou un soir ou on ferme exceptionnellement. On prend le petit dej, on discute, on échange, on appelle ça des "réunions d'équipe".
Fourrure :
Nous le faisons aussi, autour d'une table entre midi et deux, une fois par mois environ. Mais ça ne remplace pas les petites pauses du quotidien.
il est clair que, même si pour certains cela peut sembler être une perte de temps, la pause café/clope est nécessaire, pour la cohésion d'un groupe, et pour sa propre santé aussi (clope exclue :P ).
Courage Docteur et bonne année à vous et votre équipe
Alors ça veut dire que les vétos n'auront pas le temps d'assurer les urgences 'humaines' quand les médecins seront trop occupés pour venir à temps ? Dommage pour la magnifique proposition de Françoise Tenenbaum...
Sur ce, bon courage et bon réveillon !
quel boulot de fou!!
c 'est un métier admirable mais il faut avoir une bonne résistance physique!
Malheureusement je crois que c'est le prix à payer (et pas le seul d'ailleurs) quand on choisis de soigner des êtres vivants...Bon courage
Je ne fume pas et je n'aime pas le café, donc pour moi les pauses sont exclues!!! Je suis au boulot, je fais mon boulot... la journée aura bien une fin, non?? mais bon, c'est plus facile pour une ASV à temps partiel... Les vétos eux s’octroient 2 AM dans la semaine et 1 WE sur 2... çà fonctionne, même le soir en semaine ils trouvent le temps de se rendre à des concerts, au resto en famille... je ne sais pas comment ils tiennent, mais pas de pauses pour eux non plus!
Finalement, j'ai de la chance, je travaille au domicile des personnes âgées et les trajets entre deux maisons sont comme des petites pauses. Le simple fait de sortir et d'être seule cinq minutes, c'est fou comme ça fait du bien!
Votre équipe elle en pense quoi? Vous leur en avez parlé?
Fourrure :
Oui, le constat est collectif.
Plus de place pour une petite pause? C'est le signe évident que tu dois augmenter tes tarifs, et de façon importante qui plus est; ce qui devrait entraîner une légère baisse de fréquentation, du temps libre, + de boulot pour les confrères d'à côté qui vivotent peut-être - ou pour une installation- mais aussi une meilleure rentabilité, qualité de vie, épanouissement sexuel etc. Sinon le burn out guette et comment feras-tu quand l'un d'entre vous tombera malade? ou mort? ou divorcera et sombrera dans l'alcoolisme?
^^
même constat en tant qu' ASV. Dans les grandes structures elles s'organisaient pour décompresser autour d'une clope par ci par là à deux ou trois, pause souvent écourtée par le tel ou l'afflux de clients....Je ne fume pas donc je décompresse avec une activité simple ou les toilettes !!! même pour ça souvent je n'ai pas le temps....
Ch'ais pas, faut embaucher, non?
Soutenir l'emploi, c'est dans l'air du temps... Augmenter les tarifs aussi, et puis c'est vrai que ça a une certaine logique.
Fourrure :
Embaucher, c'est ce qu'on fait, mais il y a des limites ! Notre équipe a doublé en 5 ans, c'est quelque chose de très délicat à absorber. Pour l'augmentation de tarifs, idem, il y a quand même des limites. Ou alors on change de clientèle, ce qui n'est pas notre souhait.
D'accord avec OlivierNK.
On s'use, malgré tout, à travailler comme ça. De corps et d'esprit. Et au bout des années, quand le physique ne suit plus et qu'il arrive qu'on ait mal, on se demande si on n'est pas passé à côté d'autre chose, en étant "workalcoholic".
Un avis extérieur pourrait peut-être aider votre équipe à se préserver ? Même si c'est grisant de se sentir emporté et de surfer sur l'activité du jour... jour après jour.
Fourrure :
Oui, l'avais extérieur est très précieux. Nous avons changé de comptable pour prendre un véritable conseil, et non plus un tableur humain, et nous essayons de ne pas rester "le nez dans le guidon". Mais ce n'est pas facile...
bonjour, je viens de découvrir votre blog et je me suis
régalée. j'ai lu quelques billets divers et variés. ils sont tous écrit avec de l'émotion, de la passion, de l'humanité et beaucoup d'humour. mon fils (25 ans) est dans le milieu agricole (lait, viande et mouton). il s'est installé il y a 3 ans et j'ai retrouvé parmi vos différents billets, les attitudes, les espoirs, les déceptions qui font leur métier. vos propos sont justes et écrit avec beaucoup de réalité sur ce que vivent vos clients qu'ils soient agriculteurs ou particulier d'animaux de compagnie. il me semble que la passion que vous avez pour votre métier, beaucoup de vétérinaires l'ont. ceux qui s'occupent de nos chiens et chats sont comme vous, ils ne le disent pas forcément. la lecture de vos billets est une bouffée de bonne humeur pour moi.
et dire que je suis tombée sur votre blog en voulant acheter un veau vivant pour l'anniversaire de mon fils...
cordialement.
beau billet une fois de plus .
j'ai envie de dire que le début de la solution est ds le billet... Dans le constat, sans lequel vous ne pouviez pas chercher une solution qui vous convienne. Dans l'inquiétude liée à la conscience des risques d'un tel rythme...
Pour les solutions, si c'était simple, vous les auriez déjà ...Mais je ne doute pas que vous trouverez celles qui conviennent à votre structure, dès lors que vous considérez le sujet suffisamment important(non urgent) pour passer avant du "urgent non important"...
un beau sujet de "bonne résolution 2012", ça, trouver une solution à ce pb , non ? bon courage, et tenez nous au courant !
Je pensais à vous justement, et à cette situation précise, avant-hier : un des vétos du coin (très beau d'ailleurs, ce qui ne gâche rien ;) ) est passé se faire payer des factures, et nous a donné des conseils...
Je suis désemparée, en détresse complète sur la ferme où je suis ; cellules, mammites... Et le patron qui s'en fout pas mal.
Le véto a quand même conseillé le 4xlA pour traire, mais il en avait pas dans sa voiture ! du coup, après mon boulot, à 8h du soir, je lui ai téléphoné comme convenu (il m'a laissé son numéro personnel et son adresse de domicile), et suis allée chez lui, à sa maison, récupérer mes bidons...
Je ne l'ai pas dérangé, salué par la fenêtre quand je suis arrivée ; mais quand même... Ces vétos...
J'éprouve à leur égard une reconnaissance sans bornes, pour leurs conseils, leur patience, leur énergie, leur gentillesse.
Quand plus rien ne va, y'a le véto.
Et qu'il se mette ainsi en quatre, allant jusqu'à appeler sa femme pour qu'elle prenne les bidons et les mette devant la maison au cas où il ne serait pas rentré avant moi, ça m'a fait tout drôle.
Merci encore Dr Fourrure ! le mien s'appelle Denis, je le surnomme pour moi "Blondin" ;)
Je ne sais pas ce que je ferais sans vous et vos confrères...
« Écoute, c’est un secret : ralentis ta vie au point qu’elle devienne tienne. Ensuite, prends ton élan et mets-y ta passion. » Y. Le Corre
Sois heureux d'avoir des journées remplies et épuisantes car elles sont en plus utiles.
Facile à dire me diras-tu, mais pure vérité pourtant.
Certains ont plus de pauses, certains n'en n'ont jamais, vivent dans des conditions extrêmes où une "pause" est fatale.
Il y a pire, il y a mieux, alors vis ta passion et sois heureux !