Sa main sur mon bras
dimanche 4 décembre 2011, 10:56 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Son appel avait été un sanglot et un cri, une incohérence urgente et instinctive. Je ne me suis jamais rappelé de ce qu'elle m'avait alors dit, j'avais fait tomber le tiroir des médocs de réa dans un carton, je m'étais jeté dans ma voiture en plantant une consultation en cours, et je m'étais presque encastré dans le muret de sa maison, à 200m à peine de la clinique.
Elle nous appelait "sa croisière". Toutes les semaines, ou presque, elle venait chercher les médicaments pour le cœur de Boule. Boule était un genre de labrador mâtiné d'autres trucs, lourd, massif, paisible, imperturbable. Il avait un cœur de merde. Du genre à jouer la boîte à rythme d'un pot pourri de reggae dub, de valse et de disco. A chaque fois qu'elle venait chercher les comprimés pour la semaine prochaine, elle nous parlait de Boule, de la météo, mais surtout de sa croisière qu'elle ne ferait jamais.
Je pensais qu'elle venait ainsi chaque semaine pour éviter de faire de "gros" chèques.
Je m'étais précipité hors de ma voiture, mon stéthoscope à la main, avec mon carton de médicaments et mes seringues, elle me montrait la haie de lauriers, elle pleurait, Boule n'était pas couché, il était tombé. Je ne voyais que son gros derrière, sa queue que je n'avais jamais vue qu'en mouvement, stoppée.
Plus de poul, plus de battements cardiaques, je l'avais massé, j'avais posé ma sonde trachéale comme jamais.
Elle pleurait. Il s'était levé comme une bombe, il avait couru dehors, il était tombé.
J'ai appris bien plus tard que sa famille, dont elle ne parlait jamais, l'avait plantée là, dans notre petit village perdu, alors qu'elle l'avait suivie dans ce sud bien éloigné de son village alsacien. Elle n'avait pas suivi à nouveau. Elle avait gardé sa maison, Boule, ses rares amis et sa solitude. Et sa croisière rêvée. Dans les Caraïbes, ou le Pacifique. Madagascar ou la Réunion. Les Îles sous le Vent. Le lagon calédonien.
A chaque fois qu'elle signait son chèque, elle nous regardait en souriant, d'un sourire triste : "un petit bout de ma croisière".
Boule détestait venir nous voir à la clinique.
Il ne respirait plus, mais depuis si peu de temps...
Je posais mon garrot, je prenais mon cat'.
Elle a posé sa main sur mon bras.
"Il est parti ?"
Il était parti. Mais depuis si peu de temps.
"Alors laissez-le, docteur."
Elle avait posé sa main sur mon bras, et je suis tombé comme un con sur mes fesses, et j'ai juste essayé de ne pas pleurer.
Elle n'est jamais partie en croisière.
"Les croisières, c'est plein de vieux cons qui n'ont pas eu de Boule."
Commentaires
Ouf! Sous le choc!
Une grande Dame bien courageuse...
Merci
Ca faisait longtemps que je n'avais pas pleuré en lisant quelquechose.
Au revoir Boule!
Merci d'avoir repris le clavier pour nous parler de Boule.
Très émue, comme à chaque fois...
Merci Doc, Tous vos billets découverts sur ce blog concernant la perte d'un ami sont si délicats... qu'ils apaisent "l'attente" et le moment de la mort de notre chien, 16ans 1/2.
Ils sont tous émouvants. Bravo.
Bouh...Au revoir Boule...
J'ai souvent eu la larme à l'oeil en vous lisant, mais là, je n'ai pas pu les retenir. Une très belle histoire, avec toujours cette plume si unique.
Merci.
Et au revoir Boule.
Les articles de Fourrure à chaque fois c'est la montagne russe des sentiments : on voit un nouvel article on est super content, et 2 minutes après on a une grosse boule dans la gorge.
pfiou vous me faites attaquer dur le début de semaine !!
en espérant que ce malheur lui permette de la faire sa croisière !
même si j'en doute.......
Encore une fois on a l'impression d'y être. Merci de nous avoir fait partager cette tranche de vie, même si c'est encore une fois les larmes aux yeux...
En espérant que la maîtresse de Boule puisse enfin faire sa croisière et garder le souvenir des bons moments avec son chien qu'elle aura soutenu et soigné jusqu'au bout...
Et bien voilà, j'ai pleuré... Pauvre dame...
Faiche, Fourrure à nous la jouer pathos alors qu'on a déjà le blues du bientôt c'est l'hiver !!
pff.. c'est vrai, quoi
ma mèmère a 14 ans, il va pas durer encore 10 ans, ce miracle! ça fait des lurettes qu'elle est seule survivante de sa portée et de celles d'après,preuve que ça use pas, le canapé...
N'écrivez pas si bien, s'il vous plaît.
Quand je pleure, ça perturbe ma chienne...
Enfin...
Joli, merci !
Merci de partager ces moments vétos pas toujours rigolos, "politiquement" correc's mais si réels...
ça fait un moment que je vous lis sans laisser de commentaires. mais là !!! Emotion...
Bouleversant comme d'hab !
une pensée pour cette dame et pour mon pepere de 13 ans que je bichonne avec tout mon amour.
Vous faites un travail formidable... chapeau !
mon chien de travail s'appelle boule......
n'empeche que cette dame se donnait comme excuse pour ne pas faire sa croisiére d'avoir boule;et une fois disparu elle ne la fera pas non plus .......ce sont tous des "vieux cons": solitude quand tu nous tiens.......
Je suis bouleversée, comme souvent quand je vous lis......
RIP Boule
Et une pensée pour tous ces vétos qui doivent souvent se retenir de pleurer....
Alors je viens de lire l'histoire... et je suis boule versée... J'en ai connu des personnes âgées qui ont attendu que leur chien soit parti pour se laisser emporter... Et voici 3 ans j'ai perdu ma chienne je n'en suis pas remise. Pourquoi nos chiens prennent-ils tant de place dans nos vies ? Du fond de leur démence, bien des yeux se sont éclairés en entendant le nom du chien. Tout était envolé, le nom du mari, des enfants, Mais Pas le Nom du Chien ni les souvenirs du Chien? MYSTERE.
pfiou ...
Article relativement court mais pas moins émouvant que d'autre.
Les circonstances sont aussi multiples que possible mais la finalité est toujours la même: il est parti, il nous manque un bout de nous même....
Merci Fourrure
Bon ben mon premier commentaire d'il y a 2 jours n'a pas voulu s'afficher alors c'était à peu près ça:
Magnifique écriture... Elle embellit la vie et le reste aussi, bravo et merci.
......
Merci.
Magnifique texte.
Je ne pleure pas souvent mais là...
L'histoire tragique d'une femme seule avec son chien... C'est bouleversant et je ne sais pas comment vous arrivez à retenir vos larmes, je l'ai fait à votre place.
C'est malin, aujourd'hui je travaille (je dois être la seule à le savoir...) e't comme j'ai du temps je lis mes blogs en retard et voilà maintenant je pleure. Bravo Fourrure !
Bonjour Doc
merci encore pour cette jolie leçon de courage. J'aurai envie de savoir comme vous rendre un peu de ce que vous donnez à tous.
Merci de tout coeur d'être Vous pour nos compagnons za pattes et a plumes !
Du fond du coeur, un excellent noel plein de chaleur et de douceur.
"Les croisières, c'est plein de vieux cons qui n'ont pas eu de Boule"
Merci pour cette lumineuse idée de titre, j'en ferai mon miel !
Je n'ai pas réussi à retenir mes larmes :(((
19 animaux derrière moi. Puis ma santé qui m'a joué des tours au bon moment (plus d'animaux à charge).
Maintenant je vais mieux. J'hésitais à en reprendre un, pour ne pas revivre une vingtième fois ça. Car j'ai encore largement l'âge de lui survivre.
Mais ça fait partie de la (sa, ma) vie que de mourir. C'est naturel. Inéluctable. Il faut juste que ça soit beau. Digne. Tendre. Accompagné.
Merci pour ce billet. Je vais dire oui à la voisine qui me proposait la plus belle boule de poils de la prochaine portée de sa chienne. Juste que je ne choisirai pas la plus belle mais celle qui me regardera avec l'envie d'être aimée, choyée, amusée par moi. Celle qui me fera son plus beau regard.
C'est pour quand ? Je ne sais pas encore, c'est la Nature qui le dira. Mais je te tiendrai au courant, Fourrure, et je t'enverrai des photos.
Comme à chaque fois que je vous lis, je suis émue.
Et mon envie d'être vétérinaire se renforce.
Au revoir Boule.
C'est étrange la façon dont on réagit. On est confronté quotidiennement à la mort des animaux, à leurs cadavres qu'on dissèque dès l'école et qu'on autopsie par la suite, à la peine des gens et parfois la tristesse nous submerge, à cause du propriétaire, de l'animal ou de ce qu'on perçoit du lien entre eux. Il m'arrive de dire aux gens que "je vais leur laisser quelques instants pour dire au revoir" à leur compagnon... pour en fait aller pleurer de mon côté dans la réserve...
Et à cause de votre plume si sensible, aujourd'hui aussi j'ai pleuré
Cette petite dame a passé un triste Noël...
Et moi, nouvelle lectrice, j'ai pleuré en découvrant ce texte.
Quel courage il vous faut parfois !
Quand on vit seul(e), quel que soit l'âge qu'on ait,le fait qu'un animal ou plus attende notre retour,les attentions partagées de chaque jour prennent un poids extraordinaire!
Combien de Boule,de Xarko (l'amour-chien de ma vie),de Magic,Cajou,Minette partent toujours trop tôt en laissant une plaie béante à l'âme?
C'est infiniment triste et beau. Cela me console un peu cet amour entre duex êtres - ou plus - de tous ceux qui abandonnent leur animal avec une coupable désinvolture ou ne prennent pas soin d'eux.
Triste histoire mais bien racontée. J'ai perdu mon chat il y a 3 semaines. Il avait 11 ans seulement. On s'attache vite à nos petites bêtes.
Touchée, émue aux larmes... Une grande Dame bien courageuse, qui a vécu la plus belle des croisières avec Boule. Je prie chaque jour pour que mes chats, mes chiens et mes chevaux vivent vieux et heureux.
ba, voila 10h 48 et je pleure comme une gamine...
Je suis touchée moi aussi, 2 grosses larmes me coulent sur les joues ...
Merci. Je ris et je pleure en même temps. Et mon vieux chien se marre !
Je suis arrivée sur votre blog en faisant des recherches sur les études vétérinaires et cela fait quelques semaines que je lis tous les billets que vous y avez postés depuis le commencement. Après la lecture de nombreux articles, j'avais envie de vous poster un message pour vous dire que je trouvais génial le fait que vous trouviez du temps de nous faire vivre un peu de votre vie avec le peu de temps libre qu'elle semble daigner vous accorder. Mais, plus je vous lisais et moins j'avais envie de commenter parce que vous avez déjà tellement de commentaires à lire et de choses à faire, sans compter le temps que doivent vous prendre les billets...
Pourtant, celui-ci m'a émue au point de verser des larmes. Alors je tenais à vous remercier, même si je ne suis sûrement ni la première ni la dernière, de nous faire partager un petit bout de votre vie, votre métier, vos sentiments, vos anecdotes et vos expériences. L'émotion que vous communiquez ici est très enrichissante pour une personne qui aurait toujours désiré devenir vétérinaire.
Je découvre le site, les articles.
3ème article que je lis, mes yeux larmoient déjà....
Une histoire touchante, belle et triste à la fois. J'en ai pleuré derrière mon écran. Un Boule vaut mieux que toutes les croisières du monde...